Œuvres de Vadé/Les deux nageurs

Garnier (p. 135-136).

VII

LES DEUX NAGEURS.

 
Jeunes gens, travaillez, et devenez capables,
La science est un bien qui ne périt jamais…
Allez, me direz-vous, parlez à vos semblables ;
Pour prendre de tels soins nous ne sommes pas faits :
Sur de grands protecteurs nos intérêts se fondent.
Monseigneur tel nous veut du bien…
C’est beaucoup ! mais cela n’est rien,
Si vos talents ne les fécondent.

Deux nageurs, un beau jour d’été,
S’égayaient au milieu de l’onde.
L’un d’eux surtout par sa dextérité,
Par mille tours, arrêtait tout le monde.
Tantôt d’un bras fendant les flots,
Il semblait les rendre dociles,
Et tantôt ses jambes agiles.
Lui suffisaient pour voguer sur le dos.
L’autre, aidé de deux callebasses,
Et pesamment détachant quelques brasses,
S’imaginait le surpasser :
Même il osa lui proposer
De traverser la rivière…
« — Ah ! dit l’autre, l’orgueil vous tient,
Ou vous riez ; car, mon pauvre confrère,
Sans le secours qui vous soutient,
Vous nageriez comme une pierre…

— Eh ! mon Dieu, qu’importe ! essayons…
— Vous le voulez ? Hé ! bien, voyons. »
Ils partent, le nageur habile
Sans se gêner arrive au bord,
Et l’autre, après une peine inutile,
Prêt à succomber sous l’effort,
S’aperçoit un peu tard qu’il n’est qu’un imbécile,
Et dans l’endroit le plus profond,
Les gourdes s’échappant de leur lien fragile,
Laissent couler mon sot à fond.

La science bien dirigée
Par les flots des revers n’est jamais submergée,
Le vrai mérite est un sûr aviron ;
Mais l’ignorance protégée,
Le Patron mort, fait le plongeon.