Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900/Introduction

Œuvres philosophiques de Leibniz, Texte établi par Paul JanetFélix Alcantome premier (p. ix-xxviii).

Introduction


Lorsque Descartes est venu dire, dans la première partie du xviie siècle, qu’il n’y a que deux sortes de choses ou de substances dans la nature, les substances étendues et les substances pensantes, les corps et les esprits ; que, dans le corps, tout se ramène à l’étendue, avec toutes ses modifications : figure, divisibilité, repos et mouvement ; et, dans l’âme, à la pensée, avec tous ses modes : plaisir, douleur, jugement, raisonnement, volonté, etc. ; lorsqu’il a réduit enfin toute la nature à un vaste mécanisme, en dehors duquel il n’y a que l’âme, qui se manifeste à elle-même son existence et son indépendance dans la conscience de sa pensée, il a accompli la plus importante révolution de la philosophie moderne. Mais, pour en bien comprendre la grandeur, il faut se rendre compte de l’état où était la philosophie du temps.

La théorie qui régnait alors dans toutes les écoles était la théorie péripatéticienne, assez mal comprise, et altérée par le temps, des formes substantielles. Elle consistait à admettre dans chaque espèce de substances une sorte d’entité spéciale qui en constituait la réalité et la différence, indépendamment de la disposition des parties. Par exemple, suivant un péripatéticien du temps, « le feu diffère de Peau, non seulement par la situation de ses parties, mais par une entité qui lui est propre, entièrement distincte de la matière. Quand un corps change d’état, il n’y a pas de changement dans les parties, il y a une forme chassée par une autre forme[1] ». Ainsi, lorsque l’eau devient glace, les péripatéticiens soutenaient qu’une forme nouvelle se substituait à la forme précédente, pour constituer un nouveau corps. Non seulement ils admettaient ainsi des entités premières ou formes substantielles pour expliquer la différence des substances ; mais, ils en admettaient aussi pour les moindres changements et pour toutes les qualités sensibles, qu’ils appelaient formes accidentelles ; ainsi, la dureté, la chaleur, la lumière, seraient des êtres tout différents des corps dans lesquels ils se trouvent.

Pour éviter les difficultés inhérentes à cette théorie, les scolastiques avaient été amenés a établir des divisions à l’infini entre les formes substantielles. C’est ainsi que les jésuites de Coïmbre en admettaient de trois espèces : 1° l’être qui ne reçoit point l’existence d’une cause supérieure, et n’est point reçu dans un sujet inférieur, c’est-à-dire Dieu ; 2° les forces qui reçoivent l’être d’ailleurs sans être elles-mêmes reçues dans la matière, c’est-à-dire les formes, dégagées de toute concrétion corporelle ; 3° enfin, les formes dépendantes de toutes parts, qui tiennent l’être d’une cause supérieure, et sont reçues dans un sujet : tels sont les accidents et formes substantielles déterminant la matière. D’autres scolastiques descendaient à des divisions encore plus minutieuses, et reconnaissaient six classes de formes substantielles : 1° celle de la matière première ou des éléments ; 2° celles des composés inférieurs, à savoir, les pierres ; 3° celles des composés plus élevés, des drogues, par exemple ; 4° celles des êtres vivants, les plantes ; 5° celle des êtres sensibles, les animaux ; 6° enfin, au-dessus de toutes les autres, la forme substantielle raisonnable (rationnalis), qui ressemble aux autres en tant que forme d’un corps, mais qui ne tient pas du corps son opération propre qui est la pensée.

On croit peut-être que Molière, Nicole, Malebranche, et tous ceux qui, au xviie siècle, se sont moqués des formes substantielles, ont calomnié le péripatétisme scolastique, et lui ont imputé de gratuites absurdités. Mais que l’on lise dans Toletus l’explication suivante de la production du feu : « La forme substantielle du feu, dit Toletus, est un principe actif, par lequel le feu, avec la chaleur pour instrument, produit le feu. » Cette réponse n’est-elle pas plus absurde encore que la virtus dormitiva ? L’auteur se fait une objection : « Mais le feu, dit-il, ne provient pas toujours du feu. » Pourquoi cela ? « Je réponds, dit l’auteur : il y a la plus grande différence entre les formes accidentelles et les formes substantielles ; car les formes accidentelles ont non seulement une répugnance, mais une répugnance déterminée, comme le blanc avec le noir ; tandis qu’entre les formes substantielles, il y a une certaine répugnance, mais non déterminée, parce que la forme substantielle répugne également à quoi que ce soit. De là, il suit que le blanc, forme accidentelle, ne résulte que du blanc et non du noir, mais que le feu peut résulter de toutes les formes substantielles capables de le produire dans l’air, dans l’eau, dans toute autre chose. »

Non seulement la théorie des formes substantielles ou accidentelles conduisait à des non-sens de cette espèce, mais encore elle entraînait à des erreurs qui éloignaient de toute recherche éclairée des vraies causes. Par exemple, comme parmi les corps les uns tombent vers la terre, les autres s’élèvent dans l’air, on disait que la forme substantielle des uns était la gravité, et la forme substantielle des autres la légèreté : on distinguait donc les corps graves et les corps légers, comme deux classes de corps ayant des propriétés essentiellement différentes ; et, par la, on était détourné de chercher si ces phénomènes, divers en apparence, n’avaient pas une même cause, et ne se ramenaient pas à la même loi. C’est ainsi encore que, voyant l’eau s’élever dans un tube vide, au lieu de chercher à quel fait plus général ce phénomène pouvait se rattacher, on imaginait une vertu, une qualité occulte, l’horreur du vide, qui non seulement cachait l’ignorance par un mot vide de sens, mais rendait la science impossible, parce qu’on prenait une métaphore pour une explication.

Les abus de la théorie des formes substantielles, qualités occultes, vertus sympathiques, etc., avaient été tels que ce fut une véritable délivrance, lorsque Gassendi, d’une part, et, de l’autre Descartes, vinrent fonder une nouvelle physique sur ce principe, qu’il n’y a rien dans les corps qui ne soit contenu dans la notion même de corps, c’est-à-dire de chose étendue. Suivant ces nouveaux philosophes, tous les phénomènes des corps ne sont que des modifications de l’étendue, et doivent s’expliquer par les propriétés inhérentes à l’étendue, la figure, la situation et le mouvement. Dans ces principes, rien ne se passe dans les corps, dont l’entendement ne puisse se faire une idée claire et distincte. La physique moderne parait avoir confirmé en partie cette théorie, lorsqu’elle explique le son et la lumière par des mouvements (vibrations, ondulations, oscillations, etc.), soit de l’air, soit de l’éther.

On a souvent dit que la science moderne marche en sens inverse de la philosophie de Descartes, en ce que celle-ci conçoit la matière comme une substance morte et inerte, tandis que celle-là se la représente comme animée par des forces, des activités, des énergies de toute nature. C’est, à ce qu’il me semble, confondre deux points de vue tout différents : le point de vue physique et le point de vue métaphysique. Au point de vue physique, au contraire, il semble que la science soit plutôt fidèle à la pensée cartésienne : réduire le nombre des qualités occultes et expliquer, autant qu’il est possible, tous les phénomènes par le mouvement. Ainsi, tous les problèmes tendent à devenir des problèmes de mécanique. Changement de situation, changement de figure, changement de mouvement, tels sont les principes auxquels nos physiciens et nos chimistes ont recours toutes les fois qu’ils le peuvent.

Il est donc inexact de dire que la pensée cartésienne a échoué entièrement, et que la science moderne s’en est éloignée de plus en plus. Nous voyons, au contraire, le mécanisme s’étendre de jour en jour dans la science de notre temps. Mais la question change de face, lorsqu’on vient à se demander si le mécanisme est lui-même le dernier mot de la nature, s’il se suffit à lui-même, en un mot si les principes du mécanisme sont eux-mêmes mécaniques. Or, c’est là une question toute métaphysique, et qui n’importe en rien à la science positive ; car les phénomènes s’expliqueront de la même manière, si l’on suppose une matière inerte, composée de petites particules mues et combinées par des mains invisibles, ou si on lui prête une activité intérieure et une sorte de spontanéité. Pour le physicien et pour le chimiste, les forces ne sont que des mots représentant des causes inconnues. Pour le métaphysicien, ce sont des activités véritables. C’est donc la métaphysique, et non la physique, qui s’est élevée au-dessus du mécanisme. C’est en métaphysique que le mécanisme a trouvé, non pas sa contradiction mais son complément dans la doctrine dynamiste ; c’est cette direction d’idées qui a régné principalement dans la philosophie après Descartes, et c’est Leibniz [2] qui en est le principal promoteur.

Pour bien comprendre la doctrine de Leibniz, il ne faut pas oublier (et c’est un point auquel on n’a pas assez tait attention) que Leibniz n’a jamais abandonné ni rejeté le mécanisme cartésien. Il a toujours affirmé que tout dans la nature doit s’expliquer mécaniquement ; qu’il ne faut jamais recourir, dans l’explication des phénomènes, à des causes occultes ; il a même poussé si loin cette disposition d’esprit qu’il s’est refusé à admettre l’attraction newtonienne comme suspecte, à ses yeux, d’être une qualité occulte. Mais si Leibniz admettait comme Descartes les applications du mécanisme, il se séparait de lui sur le principe ; et il répétait sans cesse que si tout dans la nature est mécanique, géométrie, mathématique, les sources du mécanisme sont dans la métaphysique[3]. Descartes expliquait tout géométriquement et mécaniquement, c’est-à-dire, comme l’avait fait autrefois Démocrite, par l’étendue, la figure et le mouvement ; mais il ne remontait pas au delà, et il voyait dans l’étendue l’essence même de la substance corporelle. Ce fut le trait de génie de Leibniz d’avoir vu que l’étendue ne suffisait pas à expliquer les phénomènes, et qu’elle avait besoin elle-même d’être expliquée. Nourri dans la philosophie scolastique-et péripatéticienne, il était naturellement disposé par là à accorder plus de réalité à la substance corporelle ; et ses réflexions personnelles le poussèrent bientôt plus avant dans cette voie.

Il est aussi digne de remarque, comme le dit M. Guhrauer dans sa Vie de Leibniz, que ce fut un problème théologique qui mit Leibniz sur la voie de la réforme de la notion de substance. Il s’agissait du problème de la présence réelle et de la transsubstantiation. Ce problème paraissait insoluble dans l’hypothèse cartésienne ; car, si. le corps consiste essentiellement dans l’étendue, il est contradictoire qu’un même corps puisse se trouver dans plusieurs lieux à la fois. Leibniz, écrivant à Arnault en 1671, lui apprenait qu’il croyait avoir trouvé la solution de ce grand problème, depuis qu’il avait découvert « que l’essence du corps ne consiste pas dans l’étendue, que même la substance corporelle prise en soi n’est pas étendue, et n’est pas assujettie aux conditions de l’étendue, ce qui eût été évident, si l’on eût découvert plus tôt en quoi consiste proprement la substance. »

Quoi qu’il en soit de ce point, voici les diverses considérations qui ont conduit Leibniz à admettre au delà du mécanisme corporel, des principes non mécaniques, et à réduire l’idée de corps à l’idée de substances actives indivisibles, entéléchies ou monades, ayant en elles-mêmes la raison innée de toutes leurs déterminations.

1° La première et principale raison que Leibniz invoqua contre Descartes, c’est que, « s’il n’y avait dans les corps que l’étendue et la situation des parties, deux corps en mouvement qui se rencontreraient et iraient toujours de compagnie après le concours, celui qui est en mouvement emporterait avec lui celui qui est en repos, sans recevoir aucune diminution de sa vitesse ; et sans que la différence de grandeur entre les deux corps pût rien changer » ; or c’est ce qui est contraire à l’expérience. Un corps en mouvement qui en rencontre un autre en repos perd quelque chose de sa vitesse, et est modifié dans sa direction : ce qui n’aurait pas lieu si le corps était purement passif. « Il faut donc joindre à l’étendue quelques notions supérieures, savoir celles de la substance, action et force ; et toutes ces notions portent que ce qui pâtit doit agir réciproquement, et que tout ce qui agit doit pâtir quelques réactions[4]. »

2o l’étendue ne peut servir à rendre raison des changements qui arrivent dans les corps, car l’étendue et ses diverses modifications constituent ce que l’on appelle, dans l’école, des dénominations extrinsèques, d’où il ne peut rien résulter pour l’être lui-même ; qu’un corps en effet soit rond ou carré, il n’importe à son état intérieur, il ne peut résulter de là pour lui aucun changement particulier[5]. Aussi, toute philosophie exclusivement mécanique est-elle réduite à nier le changement, et à dire que tout est immuable, et qu’il n’y a que des modifications de situation, des déplacements dans l’espace ou des mouvements. Mais qui ne voit que le mouvement lui-même est un changement, et doit avoir sa raison dans l’être qui se ment ou qui est mû ? car même le mouvement passif doit correspondre a quelque chose dans l’essence du corps mû. D’ailleurs, si les éléments corporels sont distincts, les uns des autres par la figure, pourquoi ont-ils telle figure plutôt que telle autre ? Épicure nous parle d’atomes ronds ou crochus. Mais pourquoi tel atome est-il rond et tel autre crochu ? Cela ne doit-il pas avoir sa raison dans la substance même de l’atome ? et ainsi la figure, la situation, le mouvement et toutes les modifications extrinsèques des corps doivent émaner d’un principe intérieur analogue à celui qu’Aristote appelle nature ou entéléchie[6].

3o En troisième lieu, l’étendue ne peut être substance ; au contraire, elle suppose la substance : « Outre l’étendue, il faut avoir un sujet qui soit étendu, c’est-à-dire une substance à laquelle il appartienne d’être continuée. Car l’étendue ne signifie qu’une répétition ou multiplication continuée de ce qui est répandu, une pluralité, continuité ou coexistence des parties, et par conséquent elle ne suffit pas à expliquer la nature même de la substance répandue ou répétée dont la notion est antérieure et celle de sa répétition[7]. »

4° Une autre raison donnée par Leibniz, c’est que la notion de substance implique nécessairement l’idée d’unité. Si l’on suppose deux pierres séparées l’une de l’autre par un grand intervalle, personne ne supposera qu’elles forment une même substance ; si on les suppose jointes et soudées entre elles, cette juxtaposition changera-t-elle la nature des choses ? Non, sans doute ; il y aura toujours là deux pierres et non pas une seule. Si enfin on les suppose attachées l’une à l’autre par une force insurmontable, l’impossibilité de les séparer n’empêchera pas que l’esprit ne les distingue l’une de l’autre, et qu’elles ne restent deux, et non pas une. En un mot, tout compose n’est pas plus une seule substance qu’un tas de sable ou un sac de blé. Autant dire que les employés de la Compagnie des Indes forment une seule substance[8]. On reconnaîtra donc qu’un composé n’est jamais une substance, et que pour découvrir la substance vraie il faut parvenir jusqu’à l’unité, jusqu’à l’indivisible. Affirmer qu’il n’y a point de pareilles unités, c’est dire que la matière n’a point d’éléments, en d’autres termes qu’elle ne se compose pas de substances, en un mot qu’elle est un pur phénomène, comme l’arc-en-ciel. Enfin, ou la matière n’a aucune réalité substantielle, où il faut ad-mettre qu’elle se réduit à des éléments simples et par conséquent inétendus, appelés monades.

5° Leibniz fait encore valoir un autre argument en faveur de sa théorie des monades : c’est que l’essence de toute substance est dans la force, et cela est vrai de l’âme en même temps que du corps. On peut le démontrer à priori. N’est-il pas évident, en effet, qu’un être n’existe véritablement qu’autant qu’il agit ? Un être absolument passif serait le pur néant et impliquerait contradiction : car, recevant tout du dehors, par hypothèse, et n’ayant rien par soi-même, il n’aurait aucune détermination, aucun attribut, et par conséquent serait un pur rien. Le simple fait d’exister suppose donc déjà une certaine force, une certaine énergie.

Leibniz pousse si loin cette pensée de l’activité des substances qu’il n’admet même à aucun degré la passivité. Aucune substance, suivant lui, n’est passive à proprement parler ; la passion n’est autre chose dans une substance qu’une action considérée comme liée à une autre action d’une autre substance. Chaque substance n’agit qu’en soi-même et ne peut agir sur aucune autre. Les monades n’ont pas de fenêtres pour rien recevoir du dehors. Elles ne subissent donc aucune action, et par conséquent ne sont jamais passives. Tout ce qui se passe en elles est un développement spontané de leur essence propre. Seulement, les états de chacune correspondent aux états de toutes les autres : lorsque l’on considère dans une monade l’un de ces états comme correspondant à tel autre état dans une autre monade, de telle sorte que celui-ci soit la condition de celui-là, on appelle le premier une passion, et le second une action. Il y a ainsi entre toutes les substances monades une harmonie préétablie, suivant laquelle chacune représente ou exprime, selon l’expression de Leibniz, l’Univers tout entier ; mais ce n’est jamais que le développement de sa propre activité.

En restituant aux substances créées l’activité que l’école de Descartes avait par trop sacrifiée, Leibniz croyait avoir contribué à distinguer plus expressément la créature du Créateur. Il faisait remarquer avec raison que plus on diminue l’activité de la créature, plus on rend nécessaire l’intervention de Dieu, de telle façon que, si l’on supprime toute activité dans les créatures, il faut dire que c’est Dieu qui fait tout en elles, et qui est à la fois leur être et leur action (operari et esse). Mais quelle différence alors entre ce point de vue et celui de Spinoza ? et n’est-ce pas faire ainsi de la nature la vie et le développement de la nature divine ? La nature, en effet, dans cette hypothèse, se réduit à un ensemble de modes dont Dieu est la substance. Il est donc tout ce qu’il y a de réel dans les corps comme dans les esprits.

À ces profondes raisons données par Leibniz, qu’il nous soit permis d’ajouter quelques considérations particulières.

Ceux qui nient que l’essence des corps soit dans la force seule admettent le vide, avec les anciens et nouveaux atomistes, ou ils ne l’admettent pas, comme font les cartésiens. Raisonnons séparément avec les uns et avec les autres.

Les atomistes, disciples de Démocrite et d’Épicure, ou de Gassendi, composent l’univers de deux éléments, le vide et le plein, d’une part l’espace, et de l’autre les corps ; et les corps eux-mêmes se réduisent à un certain nombre de corpuscules solides, insécables, de figures diverses, pesants et animés d’un mouvement essentiel et spontané. Ce sont ces atomes qui, par leur réunion, constituent les corps.

Or, il est évident que les atomes, en se déplaçant, occupent successivement dans l’espace vide-des places qui leur sont adéquates, qui ont exactement la même étendue et la même figure que l’atome lui-même. Si, au moment où l’atome est immobile en un lieu, vous décrivez par la pensée des lignes suivant les contours de cet atome (comme lorsqu’on décalque un objet), n’est-il pas évident que, l’atome disparaissant, vous pouvez en conserver l’effigie, et en quelque sorte la silhouette, la figure géométrique sur le fond de l’espace vide ? Vous obtenez ainsi une portion d’espace, que j’appellerai un atome vide, en opposition à l’atome plein qui l’occupait tout à l’heure.

Cela posé, je demande aux atomistes de m’expliquer ce qui distingue un atome plein d’un atome vide, quels sont les caractères qui se rencontrent chez l’un et ne se rencontrent pas chez l’autre. Est-ce d’être étendu ? Non, car l’atome vide est étendu comme l’atome plein. Est-ce d’être figuré ? Non, car l’atome vide est figuré comme l’atome plein, et a exactement la même figure ? Est-ce d’être invisible ? Non, car il est encore plus difficile de comprendre la division de l’espace que la division des corps ? En un mot, tout ce qui tient à l’étendue est absolument identique dans l’atome vide et dans l’atome plein. Or, l’atome vide n’est pas un corps et n’a rien de corporel ; donc l’étendue n’est pas l’essence des corps, et ne fait peut-être pas même partie de cette essence. Dira-t-on que c’est ; le mouvement qui distingue l’atome plein de l’atome vide ? Mais avant de se mouvoir, il faut que l’atome soit déjà quelque chose ; car ce qui ne serait rien par soi-même ne pourrait être ni en repos ni en mouvement ; le mouvement n’est donc qu’un phénomène dépendant et subordonné, qui suppose déjà une essence déterminée. Examinez bien : vous verrez que ce qui distingue essentiellement l’atome plein de l’atome vide, c’est la solidité ou la pesanteur. Mais ni la solidité ni la pesanteur ne sont des modifications de l’étendue ; et l’une et l’autre dérivent de la force. C’est donc véritablement la force et non l’étendue qui constitue l’essence du corps.

Si, au contraire, comme les cartésiens, on ne veut admettre aucun vide et si l’on soutient que tout est plein, la démonstration est encore plus simple ; car on peut demander alors en quoi l’espace plein, pris dans son entier, se distingue de l’espace vide, pris dans son entier. L’un et l’autre sont infinis, l’un et l’autre sont idéalement divisibles et réellement indivisibles ? l’un et l’autre sont susceptibles de modalités figurées ou de figures géométriques déterminées. On fera peut-être valoir que dans l’espace plein les particules sont mobiles et peuvent se déplacer ; nous retomberons alors dans le cas précédent, et nous demanderons en quoi ces particules mobiles se distinguent des particules immobiles d’espace dans lesquelles elles se meuvent. Enfin, les cartésiens comme les atomistes seront obligés de reconnaître que le plein ne se distingue du vide que par la résistance, la solidité, le mouvement, l’activité, en un mot la force.

À ceux qui reprochent à la conception leibnizienne de trop idéaliser la matière, on peut répondre que la matière prise en soi est nécessairement idéale et supra-sensible. Sans doute il ne faut pas dire que le corps n’est qu’un ensemble de modifications subjectives. L’idéalisme de Berkeley est un idéalisme superficiel qui ne supporte pas l’examen ; car, lorsque j’aurai réduit l’univers tout entier à n’être qu’un rêve de mon esprit et un prolongement de moi-même, il restera encore à savoir d’où me vient ce rêve et quelles sont les causes qui produisent en moi une hallucination aussi compliquée ; ces causes sont en dehors de ma conscience, et elles me débordent de tous côtés ; ce serait donc très improprement que je les appellerais moi-même ; car le moi est rigoureusement ce dont j’ai conscience. Le moi de Fichte, qui vient à se choquer contre soi-même et qui crée ainsi le non-moi, n’est qu’un détour compliqué et artificiel, pour dire, sous une forme paradoxale, qu’il y a un non-moi. Tout au plus pourrait-on conjecturer avec l’idéalisme absolu que le moi et le non-moine sont que les cieux faces d’un seul et même être qui les enveloppe l’un et l’autre dans une activité infinie ; mais nous voilà bien loin de l’idéalisme de Berkeley.

Pour en revenir à celui de Leibniz, je crois qu’on peut démontrer à priori, que la matière prise en soi est une chose idéale et supra-sensible, pour ceux-là du moins qui admettent une intelligence divine. Dieu, en effet (on en tombera aisément d’accord), ne peut pas connaître la matière par le moyen des sens ; car c’est un axiome en métaphysique que Dieu n’a pas de sens, et ne peut avoir, par conséquent, de sensations. Ainsi Dieu ne peut avoir ni chaud, ni froid ; il ne peut pas sentir l’odeur des fleurs ; il n’entendra pas de sons ; il ne verra pas de couleurs ; il ne sentira pas de commotions électriques, etc. En un mot, puisqu’il est une pure intelligence, il ne peut concevoir que le pur intelligible, non pas qu’il ignore aucun des phénomènes de la nature, mais il ne les connaît que dans leurs raisons intelligibles, et non par les impressions sensibles qu’en ressentent les créatures. Le sensible suppose un sujet sentant, des organes, des nerfs ; en un mot, c’est un rapport entre choses créées. La matière, au point de vue de Dieu, n’est donc rien de sensible ; c’est un übersinnlich, comme disent les Allemands. Mais la conséquence est facile à tirer : c’est que Dieu, étant l’intelligence absolue, voit nécessairement les choses telles qu’elles sont ; et, réciproquement, les choses prises en soi sont telles qu’il les voit. La matière est donc soi telle que Dieu la voit ; or, il ne la voit que dans son essence idéale et intelligible ; elle est donc nécessairement une chose intelligible et non pas une chose sensible. À la vérité, on ne peut pas conclure de là que l’essence de la matière ne consiste pas dans l’étendue ; car on pourrait soutenir que l’étendue est un objet de pure intelligence aussi bien que la force ; mais outre qu’il est difficile de dégager l’étendue de tout élément sensible, je ne veux établir qu’une chose, c’est qu’on ne peut reprocher à Leibniz d’idéaliser la matière, puisqu’il doit en être de même de tout système, au moins de celui qui admet un logos divin et une raison préordonnatrice. L’une des objections les plus répandues contre le système monadologique, c’est qu’il est impossible de composer un tout étendu avec des éléments inétendus ; c’est la l’objection capitale d’Euler dans ses Lettres à une princesse d’Allemagne, et il la croit absolument décisive. La conséquence nécessaire de ce système serait donc de nier la réalité de l’étendue et de l’espace et de s’embarquer par la dans toutes les difficultés du labyrinthe idéaliste.

Je crois que l’objection d’Euler n’a rien d’insoluble. On peut même séparer le système des monades du système de l’idéalité dé l’espace. Toutes les questions relatives à l’espace peuvent être ajournées et réservées, sans compromettre l’hypotbèse des monades ; c’est ce que l’on peut démontrer.

Supposez, en effet, avec les atomistes, avec Clarke et Newton, la réalité de l’espace, en un mot le vide et les atomes, il n’est pas plus difficile de concevoir les monades dans l’espace que d’y concevoir les atomes ; un point d’activité indivisible peut être en un certain point de l’espace, et une réunion dei ces points d’activité constituera l’agrégat que nous appelons un corps. Or, il suffit que nous supposions ces points d’activité à distance les uns des autres, pour que leur réunion produise sur les sens une impression d’étendue continue ; même dans ce que nous appelons un corps, par exemple une table de marbre, tout le monde reconnaît qu’il y a des pores, c’est-à-dire des vides entre les parties ; mais comme ces vides échappent à nos sens, ces corps nous paraissent continus, comme un cercle de feu décrit par une succession mobile de points lumineux. En un mot, le corps se composerait comme l’avaient déjà dit les pythagoriciens, de deux éléments : les intervalles (διαστήματα) et les monades (μόναδες) ; seulement les monades pythagoriciennes n’étaient que des points géométriques ; pour Leibniz, ce sont des points actifs, des foyers d’activité, des énergies.

Quant à la difficulté d’admettre dans l’espace des forces inétendues, n’ayant par la même aucune relation avec l’espace, elle est, je l’accorde, très sérieuse. Mais elle ne peut être invoquée par ceux qui considèrent l’âme comme une force inétendue et une substance individuelle ; car ils sont obligés de reconnaître qu’elle est dans l’espace, quoiqu’elle n’ait par essence aucun rapport avec l’espace ; il n’est donc pas contradictoire qu’une force simple soit dans l’espace. Ira-t-on jusqu’à nier que l’âme soit dans l’espace, qu’elle soit dans le corps, et même dans une certaine partie du corps ? qui ne voit que c’est attribuer à l’âme un caractère qui n’est vrai que de Dieu ? Ceux-là peuvent sans doute parler ainsi qui considèrent l’âme comme une idée divine, une forme éternelle passagèrement unie à l’individualité : à ce point de vue, idéaliste et spinoziste, l’âme n’est pas dans l’espace. Si, au contraire, l’on se représente l’âme comme substance individuelle et créée, comment la concevoir ailleurs que dans l’espace et dans le corps auquel elle est unie ; et par là même, à plus forte raison, sera-t-on obligé d’admettre que les monades peuvent être dans l’espace, et alors, comme nous l’avons vu, l’apparence de l’étendue s’explique sans difficulté.

Si, au contraire, au lieu d’admettre la réalité de l’espace, on en admet soit avec Leibniz, soit avec Kant, l’idéalité, le système des monades n’offre plus aucune difficulté sérieuse, si ce n’est au point de vue de ceux qui nient la pluralité des substances individuelles. Mais l’objection d’Euler disparaît manifestement.

Une autre difficulté élevée contre la monadologie, c’est qu’elle efface la distinction de l’âme et du corps. Cette difficulté me paraît, comme la précédente, tout à fait apparente. En effet, dans toute hypothèse, la distinction essentielle du corps et de l’âme, c’est que le corps est composé, tandis que l’âme est simple. Pour prouver que l’âme n’est pas étendue, on prouve qu’elle n’est pas composée, et que le corps, au contraire, l’est. Or, dans l’hypothèse qu’émet Leibniz, le corps n’est également qu’un composé, qu’un agrégat d’éléments simples. Que nous importe la nature de l’élément ? C’est le tout, c’est l’agrégat que nous comparons à l’âme. Or, dans l’hypothèse de Leibniz aussi bien que dans celle de Descartes, le corps, en tant qu’agrégat, est tout il fait incapable de penser.

Fort bien, dira-t-on, mais les éléments sont des substances unes et indivisibles, comme l’âme elle-même : elles sont donc de même nature que l’âme, elles sont des âmes. Cette conséquence est très mal tirée.

Qu’entend-on par de même nature ? Veut-on dire que les monades dont se composent le corps sont des monades sentantes, pensantes et coulantes ? Leibniz n’a jamais rien dit de pareil ? Sur quoi se fonderait-on pour affirmer que les particules de mon corps sont des substances pensantes ? Qu’ont-elles donc de semblables à l’âme elle-même ? Elles sont, sans doute ; comme elle, substances unes et indivisibles. Mais quelle difficulté y a-t-il à admettre qu’il y a entre l’âme et le corps quelques attributs communs ? Prenez les atomes, par exemple. N’ont-ils pas cela de commun avec l’âme d’exister, d’être indestructibles, d’être identiques à eux-mêmes, et l’argument de l’identité du moi, opposé à la mobilité de la matière organisée, cesse-t-il d’être bon, parce que l’atome pris en soi est tout aussi identique que l’âme elle-même ? Cela est si vrai que l’on se sert même, par analogie, de l’indestructibilité de l’atome pour prouver l’indestructibilité de l’âme. Ce caractère qui leur est commun les fait-il confondre l’un avec l’autre ? Pourquoi se confondraient-ils davantage pour avoir encore en commun un attribut, caractère essentiel de toute substance, à savoir l’activité ?

Mais si les atomes de substance dont se compose l’univers sont des unités indivisibles, leur notion ne contredit plus la pensée ; ils peuvent devenir substances pensantes. Il est vrai, et l’on ne peut contester que dans ce système une monade ne puisse, s’il plaît à Dieu, devenir une âme pensante. Mais, si cela n’est pas impossible, rien ne prouve cependant qu’il en soit ainsi. Pourquoi n’y aurait-il pas plusieurs ordres de monades, qui ne pourraient pas passer d’une classe à l’autre ? Pourquoi n’y aurait-il pas de monades qui n’auraient que les propriétés mécaniques, d’autres plus élevées qui deviendraient principes de vie ou âmes végétatives ; d’autres, âmes sensitives ; d’autres, enfin, âmes intelligentes et libres, douées de personnalité et d’immortalité ? Le système de Leibniz ne s’oppose pas plus que tout autre à ces degrés. Si au contraire, par une hypothèse plus hardie, on admet comme possible qu’une monade passe d’un ordre a l’autre, il n’y aurait encore rien là qui pourrait humilier la juste dignité de l’homme : car, après tout, il faut bien reconnaître que l’âme humaine, dans son premier état, n’est guère autre chose qu’une âme végétative, qui s’élève par degré jusqu’à l’état d’âme pensante. Il n’y aurait donc nulle contradiction à admettre que toute monade contient en puissance une âme, pensante. Mais si une telle hypothèse répugne, je dis qu’on n’y est nullement contraint par le système monadologique, qui tout aussi bien que l’atomisme vulgaire peut admettre une échelle de substances essentiellement distinctes les unes des autres.

Une autre objection que soulève le système leibnizien, et Arnauld ne manque pas de la faire dans une de ses lettres, c’est que le système des monades affaiblit l’argument du premier moteur en donnant à conjecturer que la matière peut être douée de puissance active et par conséquent de mouvement spontané. Leibniz ne répond pas à cette objection d’une manière très concluante, et il se borne à dire qu’il faut toujours avoir recours à Dieu pour expliquer la coordination des mouvements. Mais c’est sortir de la question : car la coordination ne se rapporte pas à l’argument du premier moteur, mais à celui de l’ordre et de l’arrangement, qui est tout autre. Seulement, il est à remarquer que Leibniz, pour établir la réalité de la force dans la substance corporelle, se sert bien plutôt du fait de la résistance au mouvement, que de celui d’un mouvement prétendu spontané. Ainsi l’un de ses principaux arguments, c’est qu’un corps mis en mouvement qui en rencontre un autre perd de son mouvement en proportion de la résistance que cet autre lui oppose ; et c’est ce qu’il appelle l’inertie. Or, si l’activité d’une substance en repos se manifeste par la résistance au mouvement, on voit : que l’argument du premier moteur, bien loin d’en être affaibli, en serait au contraire fortifié.

Au reste, même en admettant dans les éléments des corps une disposition spontanée au mouvement, on est toujours obligé de reconnaître, par l’expérience, que cette disposition ne passe à l’acte que par l’excitation d’une action étrangère, puisque nous ne voyons jamais un corps mis en mouvement que par la présence d’un autre ; l’indifférence actuelle au mouvement et au repos, qui est ce qu’on appelle aujourd’hui inertie en mécanique, subsiste donc toujours, soit que l’on admette dans le corps une disposition virtuelle au mouvement, soit au contraire qu’on le considère comme absolument passif ; dans les deux cas, il faut une cause déterminante du mouvement ; il n’est pas nécessaire que cette cause première fasse tout dans l’être mû, et qu’elle soit en quelque sorte cause totale du mouvement, il suffit qu’elle en soit la cause complémentive, comme on disait en scolastique.

Il ne faut pas d’ailleurs confondre l’inertie avec l’inactivité absolue. Leibniz a admirablement démontré qu’une substance absolument passive serait un pur néant, qu’un être est actif en proportion de ce qu’il est, en un mot qu’être et agir ne font qu’un. Mais de ce qu’une substance est essentiellement active, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle soit douée de mouvement spontané ; car ce n’est là qu’un mode déterminé d’activité, et ce n’est pas le seul. La résistance, par exemple, ou l’impénétrabilité, est un certain degré d’activité, ce n’est pas un mouvement. Ceux-la donc se trompent qui croient que la théorie d’une matière active rend inutile une cause première du mouvement, et si le mouvement est essentiel à la matière, il restera toujours à expliquer pourquoi aucune portion de matière n’est jamais entrée spontanément en mouvement.

En résumé, suivant Leibniz, tout être est actif par essence. Ce qui n’agit pas n’existe pas : quod non agit non excistit. Or, tout ce qui agit est force. Tout est donc force ou composé de forces. L’essence de la matière n’est pas l’étendue inerte, comme le croyait Descartes, c’est l’action, l’effort, l’énergie. De plus, le corps est composé, et le composé suppose le simple. Les forces qui composent le corps sont donc des éléments simples, inétendus, des atomes incorporels. Ainsi l’univers est un vaste dynamisme, un savant système de forces individuelles, harmoniquement liées sous le gouvernement d’une force primordiale dont l’activité absolue laisse subsister en dehors d’elle l’activité propre des créatures, et les dirige sans les absorber. Ce système se ramène donc à trois points principaux : 1° Il fait prédominer l’idée de force sur l’idée de substance, ou plutôt il ramène la substance à la force ; 2° Il ne voit dans l’étendue que le mode d’apparition de la force, et compare les corps d’éléments simples et inétendus plus ou moins analogues, sauf le degré, à ce qu’on appelle l’âme ; 3° Enfin, elle voit dans les forces, non seulement comme les savants, des agents généraux, ou les modes d’action d’un agent universel, mais des principes individuels, à la fois substances et causes, qui sont inséparables de la matière, ou plutôt qui constituent la matière même. Le dynamisme ainsi entendu n’est que le spiritualisme universel.

J’ai examiné dans ce travail les diverses difficultés que l’on peut élever contre la monadologie leibnizienne du point de vue du spiritualisme cartésien. Il y aurait encore à examiner la question du point de vue de ceux qui nient la pluralité des substances, c’est-à-dire du point de vue spinoziste ou panthéiste. Mais c’est ici un tout autre ordre d’idées, et que nous ne pouvous aborder ici sans étendre démesurément ce travail. Contentons-nous de dire que la force du système de Leibniz est dans le fait de l’individualité, dont les partisans de l’unité de substance n’ont jamais pu donner l’explication. Ici, à la vérité, il faut passer de l’objectif au subjectif, car c’est dans la conscience surtout que l’individualité se manifeste de la manière la plus éclatante ; dans la nature elle est plus voilée. C’est donc au sein de la conscience individuelle qu’il faut se placer pour combattre le spinozisme ; c’est ce point de vue qui a été particulièrement développé de nos jours par Maine de Biran et par son école. Nous nous contenterons de l’indiquer, ne voulant pas même effleurer un problème qui touche aux plus hautes difficultés de la métaphysique et de la philosophie religieuse.


  1. L.-P. Lagrange, les Principes de la philosophie contre les nouveaux philosophes. — Voyez Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, t. I, ch. xxvi.
  2. Nous donnerons ici en note le résumé de la vie de Leibniz et de ses principaux travaux. Leihniz (Godefroi-Guillaume) est né à Leipzig en 1646. Il perdit son père à l’âge de six ans. Il se fit remarquer dès son enfance par une étonnante facilité. À l’âge de quinze ans, il fut admis aux études supérieures (philosophie et mathématiques), qu’il suivit d’abord à Leipzig, puis à Jéna. Une intrigue mal connue l’empêcha d’obtenir à Leipzig même le titre de docteur. Il alla le demander à la petite Université d’Altorf, près de Nuremberg, il fit la connaissance du baron de Boinebourg, qui devint l’un de ses plus intimes amis, et qui l’emmena à Francfort, où il le fit admettre comme conseiller de justice près de l’électeur de Mayence. Ce fut là qu’il fit ses deux premiers travaux de jurisprudence, sur l’Étude du droit et sur la Réforme du corps de droit. — De là datent aussi ses premiers essais littéraires et philosophiques, et, en particulier, ses deux traités sur le mouvement : l’un sur le Mouvement abstrait, adressé a l’Académie des sciences de Paris, l’autre sur le Mouvement concret, adressé à la Société royale de Londres. Il resta auprès de l’Électeur jusqu’en 1672, époque où il commença à voyager. Il alla d’abord à Paris, puis à Londres, où il fut nommé membre de la Société royale revint à Paris, qu’il ne quitta qu’en 1677, parcourut la Hollande, et vint enfin se fixer à Hanovre, où il fut nommé membre conservateur de la Bibliothèque. Il y demeure dix ans, toujours occupé de ses travaux. Il contribua à fonder les Acta eruditorum, sorte de journal des savants (1682). Il fit de 1687 à 1691 un voyage de recherches en Allemagne et en Italie pour écrire l’histoire de la maison de Brunswick, à l’invitation du duc Ernest-Auguste, son protecteur. L’Académie de Berlin lui doit sa fondation (1700), — et il en fut le premier président. Les quinze dernières années de sa vie furent principalement consacrées à la philosophie. C’est dans cette période qu’il faut placer les Nouveaux Essais, la Théodicée, la Monadologie, et enfin sa Correspondance avec Clarke, qui tut interrompue par sa mort, le 14 novembre 1716. — Voir, pour de plus amples développements, la savante et complète biographie de M. Gubrauer ; 2 vol. in-12, Breslau, 1846.
  3. Lettre à Schulembourg (Dutens, t. III, p. 332) : « Recte cartesiani omnia phenomena specialia corporum per mecanismos contingere censent ; sed non satis perpexere, ipsos fontes mecanismi oriri ex altiore causa. » Lettre à Rémond de Montmort (Erdmann, Opera philosophica, p.702) : « Quand je cherchai les dernières raisons du mécanisme et des lois du mouvement, je fus surpris de voir qu’il était impossible de les trouver dans les mathématiques, et qu’il fallait retourner à la métaphysique. — Voyez encore : De Natura ipsa, 3. — De Origine radicali. — Animadversiones in Cartesium (Guhrauer, p. 80), etc.
  4. Lettre si l’essence du corps consiste dans l’étendue, 1691 (Erdmann, t. XXVII, p. 112).
  5. « L’étendue est un attribut qui ne saurait constituer un être accompli ; on n’en saurait tirer aucune action ni changement ; elle exprime seulement un état présent, mais nullement le passé ou le futur, comme doit faire la notion d’une substance, » — Lettre à Arnauld (Voir notre édition de Leibniz, p. 639).
  6. Confessio naturæ contra Artheista, 1668. Erdm., p. 45. Leibniz, dans ce petit traité, démontre : 1o que les corps et même les atomes n’ont pas en eux-mêmes la raison de leur figure ; 2o qu’ils n’ont pas la raison de leur mouvement ; 3o qu’ils n’ont pas la raison de leur cohérence.
  7. Extrait d’une lettre (Erdmann, XXVIII, p. 115). — Examen des principes du P. Malebranche (Erdmann, p. 692).
  8. « Si les parties qui conspirent à un même dessein sont plus propres à composer une substance que celles qui se touchent, tous les officiers de la Compagnie des Indes feront une substance réelle bien mieux qu’un tas de pierres ; mais le dessein commun, qu’est-il autre chose qu’une ressemblance, ou bien un ordre d’actions et de passions que notre esprit remarque dans des choses différentes ? Que si l’on veut préférer l’unité d’attouchement, on trouvera d’autres difficultés. Les corps fermes n’ont peut-être leurs parties unies que par la pression des corps environnants, et d’eux-mêmes et en leur substance, ils n’ont pas plus d’union qu’un monceau de sable. arena sine calce. Plusieurs anneaux entrelacés pour faire une chaîne, pourquoi composeront-ils plutôt une substance véritable que s’ils avaient des ouvertures pour se pouvoir quitter l’un et l’autre… Fictions de l’esprit partout… (Lettres à Arnauld ; — voir notre édition).