Garnier (p. 153-168).

CHANSONS


I

Quand on est au fait du métier
De femme habile et de fine coquette,
On choisit un grand écolier,
Sot, mais bien fait, joli, riche héritier.
On lui jure une ardeur parfaite ;

Il s’applaudit et s’enflamme aisément :
Et voilà comme, et voilà justement
Comme on fait d’un novice un amant.

On se fait un amusement
D’un feu plus doux, plus flatteur que sincère.
Jusqu’à ce qu’Amour s’éloignant,
On ait à craindre un prochain changement :
Bientôt Hymen devant Notaire
Vient assurer et le cœur et l’argent :
Et voilà comme, et voilà justement
Comme on fait un mari d’un amant.

Par-là l’honneur est à l’abri ;
Pour couvrir tout, l’emplâtre est sans pareille.
Ensuite on prend un favori
Galant, bien fait, vigoureux, bien nourri :
On quitte l’époux qui sommeille,
Pour voir l’amant qui n’est pas endormi :
Et voilà comme, et voilà tout ainsi
Comme on fait un cocu d’un mari.

Puis on le fait tant enrager,
Tant et si bien qu’on lui fait rendre l’âme.
Tandis qu’on feint de s’affliger,
Dans l’autre Monde il va se soulager.
Trop heureux en quittant sa femme,
Que son repos lui soit enfin rendu :
Et voilà tout compté, tout rabattu,
Comme on fait un défunt d’un cocu.


Je ne vois rien de si charmant
Que d’obtenir un brevet de veuvage,
Quand il n’en coule seulement
Que les frais de l’enterrement.
Puis des deniers de l’héritage,
Quand on est vieille, on achète un amant,
Et voilà comme et voilà justement
Comme on fait d’un défunt un vivant.


II

Air : Du Menuet d’Exaudet

Dom Pibrac,
Dans un lac
Près du Gange,
Faisait râper du tabac
Pour gonfler l’estomac
Du pauvre Michel-Ange,
Quand S. Roc
Sur un roc
Vit Euterpe,
Qui pour s’amuser beaucoup
Faisait des vers à coup
De serpe.
Plus loin était Calliope
Qui lisait le Misanthrope ;
Mais Santeuil
D’un cercueil
S’enveloppe
Crainte que Jacques Clément
Ne sût l’enlèvement

D’Europe.
Si Noé
Fut noué,
C’est sa faute.
Que n’aillait-il à Chaillot
Se fair’ mettre en maillot
Par la tante de Plaute !
Au Japon
Le Jupon
D’Artemise
Sert aux Grands Seigneurs Persans
Quand à None ils vont sans
Chemise.


III

Air : Des Sauvages

Oui,
L’acte est inouï,
Quoi, dans un sac
Envoyer Pibrac
Au fond d’un lac,
Et traiter saint-Luc
D’homme caduc,
Tandis qu’un Duc
Répand son suc
Le long d’un aqueduc !
Non,
Lorsqu’Agamemnon
Fit un serment.
Je ne sais comment

 
Son regard sec
N’ouvrit point le bec
D’Abimelec,
À qui le Grec
Refusait le salamalec.
Sur
La cime d’un mur,
Près de Namur,
Thisbé d’un œil pur
Voit son futur ;
Mais le galant sûr
Que le fruit dur
N’est jamais mûr,
Dit qu’un fémur
D’un blanc mêlé d’azur
À l’air obscur.
Fuyant à Saumur,
Pour advertatur,
Il laisse sa Dame,
Mais la vieille Sara
Du rameau d’or aussi-tôt s’empara,
Pour l’offrir à qui dira.
Oui, etc.

Pan
Pour avoir un Paon
Souffre quatre fois le trépan
Et pour son filleul
Exhéréde son bisayeul,
Parce que Cinna
Qui condamna

Jean et Nina
Défrisait sa femme ;
Mais dans ses œuvres Copernic
Dit que ce n’est pas là le hic,
Et que Tiajan avait le tic
D’être franc dans un pic-nic ;
Ce qui ni dire au Public :
Oui, etc.


IV

Parodie du grand Pontife Aaron.
Le sombre Roi Platon,
Pour narguer Caton,
Frisait un mouton,
Tandis que Pluton
Au bout d’un bâton,
À tâton
Faisait cuire un raton,
Bacchus sur un cruchon,
À califourchon,
Dans un grand torchon
Portait un cochon,
Regardant Fanchon
Tenir un tirebouchon.
Qui faisait un manchon
De son bichon.
Bajazet en glouton
Mangeant du thon,
Traitait un bas Breton
De marmiton

Puis changeant de ton,
Lui montra, dit-on,
Un nid d’hanneton
Dans du coton.

Consacrez vos plus beaux jours
Au dieu des amours,
Ainsi que votre…
Consacrez vos plus beaux jours
Au Dieu des amours.
Cupidon tient dans vos yeux son aimable cour,
Et veut qu’on chante tour à tour
Consacrez, etc.

Oui, ce matin Père Bernard
Traita Gérard
Comme un pendard,
Et Dom Godard
Avec un dard
Voulut percer ce vieux paillard.
Frère frappard
Vint par hasard,
Pour les apaiser leur fit part
D’un gros renard
Que son bâtard
Surprit au traquenard.
Le Perroquet
De Fouquet
Battait le briquet
Dans un bosquet,
Lorsque Jacquet

Chez Cliquet
Jouait au piquet,
Et Magdelon Friquet
Ayant le hoquet,
D’un coup de mousquet
Assomme un criquet,
Qui d’un air coquet
Mangeait un morceau de croquet
Dans un baquet.

Ce qui courrouça Jupin
Qui dans l’air porté par un lapin,
Voyant le fourbe Scapin
Armé d’un Pin,
Le foudroyait d’un seul coup d’escarpin
Judith poursuit Holopherne
Qui tombe dans une caverne
Où résidaient deux brochets
Qui jouaient aux échecs
Sur trois clous à crochets.

Habacuc montrait en perspective
Le hochet que donna Salomon
À Jupiter Ammon ;
Une Juive
En coulant la lessive,
Dit à Damon :
J’étais captive.
Quand saint Simon
Sur un mont
Nous cita dans son sermon
Qu’Habacuc, etc.

V

Air : Des trembleurs d’Isis.

Minois dont l’aspect suffoque,
Je viens vous faire un colloque
Très-clair et point équivoque :
Écoutez, vieille guenon ;
C’est Belphégor que j’invoque,
Pour décrire la bicoque
Du caractère baroque
Que vous a donné Pluton.

Votre menton nous présente.
Par sa forme extravagante,
Et sa longueur étonnante,
De quoi gloser à loisir :
Plût au Ciel pendant quinzaine
Que votre bouche fût pleine
D’autant de fiente humaine,
Qu’elle en pourrait contenir !

Votre teint de pain d’épice,
Vos trois chicots de réglisse.
Votre nez, sot édifice,
Votre gueule d’entonnoir,
Vos yeux remplis de chassie,
Vos tétons faits en vessie.
Votre carcasse chansie,
Font un tout fort laid à voir.

Cessez donc, vieille chenille,
Torchon gras, sale guenille,
Au travers de votre grille,
D’épouvanter les passants,
Par votre cou de cigogne,
Plus dégoûtant que la rogne :
Que le diable vous empogne,
Ne fût-ce que pour cent ans !


VI

Air : Je suis pensif depuis qu’auprès d’un If, ou
un jour Fanchon retapant son bichon.

Un apprentif
Peut-il rimer en if ?
Mon esprit doublement chétif
Sur ce point est craintif.
Malgré ma muse apocryphe
Et quoiqu’Apollon la biffe
Dessus ton tarif
Pour obéir à l’objet primitif
Dont je suis le captif.
Je veux d’un ton naïf,
Prouver que je suis attentif
À son vouloir actif.

Ce beau motif
Qui me rend tout pensif.
Devient pour un rimeur poussif
Un fardeau positif.

Pour faire ce logogriphe,
Il faudrait être Pontife
Du Mont instructif ;
Mais moi qui suis de Montmartre natif
Je ne puis peindre au vif
Votre esprit décisif,
Ni tout l’ornement sensitif
Dont il est portatif.

Un Abbé faisant le petit Dictionnaire, et qui cependant ignorait que le Pontife du Mont instructif fût le dieu du Parnasse, se fit moquer de lui en disant que tant de mots recherchés étaient inutiles, et qu’on en dirait tout autant en prose. Ce correcteur a donné lieu à ce troisième Couplet :

Bavard rétif.
Minois rébarbatif,
Qui d’un ton aigre et décisif
Frondez la rime en if,
Vous méritez que ma griffe
Vous administre une giffe
D’un poids expressif ;
Mais mon bon cœur à vous punir tardif.
Est un préservatif
Contre mon bras massif
Qui rendrait votre substantif
Plat au superlatif.

VII

Air : V’là ç’que c’est qu’d’aller aux bois.
Orgon de chagrin est nourri :
V’là c’que c’est qu’d’être mari !
Il a pris femme au teint fleuri,
Joueuse, coquette,
La charmante emplette !
Le pauvre homme en est bien marri,
V’là c’que c’est qu’d’être mari.

Riche, bien fait, commode et doux,
V’là c’que c’est qu’un bon époux,
Damon sans se mettre en courroux
Voit sa femme écrire.
Soupirer et lire
Tendres billets et rendez-vous,
V’là c’que c’est qu’un bon époux.

J’ai le cœur gai comme un pinçon
V’là c’que c’est qu’d’être garçon !
Suivant l’amoureuse leçon,
Lorsque ma Climène
Fait trop l’inhumaine,
Je la quitte pour voir Manon :
V’là c’que c’est qu’d’être garçon !

De l’Amour je ressens les feux
V’là c’que c’est qu’d’voir vos yeux !
J’ai beau par un détour heureux

Traiter d’innocente
Ma flamme naissante,
Philis, j’en tiens, hé bien, tant mieux !
V’là c’que c’est qu’de voir vos yeux.

Iris n’a d’amour que le vent
V’là c’que c’est qu’d’être au couvent !
Son cœur en tendresse est savant ;
Mais contre une grille
Que peut une fille ?
Elle peut, quoi ? pester souvent ;
V’là c’que c’est qu’d’être au couvent.


VIII

sur la prise de Menin en 1744.

Air : Stilà qu’a pincé Berg-op-zoom.
Je reviens ma chère Catin (bis.)
Du saboulement de Menin, (bis.)
Et pour afin que tu n’en doute,
Tiens, tais la gueule et puis m’écoute

Premièrement en premier lieu
C’était pire qu’un heur de Dieu,
Le canon sapant les murailles.
Leurs ont éventré les entrailles.

Le Roi qu’est un vivant d’affut
Fit tout trembler quand il parut ;
Par la sacredié, queu compère !
Pour ficher un fion, à li le père !

Mais vramant ce n’est pas là tout,
S’il est brave, il est bon itou ;
Enfin il a l’âme si belle
Qu’après il faut tirer l’échelle.


IX

 
Air : À pied comme à cheval.

T’nez, Messieurs les Anglais
Laissez-là les Français,
Ils vous donn’ronl sur l’nez
Si vous y r’venez.
Premièrement vous avez tort,
Et secondement ils sont r’tors.
Vous aurez beau vous sauver
Y sauront ben vous r’trouver,
Et nos Grenadiers putôt q’plus tard
Vous sabouleront dans Gilbatard ;
Vous v’nez d’avoir le savon
Cheux l’père Mahon.
Pargué ! l’danger
D’vrait vous corriger :
Si selon vous vot’Admiral Binq
En valait cinq,
Conv’nez, n’en déplaise à c’beau Phœnix,
Qu’la Galissonière en vaut dix,
Et par la-d’sus Richelieu
Qui tenait l’mitant du milieu,
Avec d’Egmont et Fronsac
Vous donnent vos quilles et vot sac.

Et puis vous savez d’queu bois
S’chauffe c’Monsieux d’Maillebois ;
Convenez qu’ça fait des vivants
En fait d’bravour ben savants.
Croyez-moi, ne les obstinez plus,
Car sans ça vous êtes fichus.


X

Sur le même air que le précédent.

 
T’nez, Monseigneur d’Orlians,
Vous qu’êtes ici ceyans,
Vous valez cent fois mieux
Que tous les dieux ;
À c’mencer par Jupiter,
Et son frère qu’est dans l’enfer,
Et stilà qu’est dans les yaux
Pour faire enrager nos batiaux,
Et puis st’autre grand farbriqueur de combats
Qui met tant d’pauvres chrétiens à bas :
Stilà qu’a d’zaîle au talon
Est un fripon.
Monsieur Pherbus
N’donne que des rébus,
Et ç’morveux d’dieu beau comme le jour,
Nommé l’Amour,
Ah ! c’est encore un p’tit animal
Qui n’se plait qu’à faire du mal.
Mamsell’Junon
Fait la guenon,

Mamsell’Pallas
On en est las ;
Mais qu’dites-vous d’Mamsell’Vénus
Qui s’marie aux premiers venus ?
Quand ces dieux-là sont rassemblés,
Ça fait des Cieux drôlement meublés ;
Pour q’ça fût beau, brillant et bon
Faudrait à leu tête un Bourbon,
Comme vous, Monseigneur : car, t’nez, j’vousl’dis,
Où qu’vous êtes, c’est l’Paradis.