Œuvres littéraires de Napoléon Bonaparte/Articles de journaux/04

Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 204-208).

IV

Autre réponse[1].

Paris, le 27 thermidor an 13 (15 août 1805).

Et pourquoi l’ennemi ne vient-il pas ? Nous verrions de qui l’événement châtierait la témérité. Nous connaissons votre généralissime ; nous l’avons vu à Hondscoot et en Hollande ; le tiers de l’armée de Boulogne suffirait pour changer ses audacieuses entreprises en une destruction certaine ; mais quoi que vous en disiez, vous savez comme nous ce que vous pouvez attendre d’une lutte sur terre. Quant à la guerre de mer, vous avez acquis sans doute et vous conservez jusqu’à ce jour une véritable supériorité, mais vous ne l’avez due, mais vous ne la devez, qu’à la trahison. C’est la trahison qui vous a livré trente vaisseaux français à Toulon ; la trahison du prince d’Orange vous a valu douze vaisseaux hollandais ; la trahison enfin a détruit à Quiberon tout ce qui existait des officiers de notre ancienne marine. Malgré ces avantages si odieusement obtenus, et que nous ne vous contestons pas, nos escadres vous attaquent sur vos propres côtes ; le Shannon est bloqué, non par de petits bâtiments, comme vous le dites, mais par une bonne et belle escadre. Vos colonies avaient déjà rédigé leur capitulation et envoyé des agents à Villeneuve pour traiter ; mais ce n’était point là l’objet de sa mission, et malgré les contrariétés qu’il a éprouvées en revenant en Europe, quoique sa navigation eût été de plus de cinquante jours, quoique les vents contraires lui en eussent fait perdre vingt, il a marché sur le corps de vos escadres et opéré sa jonction. Son objet ne fut pas d’attaquer votre commerce, et il vous a fait pour vingt millions de dommages. Dans les Indes, une seule division française a fait sur vous des prises pour une valeur encore plus considérable. Un seul brick du côté des Orcades a capturé tout un convoi de Terre-Neuve. Nos frégates parcourent toutes les mers ; il n’y a pas de jour qu’il n’en rentre quelqu’une dans nos ports, et vous n’en avez pas encore pris une seule. Enfin, vous vous vantiez d’empêcher la jonction de nos flottilles, elles sont toutes réunies ; et quand vous avez voulu vous opposer à leur marche, elles vous ont battus ; vous vous vantiez d’attaquer notre ligne d’embossage, et c’est elle qui plusieurs fois a attaqué vos croisières, loin des batteries, jusqu’à mi-canal et de manière que vos vaisseaux, vos frégates, vos corvettes, ont cherché leur sûreté dans la supériorité de leur marche. Mais il y a deux ans qu’on prépare la descente, et la descente n’arrive pas ? Elle arrivera si vous ne faites pas la paix. Elle arrivera peut-être dans un an, peut-être dans deux, peut-être dans trois ; mais avant que les cinq années soient expirées, quelque événement qui puisse survenir, nous aurons raison de votre orgueil et de cette supériorité que des trahisons vous ont donnée. Quant au continent, ne croyez pas que vous y ayez des alliés. Vous êtes l’ennemi de tous les peuples, et tous les peuples se réjouissent de votre humiliation. Mais parvinssiez-vous à corrompre quelques ministres, les résultats ne seraient pas pour vous : nous aurions sûrement acquis de nouvelles côtes et de nouveaux ports, de nouvelles contrées, et nous réduirions vos alliés à un tel point que nous pourrions ensuite nous livrer tout entiers à la guerre maritime. C’est un singulier orgueil qui vous fait penser que nous prétendions en un jour, en un mois, en un an, venir à bout de votre puissance colossale. Le temps est un des moyens, un des éléments de nos calculs. Ayez recours, dans une telle position, à des complots, à des assassinats, à la bonne heure. Cette sorte de guerre ne vous est point étrangère. On dit déjà que Drake songe à revenir à Munich, Spencer-Smith à Stuttgard et Taylord à Cassel. La France ne souffrira pas qu’ils mettent le pied, non seulement sur le continent, mais dans les lieux où, en cinq à six marches, peuvent se porter ses armées. Les diplomates assassins sont hors du droit des gens.

Nous nous étions attendus à des malheurs quand vous avez déclaré la guerre. Nous pouvions perdre la Martinique, la Guadeloupe, les îles de France et de la Réunion ; qu’avez-vous fait ? Vous êtes réduits à un triste système de blocus qui n’empêche pas nos escadres de parcourir les mers ; persistez à bloquer nos ports, mais ayez les yeux fixés sur les signaux de vos côtes, et vivez dans de perpétuelles alarmes.

Si votre nation indignée, continuant à être dupe de quelques hommes qui se sont partagé le gouvernement de l’Angleterre, ne parvient pas à obliger vos oligarques à faire la paix et à leur persuader enfin que nous ne sommes plus ces Français si longtemps vendus et trahis par des ministres faibles, des rois fainéants ou des maîtresses avides, vous marcherez vers une inévitable et funeste destinée.

Nous désirons la paix du continent, parce qu’il se trouve placé comme nous voulions qu’il le fût. Nous aurions pu augmenter notre puissance et affaiblir celle de nos rivaux, si nous l’avions trouvé convenable. S’il est quelque État qui veuille encore troubler le continent, il sera la première victime, et sa défaite, retombant sur vous-mêmes, rendra vos périls plus imminents et votre chute plus assurée.

Nous le répétons, une paix juste et raisonnable peut seule vous sauver. Un de nos adages est déjà prouvé, et puisque vous n’espérez de salut que dans le concours d’une puissance du continent, seuls vous ne pouvez donc rien contre la France, et la France ne souffrira pas que seuls vous ayez des vaisseaux sur les mers : les mers sont le domaine de tous les peuples.

  1. Un journal britannique avait imprimé cette phrase : « Que l’ennemi (les Français) vienne quand il voudra, il nous trouvera préparés à châtier sa témérité. »