Œuvres philosophiques de Sophie Germain/Étude sur Sophie Germain (Hippolyte Stupuy)

Librairie de Firmin-Didot et Cie (p. 1-73).



Il faut en faire l’aveu pénible. Tandis que tant de femmes ont trouvé la célébrité dans les écrits frivoles, la seule femme française qui ait réussi dans les travaux sévères, estimée des géomètres, auxquels d’ailleurs tout un aspect de son génie échappe, est à peine connue du public. Fontenelle, faisant l’éloge d’un savant anatomiste, remarque que ses travaux furent, pendant une longue carrière, comme ensevelis dans le silence, et il s’en explique : « Il n’a rien mis du sien dans sa réputation que son mérite, et communément il s’en faut beaucoup que ce soit assez[1] ». La réputation discrète de Sophie Germain offre le même caractère. Son œuvre néanmoins est de celles dont la science et la philosophie ont tiré profit et honneur, et son nom, que l’avenir connaîtra mieux, appartient à l’histoire des progrès de l’esprit humain.

Mademoiselle Germain (Marie-Sophie), naquit à Paris, rue Saint-Denis — l’acte de naissance ne porte point de numéro — le 1er  avril 1776, de Ambroise-François Germain et de Marie-Madeleine Gruguelu.

Les détails manquent sur sa famille ; on sait cependant que son père[2] appartenait à cette bourgeoisie libérale et instruite qui, après avoir applaudi aux tentatives réformatrices de Turgot, s’éveilla au désir plus étendu de terminer la servitude en laquelle, depuis Louis XIV, la France s’amoindrissait et se ruinait[3]. M. Germain fut-il le partisan, sinon l’ami, des philosophes et des économistes ? Sympathique aux idées nouvelles, se fit-il remarquer et apprécier dans les luttes qui précédèrent les événements de 1789 ? Les documents témoignent en faveur de l’affirmative. Député du Tiers-État pour la ville de Paris, on voit M. Germain s’associer aux résolutions qui transformèrent les États Généraux en Assemblée Constituante ; constituant, on le rencontre à la tribune, et deux discours prononcés par lui, l’un le 8 octobre 1790, l’autre le 5 mai 1791, indiquent suffisamment la nature de ses idées en matière économique.

Le premier discours, en lequel, à propos d’un projet concernant la Caisse d’escompte, M. Germain combat, au nom des commerçants, « les banquiers et tous ces messieurs qu’on appelle faiseurs d’affaires », débute ainsi : « Je suis marchand ; je demeure dans la rue Saint-Denis ». L’orateur, au cours de son second discours, déclare qu’il a « toujours fait profession publique de regarder l’agiotage comme un crime d’État ». Ce modeste titre de marchand dont il s’honore, cette haine de l’agiotage dont il se vante, voilà des indices, non seulement du caractère personnel de M. Germain, mais aussi de la pensée collective de la classe dont il était le mandataire : la bourgeoisie n’avait pas encore imaginé d’ériger la richesse, bien ou mal acquise, en idéal social.

Après la Constituante, le nom de M. Germain ne figure plus dans aucune assemblée politique ; la présomption est que les événements avaient dépassé la portée de ses opinions. On a prétendu que lui-même, malgré ses protestations contre l’agiotage, s’occupa plus tard de spéculations ; on a dit aussi que le mauvais état de sa santé l’éloigna des affaires publiques : le certain c’est qu’il fut un moment l’un des directeurs de la Banque.

Ainsi, née l’année même du renvoi de Turgot, c’est-à-dire au seuil de la Révolution, Sophie Germain reçut dès sa plus tendre enfance, dans les conversations qu’elle entendit chez son père, l’influence de la vigueur intellectuelle que le dix-huitième siècle manifestait alors ; que si une inclination naturelle la porta aux études mathématiques, la philosophie scientifique dont elle vit l’éclosion laissa dans son esprit une empreinte ineffaçable. On verra plus loin comment, par sa méthode de raisonner, elle se rattache à l’école de Diderot et de Condorcet.

La manière dont elle fut avertie de sa vocation mathématique mérite d’ailleurs d’être rapportée.

C’était en 1789. L’agitation révolutionnaire éclatait de toutes parts et, déjà, à l’âge de treize ans, avec la sagacité dont elle devait donner tant de preuves plus tard, Sophie Germain comprenait et, a-t-on dit, prédisait l’étendue et la durée d’un mouvement en lequel beaucoup ne voulaient voir qu’une tourmente passagère. Désireuse de se choisir une occupation assez sérieuse pour faire diversion à ses craintes, elle passait de longues heures dans la bibliothèque de son père. Un jour, par hasard, elle ouvre l’Histoire des Mathématiques de Montucla, et, en ce livre plein d’érudition, trouve le récit éloquent de la mort d’Archimède : ce grand homme, occupé à réfléchir sur une figure géométrique, les yeux et la pensée tout entiers à cette méditation, ne s’aperçoit ni de la prise de Syracuse, ni du bruit des vainqueurs qui saccagent la ville, ni du glaive levé sur lui, et il tombe sans daigner répondre aux brutales injonctions de son assassin. Aussitôt le choix de la jeune fille est fait. Cette science géométrique si attachante que rien n’en peut détourner, pas même une menace de mort, cette science dont elle connaît à peine le nom, voilà bien celle qui lui convient ; et, sur l’heure, elle prend la résolution héroïque de s’y donner complètement.

La résolution héroïque, ai-je dit. Le mot n’est pas excessif. En effet, justifiant à son insu cette parole de Fontenelle, que la plupart de ceux qui ont excellé en quelque genre n’y ont point eu de maîtres ; sans autre guide qu’un Bezout ; seule, dépourvue de conseils, elle se met à étudier tout ce qu’elle a sous la main, pénètre, devine, s’intéresse, se passionne : c’est un labeur de jour et de nuit, c’est une ardeur telle que sa famille s’en effraie. On essaya d’abord d’entraver son goût. À quoi pourrait servir la géométrie à une personne de son sexe ? Sans doute sa réponse fut plus respectueuse que celle de Galilée[4] ; toutefois, en cherchant à mettre obstacle à son désir, on ne réussit qu’à l’accroître. Alors, pour la forcer à prendre le repos nécessaire, on retire de sa chambre le feu, les vêtements, la lumière. Elle feint de se résigner ; mais, quand la famille est endormie, elle se relève, s’enveloppe de couvertures et, par un froid tel que l’encre gèle en son écritoire, se livre à ses chères études. Plusieurs fois on la surprit ainsi le matin, transie de froid sans s’en être aperçue. Devant une volonté si extraordinaire pour son âge, on eut la sagesse de laisser la jeune Sophie disposer à son gré de son temps et de son génie, et l’on fit bien : comme le géomètre de Syracuse, elle serait morte plutôt que d’abandonner le problème ébauché.

Malgré la force de tête qu’ils supposent, combien durent être pénibles les premiers efforts de la jeune fille ! Quoi qu’il en soit ses progrès furent rapides et, bientôt, elle se trouva en état d’étudier avec fruit le calcul différentiel de Cousin. Le temps de l’ingrate préparation était passé, et l’opiniâtre travailleuse goûtait la joie que procure la certitude d’arriver au but, joie sans doute bien vivement ressentie puisque vers la fin de sa vie, au témoignage de personnes qui l’avaient connue, Mlle  Germain parlait encore avec animation du bonheur qu’elle éprouva à ce moment où elle comprit enfin le langage de l’analyse. Mais alors, et précisément à cause de ses progrès, une nouvelle difficulté se présenta ; il lui devint indispensable de connaître et d’approfondir des ouvrages de science écrits en latin, et elle n’entendait point cette langue ; en ceci encore Mlle  Germain ne prit secours de personne et, seule, elle se rendit capable de lire Euler et Newton. Le croira-t-on ? Tant de soins ne suffisaient pas à son activité. Imbue de l’esprit généralisateur qui se révèle dans l’Encyclopédie, elle commençait en même temps à explorer tout le domaine de la connaissance et, par une sorte d’instinct, rencontrait ainsi les conditions nécessaires de l’œuvre qui, quarante ans après, devait la ranger parmi les fondateurs de la psychologie réelle. C’est absorbée dans ces travaux qu’elle traversa les phases de la Révolution : celle, si lumineuse, où les grandes perspectives furent ouvertes par le savoir émancipé ; celle, si sombre, où la hache du rhéteur déiste, aussi stupide que le fer du soldat romain, infligea à l’Académie des Sciences le deuil de Bochart de Saron, de Condorcet, de Lavoisier[5].

Cependant, après la chute des déclamateurs, la parole fut rendue aux savants. Fourcroy monte à la tribune de la Convention : « Les lumières, dit-il, ont commencé la Révolution française, les lumières ont fait marcher le peuple français de triomphe en triomphe ; c’est à elles à vaincre tous les obstacles, à préparer tous les succès, à soutenir la République française à la hauteur où elle s’est élevée ». Il dénonce la conjuration des disciples de Rousseau contre les progrès de la raison humaine, progrès qui, en effet, sont inséparables de l’avènement et du développement des sciences exactes : « Persuader au peuple que les lumières sont dangereuses, et qu’elles ne servent qu’à le tromper ; saisir toutes les occasions de déclamer vaguement, et à leur manière constante, contre les sciences et les arts ; accuser jusqu’au don de la nature et proscrire l’esprit ; tarir toutes les sources de l’instruction publique, pour perdre en quelques mois le fruit de plus d’un siècle d’efforts pénibles ; proposer la destruction des livres, avilir les productions du génie, mutiler les chefs-d’œuvre des arts, sous des prétextes astucieusement présentés à la bonne foi ; placer près de tous les dépôts précieux pour les arts et les lettres la torche d’Omar pour les incendier au premier signal ; arrêter sans cesse par de frivoles objections les projets d’instruction proposés dans cette enceinte ; présenter un plan d’éducation inexécutable dans les circonstances où se trouvait la République, pour qu’il n’y eût point d’éducation ; détruire à la fois tous les établissements publics, sans rien mettre à leur place ; en un mot anéantir toutes les choses et tous les hommes utiles à l’instruction : voilà une légère esquisse de la vaste conspiration ourdie, avec la plus dangereuse et la plus perfide adresse, par les derniers conspirateurs[6]. » Et il propose l’établissement de cette École centrale des travaux publics qui, un an plus tard, prit le titre d’École polytechnique. L’École, immédiatement organisée, eut pour premiers professeurs, entre autres, Lagrange, Prony, Monge, Fourcroy, Vauquelin, Berthollet, Chaptal, Guyton de Morveau, toute une pléiade d’hommes supérieurs.

Sophie Germain avait alors dix-huit ans. Frappée de l’utilité d’un enseignement que son sexe lui interdisait de suivre en personne, et voulant du moins en profiter, elle se procura les leçons de divers professeurs, spécialement les cahiers de la chimie de Fourcroy, ceux de l’analyse de Lagrange. Elle fit plus. Une habitude s’était établie parmi les élèves de présenter aux professeurs, à la fin des cours, des observations par écrit ; sous le nom supposé d’un élève de l’École — Le Blanc, pseudonyme dont elle se servit pendant quelque temps, — elle envoya les siennes à Lagrange. Celui-ci les remarqua, en fit publiquement l’éloge, s’informa du véritable auteur et, l’ayant connu, devint le conseiller et l’appui de la jeune mathématicienne.

Les circonstances originales de son apparition, l’approbation de l’illustre auteur de la Mécanique analytique, l’âge de la nouvelle géomètre, quelques détails sur ses commencements qui transpirèrent, tout cela fit du bruit, piqua la curiosité, provoqua la sympathie ; on s’étonna, on s’intéressa, et aussitôt Mlle  Germain se trouva en relations, soit directes, soit épistolaires, avec tous les savants connus de l’époque. Chacun sollicitait l’honneur de lui être présenté : ceux-là lui communiquaient leurs travaux, ceux-ci lui adressaient leurs ouvrages, on venait causer chez elle. Et tout de suite ceux qui l’approchèrent reconnurent que « cette femme savante » échappait aux sarcasmes de Molière pour justifier ce mot de La Bruyère : « Si la science et la sagesse se trouvent unies en un même sujet, je ne m’informe plus du sexe, j’admire ». Que si, d’ailleurs, Mlle  Germain fit son entrée dans le monde au murmure favorable d’une bonne renommée, après une existence toute de travail et de réserve, elle en sortit de même, quittant une œuvre impérissable et non une gloire tapageuse.

Tant de marques de sympathie, tant d’amitiés illustres, loin d’être pour celle qui en était le digne objet une occasion de vanité ou de distraction, devinrent pour elle un nouveau stimulant. Pendant plusieurs années, on la trouve puisant dans des conversations familières, où elle-même excellait, des aliments pour son esprit, et, labeur incessant à un moment où la science biologique se constituait par une infinie variété d’efforts[7], se tenant au courant des cours, des livres et des découvertes, déjà obsédée peut-être de la pensée d’une analogie possible entre toutes les opérations intellectuelles — pensée qu’elle réalisera dans sa maturité — lisant les poètes et cultivant les arts, mais préoccupée surtout de se perfectionner dans les mathématiques.

Legendre ayant, en 1798, publié la Théorie des nombres, elle se livra avec son ardeur habituelle à l’étude de cette théorie, étude que nous la verrons longtemps poursuivre ; de là, entre eux, une correspondance qui, lors du concours académique sur les surfaces élastiques auquel le nom de Sophie Germain reste glorieusement attaché, prendra presque le caractère d’une collaboration. Plus tard, en 1801, les Disquisitiones arithmeticæ de Gauss paraissent ; aussitôt la méditation de Mlle  Germain se porte sur ce sujet : elle fait de nombreuses recherches sur ce genre d’analyse, applique la méthode à plusieurs cas spéciaux, généralise ce qui dans le livre est particularisé, tente une nouvelle démonstration pour les nombres premiers à propos de la célèbre formule de Fermat et, mettant le tout sous pli, toujours sous le pseudonyme de Le Blanc, adresse ses essais au célèbre professeur de Göttingue, persuadée, écrit-elle, qu’il ne dédaignera pas d’éclairer de ses avis « un amateur enthousiaste » de la science qu’il cultive avec de si brillants succès. M. Le Blanc était loin d’être un simple « amateur », et Gauss s’en aperçut bien ; aussi sa réponse, qui parvint au géomètre inconnu, par l’entremise de M. Silvestre de Sacy, fut-elle des plus honorables. Un commerce d’amitié s’ensuivit.

Ces relations amicales duraient depuis plusieurs années sans que Gauss connût le sexe et le nom de son correspondant, lorsque, en 1806, une circonstance lui fit découvrir la pseudonymie. L’anecdote est curieuse et montre que, même chez la femme, l’habitude de penser juste ne porte aucune atteinte aux impulsions bienveillantes. Pendant la campagne d’Iéna, les Français, vainqueurs, occupèrent la ville de Brunswick où résidait alors le savant mathématicien. Mlle  Germain se souvient d’Archimède, s’alarme et, en termes chaleureux, écrit à un ami de sa famille, le général Pernety, chef d’état-major de l’artillerie de l’armée d’Allemagne. Sa lettre trouve le général devant Breslau, dont il dirige le siège. L’adjuration était sans doute bien vive puisque, sans délai, un officier fut envoyé à Brunswick pour prendre des nouvelles de la part du général et de Mlle  Germain. L’officier court en poste, arrive, trouve Gauss qui, chaudement recommandé et invité à dîner chez le gouverneur, déclare ne connaître ni le général, ni Mademoiselle Sophie Germain ; celle-ci, dans son empressement, avait oublié que l’intervention de M. Le Blanc eût été seule compréhensible. Cependant sur le rapport que l’envoyé rendit de sa mission, des explications furent échangées et Gauss, sachant à qui adresser l’expression de sa reconnaissance, s’en acquitta dans des termes aussi touchants pour l’amie — c’est le mot qu’il emploiera désormais — que flatteurs pour la géomètre. Combien la philosophie du dernier siècle, élargissant la sociabilité et appelant les hommes à la science, à la tolérance, aux mœurs pacifiques, aurait épargné d’années douloureuses à l’humanité sans le sophiste et le batailleur auxquels, par la mauvaise chance des événements, échut la dictature ! Ce passage de la réponse du général Pernety à Mlle  Germain le prouve bien aussi : « Me voici faisant un siège, entendant et faisant gronder le ou les tonnerres, brûlant des maisons, des églises, car les clochers sont des points de mire pour les bombes, enfin faisant par réflexion tout le mal que je peux à qui jamais ne m’en fit aucun, que je ne connais pas ; mais c’est le métier. On m’accable à mon tour de boulets, d’obus et de bombes, et tout va le mieux du monde ». L’immortel auteur de la Tactique[8] eût signé de telles paroles ; mais ne sont-elles pas singulièrement signifiantes sous la plume d’un militaire, alors même que la manie sanguinaire des conquêtes troublait tant de cerveaux ?

De nos jours, pour descendre dans l’arène où se discutent, se forment et s’agitent les opinions, il suffit d’en trouver l’occasion — et l’occasion est aveugle. À l’époque de Sophie Germain, on respectait assez les autres et soi-même, on plaçait la portée et la valeur de l’œuvre assez au-dessus des impatiences personnelles, pour ne saisir le public de ses travaux qu’après s’être laborieusement préparé ; aussi, à l’âge de trente ans, n’avait-elle encore rien publié. Quelle fut sa surprise quand, un jour, on lui remit des vers grecs composés en son honneur ! Un helléniste distingué, d’Ansse de Villoison, s’était fait l’écho de l’admiration qu’elle inspirait à quelques hommes supérieurs, et, dans un poème destiné à célébrer le jour de la naissance de l’astronome Lalande, rendait hommage à ses talents. Mlle  Germain se fâcha, et, même après que les vers grecs eurent été brûlés par leur auteur, tint rigueur à l’indiscret de telle sorte qu’il eut quelque peine à rentrer en grâce. Telle était la modestie de cette femme remarquable. Il est vrai que Villoison, quoique ayant dû donner « sa parole d’honneur » de ne plus parler d’elle dans aucun écrit et de tenir sa muse « muette et enchaînée[9] », recommença quelque temps après, en latin cette fois. Comme Horace glorifiant son ami Lollius,


Non ego te meis
Chartis inornatum silebo
Totve tuos patiar labores
Impune, Lolli, carpere lividas
Obliviones[10],


le versificateur ne voulait pas que les labeurs de la jeune savante devinssent la proie de l’envieux oubli. Mais notons la différence. Tandis que Lollius ne vit plus que dans les vers du poète de Tibur, Sophie Germain existe dans une œuvre qui lui est personnelle et les vers de Villoison sont oubliés.

Cela se passait en 1802. Quelques années encore, et le génie de Sophie Germain allait enfin s’affirmer publiquement. Voici dans quelles circonstances elle commença sa vie d’auteur.

Chladni, déjà célèbre en Allemagne, par des expériences curieuses sur les vibrations des surfaces élastiques, vint, en 1808, répéter ses expériences à Paris ; elles tendaient à démontrer que l’influence des vibrations sur les corps est soumise à des lois mathématiques constantes. Sa méthode, simple et ingénieuse, consistait à saupoudrer de sable fin ou de poussière, des plaques dont les vibrations se traduisaient aux yeux par les figures qu’elles dessinaient[11]. C’était un champ nouveau ouvert à l’acoustique ; le monde savant s’émut, une commission fut instituée pour statuer sur les résultats obtenus, et un rapport favorable s’ensuivit. Napoléon, devant qui les expériences avaient eu lieu, fit alors proposer un prix extraordinaire à l’Institut pour qu’elles fussent soumises au calcul, et Mlle  Germain se résolut à prendre part au concours.

Mais, pour mettre le lecteur à même de bien concevoir l’importance des travaux qu’elle entreprit à cet égard, il convient de faire un rapide historique de la question. L’histoire, en toutes choses, apporte de précieuses clartés.

Bien que l’étude de la propagation du son et de la nature de l’harmonie remonte loin dans les âges, l’acoustique peut être considérée comme une science à peu près moderne ; c’est, en effet, vers le milieu du XVIIe siècle seulement que la théorie du son fut affranchie des hypothèses anti-scientifiques. Dans les hauts temps, Pythagore, Aristoxène, Aristote, comprirent que l’harmonie consiste dans la perception des rapports des sons — ce qui la différencie des bruits proprement dits, en lesquels les sensations produites ne sont pas exactement comparables entre elles, — mais ils ne surent ni apprécier ces rapports, ni en fixer les limites. Longtemps, la théologie d’abord, puis la métaphysique, voilèrent de leurs expédients chimériques les véritables conditions de la recherche ; et il faut arriver à Bacon et à Galilée pour rencontrer les bases réelles de la conception scientifique de la production et de la transmission des vibrations sonores, conception qui exigeait la connaissance préalable des propriétés mécaniques de l’atmosphère.

« L’air, écrit Diderot dans ses Principes d’acoustique, est le véhicule du son. Si vous pincez une corde d’instrument, vous y remarquerez un mouvement qui la fait aller et venir avec vitesse, au delà et en deçà de son état de repos ; et ce mouvement sera d’autant plus sensible que la corde sera plus grosse. — En vertu des vibrations du corps sonore, l’air environnant en prend et exerce de semblables sur les particules les plus voisines ; celles-ci sur d’autres qui lui sont contiguës, et ainsi de suite, avec cette différence seule que l’action des particules les unes sur les autres est d’autant plus grande que la distance au corps sonore est plus petite ».

Voilà le phénomène. Il faut ajouter que l’agitation se propage, non seulement suivant la direction de l’ébranlement primitif, mais encore en tous sens. Ce phénomème naturel, il fallait le constater, en découvrir les lois générales, en déterminer les cas particuliers, et cela par l’observation, l’expérience et le calcul. Or, l’élasticité et la pesanteur de l’air se trouvant démontrées, les découvertes, comme une chaîne dont les anneaux se déroulent, se succédèrent rapidement. Gassendi, le premier, expliqua l’acuité et la gravité des sons. Otto de Guéricke, qui eut l’idée de la machine pneumatique, montra que le son ne peut se propager dans le vide. Kircher fit connaître les causes du phénomène de l’écho. Newton établit, par le calcul, que la transmission du son est due à l’élasticité de l’air et, par cela même, indiqua la relation directe de l’acoustique avec la mécanique abstraite. « Considérés sous le point de vue le plus général, écrit l’immortel auteur du Cours de Philosophie positive[12], les phénomènes sonores se rattachent évidemment à la théorie fondamentale des oscillations très petites d’un système quelconque de molécules autour d’une situation d’équilibre stable. Car, pour que le son se produise, il faut d’abord qu’il y ait perturbation brusque dans l’équilibre moléculaire, en vertu d’un ébranlement instantané ; et il est tout aussi indispensable que ce dérangement passager soit suivi d’un retour suffisamment prompt à l’état primitif. Les oscillations plus ou moins perceptibles et continuellement décroissantes qu’effectue ainsi le système en deçà et au-delà de sa figure de repos, sont, par leur nature, sensiblement isochrones, puisque la réaction élastique en vertu de laquelle chaque molécule tend à reprendre sa position initiale est d’autant plus énergique, que l’écartement a été plus grand, comme dans le cas du pendule. Pourvu que ces vibrations ne soient pas trop lentes, il en résulte toujours un son appréciable. Une fois produites dans le corps directement ébranlé, elles peuvent être transmises à de grands intervalles, à l’aide d’un milieu quelconque suffisamment élastique, et principalement de l’atmosphère, en y excitant une succession graduelle de dilatations et de contractions alternatives, que leur analogie évidente avec les ondes formées à la surface d’un liquide a fait justement qualifier d’ondulations sonores[13]. Dans l’air, en particulier, vu sa parfaite élasticité, l’agitation doit se propager, non seulement suivant la direction de l’ébranlement primitif, mais encore en tous sens au même degré. Enfin, les vibrations transmises sont toujours nécessairement isochrones aux vibrations primitives, quoique leur amplitude puisse être d’ailleurs fort différente. — L’analyse la plus élémentaire du phénomène général des vibrations sonores a donc suffi pour faire concevoir cette étude, presque dès son origine, comme immédiatement subordonnée aux lois fondamentales de la mécanique rationnelle ».

Du vivant même de Newton, Joseph Sauveur, avec qui commencent les explorations démonstratives, découvrit les nœuds et les ventres de vibration. Enfin, Brook Taylor, dans les Mémoires qu’il présenta à la Société royale de Londres, puis Daniel Bernouilli, Euler et d’Alembert soumirent à l’analyse la théorie des cordes vibrantes ; mais, jusque-là, une analyse si délicate n’avait pu fournir aux géomètres que des solutions très imparfaites[14] ; il fallait un nouveau calcul, celui des différences partielles : d’Alembert en eut l’honneur[15] et, en 1747, l’appliquant aux vibrations sonores, donna la solution du cas linéaire ; cependant la gloire d’avoir découvert les principes fondamentaux appartient à Bernouilli.

Une lutte « longue et glorieuse », dit Condorcet, se produisit à ce sujet :

« M. d’Alembert avait résolu, en 1747, le problème des cordes vibrantes, en donnant le premier, sous leur forme véritable, les équations intégrales de ce problème : cette solution avait toute la généralité dont la nature de la question la rend susceptible. M. Euler, peu de temps après, en donna une, fondée sur les mêmes principes, et où il est conduit aux mêmes résultats par une méthode semblable. Ces deux grands géomètres ne différaient que sur la manière d’assujettir à la loi de continuité les fonctions arbitraires que le calcul introduisait dans les intégrales. M. Bernouilli prétendit que la méthode de Taylor, qui, le premier, avait résolu le problème des cordes vibrantes, mais dans une hypothèse particulière, était, par sa nature, aussi générale que la nouvelle méthode, et il réduisait par là le mérite de la solution qu’elle donne à celui d’avoir su employer une analyse alors toute nouvelle, celle des équations aux différences partielles[16] ».

Peu de géomètres, ajoute l’infortuné secrétaire de l’Académie des Sciences, ont partagé l’opinion de Bernouilli quant à la généralité des méthodes elles-mêmes.

Lors des expériences de Chladni, la théorie mathématique du mouvement vibratoire suivant une seule dimension, se trouvait donc seule complète. De quoi s’agissait-il pour faire un nouveau pas ? Il s’agissait de considérer un cas plus difficile et plus rapproché de la réalité : la vibration des surfaces. Là est l’importance des travaux de Sophie Germain ; car, Auguste Comte lui rend cette justice, c’est « la mémorable impulsion donnée à la science, sous ce rapport[17] », par son génie, qui incita les géomètres à cette nouvelle étude.

Le concours de l’Institut s’ouvrit donc, et la question fut ainsi posée :

Donner la théorie mathématique des surfaces élastiques et la comparer à l’expérience.

Lagrange ayant affirmé que cette question ne serait pas résolue sans un nouveau genre d’analyse, tous les géomètres se courbèrent devant cette imposante autorité et, paraît-il, s’abstinrent. Seule, Sophie Germain ne désespéra point du succès, observa, étudia longtemps les phénomènes et, le 21 septembre 1811, envoya, à l’Institut un Mémoire anonyme qui donnait une équation des surfaces élastiques.

Sans doute, au cours de ses recherches, elle s’était aidée des conseils ou du moins avait pris l’opinion de ses savants amis, puisque nous avons une lettre de Legendre, à elle adressée, en laquelle, soulevant des objections et indiquant des difficultés, il dit qu’il n’a pas assez réfléchi sur ces sortes de questions et qu’il aime mieux « donner cause gagnée à Mlle  Sophie, que de lutter avec elle sur un sujet qu’elle a beaucoup médité ». Lagrange n’imita pas cette réserve et communiqua une note aux commissaires chargés de l’examen du Mémoire[18], note où il signale l’inexactitude de l’équation proposée et déclare « que la manière dont on cherche à la déduire de celle d’une lame élastique en passant d’une ligne à une surface lui paraît peu juste ». Le prix ne fut pas donné. Le vrai, c’est que Sophie Germain, travaillant pour ainsi dire d’instinct et sans avoir jamais fait un cours régulier d’analyse, n’avait pas résolu complètement la question ; mais son Mémoire, dont la sagacité fut remarquée, ouvrait si bien la voie que Lagrange en tira l’équation exacte. Legendre (4 décembre 1811) en prévient l’auteur, lui apprend que M. Biot[19] aussi croit avoir trouvé la véritable équation de la surface élastique vibrante, laquelle équation n’est pas la même que celle trouvée par Lagrange d’après l’hypothèse du Mémoire, et il ajoute : « J’imagine que la question sera proposée avec un nouveau délai ; ainsi miséricorde n’est pas perdue : au contraire, il faut plus que jamais songer à emporter la palme ».

Un second concours fut, en effet, ouvert. Mlle  Germain se remit à l’étude et, le 23 septembre 1813, envoya un second Mémoire. Ici encore on voit la sagacité de l’auteur trompée par l’imperfection de son instruction première, et Legendre, qu’elle consulte (4 décembre 1813), ne le lui cache pas :

« Je ne comprends pas du tout, lui écrit-il, l’analyse que vous m’envoyez, il y a certainement erreur ou dans l’écriture ou dans le raisonnement ; et je suis porté à croire que vous n’avez pas une idée bien nette des opérations qu’on fait sur les intégrales doubles dans le calcul des variations ». Et plus loin :

« Il paraît reconnu cependant que votre équation est réellement celle de la surface vibrante. En mettant l’analyse à part, le reste peut être bon, en ce qui concerne l’explication des phénomènes. Si la commission de l’Institut était de cet avis, vous pourriez être mentionnée honorablement ; mais je crains bien que l’analyse manquée ne nuise beaucoup au Mémoire, malgré ce qu’il peut contenir de bon ».

Legendre ne se trompait point : Mlle  Germain obtint seulement la mention honorable.

Un troisième concours eut lieu en 1816. Cette fois, c’est Poisson que Mlle  Germain consulte sur le Mémoire envoyé par elle, et Poisson (15 janvier 1816) répond :

« Le reproche que la commission lui a fait (au mémoire) porte moins sur l’hypothèse dont vous êtes partie que sur la manière dont vous avez appliqué le calcul à cette hypothèse. Le résultat auquel ce calcul vous a conduite ne s’accorde avec le mien[20] que dans le seul cas où la surface s’écarte infiniment peu d’un plan, soit dans l’état d’équilibre, soit dans l’état de mouvement ».

Plus sûre d’elle-même, Mlle  Germain avait, pour ce nouveau concours, renoncé à l’anonymat[21]. L’Académie rendit un jugement à la suite duquel le Mémoire fut enfin couronné, quoique l’équation n’y fût pas encore démontrée rigoureusement[22].

La séance publique où le prix fut proclamé eut lieu le 8 janvier 1816. Réservée ici, comme en toutes choses, Sophie Germain s’abstint d’y paraître.

C’est ce que le Journal des Débats de l’époque constate en ces termes :

« La classe des sciences mathématiques et physiques de l’Institut a tenu aujourd’hui, 8, sa séance publique, devant une assemblée fort nombreuse qu’avait attirée sans doute le désir de voir une virtuose d’un genre tout nouveau, Mlle  Sophie Germain, à qui le prix des lames élastiques devait être donné. L’attente du public a été trompée : cette dernière n’est point venue recevoir une palme que son sexe n’avait pu encore cueillir en France ».

La devise du Mémoire couronné était empruntée à Virgile (Géorgiques, liv. II) :

Felix qui potuit rerum cognoscere causas.

Tant d’hommes considérables conduits à approfondir et à renouveler une question posée par eux-mêmes, voilà un fait qui justifie pleinement l’épithète de « mémorable » dont on a caractérisé l’impulsion donnée à la science par notre mathématicienne. Et puis, cette confraternité intellectuelle qu’ils témoignent à leur vaillante émule, ces conseils qu’ils lui prodiguent, ces encouragements qu’ils lui donnent, enfin cette solennelle justice qu’ils lui rendent, tout cela n’est-il pas touchant ? Heureux temps, où l’amour de la vérité inspirait un pareil désintéressement ! Noble spectacle, qui nous montre unis dans les mêmes hommes la grande intelligence et les sentiments impersonnels !

Certes, la découverte des équations qui expriment les vibrations des surfaces élastiques fut un événement important ; important non seulement au point de vue spécial des phénomènes sonores dont le caractère scientifique était ainsi établi dans son entière pureté, mais aussi, au point de vue du perfectionnement des notions relatives, soit aux corps inorganiques, soit aux êtres animés. La double importance qui s’attache à cette partie de la connaissance, le législateur des sciences la constate avec sa sûreté habituelle : « D’une part, l’examen des vibrations sonores constitue notre moyen le plus rationnel et le plus efficace, si ce n’est le seul, d’explorer, jusqu’à un certain point, la constitution mécanique des corps naturels, dont l’influence doit surtout se manifester dans les modifications qu’éprouvent les mouvements vibratoires de leurs molécules. — D’une autre part, l’acoustique présente évidemment à la physiologie un point d’appui indispensable pour l’analyse exacte des deux fonctions élémentaires les plus importantes à l’établissement des relations sociales : l’audition et la phonation[23]

Or, s’il est vrai que, malgré les expériences plus récentes de Savart, la théorie analytique du mouvement vibratoire selon les trois dimensions reste encore ignorée, les efforts de Sophie Germain n’en ont pas moins marqué un progrès qui mérite attention et reconnaissance.

La nature de cette Étude ne me permet pas d’insister, quoique la question mérite un sérieux examen, sur les connexions de l’acoustique et des sciences hiérarchiquement supérieures. On trouvera dans les Éléments de Physiologie de l’éminent professeur Ch. Robin, outre un exposé complet de ce qui concerne la transmission du son au point de vue physiologique, le tableau des observations et des expériences faites à cet égard par Müller, Wollaston, Colladon, entre autres, et un historique des théories de la voix, depuis celle d’Aristote et de Galien, jusqu’à celle de Liscovius[24].

Sophie Germain avait donc vaillamment conquis sa place parmi les savants. Mais elle n’était pas de ces âmes faibles qu’un premier succès annihile. Laborieuse plus que jamais, on la voit alors assister aux séances de l’Académie des sciences[25], poursuivre ses travaux, se tenir attentive à ceux des autres et, même, trouver le temps de s’employer pour ses amis. La voici, par exemple, aidant Fourier, l’illustre géomètre à qui le Cours de Philosophie positive est dédié, à obtenir du suffrage de ses collègues le poste de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences : « Les personnes que vous aimez et que vous protégez ne doivent pas être malheureuses. — Un suffrage que je vous devrai a encore plus de prix à mes yeux. Enfin, les dieux en décideront. Mais ce qui est indépendant des dieux, ce sont mes sentiments de reconnaissance ». Ces passages d’une lettre que lui adresse le candidat, témoignent que Mlle  Germain ne se croyait pas dispensée par le calcul intégral, de la bonté active dont le fabuliste va chercher l’exemple au Monomotapa.

En 1821, ayant revu et coordonné tous ses travaux mathématiques antérieurs, elle envoie à l’Académie un Mémoire intitulé : Recherches sur la théorie des surfaces élastiques, dans lequel elle expose les fondements de son analyse. Fourier lui rend compte de la présentation de son travail : « M. Cuvier était chargé lundi dernier de la lecture de la correspondance. Je l’ai prié de présenter votre Mémoire et j’en ai indiqué l’objet. Après la lecture, on a nommé MM. Laplace, Prony et Poisson, commissaires. J’insisterai autant qu’il sera nécessaire pour qu’il fasse le rapport que vous désirez. Si M. Poisson a le dessein de faire quelque opposition au résultat de vos recherches, il ne pourra s’empêcher de céder à l’autorité de l’expérience que personne ne sait mieux consulter que vous. Autant que j’ai pu prendre connaissance de la discussion dont vous vous êtes occupée, il m’a paru que vous mettez dans tout son jour l’influence de l’hypothèse théorique dont il a voulu déduire l’équation du 4e ordre que vous avez trouvée ».
Ce Mémoire fut publié, à l’instigation de Fourier et de Legendre, en 1824. Cependant Sophie Germain étudiait, revoyait et corrigeait sans cesse. En 1826, elle met en librairie un nouveau Mémoire : Remarques sur la nature, les bornes et l’étendue de la question des surfaces élastiques[26]. Les académiciens n’avaient pas encore fait leur rapport sur le premier Mémoire : ici, elle le commente, l’amende, le développe, produit de nouvelles confirmations de la doctrine qu’elle a exposée, en multiplie les applications et donne cette équation des surfaces élastiques vibrantes :

...(C)


qui, dit-elle, est générée, et appartient à la surface courbe-élastique-vibrante ; si bien que les différentes valeurs qu’on peut attribuer au rayon S de moyenne courbure la rendent applicable à toutes les courbures possibles. Je ne résiste pas au plaisir de reproduire le préambule de ces Remarques ; outre qu’il précise et circonscrit nettement la question, il montre chez l’auteur cette connaissance de soi, dans le fort comme dans le faible, qui est la marque de la supériorité vraie :

« Lorsque, pour la première fois, je me suis occupée de rechercher, par rapport aux surfaces, l’expression des forces d’élasticité, je travaillais, pour ainsi dire, sous la dictée de l’expérience. La question était nouvelle alors ; peut-être eût-il été difficile d’en poser les limites.

« Les seuls phénomènes connus appartenaient au mouvement des plaques vibrantes ; et pourtant la manière dont j’avais envisagé la force élastique me permettait déjà d’espérer qu’une hypothèse semblable serait applicable aux surfaces courbes.

« Aucun des faits observés ne se rapportait au cas où l’épaisseur varierait d’un point à un autre de la surface ; toutefois, la théorie, qui s’était formée sans aucun égard à une telle variabilité, se trouva propre à en expliquer les effets.

« La direction qui doit être attribuée au mouvement des différents points de la surface vibrante n’avait pas été suffisamment déterminée ; et l’on avait à cet égard plutôt des modèles que des doctrines. Dans le cas linéaire, les géomètres ont supposé que le mouvement s’exécute tout entier dans une direction perpendiculaire au plan de la lame en repos : j’admis la même chose par rapport aux surfaces planes. Guidée ensuite par l’analogie seule, je crus pouvoir supposer que le mouvement des divers points d’une surface courbe s’exécute tout entier dans des directions perpendiculaires aux plans tangents à chacun des mêmes points, considérés sur la surface en repos. J’ai reconnu depuis que cette supposition, loin de constituer une simplification particulière à certains cas du mouvement des surfaces, exprimait, au contraire, une condition essentielle à ce genre de mouvement.

« Il m’avait enfin toujours paru certain que des simplifications analogues à celles qui servent à établir l’équation des plaques vibrantes conduiraient à trouver, pour les surfaces courbes, une équation du même ordre ; j’avais même cherché à réaliser cette idée en prenant la surface cylindrique pour exemple ; et il ne me restait aucun doute sur l’exactitude des formules que j’avais publiées : mais je reconnaissais cependant qu’une analyse embarrassée et fautive ôtait à ces formules le caractère d’évidence qui leur est nécessaire. J’éprouvais encore quelque difficulté à faire mieux, lorsque la légitimité des simplifications, qui n’avaient encore en leur faveur qu’une analogie plus ou moins bien établie, s’est montrée à mes yeux comme une conséquence nécessaire de la nature même de la question ».

Ce préambule, si magistralement écrit, n’a-t-il pas la valeur d’un trait de caractère ?

Elle travaillait.

S’exerçant sur les théorèmes que Fermat avait laissés sans démonstration, elle trouve elle-même des théorèmes numériques remarquables, si remarquables que Legendre les insérera dans un supplément à la seconde édition de sa Théorie des nombres. Elle collabore en même temps à divers recueils périodiques. C’est d’abord, dans les Annales de Physique et de Chimie, un examen des principes qui peuvent conduire à la connaissance des lois de l’équilibre et du mouvement des solides élastiques[27] ; cet examen est une réponse évidente, quoiqu’il n’y soit pas nommé, à un Mémoire de Poisson[28] en lequel se trouve cette supposition qu’il suffit de considérer les actions moléculaires comme des forces quelconques, décroissant rapidement avec la distance. Mlle  Germain, elle, cherche à établir que les hypothèses sur la constitution intime des corps sont inutiles et même nuisibles dans la question des corps élastiques, et qu’il suffit, pour résoudre les problèmes de ce genre, de partir de ce fait général que les corps élastiques ont une tendance à se rétablir dans la forme qu’une cause extérieure peut leur avoir fait perdre ; sur quoi Navier, à son tour, écrit : « On a généralement accordé quelque estime aux efforts qui ont eu pour résultat d’établir les principes et les formes analytiques au moyen desquels une classe particulière de phénomènes était, pour la première fois, soumise à l’empire du calcul. Quant aux observations de M. Poisson, d’après lesquelles il ne serait pas permis de représenter les forces résultant des actions moléculaires par des intégrales définies, nous ne partageons pas cette opinion[29] ». C’est ensuite, dans les Annales de Crelle, à Berlin, un Mémoire sur la courbure des surfaces[30]. C’est enfin, dans ces mêmes Annales, une note sur la manière dont se composent les valeurs
y et z dans l’équation 4 (xp — 1) / (x — 1) = y2 ± pz2,
et celles de Y’ et Z’ dans l’équation

4 (xp2 — 1) / (x — 1) = Y’ 2 ± Z’ 2[31].

On sait que, réfugiée alors dans son cabinet comme pendant la première crise rénovatrice, elle composa ces deux derniers ouvrages au bruit du canon de juillet 1830.

Tel est le résumé succinct des travaux mathématiques de Sophie Germain.


Nous voici maintenant devant l’œuvre qui assure à notre géomètre une place parmi les penseurs véritablement modernes, je veux dire ceux qui ont cessé de philosopher en dehors des connaissances réelles. Car, s’il est vrai, comme le pensait Navier[32], que ses écrits géométriques sont de ceux que « bien peu d’hommes peuvent lire et qu’une seule femme pouvait faire », il faut ajouter avec Auguste Comte que son discours posthume sur l’État des sciences et des lettres aux différentes époques de leur culture, indique en elle « une philosophie très élevée, à la fois sage et énergique, dont bien peu d’esprits supérieurs ont aujourd’hui un sentiment aussi net et aussi profond[33] ». Le mot «  aujourd’hui » après plus d’un demi-siècle, n’est pas à retrancher.

À quelle époque Sophie Germain commença-t-elle à s’occuper de ce discours philosophique ? Quand l’écrivit-elle ? Est-il vrai, comme l’affirme un avis placé en tête de la première édition, qu’il fut rédigé d’un jet dans les instants où les vives douleurs auxquelles elle a succombé ne lui permettaient pas de se livrer aux sciences mathématiques ? Est-il vrai surtout qu’il n’était pas destiné à l’impression ? Malgré l’autorité qui s’attache à l’affirmation d’un homme uni à Mlle  Germain « plus encore par les liens de l’affection que par ceux d’une proche parenté[34] », il est sans témérité de supposer que, tout imparfait qu’il fut encore, quant à l’exécution, lorsque la mort arracha la plume des mains de l’écrivain, un ouvrage d’une si haute portée avait été conçu longtemps auparavant, longuement médité, souvent remanié et retouché. Les indices ne manquent pas. Voici d’abord le manuscrit, lequel porte des corrections qui laissent certaines phrases inachevées ou douteuses voici ensuite cette parole trouvée dans les Pensées détachées de l’auteur : « Si les hommes qui ont avancé les sciences par leurs travaux, si ceux à qui il a été donné d’éclairer le monde, veulent revenir sur le chemin qu’ils ont fait, ils verront que les idées les plus belles, les plus grandes, sont les idées de leur jeunesse mûries par le temps et l’expérience. Elles sont renfermées dans leurs premiers essais comme les fruits dans les boutons du printemps ». N’est-il pas vraisemblable que tout l’historique du discours posthume se trouve dans cette belle pensée, pensée dont notre savante, ce que l’on ignorait, partage l’honneur avec un poète[35] ? Chose curieuse aussi, qu’il faut noter, les contemporains de Mlle Germain, ses amis et ses parents eux-mêmes, ne l’auront connue et appréciée que comme géomètre ; Libri ne cite même pas son opuscule philosophique dans la Notice nécrologique[36], si estimable d’ailleurs, qu’il a donnée au Journal des Débats, un an après la mort de son amie ; M. Lherbette l’ayant trouvé, cet opuscule, dans les papiers de sa tante, déclare qu’il le publie « pour remplir « un devoir pieux envers sa mémoire » et semble douter de l’accueil qui lui sera fait : la théorie du son et l’analyse indéterminée, tels étaient, pour l’un comme pour l’autre, les seuls titres de cette femme supérieure au souvenir de la postérité. Nous allons voir combien la postérité se montrerait injuste en restreignant ainsi son hommage.

Fontenelle, racontant que le savant Bourdelin[37] avait, à seize ans, traduit tout Pindare et tout Lycophron et entendait sans secours le grand ouvrage de la Hire sur les sections coniques, s’écrie : « Il y a loin des poètes grecs aux sections coniques ! » De son côté Condorcet, constatant à quel point les poètes de son temps furent indignés d’être jugés par un géomètre, écrit : « La sécheresse des mathématiques leur semblait devoir éteindre l’imagination et ils ignoraient sans doute qu’Archimède et Euler en ont mis autant dans leurs ouvrages, qu’Homère et l’Arioste en ont montré dans leurs poésies[38] ». Condorcet et FonteneIIe étaient tous les deux très versés dans les sciences et dans les lettres, et, par conséquent, ne méconnaissaient l’importance ni de celles-ci ni de celles-là ; d’où vient donc, entre eux, cette divergence d’opinion, l’un n’hésitant pas à identifier ces deux rameaux du génie humain, l’autre s’empressant de les différencier ? La question est plus intéressante qu’il ne semble tout d’abord.

Dans l’espace de temps qui sépare la maturité de ces deux grands esprits, le renouvellement intellectuel introduit par Descartes, et dont tous les deux procèdent, s’était singulièrement étendu ; il s’était étendu à ce point que si Fontenelle peut être considéré comme un lien entre la philosophie cartésienne — laquelle se borne à prendre l’ordre céleste pour base de l’ordre terrestre — et les découvertes qui ont constitué la chimie et la biologie, Condorcet, lui, doit être regardé comme le précurseur de la philosophie en laquelle ces deux dernières sciences, préambule indispensable de la sociologie, prennent place pour compléter le vaste ensemble de la connaissance réelle. L’école cartésienne avait dit : « Des lois gouvernent le monde inorganique, et, sur ce point primordial, elle avait écarté les explications fictives, les laissant subsister quant aux phénomènes de la vie et des sociétés ; l’école nouvelle, mieux informée, ajoute : Des lois aussi régissent le monde animé, et, poursuivant les hypothèses non vérifiables jusqu’en leur dernier refuge, elle les élimine à son tour des questions que le créateur de la Méthode n’avait pas osé aborder. Il est facile de marquer les progrès de ce mouvement extensif du savoir par le nom des hommes qui les ont assurés. Tous ces hommes, qu’ils confirment les résultats anciens ou révèlent des vérités inconnues, appartiennent ou peuvent être considérés comme appartenant au dix-huitième siècle. Clairaut, Euler, d’Alembert, Bernouilli, Lagrange, Laplace, illustrent la dernière période des découvertes célestes : voilà la mécanique des mondes définitivement établie ; Cavendish, Priestley, Lavoisier, Berthollet, déterminent la composition du milieu planétaire : l’écorce de la terre, l’air et l’eau qui l’entourent, deviennent l’objet d’une prévision particulière et indépendante ; B. de Jussieu et Linné, Buffon, Vicq-d’Azyr et Haller, Cabanis, Bichat et Gall, Gœthe, Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier, s’attachent aux hiérarchies végétales, aux classifications des êtres, aux rapports du physique et du moral, aux comparaisons des organes et des formes, et, ne se bornant même plus à de simples observations, s’élèvent à des conceptions inductives : voilà la vie interrogée dans toutes ses manifestations, manifestations qui constituent une science unique, la biologie, à laquelle désormais il faudra demander le secret des phénomènes cérébraux chez l’homme et chez l’animal. Tout cela, sans doute, sera développé, précisé, coordonné au siècle suivant ; mais, déjà, quel changement dans les idées, dans les opinions, dans les perspectives ! Or, Fontenelle, malgré son admirable instinct de l’évolution scientifique qui commençait à s’accomplir de son temps, ne pouvait apercevoir comme l’aperçut Condorcet, plus tard venu, la secrète connexité des impulsions intellectuelles.

J’ignore si Sophie Germain, frappée de l’aperçu si neuf de Condorcet, l’avait gardé en sa mémoire comme on conserve un germe précieux pour s’en servir au temps convenable ; ce que je sais, c’est que son œuvre philosophique a précisément pour objet de faire tomber, sous le poids d’une démonstration contraire, les barrières fictives qu’on s’était plu jusque-là, à supposer entre l’imagination et la raison. Montrer la raison dans l’esthétique et l’imagination dans la science, me trompé-je en attribuant à Sophie Germain le mérite d’avoir compris qu’un tel sujet ne pouvait pas être utilement abordé avant que les opérations cérébrales eussent fait retour à la méthode expérimentale ? Non, puisque nous la voyons, quoique préoccupée du problème, se taire pendant longtemps et, assistant, pour ainsi parler, à l’éclosion de la biologie, se tenir au courant de tout ce qui se découvre et s’écrit à cet égard ; non, puisque, quand elle prend la plume, elle débute par ces fermes paroles : « L’esprit humain obéit à des lois ; elles sont celles de sa propre existence ».

Mais, avant d’examiner la démonstration de l’auteur, exposons le fond même de la question.

En premier lieu, s’il est vrai que la science résulte de la systématisation des faits observés, il est vrai aussi que toute systématisation scientifique s’applique, non aux faits entourés de leur complication concrète, mais à des formes simplifiées que l’on obtient au moyen de l’abstraction. L’abstraction, qu’est cela ? C’est un procédé — un artifice si l’on veut — par lequel on se borne à présenter des approximations suffisantes pour suppléer à la réalité absolue qu’on ne saurait autrement embrasser dans tout son ensemble. Or, concevoir par abstraction des objets plus simples que les objets réels, coordonner ensuite ces objets au moyen d’une conception dont le but est d’en faire plus facilement saisir l’ensemble, tel est le double rôle de l’imagination dans la science. Le système atomique, celui de Leibnitz en mathématique, celui de Laplace en astronomie, celui de Jussieu et de Blainville en biologie, offrent des exemples : ce sont des conceptions ingénieuses répondant actuellement aux besoins de la science, plus simplement et mieux que toutes autres[39] ; ce dont il faut se garder, tout en leur accordant une légitime préférence, c’est de leur donner une réalité objective. L’erreur des théologiens et, à la suite, des métaphysiciens, c’est d’objectiver leurs conceptions.

En second lieu, s’il est manifeste que l’art consiste en une représentation idéale qui implique l’exagération des images, lesquelles, selon la judicieuse remarque d’Auguste Comte, « doivent dépasser la réalité, afin de nous pousser à l’améliorer[40] il est manifeste aussi que le génie créateur, sous peine d’aberration, est soumis à la nécessité de subordonner à l’ordre naturel son idéalisation. L’idéalisation, qu’est-ce donc ? De même que l’abstraction, c’est un procédé en vertu duquel, les traits principaux prenant l’importance, la représentation devient plus fidèle en ce sens qu’elle se trouve débarrassée alors du mélange empirique qui l’altérait. Or, régulariser les utopies en les assujettissant à l’ordre réel, puis rendre intelligible la communication du type intérieur imaginé, simplifié, modifié, tel est le double rôle de la raison dans l’esthétique. Tous les chefs-d’œuvre dont le temps n’a pas amorti l’éclat en témoignent : ce sont des combinaisons idéales que la raison ramène à une indispensable et suffisante réalité. Le défaut des œuvres sans durée, quelle qu’en soit d’ailleurs la vogue passagère, c’est de faire prévaloir les inspirations subjectives sur les notions objectives, ou celles-ci sur celles-là.

M. le docteur Segond, en son Programme de Morphologie a très bien montré, d’une part, comment les études les mieux soutenues ne peuvent dispenser l’artiste, au moment de l’exécution, de la présence d’un modèle qui doit toujours, à un certain degré, « mettre des entraves à l’idéalisation » ; d’une autre part, à quel point le savant exercé à l’analyse dans l’étude de la nature a besoin du coup d’œil synthétique, sans lequel il verrait « ses facultés théoriques échouer, dans toute grande coordination[41] ».

L’analogie des opérations cérébrales qui président à la connaissance du vrai et à la production du beau est-elle constatée, on comprend sans peine, d’abord, comment nous formons les hypothèses dont nous sentons l’utilité pour relier nos observations, ensuite comment, ne sachant pas ou oubliant que ces mêmes hypothèses sont sorties tout entières de notre cerveau, nous nous les représentons comme ayant une existence objective : les dieux, les entités, les religions sont dans ce cas, et leur raison d’être historique est d’avoir été fonctions du temps. À ce point de vue où toutes les conceptions humaines émanent du même fond, c’est-à-dire du cerveau faisant des approximations et des idéalisations de plus en plus proches de la réalité selon qu’il est mieux renseigné sur les faits observables, la marche de l’humanité à travers les âges apparaît comme une suite de phases logiquement enchaînées : les fictions mènent à la vérité, le passé prépare l’avenir. Qui ne reconnaît ici la philosophie positive ?

Est-ce à dire que Sophie Germain ait eu, dans cette façon d’envisager le développement intellectuel de l’humanité, la puissance et la justesse du fondateur de la sociologie ? Point : elle ne distingue pas entre les procédés logiques celui qui est propre à chaque catégorie de la connaissance ; elle n’indique pas, tout en constatant la similitude organique du génie esthétique et du génie scientifique, la destination différente de l’art et de la science, et son œuvre n’est pas exempte de toute métaphysique. Toutefois, si elle se rattache aux anciennes écoles par une tendance à réunir sous une même loi l’ordre physique et l’ordre moral, il y a cependant chez elle plus de conformité générale avec les doctrines d’Auguste Comte qu’avec celles des philosophes en quête de l’absolu. J’en prends pour preuve la manière dont la question est posée par elle

« S’il nous était donné de pénétrer la nature des choses ; si les observations, les réflexions, les théories qui composent notre richesse intellectuelle n’étaient pas de l’homme, nous choisirions avec certitude entre ces deux propositions : ou le type que nous trouvons en nous-mêmes et dans les objets extérieurs nous révèle les conditions de l’être ; ou ce type, appartenant en propre à nous seuls, atteste seulement la manière dont nous pouvons comprendre les possibles. — Cette haute connaissance nous est à jamais interdite. Mais, en nous bornant a chercher comment un sentiment profond d’ordre et de proportions devient pour nous le caractère du vrai en toutes choses, nous pourrons parvenir à voir que, dans les divers genres, nos études, tournées vers un même but, emploient des procédés qui sont toujours les mêmes[42]. J’ai souligné le mot « comment » : chercher le comment et non plus le pourquoi, voilà, en effet, ce qui marque le progrès philosophique ébauché par l’école de Diderot.

Quant à la démonstration, malgré quelques réminiscences métaphysiques qui font tache[43], elle est péremptoire. En quoi consiste-t-elle ? Au sens particulier, à suivre chez le poète et le savant l’élaboration cérébrale et la réalisation d’une idée-mère au sens général, à parcourir l’histoire de l’esprit humain pour nous mettre sous les yeux comment en toutes choses, « jusque dans ses écarts, et en vertu des lois de son être, tous ses efforts ont été dirigés vers l’ordre, la simplicité et l’unité de conception ». La grâce du style, la profondeur de la pensée, l’élégance que revêtent les déductions les plus sévères, la précision en quelque sorte mathématique de l’argumentation, une compétence étendue dans les choses de science, un sentiment parfait dans les choses de goût, je ne sais quel espoir d’une renaissance où l’imagination soit maîtrisée par la vérité comme elle le fut par l’erreur, espoir qui, perçant partout, partout corrige l’exactitude de l’esprit par l’abondance du cœur, elle emploie tout cela pour émouvoir et pour convaincre. Elle convainc et elle émeut.

Ce qui fait, même aujourd’hui, cette œuvre de Sophie Germain si vivante, c’est quelque chose de plus encore que l’intuition d’un accord nouveau entre nos pensées et nos sentiments ; en même temps qu’elle indique au savant, au poète, à l’artiste quels rapports les unissent, rapports artificiels aux temps où des hypothèses plus ou moins heureuses formaient toute leur richesse intellectuelle, on sent qu’elle a conscience de travailler à établir les rapports véritables qui feront, comme elle le dit elle-même, ressortir dans tout son jour, l’identité entre le module de chaque science, de chaque art, et les diverses parties de cette science ou de cet art. Et, certes, ce n’est pas là une chimère. Toujours la poésie digne de ce nom, j’entends celle qui n’est pas limitée à l’expression, a reposé sur quelque philosophie ; toujours les artistes des belles époques ont été les interprètes émus d’une doctrine fondamentale commune au plus grand nombre : c’est dans leur œuvre que l’humanité, sous les multiples aspects de son existence antérieure, se survit véritablement. Cela est si vrai que, même aux mauvais jours où l’orgueil esthétique imprime le sceau du génie aux caprices individuels, les prétendus inspirés qui se croient le plus indépendants nous donnent le spectacle d’une incohérence maladive, quand ils n’empruntent pas leurs inspirations à des systèmes arriérés ; je ne parle pas de ceux qui, étrangers à l’imagination comme à la raison, se bornent à l’imitation, le nom d’artistes ne leur appartenant pas. Il y a plus. Examine-t-on les aptitudes et les travaux des hommes qui ont laissé des traces ineffaçables dans le monde intellectuel ? On reconnaît sans peine que, poussés par les circonstances ou les impulsions du milieu vers le genre spécial qu’ils ont cultivé, ils eussent également réussi dans la science ou dans l’art : Léonard de Vinci et Gœthe, dans une large mesure, ne sont-ils pas des savants ? Buffon et Diderot, à des titres divers, ne sont-ils pas des artistes ? Concluons donc avec Sophie Germain que si la faculté créatrice a disparu de l’esthétique avec le crédit des fictions, cette faculté peut et doit renaître avec le crédit des vérités incontestables. Que cette renaissance soit possible, tout l’annonce. Mais ne fallait-il pas d’abord écarter les vaines théories qui supposent l’incompatibilité de l’imagination et de la raison, montrer l’inanité actuelle des notions qu’on abandonne, justifier celles qu’on y substitue ? C’est à quoi la plume de l’auteur des Considérations s’est employée, rendant un éminent service, non seulement pour l’étude de la question elle-même, mais encore pour l’importance des résultats sociaux qu’elle comporte. De quel avantage ne serait-il pas pour le politique, réduit encore à la contingence des données empiriques, de pouvoir en appeler à la certitude des lois naturelles ? J’imagine qu’il ferait mieux nos affaires. Surtout s’il se pénétrait en même temps de cette vérité d’ordre pratique exprimée dans l’éloge du czar-académicien[44], à savoir qu’il faut de la vigueur pour lier une nation à des nouveautés utiles.


Les Pensées détachées de Sophie Germain, assurément, n’ont pas été écrites pour le public, ce sont de simples notes jetées sur le papier au cours de ses études et de ses travaux ; cependant il suffit de les parcourir pour s’apercevoir qu’elles lui furent, pour la plupart, inspirées par une lecture approfondie de Tycho-Brahé, de Newton et de Laplace.

Aucune ne porte de date, elles se présentent sans lien apparent, point de plan, nul ordre : ici ce n’est qu’un trait, là ce sont les développements d’un point spécial à peine indiqué ; voilà le coup d’œil du moraliste, voici le coup d’aile du poète, et qui lirait ce mélange un peu confus sans connaître l’œuvre philosophique de la mathématicienne pourrait fort bien n’y voir que les caprices, brillants, mais sans lendemain, d’un esprit curieux et actif. A-t-on lu les Considérations ? Tout s’explique et tout s’enchaîne. On surprend en quelque sorte le cerveau de la géomètre en flagrant délit de préoccupations synthétiques ; ce recueil intime prend alors un intérêt singulier, car, à n’en pas douter, il contient les germes, et quelquefois les fleurs, d’une conception qui fructifiera, et, non sans charme, on songe bientôt, pour le lui appliquer, à ce mot de Diderot « Les pensées détachées sont autant de clous d’airain, qui s’enfoncent dans l’âme et qu’on n’en arrache pas ».

Il faut distinguer toutefois. Quelques-unes de ces Pensées, quoique vraies, sont d’une vérité particulière, contemporaine, passagère. Celle-ci, par exemple :

« C’est là (dans les académies), que l’esprit humain réside : il y est vivant dans un nombre d’hommes réunis, il y rend des oracles par leur organe et sous cette forme humaine, animé des passions de l’utilité et de la gloire, il est unique comme l’individu et durable comme l’espèce ».

Juste naguère, cette opinion de Sophie Germain ne saurait plus être admise sans réserve.

Sans doute, la fondation des académies répondit à un besoin, celui d’empêcher la dispersion des connaissances acquises, dispersion devenue imminente ; sans doute elle rendit un service, celui de montrer la nécessité de coordonner les différentes branches du savoir ; sans doute, elle eut un utile et immédiat effet, celui de répandre la foi scientifique. Mais le but, c’est-à-dire la coordination, ne fut pas atteint ; j’ajoute qu’il ne pouvait pas l’être, et cela pour plusieurs raisons. D’abord la nature même de l’organisation primitive laissait au pouvoir politique, alors arbitraire et absolu, un office qu’il était incapable de remplir, ensuite, les éléments mêmes de cette organisation ne pouvaient s’agréger : il ne suffit pas d’assembler des hommes et de les faire voter, pour que l’esprit humain s’élève, de l’observation des faits, à la synthèse de leurs relations. Tant que la doctrine cartésienne des tourbillons subsista, l’ensemble qu’elle représentait permit une certaine généralité et un certain concours dans le travail scientifique ; mais la découverte de Newton rompit l’accord entre les académiciens, l’esprit de détail prévalut, le savoir se fractionna et, de plus en plus, ses diverses parties devinrent comme étrangères les unes aux autres. Géomètres et médecins se trouvaient déjà à l’état d’hostilité, quand la formation de la biologie vint mettre les choses au pire : les médecins, supérieurs en cela, comprenant que la cosmologie devait servir d’assise à la nouvelle coordination, les géomètres, au contraire, persistant à se croire dispensés des études biologiques ; si bien que, dès 1776, il y eut une Société royale de médecine en réaction contre l’Académie des sciences. La Convention supprima le tout et, s’il convient de protester contre la persécution momentanée des savants par les rhéteurs — ce qui fut un incident, non un système, au sein de l’immortelle assemblée — il faut reconnaître qu’elle avait un juste sentiment des besoins intellectuels, en détruisant les Académies fragmentaires pour fonder l’École polytechnique, besoins qui consistaient à embrasser dans une même étude les phénomènes cosmologiques et biologiques. Bonaparte, rétrograde en ceci comme en tout, détourna la nouvelle institution de son fonctionnement naturel, sabra la science comme il sabrait les hommes et, depuis lui, qu’on me passe la vulgarité de l’image, c’est comme un ver coupé dont les tronçons s’agitent sous la coupole de l’Institut. Et, de fait, toute conception d’ensemble étant écartée des délibérations de nos académiciens, les académies, utiles autrefois comme moyen de préparation, sont aujourd’hui nuisibles en ce sens que, reflet de notre désaccord intellectuel, elles en prolongent les tristes effets sociaux. Et puis, les passions dont elles sont animées sont-elles toujours celles « de l’utilité et de la gloire ? » Qui écrirait l’histoire de leurs exclus, de leurs oubliés, de leurs méconnus, écrirait l’histoire de bien des hommes supérieurs. Et puis encore, l’esprit académique s’est-il élargi en proportion du renouvellement de l’esprit humain ? Nul n’oserait l’affirmer et, à parler franc, les Communautés pédagogiques et les Compagnies académiques, ces irréconciliables qui, au fond, brassent la même besogne caduque, n’ont guère à s’envier en fait de préjugés et d’intolérance.

Auguste Comte a traité cette question avec l’ampleur et l’autorité du génie ; me bornant à l’effleurer, je renvoie le lecteur au chapitre plein de fermeté et de puissance qu’il y a consacré[45]. Mais je ne quitterai pas le sujet sans faire remarquer que l’ouvrage philosophique de Sophie Germain est, en lui-même, une protestation contre l’indépendance des faits d’ordre psychique et d’ordre biologique dont, plus que toute autre, l’Académie des sciences morales et politiques est la consécration. La pensée, sous quelque forme qu’elle se manifeste, religion, art, littérature, science, histoire, morale, est inséparable de l’organisme qui la recèle et, par conséquent, se trouve soumise comme lui aux lois de l’évolution ; j’entends, non une évolution indéfinie, mais les conditions appréciables dans lesquelles un état antérieur passe à un état nouveau, en conservant ses caractères fondamentaux. Il y a là toute une série de rapports, tout un ensemble adéquat qu’il n’est plus permis de scinder si l’on veut, je ne dirai pas résoudre les questions, mais seulement les bien poser. Osons donc l’avouer, si la plupart de nos savants officiels sont individuellement des hommes de valeur et de conscience, leur conscience et leur valeur viennent perdre leur essor dans une institution fragmentaire qui appelle une sérieuse réforme.

Que si, entre quelques autres Pensées non recevables, j’ai choisi celle qui concerne la portée et l’efficacité de la direction scientifique pour en montrer l’inexactitude actuelle, c’est qu’il importe de tenir l’instinct populaire en garde contre une erreur qu’il partage et qui fait opposition, sinon échec, à nos forces intellectuelles ; savoir, la propension à croire que les académies sont les dépositaires de la connaissance générale. Il n’en est rien. Et tout ce qui se fait en dehors d’elles, malgré elles, contre elles, prouve surabondamment qu’il serait expédient d’adapter aux mœurs et aux opinions modernes, faites ce qu’elles sont par l’extension du savoir, autre chose que les survivances des âges où le savoir était restreint.


Sans aucun doute, une plume aussi active que celle de Sophie Germain aurait produit encore ; et que de vérités peut-être un esprit de cette puissance, nourri de tant d’études, servi par tant de talents, eut, dans sa maturité, amenées à la pleine lumière ! Une mort prématurée en décida autrement. Dès 1829, Sophie Germain avait ressenti les atteintes du mal terrible — un cancer — qui devait la conduire au tombeau. Elle se savait perdue. Cependant durant sa maladie, qui fut longue et cruelle, elle ne retira son attention ni des gens, ni des choses, et son esprit, accoutumé à la supériorité, demeura supérieur même dans la souffrance, même devant la certitude de l’inévitable et prochaine destruction. Dans l’intervalle des crises, recueillant ses forces, elle reprenait ses habitudes de travail, rouvrait son salon, causait avec sérénité. Enfin, elle mourut le 27 juin 1831, âgée de 55 ans[46].

En cette relation d’une vie dignement employée, il est regrettable que les détails biographiques soient aussi rares ; mais si, travailleuse discrète, Sophie Germain n’a pas fatigué ses contemporains du souci bruyant de sa personnalité, cela même n’est-il pas un titre de plus à notre estime ? Toutefois, lorsque le temps, lui aussi, a fait son œuvre et choisi les noms qui ne doivent pas périr, une légitime curiosité s’attache à la mémoire de ses élus ; c’est alors qu’on regrette que la modestie soit l’un des attributs de la vraie grandeur. Heureusement, il nous reste un portrait moral de Sophie Germain ; je l’emprunte à Libri qui avait eu la fortune d’être reçu dans son intimité :

« Sa conversation avait un cachet tout particulier. Les caractères frappants en étaient un tact sûr pour saisir à l’instant l’idée-mère, et arriver à la conséquence finale, en franchissant les intermédiaires ; une plaisanterie, dont la forme gracieuse et légère voilait toujours une pensée juste et profonde ; une habitude, qui lui venait de la variété de ses études, de rapprochements constants entre l’ordre physique et l’ordre moral, qu’elle regardait comme assujettis aux mêmes lois. Si l’on y joint un sentiment continuel de bienveillance, qui la faisait s’oublier toujours pour ne songer qu’aux autres, on sentira quel en devait être le charme.

« Cet oubli d’elle-même, elle le portait dans tout. Elle le portait dans la science, qu’elle cultivait avec une entière abnégation personnelle, sans songer aux avantages que procurent les succès ; s’applaudissant même de voir quelquefois ses idées fécondées par d’autres personnes, qui s’en emparaient ; répétant souvent que peu importe de qui vient une idée, mais seulement jusqu’où elle peut aller ; et heureuse, dès que les siennes donnaient leurs fruits pour la science, n’en retirât-elle aucun pour la réputation, qu’elle dédaignait et nommait plaisamment la gloire des bourgeois, la petite place que nous occupons dans le cerveau d’autrui.

« Elle le portait aussi, ce caractère noble, dans ses actions, toujours marquées au coin de la vertu, qu’elle aimait, disait-elle, comme une vérité géométrique. Car elle ne concevait pas qu’on pût aimer les idées d’ordre dans un genre sans les aimer dans un autre ; et les idées de justice, de vertu, étaient, suivant ses expressions, des idées d’ordre, que l’esprit devrait adopter, même quand le cœur ne les ferait pas chérir[47] ».

Est-ce assez péremptoire ? Une femme même peut être philosophe à ce point d’écrire « que l’Écriture sainte ne prévient point la postérité à l’égard des sciences[48] », et donner en même temps l’exemple du désintéressement et de la vertu. La vie de Sophie Germain apporte une clarté précieuse sur ce point délicat, et ce n’est point le moindre service qu’elle nous ait rendu.

Sophie Germain est inhumée au cimetière du Père-Lachaise.

Désireux de saluer sa cendre, j’ai fait là, dernièrement, un pieux pèlerinage[49]. Une tristesse m’y attendait. Au carrefour où s’élève le fastueux monument de Casimir Périer, s’ouvre une voie pavée qui se nomme le chemin de La Bédoyère ; en y entrant, à gauche, on rencontre le mausolée d’Élisa Mercœur et, à quelques mètres en arrière, celui d’Auguste Comte : à cinquante pas de là, sur la droite et en seconde ligne, on aperçoit l’arbre qui couvre la tombe de Sophie Germain. Primitivement, c’était un jardinet un peu sévère, mais de toute convenance : un plant de buis, une pierre tumulaire, une grille de fer pour entourage, rien de plus. Aujourd’hui, c’est une ruine abandonnée : la grille est rouillée, brisée, déplacée ; le terrain, par endroits, se trouve défoncé ; le buis, qui depuis de longues années n’a pas été taillé, forme un arbuste broussailleux dont le hasard dispose ; la pierre, renversée, s’appuie sur son ancien soubassement et, en écartant les ronces qui la cachent en partie, on peut y lire cette modeste inscription :

ICI REPOSE

DEMOISELLE

MARIE-SOPHIE GERMAIN

NÉE À PARIS

LE 1er AVRIL 1776

DÉCEDÉE EN LA DITE VILLE

LE 27 JUIN 1831

Cependant une graine, apportée sans doute par le vent, a produit un magnifique marronnier qui, enfonçant ses racines dans la tombe même, étend au loin son ombre ; un lierre grimpe à son tronc, gagne les premières branches et, çà et là, laisse retomber mélancoliquement de longues tiges. La nature, non sans grâce, a remédié à l’oubli des hommes.

Tous les parents, tous les amis de Sophie Germain sont-ils entrés dans l’éternelle absence ? C’est possible. L’impossible, c’est que ceux — et des signes touchants montrent qu’ils sont nombreux — dont la vénération s’attache aux tombeaux de la jeune muse et du grand philosophe, ses voisins de sépulture et de gloire, ne tiennent pas à honneur de relever une pierre sur laquelle le temps effacerait bientôt un nom qui peut leur être cher à tant de titres. La poésie et la science ne doivent-elles pas un même tribut à celle qui a médité leur alliance[50]?


Je signalais plus haut l’une des Pensées de Sophie Germain comme étant de vérité éphémère ; j’en indiquerai une autre, en terminant, qui est de vérité immuable. « La vraie opinion d’un siècle est dans la tête des grands hommes qu’il a produits ». L’opinion du XIXe siècle, quelle est-elle, si l’on en juge à cette vue ? C’est que, divisés par les hypothèses mystérieuses qui rapprochaient autrefois nos ancêtres, et rapprochés, au contraire, par les réalités scientifiques qui les divisaient, nous sommes à une de ces époques décisives où la nécessité d’un nouvel accord s’impose. Écoutez et lisez. Elle éclate, cette opinion, sous la plume ou sur les lèvres de tous nos penseurs éminents, et, certes, le nom de Sophie Germain restera comme un des témoignages les plus précieux de la vérité par elle-même exprimée.

Mais, pour que cette opinion du siècle se traduise en fait, que faut-il ? Il faut, selon le mot du poète, videre longius assueto, voir plus loin qu’à l’ordinaire et, pour cela, s’étant élevé à ces sommets philosophiques du haut desquels Aristote, Descartes, Auguste Comte ont annoncé aux hommes les progrès de l’esprit humain, saluer, comme le but du savoir, la réconciliation de l’esprit et du cœur, de l’imagination et de la raison, but suprême qu’estompe encore un crépuscule lointain.

Hte Stupuy.



  1. Éloge de Mery.
  2. Voici quelques renseignements que nous empruntons à différents recueils :

    « Germain, électeur de 1789. Marchand de soie en bottes, rue St-Denis, no 336 ». (Cette maison se trouvait à la hauteur de la Fontaine des SS. Innocents). — Almanach des adresses de Paris et celles des députés à l’Assemblée nationale législative pour l’année 1792. — 1 volume in-18, Paris, Lemoine, éditeur. n° 4051 de la Bibliothèque Carnavalet.

    Siégeait à l’Hôtel de Ville les 13, 14, 15, juillet, etc., dans cette même année. Commissaire de district. Député à l’Assemblée nationale de Versailles ; il habitait dans cette ville 5, rue de Clagny. —Les Élections et les cahiers de paris en 1789. Documents recueillis par Ch.-L. Chassin. Quantin, éditeur. Pages 311, 330, 331.

    Germain (Ambroise-François). Député en 1789, né à Paris le 20 janvier 1726, mort à Paris le 15 décembre 1821. Fils de Thomas Germain, orfèvre, sculpteur et architecte, était lui-même orfèvre, rue St-Denis, quand il fut élu député du Tiers-État (pour la ville de Paris) avec 142 voix. Il mourut presque centenaire. — Dictionnaire des parlementaires, par Robert.

  3. On connaît le mot de Calonne à propos du règne de Louis XIV : « ce règne éclatant où l’État s’appauvrissait par des victoires et se dépeuplait par l’intolérance. ». (Discours à l’Assemblée des Notables, 22 février 1787.)
  4. On demandait à Galilée à quoi servait la géométrie : il répondit que la géométrie servait principalement à peser, à mesurer et à compter ; à peser les ignorants, à mesurer les sots, et à compter les uns et les autres.
  5. On put craindre un instant que Lagrange ne fût éloigné. Robespierre avait fait rendre un décret qui forçait à sortir de France tous ceux, sans aucune distinction, qui étaient nés en pays étrangers ; et le grand géomètre se trouvait dans ce cas. Voici un passage du discours de Robespierre : « La mesure est rigoureuse, elle pourra atteindre quelques philosophes amis de l’humanité ; mais cette espèce est si rare que le nombre des « victimes ne sera pas grand ». (Séance de la Convention, 25 octobre 1793.) Voir les notes fournies par Guyton de Morveau dans les Mémoires de l’Institut.
  6. Rapport à la Convention nationale, 28 septembre 1794.
  7. Gœthe, Essais d’Histoire naturelle de Morphologie, 1790 ; Cuvier, Tableau élémentaire de l’histoire naturelle des animaux, 1794 ; Geoffroy-St-Hilaire, Mémoire sur les Makis, 1795 ; Lamarck, Mémoires de physique et d’histoire naturelle, 1797 ; Bichat, Cours public d’anatomie, 1797, etc., etc.
  8. Poème de Voltaire.
  9. Lettre de d’Ansse de Villoison à Sophie Germain.
  10. Horat. Odes, IV, 9.
  11. M. Biot, dans un intéressant article du Journal des Savants — mars 1817 — fait remarquer que la découverte de ce procédé ingénieux n’était pas toute nouvelle, non plus que l’observation du partage des corps sonores en plusieurs zones, car Galilée avait fait mention de l’une et de l’autre dans le premier de ses dialogues sur le mouvement, dédié au comte de Noailles (Op. di Gal. Padoua, 1764. Tome III, page 59).
  12. Cours de Philosophie positive, t. II, p. 413 (Aug. Comte).
  13. Newton, dans le livre des Principes, les compare aux oscillations de l’eau dans un siphon renversé.
  14. L’étude de l’élasticité des surfaces est, en effet, des plus difficiles. « Les mouvements célestes, écrit Biot, quelque composés qu’ils paraissent, ne dépendent que de l’action réciproque d’un petit nombre de corps placés à de grandes distances les uns des autres et se mouvant dans le vide avec une régularité admirable. S’il a fallu tant d’efforts pour en développer les lois, quelle difficulté plus grande encore ne doit-on pas éprouver pour calculer les actions réciproques d’une infinité de particules assez rapprochées les unes des autres pour que la forme ait une influence sensible sur leurs effets ! » (Journal des Savants)
  15. Il donna les premiers essais du calcul des différences partielles dans un ouvrage sur la théorie générale des vents, couronné par l’Académie de Berlin, en 1746.
  16. Condorcet, Éloge de Bernouilli.
  17. Cours de Philosophie positive, tome II, page 415.
  18. Les commissaires étaient Laplace, Lagrange, Lacroix, Malus et Legendre.
  19. Euler n’avait obtenu que par des hypothèses particulières, l’équation générale du mouvement des surfaces vibrantes : M. Biot a su la tirer du principe des vitesses virtuelles, il la développe en une série, de laquelle il déduit quelques-unes des circonstances du mouvement des plaques vibrantes entre des limites fixes ; il prouve que lorsqu’elles sont rectangulaires, elles peuvent, dans leurs vibrations, se partager en quatre rectangles égaux, ce qui s’accorde avec une des expériences de M. Chladni. (Extrait du Rapport sur les progrès des sciences mathématiques depuis 1789, par Delambre, 1810.)
  20. Poisson avait été conduit directement à l’équation de Sophie Germain, équation rectifiée par Lagrange, sans le secours d’aucune hypothèse. Poisson, Mémoire sur les surfaces élastiques, 1er  août 1814.
  21. « L’ouverture du billet cacheté fit connaître le nom d’une femme, Mlle  Germain, probablement la seule personne de son sexe qui ait pénétré le plus profondément dans les mathématiques, sans en excepter Mme  du Châtelet, car ici il n’y avait point de Clairaut ». Biot, Journal des Savants, mars 1817.
  22. « Malgré ce succès mérité, la base fondamentale de la théorie restait encore à établir : la difficuIté consistait surtout à exprimer analytiquement comment s’exerce la réaction élastique d’une surface rigide. On en conçoit bien le principe dans une simple courbe ; il résulte de la résistance que les éléments successifs opposent à être fléchis les uns sur les autres et à changer leur angle de contingence actuel ; mais comment exprimer cette condition pour une surface où la flexion peut avoir lieu en tous sens ? Il semblait qu’on ne pût y parvenir que par quelque proposition plus ou moins vraisemblable qui permît d’exprimer la réaction de la surface par les reactions partielles des courbes dont elle était composée. C’est ce que j’avais fait, et probablement ce qu’avaient fait M. Lagrange et l’auteur de la pièce couronnée. M. Poisson a pris une autre marche bien plus hardie et bien plus générale, mais aussi plus certaine. Il a considéré la surface élastique telle qu’elle existe physiquement dans les corps naturels, c’est-à-dire comme composée d’éléments matériels qui, retenus par leurs attractions réciproques à de certaines distances, se repoussent naturellement vers cet état d’équilibre, lorsqu’on les en a écartés ». Biot, Journal des Savants, mars 1817.
  23. Cours de Philosophie positive, t. II, page 410.
  24. Éléments de Physiologie, t. II, pag. 537, 544, 589, 601, 603, par Ch. Robin, chez Baillière.
  25. Voir, dans la Correspondance, la lettre de Fourier, secrétaire perpétuel de l’Académie, informant Sophie Germain que l’une des places du centre de la salle lui sera toujours réservée.
  26. Paris, Imprimerie de Huzard-Courcier, 1826.
  27. Tome XXXVIII (1828), pages 123-131. Voir surtout la note annexée à cet examen. Voir aussi le Bulletin des sciences mathématiques et chimiques, rédigé par Saigey.
  28. Avril 1817.
  29. Bulletin Saigey, juillet 1828.
  30. Journal VII, 1831, pages 1-29
  31. Journal VII, 1831, pages 201-204.
  32. Lettre du 2 août 1821.
  33. Cours de Philosophie positive, tome II, p. 415.
  34. Lherbette, 1re  édition. 1833. Avis de l’éditeur
  35. Alfred de Vigny.
  36. 18 mai 1832, Notice nécrologique, par Libri, membre de l’Académie des Sciences.
  37. Éloge de Bourdelin. Le médecin, l’un des fils du chimiste qui avait été Iui-même de l’Académie des Sciences.
  38. Éloge de d’Alembert.
  39. Voir : Méhay, La Théorie atomique et le rôle de l’imagination dans la science (Moniteur scientifique, novembre 1877).
  40. Aug. Comte : Discours sur l’ensemble du positivisme.
  41. Programme de Morphologie, par A. Segong, professeur agrégé à la Faculté de médecine de paris.
  42. Comte écrit : « Dans toute opération humaine, l’exécution suppose l’imagination, comme celle-ci la contemplation. L’homme ne peut jamais construire hors de lui que ce qu’il a d’abord conçu en lui. Ce type intérieur, indispensable même aux moindres travaux mécaniques ou géométriques, est toujours supérieur à la réalité qu’il précède et prépare ». — Discours sur l’ensemble du positivisme, page 279.
  43. C’est ainsi, par exemple, qu’on la surprend parfois s’inquiétant de l’essence, de l’indépendance, de l’universalité, de la nécessité des choses, alors que l’idée même qu’elle affirme et la méthode qu’elle emploie aident à les éliminer,
  44. Pierre 1er .
  45. Cours de Philosophie positive, t. VI, p. 301 et suiv.
  46. Tous les dictionnaires biographiques, copiant Libri, indiquent le 17 juin comme la date du décès de Sophie Germain. C’est une erreur. Sophie Germain est morte le 27 juin, à une heure du matin, rue de Savoie, n° 13 ; la maison, qui existe encore, a conservé son caractère primitif ; une plaque commémorative a été posée sur cette maison par les soins de la Commission des inscriptions parisiennes de la Ville de Paris. L’acte de décès, signé de MM. Arnaud-Jacques Lherbette, neveu de la défunte, Marc-Pierre Gaigne, ami, et Démonts, adjoint au maire du onzième arrondissement, la qualifie de rentière.
  47. Journal des débats, 18 mai 1832.
  48. Pensées.
  49. Ceci a été écrit en 1879.
  50. Depuis cette époque, la tombe de Sophie Germain a été restaurée.