Œuvres de Vadé/Lettre de Cadet Eustache

Garnier (p. 96-102).

LETTRE

DE
M. CADET EUSTACHE
À
M. JÉROSME DU BOIS

Vla bian des fois que j’nous sommes essayés de prendre la licence d’vous dire par écriture note compliment sur vote mariage avec maneselle Nanette du But ; j’ons toujours été en arrière de note désir. Cependant pourtant j’y passons dans la moulure d’vos lettres pour un fignoleux. À vote avis j’faisons trop le fandant, et j’y voulons fringuer par-dessus les autres, à cause que j’ons du bec, et que j’savons la rusmétique comme un abbé. Vous dites comme ça q’vous nous connaissez ben, et que j’sis un p’tit chien d’casseux qui a des sucrés nazis un peu trop d’rechef ! J’ons d’la r’souvenance, et j’savons qu’ils ont fait tout d’vant vous une dérision sur la chanson que j’prime la valicence d’entendre quand j’étions d’la Compagnie où on la chantait en l’honneur de stella qui chante comme un soleil, qui a de la pensée dans le cœur dont al peut s’vanter qu’sa conscience n’a pas une épingle à redire ! Aussi plus j’la r’gardons même au jour d’aujourd’hui qu’al est madame vote femme, et plus j’trouvons qu’al a l’air d’un miracle… Eh ben, M. Jérôme, j’sis fâché à présent d’vous avoir fait une manque d’bienveillance, car morgué j’vous disons avec d’lécriture comme par paroles, q’j’vous aimons ben et vote femme y tout. Le saquerment n’faisons d’vous deux qu’une jointure qui n’étions pas comme celle des autres que j’passons dans notre bachot pour à celle fin de prendre les frais d’liau dans l’bain d’la rivière. À propos de ce qui est en cas d’jointure, j’vous dirons q’j’nous sentons d’la vacation pour la chose du mariage à l’endroit de maneselle Louison. Car voyez-vous, j’n’voulons pas faire avec elle comme Charlot Colin a fait à l’endroit de maneselle Magdelon qui est vote belle-sœur, parce que maneselle Nanette du But, qui est vote femme, était fille de sa mère que j’ons bian pleurée, le jour du jour qu’al est morte. Dame c’était une vivante qui aimions les chansons, et qui s’y connaissait tout aussi-bian qu’sa commère qui est marchande d’çà, et qui l’y en donnait une infinité horibe. Pour ce qui est en cas d’ça, M. Jérôme, j’allons vous faire voir qu’tout ainsi qu’madame votre femme qu’était morgué pire qu’une maîtresse d’école, puisqu’al vous a fait l’ouvrier de ste chanson qu’vous travaillites le jour du soir avant d’vous endormir. Maneselle Louison me donne y tout d’la capableté dans l’esprit ! Dame je n’ons pas comme vous l’talent d’la constraction, qui fait qu’tout le monde dit qu’vous avez d’l’imagination, comme la parole d’un ange ! Comme j’avons encore note chanson toute fraîche dans l’idée d’note mémoire, j’allons vous la coucher tout d’son long dans l’écriture d’note lettre, pour à celle fin que j’sachion d’vous si dans la conscience d’note cœur, j’pouvons l’adresser à Stella qu’j’voulons fester le jour de d’main, qui sera le jour de sa fête.

CHANSON GRIVOISE

Air : Qu’est-ce qui veut savoir l’histoire de Manon Girou ?

Y’allons Cadet point d’paresse
Faut fester Louison ;
Not cœur qu’iavons d’la tendresse
Vaut un Apollon.
Je n’voulons pas qu’il soupire
Quand j’haussons la voix ;
Mais j’voulons qu’il nous inspire
Sur le ton grivois.

Louison n’fait jamais la fière
Avec ses amis,
Al’sçait la noble magniere
Des Dam’s de Paris.
Quand al’boit, et quand al’chante
Al’rit de bon cœur,
Al’est comme Madam’sa Tante
Toujours d’bel-humeur.

C’matin dans son p’tit ménage
Qual’a fait frotter,
Les Commer’s du voisinage
Viendront la fêter,
Mais Nicolas qui babille
Comme un Perroquet,
En revenant d’la Courtille,
A prit not Bouquet.

V’la qu’pendant qu’il s’achemine
Pour v’nir aveuc nous.
Un’Dam’qu’avont bonne mine
L’y fait les yeux doux.

Tout en causant al’s’approche
L’ap’lant son amy,
Pis not Bouquet al’accroche
En se moquant d’ly.

Pour nous vanger d’sa malice
J’y jettons not chapiau,
J’voulons courir, l’pied nous glisse ;
J’tombons dans l’ruissiau ;
J’nous r’levons, al’nous échape,
J’nosons dire rien,
Mais morgué si j’la ratrape
Al’nous l’payra bien.

Tout en r’mettant nos jartières
À la Plac’Maubert,
J’avons trouvé deux Bouq’tières
Qul’ont l’bec ben ouvert ;
Qu’as-tu donc ? m’dit la plus belle,
T’as l’air tout fâché,
Tien d’mes fleurs, par’ta chapelle
J’te f’rons bon marché.

V’la qu’tandis que j’me décrotte
Al’arrange au mieux
De gros œillets une botte
Qui charmont les yeux.
Tien, m’dit-elle, en conscience,
Ça vaut du Jasmin,
Pis m’faisant la révérence
Al’m’les met dans la main.

V’la l’aut à son tour qui m’guette
Et m’prend au colet,
D’mes fleurs, dit-ell’faut q’t’achepte,
Y allons mon Poulet.

 
V’la qu’en reculant en arrière
J’tombons sur le dos,
Pis j’renversons d’un’Laitière
La crème et les pots.

Sur mes œillets qu’al’m’arrache
Al’met son cruchon ;
Not Bouq’tière qui se fâche
R’troussaut son chignon,
En r’levant son inventaire
L’y bail deux soufflets,
Et dit en la jettant par terre,
Rend-moi mes œillets.

V’la qu’Messieux d’la popu’ace
Pour les séparer,
Avec les Dam’s d’la Place
S’mettions à jurer.
Com’j’naimons point leurs querelles
Non plus qu’leurs caquets,
J’ons laissé là nos d’Moiselles
Avec leurs Bouquets.

Du nôt j’ons bonne espérance
Que Louise rira,
Si j’avons la parférence
Al’nous parmettra
D’lembrassor à la franquette
Tout comme j’faisons
Quand j’alons à la guinguette,
Et que j’y dansons.

Oh ! ça M. Jérôme, point d’dissimulance, et pis qu’vous êtes un garçon dont la façon qu’vous pensés naibelment est aussi bian du vrai comme maneselle Nanette du But avait d’l’honneur avant qu’al’fut madame vot femme, dites-nous, par écriture, si vous êtes aussi content d’not chanson que d’celle que vous envoyîtes à vot bian-aimée qui devenait d’un d’vot amis qu’est cheux un bureau d’la barrière des Invalides, et qui en mangerait quatre comme vous… J’ons bian autant d’apetit qu’ly, et si j’n’mangeons pas dans l’même plat. Quoiqu’vous n’soyez qu’un guernouyeux j’savons qu’vous avez plus d’inspériance dans la vérité qu’non pas un habil homme. Vos lettres sont gentilles à manger par où j’nous doutons qu’vous avez encor plus d’esprit que d’mérite, et marque d’çà c’est qu’j’vous envoyons not chanson qu’j’avons écrite comme par exprès pour vous ; j’voudrions bian qu’en r’lachant vot bachot d’not bord j’puissions vous racueillir tous deux avec maneselle Louison, pour à celle fin de la fester par ensemble ; ça frait un quatribor d’amiqué ; et pis j’nous arrangerions pour vous faire avoir à bonne mesure queuques articles de ce que j’allons vous détailler. J’les avons fait treiller dans l’inventaire de ce qui ne s’est pas trouvé dans un grand petit navir de Siam poussé par la tempête dans la rivière des Gobelins, qui est venu échouer contre un tas de fumier à not porte au biau mittant d’not cour. Par l’examen que j’en ont fait aveuc Nanette Dupuy en buvant l’rogome au cimetière Saint-Jean, j’ons remarqué qu’biaucoup d’articles de st’inventaire font partie de stila d’nos commères d’la Halle. J’vous en envoyerons un extrait pour à celle fin d’en bailler la communiquance à not joyeux Charbonnier d’la foire, qui comme oratorien des harangères et d’nos camarades, ayant fiché dans l’idée d’sa mémoire toute l’inloquence de leur parlementage, en a fait un Déjeuné d’la Râpée[1], dont M. le public de Paris a bian voulu payer les frais. Mais comme dans la première opression qui en a été moulée à la Grenouillère on y a coulé en douceur des libertances qui empêchions qu’tous les yeux ne luissent, j’vous prions, M. Jérôme, d’y bailler vos abstractions en cas qu’ maneselle Manon voulut attirer d’nouveaux charlatans dans sa boutique en réchauffant un déjeuné dans un plat de son invention. J’consentons qu’en j’tant une touche de note gaudron sur les merlans d’Nantte Dupuy, et en fermant la bouche à stila qui l’y en baille pour son argent, al’couse avec l’éguille de not marchande d’filets pour qu’çà s’voye d’plus loin, les quatre Bouquets qu’j’ons entendu gasouiller par le même oisiau dont une des plumes a fait l’écriture d’vos lettres à maneselle Manette du But. J’voudrions bian en tirer une de ses ailes, dame j’aurions la science du stilage, et pis j’mettrions en biau habillement tout ça qu’limagination nous pousse au cœur quand j’allons civiliser maneselle Louison, et quand j’faisons un entretien d’conversation pour ce qui est en cas du plaisir qu’j’avons à cause d’lamiquié que j’goûtons pour all’, et qu’j’voulons sous vot respect se partager avec vous et madame vot femme, et pis crainte d’ennuyance, j’finissons parce qu’j’nons plus rian à dire sinon qu’j’vous allons porter not lettre pour tirer note révérance dans l’plin cœur d’la joye. Dame j’avons roulé not corps dans la politesse, j’n’manquons pas dans la civilité comme vous voyez par la magnière dont j’agissons aveuc vous, pis qu’j’voulons être comme d’coutume,

M. Jérosme,

Vot très-humble sarviteur Cadet Eustache, maître passeux tout en devant des Invalides, demeurant sur la gauche du chemin qui enfile tout droit au Gros-Caillou.

  1. Le Déjeuné de la Râpée, ou Discours des Halles et des Ports, par M. de l’Écluse.