Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Élégie italienne. Ô c’est toi !

Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 302-303).


LXXXIII[1]

ÉLÉGIE ITALIENNE


Ô c’est toi ! Je t’attends, ô ma belle Romaine[2].
Chez toi, dans cet asile où le soir nous ramène
Seul je mourais d’attendre et tu ne venais pas.
Mon cœur en palpitant a reconnu tes pas[3].
Cette molle ottomane..........
Ces glaces, tant de fois belles de la présence,
Ces coussins odorants, d’aromates remplis,
Sous tes membres divins tant de fois amollis ;
Ces franges eu festons que tes mains ont touchées.
Ces fleurs dans ces cristaux par toi-même attachées ;
L’air du soir si suave à la fin d’un beau jour,
Tout embrasait mon sang : tout mon sang est amour.
Non, plus de feux jamais, non, jamais plus d’ivresses
N’ont chatouillé ce cœur affamé de caresses ;
Je veux rassasier cet amour indompté[4].
.......qui seul est la beauté.

Je veux que sur mon sein et plus qu’à demi nue,
Tu repaisses mes sens d’une si belle vue.
Viens encore opposer à mes brûlants transports
De tes bras envieux la lutte elles efforts,
Ou ton ordre… ou ta douce prière,
Ou du fin ennemi la jalouse barrière ;
Mes bras, plus que les tiens agiles et pressants,
Forceront le rempart de tes bras impuissants.
Mes baisers, sur ta bouche ou timide ou colère,
Repousseront ton ordre ou ta douce prière.
Robe, lin, ces gardiens de tes charmes si beaux.
Sous mes fougueuses mains voleront en lambeaux.
À ma victoire alors tout entière livrée,
Il faudra bien céder à te voir adorée.
Lorsque pour se couvrir, enfin, tous tes appas.
N’auront que mes fureurs et ma bouche et mes bras.

  1. Revue de Paris, 1830.
  2. Le premier éditeur avait omis ce vers.
  3. Il avait également omis celui-ci, et l’hémistiche suivant
  4. Ces vers ont paru pour la première fois dans l’édition de M. G. de Chénier.