Œuvres de Vadé/Les deux serins

Garnier (p. 137-139).

IX

LES DEUX SERINS.

Soyons aimables sans orgueil.
Aux dépens des talents des autres
Ne faisons point valoir les nôtres :
Trop de présomption du mérite est l’écueil.

Deux Serins, tous deux du même âge,
Tous deux ayant même talent.
Avaient séparément leur cage
Dans un superbe appartement.
Vous eussiez dit être dans un bocage
Tout plein de Rossignols, tant leur charmant ramage
Portait au cœur un doux chatouillement.
Tous deux étaient également

Soignés, chéris de leur maîtresse ;
Force plantin, ensuite du bonbon,
Et par-dessus une caresse.
Baisez, mon fils ; baisez, petit mignon.
Baisez… Tous doux objets de la même tendresse,
On croira qu’ils vont vivre en un parfait accord,
On croira mal : la noire Envie
Du désir de primer suivie,
De nos deux Amphions vint troubler l’heureux sort.
Plus d’accents, plus de mélodie ;
Mais, par dépit chacun veut l’emporter,
Et puis soudain de disputer :
Avec un ton aigre on gazouille,
Et si l’on se met à chanter.
Ce n’est que pour se chanter pouille.
« — Je brille plus que vous, soyez-en averti,
Dit l’un ; ma voix touche plus que la vôtre.
— Vous êtes un sot, répond l’autre.
Et qui plus est, vous en avez menti.
Vous dites que votre voix flatte,
Mettez-en cent encor avec,
Pour m’égaler… — Qui ? vous, Monsieur de gosier sec !
De ce jour retenez la date,
Ne tombez jamais sous ma patte.
— Ni vous, dit l’autre, sous mon bec. »
Témoin de leur criaillerie
Leur maîtresse n’y comprend rien.
Quoi donc ! Quel baroque entretien !
Jamais Serins de canarie
N’ont en caquet qui ressemblât si bien
Au dur ramage de la Pie.

Qu’avez-vous mes petits enfants ?
Sans lui répondre, on poursuit la querelle :
Le lendemain elle se renouvelle,
Et tous les jours : oh ! oh ! c’est trop longtemps
M’étourdir ! qu’on porte dit-elle,
Ces piaillards dans le fond du grenier.

Que d’auteurs avec eux on devrait envoyer !