Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Impôt/11


XI. AVIS ANNUELS
SUR L’IMPOSITION DE LA TAILLE.


Avis sur l’état de la généralité de Limoges, relativement à l’imposition de la taille
pour l’année 1762.

Quoique le peu de temps qui s’est écoulé depuis que Sa Majesté a daigné me confier l’administration de la généralité de Limoges[1] ne m’ait pas permis d’acquérir des lumières aussi étendues et aussi détaillées que je l’aurais désiré sur la comparaison des forces et des charges de cette partie du royaume, les connaissances que j’ai réussi à me procurer ne suffisent que trop pour me donner la triste certitude de la misère qu’on y éprouve. Dans le compte que je dois en rendre au conseil, je me suis attaché à ne présenter aucun fait dont je ne croie pouvoir assurer la vérité : heureux si ce tableau peut être tracé avec des couleurs assez fidèles pour émouvoir le cœur de Sa Majesté, et si en portant dans ces provinces un titre pour faire respecter son autorité, je pouvais en même temps y répandre les preuves de sa bonté paternelle !

Il est certain que le Limousin et l’Angoumois, qui composent en quelque sorte toute la généralité de Limoges, ont perdu beaucoup de leurs richesses[2]. Les habitants tiraient autrefois de leur sol et de leur industrie des profits considérables, qui leur faisaient supporter aisément les charges de l’État. Il est bien vraisemblable que les surcharges occasionnées par leur ancienne richesse ont contribué plus que toute autre chose à leur misère actuelle. Mais, quelle que soit la cause de la cessation de leurs profits, il est de la justice de Sa Majesté de leur accorder des modérations proportionnées à leurs pertes.

Les principales sources de l’ancienne aisance de ces habitants étaient la production et la consommation de leurs grains et de leurs vins, l’engrais des bestiaux, le commerce des chevaux, et l’exploitation de quelques manufactures de papeterie, clouterie, et autres.

Les grains qui se récoltent dans la généralité sont de deux genres différents ; ceux qui peuvent faire un objet de commerce, et ceux qui sont de pure consommation dans le pays. Les habitants en général sont très-pauvres. L’impossibilité où cette pauvreté les met de faire les avances qu’exige la culture des grains les plus précieux, fait qu’ils se trouvent réduits à donner leurs soins à la culture du blé noir, du blé d’Espagne, et de certaines raves qui leur coûtent peu à semer, exigent très-peu de frais d’exploitation, et suffisent à leur nourriture. Ils y joignent la châtaigne, qu’ils font sécher à l’ombre et qu’ils conservent ainsi pendant l’hiver, pour être mangée sans autre préparation que de la faire bouillir. Ces quatre sortes de denrées sont ici de première nécessité, puisqu’elles suppléent au pain de froment ou de seigle, dont la plus grande partie du peuple limousin n’a jamais mangé.

Le blé et le seigle se trouvent ainsi réservés pour la consommation des habitants un peu aisés, ou pour le commerce, sans lequel le cultivateur est absolument ruiné et ne peut plus payer ses charges.

Cependant, j’ai déjà observé, en envoyant l’état général des récoltes de ces provinces, que le blé noir et le blé d’Espagne ne promettaient pas une abondante récolte ; qu’ils avaient déjà manqué dans les années précédentes, ce qui me rendait encore plus attentif à l’événement de cette année. Je vois actuellement avec douleur que les récoltes de ces denrées seront mauvaises, ce qui a été occasionné et décidé par les dernières chaleurs, et que les châtaigniers, loin de promettre un dédommagement, annoncent, par la chute prématurée de leurs feuilles, que cette denrée sera en médiocre quantité et peu susceptible d’être gardée. Je ne puis dissimuler que celles des paroisses qui éprouveront ces malheurs seront en proie aux horreurs de la famine, sans qu’il me soit pour, ainsi dire possible de leur accorder des secours. Ces denrées ne se sèment que pour la consommation et ne se commercent point ; et les blés mêmes, quand ils sont abondants, ne pourraient, sans ruiner le cultivateur, tomber à un prix auquel le pauvre habitant pût atteindre. C’est ce qui m’a fait déjà observer que nous craignons à la fois les horreurs de la disette et les inconvénients de l’abondance.

Mais un objet plus affligeant encore mérite la plus grande considération ; les blés dont le commerce faisait la seule ressource du cultivateur, ainsi que je viens de l’exposer, les blés sont depuis quelques années frappés d’un fléau particulier à cette province, qui détruit et dans le champ, et même après la récolte, legrain dont le laboureur faisait toute son espérance.

J’ai déjà annoncé au conseil les effets de ce fléau. Une espèce particulière de papillons dépose ses œufs dans l’épi avant qu’il soit parfaitement formé, et il en sort une petite chenille qui, enfermée dans le grain même, en dévore toute la farine et sort ensuite changée en papillon. Sur le rapport qui en a été précédemment fait par M. de Marcheval, M. le contrôleur général a député deux commissaires de l’Académie des sciences, qui, après deux ans de travaux et d’observations assidues, n’ont pu encore découvrir un remède suret applicable sans inconvénients à tous les cas.

Dans la lettre dont j’ai accompagné l’état des récoltes, je n’avais évalué le dommage causé par cet insecte qu’à un tiers de diminution sur la récolte totale ; mais je suis instruit qu’il peut être beaucoup plus considérable, et qu’une grande partie du blé qui paraît conservé, ne l’étant que parce que l’insecte y a péri, soit en chenille, soit en chrysalide, avant sa métamorphose en papillon, non-seulement ne peut plus faire un objet de commerce, mais même peut devenir nuisible dans l’usage par la mauvaise qualité qu’il communique au pain.

J’ai déjà eu l’honneur d’observer à M. le contrôleur général que ce fléau, purement local, n’en est que plus funeste au canton qu’il afflige, la diminution qu’il cause dans le produit des récoltes étant toute en pure perte pour le propriétaire, qui n’en est dédommagé par aucune augmentation dans le prix de la denrée, et qui souffre, pour le peu qu’il recueille, de la non-valeur résultant de l’abondance générale.

Les vignes ne rapportent pas beaucoup cette année ; mais le malheur de cette province est tel, que cette pénurie est même préférable à l’abondance. Il en coûtera moins de frais de récolte et de garde, car pour la vente elle ne se fait point. Le commerce est interrompu avec l’étranger par la guerre ; le débouché qu’offrait le port de Rochefort est totalement fermé depuis l’interruption des armements, et la consommation qui se fait sur les lieux est si médiocre que, malgré le prix vil où se trouve cette denrée, presque tous les colons ont encore les vins des deux dernières récoltes. Ces vins, dont le débit se faisait par l’exportation, rendaient autrefois un argent qui facilitait la perception des impôts. C’est encore un avantage dont se trouvent privées ces provinces, et qui leur est particulier.

Il en est de même de l’engrais des bestiaux. Il est étonnant combien depuis quelques années cet objet de l’industrie des habitants a diminué. On élevait autrefois dans ces cantons des bœufs qui se vendaient pour la consommation de Paris : c’était une des premières ressources des habitants pour le payement de leurs impôts, parce que cette vente répandait de l’argent dans le pays par l’acquisition des bestiaux et la consommation que le concours des marchands occasionnait. De là est née cette célébrité des foires du Limousin, cause de la surcharge dont se plaint aujourd’hui la province. Mais depuis quelque temps elles sont tombées dans le discrédit, soit parce que la consommation de Paris est diminuée, soit parce que les marchands pour l’approvisionnement de cette capitale ont donné la préférence aux foires de Normandie comme plus voisines. Dans les autres guerres, la fourniture des armées pouvait dédommager de la diminution qu’elles occasionnaient dans la consommation de Paris ; mais, dans la guerre actuelle, l’extrême éloignement des armées et la facilité que trouvent les fournisseurs à s’approvisionner en Allemagne et en Suisse, ont porté le dernier coup aux ressources que la province tirait de ce commerce, et ne lui laissent d’espérance que dans la bonté du roi.

Je ne puis m’empêcher d’arrêter un moment l’attention du conseil sur un autre objet de commerce propre à ces provinces, et qui est également diminué, c’est celui des chevaux. Les foires de Chalus et de Limoges ont été fameuses.

Les chevaux limousins sont reconnus pour excellents. Il s’en est fait autrefois un grand commerce, qui faisait entrer une quantité considérable d’argent dans la province, et facilitait le recouvrement des impositions. Ce commerce est aujourd’hui presque entièrement tombé. Peut-être avec quelques encouragements parviendra-t-on à le rétablir ; mais dans le moment présent on ne peut l’envisager comme une ressource pour le payement des impositions.

À ce récit vrai et malheureusement trop général, nous joignons un détail particulier de celles des paroisses qui ont souffert encore des grêles, gelées ou inondations, dont une partie serait dans le cas de solliciter une décharge absolue plutôt qu’une diminution, ayant éprouvé ces malheurs pour la troisième et quatrième année consécutives.

Cependant, depuis le commencement de ce siècle, le brevet de la taille est augmenté de 700,000 livres. Il l’est même cette année sur la précédente.

En effet, le brevet porte, pour l’année 1762, la somme
de[3]
2,210,220 l.    1 s. 8 d.
Et celui de l’année dernière n’était que de
2,198,461     15     »    
–––––––––––––––––––––
Ce qui fait une augmentation de brevet à brevet de
    11,758        6    8    
La généralité a encore profité l’année dernière d’une
diminution dans la formation des commissions
des tailles
    15,960        »    »    
Et, en y joignant celle accordée par Sa Majesté, par un
arrêt particulier, de la somme de
  120,000        »    »    
–––––––––––––––––––––
Il se trouve que le montant du brevet, pour la taille de
1762, excéderait la taille effective de l’année dernière,
de
  147,718 l.    6 s. 8 d.
–––––––––––––––––––––

Loin que cette augmentation soit praticable, j’ose assurer au conseil que, si nous ne sommes pas en état d’apporter encore une modération considérable sur les cotes de l’année dernière, il est inutile de se flatter d’un recouvrement. Le receveur des tailles de Limoges est actuellement en avance de plus de 360,000 livres. Les autres le sont à proportion ; il paraît que la généralité est arriérée sur la taille de plus d’un million. Elle paye le troisième vingtième ; elle n’aura cette année ni blés, ni vins, ni bestiaux à vendre, pour retirer de l’argent. Les receveurs seront forcés d’user de contraintes, et les habitants, qui sont dans l’usage de travailler une partie de l’année hors de la province, prendront peut-être le parti d’abandonner totalement leur pays natal pour chercher ailleurs, et peut-être dans la mendicité, une subsistance qu’ils ne pourront plus trouver chez eux.

Je n’ai pas cru devoir parler du dépérissement des manufactures, ni d’autres causes de misère communes à toutes les provinces, telles que la désertion des campagnes, le découragement des cultivateurs, la rareté de l’argent, l’assoupissement de toute espèce de commerce, etc. Ces maux ne se font pas moins sentir dans la généralité de Limoges qu’ailleurs, au contraire ; mais tout le royaume les éprouve, et puisque l’État a besoin de secours, les moyens généraux ne doivent point entrer en considération, parce que la justice du conseil, dans la position actuelle, consiste moins à éviter une surcharge devenue nécessaire qu’à en faire une juste répartition, à raison des malheurs particuliers de telle ou telle contrée.

Mais je dois encore présenter une dernière considération, que la justice la plus stricte ne peut rejeter : c’est que, proportionnellement aux généralités voisines, celle de Limoges est surchargée de près de 600,000 livres, ce qui se démontrerait aisément par le calcul de ce que payent dans les unes et les autres deux domaines de même nature et de même valeur.

Ainsi, je le répète avec cette confiance que me donne la tendresse du roi pour ses sujets, la généralité de Limoges est frappée des mêmes maux que tout le royaume ; elle est particulièrement ravagée depuis peu par un fléau unique ; réduite aux portes de la famine par le manque des denrées qui en font la nourriture journalière, et auxquelles rien ne peut suppléer ; enfin sans ressource J)our se procurer l’argent nécessaire au payement de ses impôts, par la cessation presque totale de son commerce des vins et de celui de ses bestiaux et de ses chevaux ; la généralité est de plus singulièrement surchargée en proportion des autres qui l’environnent.

D’après ces motifs, capables d’exciter la compassion et les bontés de Sa Majesté, j’ose la supplier d’accorder à la généralité de Limoges, sur la taille de 1762, une diminution de 400,000 livres, tant pour subvenir aux soulagements nécessaires à presque tous les habitants, que pour remplacer les décharges pour ainsi dire totales qu’il sera juste d’accorder à ceux qui, privés de leurs blés par le fléau qui les détruit, n’ayant récolté que très-peu des denrées qui font leur nourriture habituelle, sans aucune ressource, ni par la main-d’œuvre, ni par le commerce, n’auraient plus, sans ces secours, que la fuite ou le désespoir.

J’ose espérer cette grâce autant de la tendresse paternelle et des bontés de Sa Majesté que de la justice du conseil.


Mémoire sur les doubles emplois des impositions en Angoumois,
communiqué à M. l’intendant de La Rochelle.

L’élection d’Angoulême, de la généralité de Limoges, confine aux élections de Saintes, de Barbezieux, de Cognac et de Saint-Jean d’Angely, toutes quatre de la généralité de La Rochelle ; plusieurs des paroisses limitrophes sont même partagées entre les deux généralités.

Le voisinage donne lieu à un mélange de possessions d’une généralité à l’autre ; les habitants domiciliés en Angoumois possèdent des héritages dans les élections de la généralité de La Rochelle, et ceux de la généralité de La Rochelle en possèdent réciproquement dans l’Angoumois. Il est résulté de ce mélange quelques difficultés relativement à l’imposition que devaient supporter ces héritages, situés dans une généralité, et appartenant à des propriétaires domiciliés dans une autre. Il est même souvent arrivé que les propriétaires ont payé dans les deux généralités pour les mêmes héritages. Ces doubles emplois ont eu lieu pour les impositions ordinaires, et même pour le vingtième, quoique le principe de cette dernière imposition, qui est absolument réelle, semblât devoir écarter toute difficulté.

Il n’est possible de rendre aux particuliers qui souffrent de ces doubles emplois la justice qui leur est due et qu’ils réclament depuis bien longtemps, qu’autant que les intendants des deux généralités se concerteront pour convenir d’un principe fixe d’après lequel il ne resterait plus aucun doute sur le lieu où devra être taxé chaque héritage en particulier, et qu’ils prendront des mesures efficaces pour faire observer ce dont ils seront convenus.

Pour mettre M. l’intendant de La Rochelle en état de se déterminer, il est indispensable de lui mettre sous les yeux l’état précis des questions à décider, et d’entrer à cet effet dans quelques détails sur la manière dont se répartit la taille dans les deux généralités.

La distinction des deux formes de répartitions de la taille, usitées dans différentes parties du royaume, est assez connue.

On sait que dans la plus grande partie des provinces méridionales la taille est réelle, c’est-à-dire qu’elle ne se répartit qu’à raison des héritages que possède chaque contribuable, et du revenu qu’il en tire. Elle s’impose au lieu même où sont situés les héritages, et c’est l’héritage qui en répond. L’héritage paye, quel qu’en soit le possesseur ; il n’y a d’héritages exempts que ceux qui, lors de la confection du cadastre, ont été reconnus comme nobles, ou ceux qui appartiennent à l’église ou au public.

La plupart des autres provinces du royaume sont assujetties à la taille personnelle, qui porte également sur les revenus des terres et sur les profits de l’industrie. Comme c’est moins le fonds de la terre qui dans ces provinces répond de l’impôt, que la personne à qui elle appartient, ou les fruits qu’elle produit, on a cru devoir ordonner que tous les fonds appartenant au même propriétaire payassent au domicile de c’e propriétaire ; mais cette règle générale et conforme à la nature de cet impôt entraîne de très-grands inconvénients, parce qu’il peut arriver que différents particuliers, possesseurs de la plus grande partie des fonds d’une paroisse, soient domiciliés dans d’autres paroisses, en sorte que la plus grande partie des fonds sur lesquels doit porter l’impôt assigné à cette paroisse se trouverait éclipsée.

Or, il arrive souvent que la paroisse n’éprouve pas une diminution proportionnelle sur son imposition totale, et qu’ainsi elle se trouve surchargée. Aussi, l’on a cru devoir prendre un tempérament et s’éloigner des principes de la taille personnelle, et l’on a ordonné que, quand les héritages surpasseraient la contenance de vingt-cinq arpents, ou lorsque, étant d’une moindre étendue, l’engrangement des fruits s’en ferait dans le lieu même de leur situation, on suivrait les mêmes règles que si la taille était réelle, et que hors ces deux cas ils continueraient d’être taxés au domicile du propriétaire.

Il semble qu’en suivant exactement les dispositions de ces règlements, on pourrait éviter les doubles emplois dont on se plaint. On taxerait, dans chaque généralité, tous les fonds qui y seraient situés lorsqu’ils seraient au-dessus de vingt-cinq arpents, ou que l’engrangement se ferait dans le lieu de la situation, et il ne serait pas fait mention des héritages au-dessous de vingt-cinq arpents, ni de ceux qui seraient plus étendus, mais dont la récolte serait transportée hors de la généralité où ils sont situés, parce que dans l’un et l’autre cas ils seraient taxés au domicile du propriétaire. Ces dispositions paraissent faciles à exécuter dans la généralité de Limoges, où, la taille étant tarifée, tous les rôles se font par des commissaires qui peuvent aisément connaître la contenance des héritages possédés par des propriétaires domiciliés dans une autre généralité, soit par les registres d’arpentement pour les paroisses qui ont été arpentées, soit par les déclarations pour les autres paroisses. Mais il se présente bien des difficultés pour la généralité de La Rochelle, dans laquelle les rôles sont faits par les collecteurs de chaque paroisse.

Les collecteurs sont intéressés à diminuer autant qu’il leur est possible le fardeau qu’ils supportent avec toute leur paroisse, et par conséquent à taxer sur les rôles qu’ils ont à faire les fonds qui, suivant les règlements, devraient être taxés au domicile du propriétaire. La plupart de ces collecteurs ne connaissent pas les règlements, par conséquent on ne peut pas leur reprocher de ne pas les avoir exécutés. D’ailleurs, comme en Saintonge on ne connaît la contenance des héritages ni par l’arpentement, ni par des déclarations vérifiées et contradictoires avec tous les habitants d’une paroisse, un collecteur peut toujours supposer que les héritages qu’il taxe sont dans le cas où les règlements dérogent au principe de la taille personnelle, et par conséquent qu’il est autorisé à les taxer.

Il serait donc nécessaire, pour parvenir à l’exécution de ces règlements et éviter les doubles emplois, de connaître tous les fonds qui, étant situés dans la généralité de La Rochelle, appartiennent à des propriétaires habitants de l’Angoumois ; et ceux qui, étant situés en Angoumois, appartiennent à des propriétaires domiciliés dans la généralité de La Rochelle, lorsque les fonds seraient au-dessous de la contenance de vingt-cinq arpents, parce que ce sont ceux-là qui donnent lieu aux doubles emplois, les collecteurs étant toujours tentés de les imposer au lieu de leur situation, quoiqu’ils soient déjà taxés au lieu du domicile du propriétaire.

On ne pourrait y parvenir qu’en faisant faire un relevé paroisse par paroisse, contenant le nom de chaque particulier possédant des fonds dans l’une des deux généralités, et dans la généralité voisine ; ces états seraient remis aux collecteurs ou commissaires chargés de la confection des rôles, avec ordre de n’imposer que les héritages qui, suivant les règlements, doivent être imposés dans la paroisse dont ils opèrent le rôle, et de ne point comprendre dans leur rôle les héritages mentionnés dans l’état qui leur serait adressé.

Mais il faut avouer que ce parti, quoique conforme aux règlements et le seul qui en assure l’exécution, présente des inconvénients très-considérables.

Premièrement, l’ordre émané de MM. les intendants pour ne pas comprendre au rôle d’une paroisse tel ou tel héritage, paraîtrait toujours illégal, et ne pourrait manquer d’exciter beaucoup de fermentation dans les paroisses qui en seraient l’objet, surtout dans la généralité de La Rochelle, où ces ordres seraient adressés aux collecteurs habitants de la paroisse, et par conséquent intéressés comme les autres habitants à répartir l’impôt sur le plus grand nombre possible de contribuables. Les plaintes que ces habitants pourraient former seraient probablement bien accueillies dans les tribunaux, et entraîneraient des enquêtes très-dispendieuses qui ne pourraient être terminées que par des procès-verbaux d’arpentement, et qui, par conséquent, produiraient un mal plus considérable que celui que l’on veut éviter. Comme il arrive très-souvent des mutations dans la possession des héritages, qui donnent occasion à ces doubles emplois, on serait obligé d’en renouveler chaque année les relevés, ce qui pourrait compromettre leur exactitude ; peut-être même serait-il difficile qu’ils pussent chaque année être remis assez tôt pour prévenir les doubles emplois. Il paraît donc nécessaire de chercher un moyen plus facile et plus sûr d’éviter les doubles emplois.

MM. les intendants de La Rochelle et de Limoges s’occupent depuis longtemps de cet objet. En 1745, MM. de Rarentin et de Saint-Coutest étaient convenus que les terrains dépendant d’un corps de domaine seraient taxés à la situation du corps du domaine ; mais ils n’arrêtèrent rien relativement aux morceaux de terre détachés, et il paraît même que la convention qu’ils avaient faite n’a pas été régulièrement exécutée ; elle présentait la plus grande partie des inconvénients qui résulteraient du fait ci-dessus exposé.

Peut-être n’est-il possible d’éviter l’inconvénient des doubles emplois qu’en suivant des principes totalement différents de ceux qui jusqu’à présent ont été adoptés, et qu’en s’écartant des règles prescrites pour la répartition de la taille personnelle ; il serait nécessaire, pour cela, que MM. les intendants de La Rochelle et de Limoges convinssent entre eux que tous les héritages au-dessous de vingt-cinq arpents, ou dont les récoltes sont engrangées hors de la paroisse et de la généralité où ils sont situés, seraient taxés au lieu de leur situation, soit qu’ils ne consistassent qu’en des morceaux de terre détachés, soit qu’ils fussent dépendants des corps de domaines situés dans la généralité voisine. Cette règle étant une fois adoptée, il sera facile à MM. les intendants de la faire observer, et par conséquent d’éviter les doubles emplois.

Il faut avouer cependant qu’elle laisserait subsister quelques autres inconvénients trop graves pour être négligés, mais qu’il est facile d’éviter. On sait que les collecteurs, dans les paroisses où ils sont chargés de la confection des rôles, se font rarement un scrupule de surcharger à la taxe les héritages situés dans leur paroisse, mais appartenant à des étrangers, parce qu’alors ils ne sont pas arrêtés par la crainte d’être surchargés à leur tour par les propriétaires qui, étant domiciliés hors de la paroisse, ne sont pas dans le cas d’y passer à la collecte ; et, si les propriétaires non domiciliés dans la paroisse étaient obligés de se pourvoir à l’élection pour obtenir les diminutions qui leur seraient dues, il en résulterait des procès beaucoup plus ruineux pour eux que la surcharge dont ils auraient à se plaindre.

D’ailleurs, les collecteurs eux-mêmes pourraient éprouver, vis-à-vis de ces propriétaires non domiciliés dans la paroisse, des diffi cultes pour la perception, s’ils étaient obligés de suivre les voies ordinaires.

Il paraît nécessaire de lever ces difficultés par un arrêt de règlement qui, d’ailleurs, est indispensable pour autoriser la forme de répartition que l’on propose, attendu qu’elle s’écarte des principes de la taille personnelle.

Cet arrêt, en autorisant cette forme de répartition pour le cas spécifié ci-dessus, commettrait MM, les intendants de Limoges et de La Rochelle pour juger les demandes en surtaux qui pourraient être formées par des propriétaires d’héritages dans leur généralité, mais domiciliés dans la généralité voisine.

Dans le cas où les propriétaires de ces sortes d’héritages refuseraient de payer les impositions dont ils sont chargés, l’arrêt de règlement permettrait de s’adresser, par une simple requête, à l’intendant dans le département duquel sont situés les héritages, qui, après avoir fait vérifier par son subdélégué, auquel le collecteur représenterait son rôle, que ces contribuables sont en demeure de payer leurs cotes, permettrait de faire saisir leurs meubles et récoltes pour assurer le payement, et de les faire vendre après les délais qui seraient fixés jusqu’à concurrence de la cote de taille pour raison de laquelle les héritages auraient été saisis, et des frais qui seraient taxés d’office par MM. les intendants.

Il paraît que ces précautions suffiraient pour éviter les doubles emplois, pour procurer le recouvrement des cotes dont il s’agit, et pour éviter, autant qu’il serait possible, les difficultés et les frais qu’il pourrait occasionner. Si M. l’intendant de La Rochelle approuve ce projet, il sera nécessaire, pour son exécution, de faire rendre l’arrêt du conseil dont le projet est ci-joint.

Projet d’arrêt.

Le roi étant informé que l’élection d’Angoulême, généralité de Limoges, confinant aux élections de Saintes, de Barbezieux, de Cognac et de Saint-Jean-d’Angely, toutes de la généralité de La Rochelle, et plusieurs paroisses, étant même partagées entre les deux généralités, il arrive très-souvent que des particuliers domiciliés dans l’une des deux généralités possèdent des héritages situés dans la généralité voisine ;

Que ce mélange de possessions occasionne des difficultés dans le recouvrement, et qu’il arrive souvent que les propriétaires taxés pour la totalité de leurs héritages dans la paroisse où ils ont leur domicile, conformément aux principes de la taille personnelle, sont taxés dans la généralité voisine pour raison de la partie de ces mêmes héritages qu’ils y possèdent, ce qui forme un double emploi dont les contribuables se plaignent avec raison ;

Que, quoique les règlements précédemment rendus sur cette matière aient ordonné que les héritages situés dans une paroisse où le propriétaire n’a pas son domicile, seraient imposés au lieu de leur situation lorsqu’ils surpasseraient la contenance de vingt-cinq arpents, ou lorsqu’étant d’une moindre étendue, l’engrangement des fruits s’en ferait dans le lieu même de leur situation, et que hors ces deux cas ils continueraient d’être imposés au domicile du propriétaire, l’expérience avait démontré l’insuffisance de ces dispositions pour éviter les doubles emplois dans le cas où les héritages seraient partagés entre des paroisses situées dans des généralités différentes ;

Que cette insuffisance naissait des dispositions mêmes de ces règlements, et de l’impossibilité de constater, sans un arpentement onéreux aux propriétaires, ceux des héritages qui seraient dans le cas d’être taxés hors du lieu de leur situation, et qu’il serait nécessaire de pourvoir auxdits inconvénients par des dispositions nouvelles.

Ouï le rapport, et tout considéré. Sa Majesté, dérogeant autant que de besoin aux édits, déclarations, lettres-patentes et arrêts de son Conseil rendus sur le fait des tailles, a ordonné et ordonne ce qui suit :

Article I. Tous les héritages situés dans une paroisse limitrophe des deux généralités de Limoges et de La Rochelle, et possédés par des propriétaires domiciliés dans la généralité voisine, seront imposés au rôle des tailles de la paroisse où ils sont situés, proportionnellement à leur valeur ou revenu, quelle que soit leur contenance, soit que l’engrangement des récoltes se fasse au lieu de leur situation ou ailleurs, soit qu’ils ne consistent qu’en des morceaux de terre séparés, ou qu’ils fassent partie de corps de domaines situés dans la généralité voisine.

II. Dans le cas où les propriétaires d’héritages seraient domiciliés dans une paroisse autre que celle où ils sont situés, mais dans la même généralité, ils continueront d’être taxés comme ci-devant, Sa Majesté n’entendant déroger aux règlements que pour les cas mentionnés en l’article I.

III. Pour éviter autant qu’il sera possible la surcharge dont les propriétaires mentionnés en l’article I pourraient avoir à se plaindre, et les frais qu’occasionneraient les démarches formées pour en obtenir la décharge, Sa Majesté a commis et commet par le présent arrêt les sieurs intendants de Limoges et de La Rochelle, chacun dans leur département, à l’effet déjuger les demandes en diminution de cotes qui pourraient être formées par les propriétaires d’héritages situés dans leur généralité, domiciliés dans la généralité voisine.

IV. Permet Sa Majesté auxdits sieurs intendants, en ce qui concerne chacun d’eux, de pourvoir au remboursement desdits propriétaires, dont les demandes auraient été vérifiées et justifiées, soit par la voie du rejet sur la paroisse où sont situés lesdits héritages, soit même en rendant responsables les collecteurs chargés de la confection des rôles, dans le cas où il serait prouvé que ladite surcharge provient de leur fait.

V. Pourront les collecteurs chargés du recouvrement des cotes imposées pour raison des héritages situés dans la paroisse dont ils font la collecte, s’adresser par une requête au sieur intendant et commissaire départi de la généralité voisine où le propriétaire desdits héritages a son domicile, à l’effet de faire saisir les meubles et récoltes desdits propriétaires et vendre jusqu’à concurrence du montant des impositions par eux dues, et des frais qui seront par lesdits sieurs intendants taxés d’office ; le tout après qu’il aura été vérifié que lesdits propriétaires sont en demeure de payer les impositions assises sur leursdits héritages[4].


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges, pour l’année 1763[5].

Nous observerons encore que le roi ayant bien voulu accorder, par un arrêt postérieur à l’expédition des commissions des tailles

de l’année 1762, une diminution de 190,000 liv., l’imposition effective de ladite année n’a été que de
2,002,375 l. 18 s. 4 d.
    De sorte que, si l’on imposait en 1763 la somme de
2,186,646      2     6    
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qui sera portée par les commissions du Conseil, il y aurait une augmentation réelle de
184,270 l.   4 s. 2 d.
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Après ces observations préliminaires, nous allons rendre compte de l’état où se trouve la récolte, en parcourant chacun de ses objets.

Froments et seigles. — Malgré les pluies fréquentes de l’hiver dernier, la terre présentait au printemps les apparences d’une production assez abondante ; mais la sécheresse qui a régné pendant les mois d’avril, mai et juin, a réduit la récolte aux deux tiers d’une année ordinaire ; il faudra de plus, dans la plus grande partie de l’Angoumois, de cette récolte ainsi réduite, soustraire encore un tiers pour le dommage causé par les papillons de blé, fléau particulier de cette province, et prodigieusement favorisé par les chaleurs humides du mois d’août.

Avoines. — Cette espèce de récolte a totalement manqué dans les élections de Limoges, de Tulle et de Bourganeuf ; il n’y a que dans celle d’Angoulême et de Brive où elle ait mieux réussi, et où elle a donné un peu moins de la moitié d’une année commune.

Orges et baillarges. — Cette production n’est d’aucune considération dans les élections de Limoges, de Tulle et de Brive ; il ne s’en sème point dans celle de Bourganeuf ; il n’y a que dans l’élection d’Angoulême que l’on en recueille. Elle a donné le tiers.

Blés noirs et blés d’Espagne. — Après le seigle, le blé noir est le plus important pour les élections de Limoges, de Tulle, de Brive et de Bourganeuf, et le blé d’Espagne ou de Turquie tient le même rang dans l’Angoumois, après le froment. Les chaleurs continuelles et excessives des mois de juin et de juillet avaient empêché ces deux espèces de grains de germer ; mais les pluies survenues dans les premiers jours d’août donnent lieu d’espérer une bonne récolte de blé noir, si les gelées d’automne ne détruisent cette espérance. Ce grain y est très-exposé, parce que la récolte en est toujours fort tardive ; et il le sera d’autant plus cette année, que la sécheresse en a beaucoup plus retardé qu’à l’ordinaire les premiers progrès. À l’égard du blé d’Espagne, il est presque entièrement perdu par la sécheresse, et à peine a-t-il produit la semence. Il est certain que le peuple de l’Angoumois, qui en tire les trois quarts de sa subsistance, souffrira beaucoup de cette privation.

Châtaignes. — Dans l’état où sont les châtaigniers, il y a lieu d’espérer une bonne récolte ; mais cette espèce de fruit est sujette à tant d’accidents qu’elle laisse des inquiétudes jusqu’à ce qu’on l’ait recueillie, et même après, car il arrive souvent que la châtaigne pourrit dans les trois premiers mois qui suivent sa récolte.

Vignes. — Il n’y a qu’un petit nombre de paroisses dans les élections de Limoges et de Tulle qui cultivent les vignes, et le vin qu’elles produisent est de la plus mauvaise qualité. Elles font l’objet le plus considérable de la production du sol dans les élections d’Angoulême et de Brive. Les vins de l’Angoumois sont pour la plupart convertis en eau-de-vie ; mais le commerce en est totalement tombé depuis la guerre. Ceux du bas Limousin se consomment dans le pays et dans le haut Limousin ; mais l’abondance des récoltes des trois dernières années, et la rareté de l’argent, en ont fait diminuer considérablement le prix. Elles ne donneront cette année que la moitié d’une année commune.

Fourrages, foins et paille. — Quoique l’on puisse dire en général que la première récolte des foins a été abondante, cependant on ne doit compter que sur la moitié d’une récolte ordinaire, parce que les regains et toutes les ressources qu’on tire des raves et des sommités du blé d’Espagne, et celle des pacages, ayant totalement manqué cette année, on a été forcé, pour y suppléer, de donner aux bestiaux une grande partie des fourrages, dont le besoin se fera sentir en hiver ; les grandes chaleurs ont tellement desséché le sol des prés, qu’on a été obligé de nourrir en sec les gros bestiaux, au lieu que les années précédentes on les mettait au vert jusqu’au mois de décembre. Les pailles n’ont produit que la moitié d’une année commune.

Fruits et légumes. — Ces objets sont, dans cette province, d’une trop petite conséquence pour fixer l’attention du conseil.

Bestiaux. — L’objet qui nous paraît le plus intéressant pour la généralité, est le commerce des bestiaux. C’est la seule ressource qu’aient les habitants pour le payement de leurs impositions ; mais les ventes sont beaucoup tombées depuis plusieurs années. Les foires du Limousin sont presque désertes, et cette branche de commerce est dans la plus grande langueur.

Les circonstances malheureuses dont nous venons de rendre compte frappent également sur toute la généralité ; mais des accidents particuliers ont affligé plusieurs paroisses, ainsi qu’il est constaté par les procès-verbaux qui ont été dressés, et dont je joins un état à cet avis. Les unes ont été grêlées, les autres ont été inondées de telle sorte, que les ravins ont entraîné les terres des coteaux avec leurs fruits. Nous ajoutons à ces malheurs les maladies que les grandes chaleurs occasionnent dans les campagnes, tant sur les hommes que sur les animaux. Le grand nombre des domaines abandonnés depuis plusieurs années annonce de toutes parts la misère et le défaut de ressources, et fait envisager un avenir encore plus triste ; et la désertion des habitants, qui se transportent journellement dans les généralités voisines, ne prouve que trop clairement combien celle de Limoge est surchargée.

Dans ces circonstances, je ne puis me dispenser de supplier Sa Majesté d’accorder à la généralité de Limoges, en moins imposé sur la taille de 1763, outre les 190,000 liv. accordées l’année dernière, une nouvelle diminution de 200,000 liv. Quelque considérable que paraisse cette somme, il s’en faut de beaucoup qu’elle égale les besoins de cette province, que la multitude des impositions auxquelles elle est assujettie a mise dans un état d’épuisement qui rend les recouvrements de plus en plus difficiles. Tous les faits que je viens d’exposer en détail me donnent les inquiétudes les plus fondées sur le succès des recouvrements de l’année prochaine, si Sa Majesté n’accorde la diminution qu’attendent de ses bontés les peuples de la généralité de Limoges[6].


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges, pour l’année 1765[7].

Nous observons que le roi ayant bien voulu accorder, par un arrêt postérieur à l’expédition des commissions de 1764, une diminution de 180,000 livres, l’imposition effective de ladite année n’a été que de 2 millions 72,557 livres 7 sous 6 deniers ; de sorte que, si l’on imposait en 1765 la somme de 2 millions 221,372 livres 2 sous, qui sera portée par la commission du conseil, il y aurait une augmentation réelle de 148,814 livres 14 sous 6 deniers. Après ces observations préliminaires, nous allons rendre compte de l’état où se trouve la récolte, en parcourant chacun de ses objets.

Froments. — La récolte du froment a été de la moitié aux deux tiers d’année commune dans les élections d’Angoulême et de Brive, où il s’en sème le plus. Celles de Limoges et de Tulle, qui en sèment peu, ont eu les deux tiers. Il est de bonne qualité ; mais les froments d’Angoumois sont toujours infestés par les papillons. On n’en sème point dans l’élection de Bourganeuf.

Méteils. — On n’en sème que dans l’élection d’Angoulême, où l’on a recueilli la moitié d’une année commune.

Seigles. — C’est la récolte dominante des élections de Limoges, de Tulle et de Bourganeuf ; il est en général de bonne qualité et préféré à celui de 1763. Les élections de Limoges et de Bourganeuf ont eu demi-année, celle de Tulle les deux tiers, celle d’Angoulême demi-année, et celle de Brive les trois quarts.

Avoines. — On ne recueillera pas même la semence en quelques endroits de l’élection de Limoges, et dans d’autres on aura le huitième d’une année ; dans celle d’Angoulême le tiers, de Tulle la moitié, de Brive et de Bourganeuf le tiers.

Orge. — Cette récolte n’est d’aucune considération dans les élections de Limoges et de Tulle ; elle a donné le quart d’une année commune dans celle d’Angoulême ; celles de Brive et de Bourganeuf n’en ont point.

Sarrasin ou blé noir. — On sème beaucoup de ce grain dans les élections de Limoges, de Tulle, de Brive et de Bourganeuf ; il fait la nourriture du paysan pendant trois mois de l’année. Cette récolte promet beaucoup ; mais une gelée peut l’emporter. S’il n’arrive rien de fâcheux, les élections de Limoges et de Tulle en auront une année abondante, celle de Brive le tiers, et celle de Bourganeuf la moitié d’une année commune.

Blé d’Espagne ou de Turquie. — On n’en sème que dans l’élection d’Angoulême, où il est d’une grande ressource et où il n’a donné qu’un cinquième d’année commune.

Légumes. — Ils ont manqué partout et sont un très-petit objet. Il n’y a que les haricots qui promettent dans l’élection d’Angoulême, et qui font un objet de commerce pour deux ou trois paroisses.

Foins et autres fourrages. — Les foins sont d’une qualité supérieure à ceux de 1763. Tous les essais de prairies artificielles ont réussi, à l’exception de la luzerne. Les élections de Limoges, de Tulle, de Brive et de Bourganeuf ont eu les deux tiers d’une année commune ; celle d’Angoulême n’en a eu que la moitié. Les raves, tout à la fois légumes et fourrage, promettent beaucoup. Plusieurs personnes en ont semé en Angoumois.

Pailles. — Elles sont, dans toute la généralité, des deux tiers à la moitié d’une année commune.

Vins. — Les élections d’Angoulême et de Brive auront une année commune, ainsi que celles de Limoges et de Tulle, pour le peu de vigne qu’il y a. Celle de Bourganeuf n’en a point. Il se fera beaucoup de bonne eau-de-vie en Angoumois ; mais, s’il n’y a pas une exportation extraordinaire, les propriétaires retireront à peine leurs frais.

Fruits. — Il n’y aura pas de fruits en Angoumois : ce n’est pas un grand objet dans les autres élections ; cependant, les noyers promettent beaucoup et ont déjà fait baisser le prix de l’huile de noix.

Châtaignes. — Elles promettent beaucoup dans les élections de Limoges et de Tulle, et si elles réussissent, elles nourriront le paysan plus de quatre mois de l’année.

Chanvres et lins. — Les chanvres et lins ne sont pas un objet considérable dans les quatre élections de Limoges, de Tulle, de Brive et de Bourganeuf, qui n’en ont pas assez pour leur usage. Celle d’Angoulême, où il s’en fait un assez grand commerce, a perdu presque toute cette récolte par la sécheresse.

Bestiaux. — Le commerce des botes à cornes ne se relève point de la langueur où il est tombé depuis quelques années. Il en est de même de celui des bêtes à laine, et de la laine et des cochons. Ce commerce en Limousin, celui des eaux-de-vie en Angoumois, sont les deux seuls qui apportent de l’argent dans la généralité et la mettent en état d’acquitter ses charges.

Accidents particuliers. — La généralité de Limoges a essuyé cette année des orages et des grêles fréquentes dans presque toutes ses parties. Les officiers des élections n’ont pas encore envoyé tous les procès-verbaux qui constatent l’étendue du mal, et cependant le nombre des paroisses grêlées dont on a l’état monte à 228. C’est plus du quart de la généralité, qui en a en tout 810[8]. La perte a été très-grande dans presque toutes les paroisses, parce que la plupart de ces grêles ont été accompagnées d’ouragans violents. Mais celle qui a frappé 51 paroisses de l’élection d’Angoulême, le 27 juin dernier, ne doit pas être confondue avec les autres accidents de ce genre. M. le contrôleur général est déjà instruit de la désolation de ce malheureux canton. Les grains ont été pour la plus grande partie hachés sur terre, et la paille même a été réduite en fumier. On s’estimerait heureux que la perte se bornât à la récolte de l’année ; mais les vignes, qui forment une grande partie du revenu de ces paroisses, ont été entièrement brisées, les arbres fruitiers arrachés, une grande quantité des bâtiments renversés. Il est à craindre que, malgré les secours que M. le contrôleur général a bien voulu faire espérer, une partie des domaines de ces paroisses ne demeurent incultes par la ruine des propriétaires et la désertion des cultivateurs. Toutes n’ont pas également perdu, mais toutes ont besoin des plus grands soulagements, et il y en a au moins 17 qu’il sera indispensable de décharger de toute espèce d’impositions en 1765, et au moins de la moitié en 1766. La totalité des impositions taillables de ces 17 paroisses monte à 79,110 livres.

Nous pouvons assurer qu’il n’y a rien d’exagéré dans ce tableau.


Nous sentons combien les circonstances sont peu favorables pour obtenir tous les soulagements dont la province aurait besoin. Malheureusement, presque toutes les parties du royaume ont essuyé comme elle les ravages fréquents de la grêle et des orages, et l’étendue même du mal en rendra le remède plus difficile.

Cependant, nous prendrons la liberté d’observer qu’en faisant abstraction de ce que le fléau qu’ont éprouvé quelques paroisses de l’Angoumois a de particulier, et qui le met hors de toute comparaison avec tous les autres accidents de ce genre, le reste de la généralité a été aussi maltraité que les autres provinces, et qu’à ce titre seul elle a des droits au moins aussi forts pour réclamer les bontés du roi. Elle en a d’autres qui lui sont particuliers. On peut mettre au premier rang la surcharge qu’elle éprouve depuis longtemps sur ses impositions ; surcharge établie par la comparaison de la taxe à laquelle sont assujettis les domaines du Limousin avec celles que supportent des domaines de pareille valeur en Poitou, en Saintonge, en Périgord, provinces qui sont affranchies de la gabelle comme le Limousin ; surcharge prouvée par l’empressement des contribuables à choisir par préférence leur domicile dans les provinces voisines ; surcharge telle, qu’en comptant les vingtièmes, le roi tire de toutes les terres plus que le propriétaire, c’est-à-dire plus de la moitié et quelquefois les deux tiers du produit net. À quoi il faut ajouter la circonstance particulière de la langueur de ses deux principaux commerces, celui des bestiaux en Limousin et celui des eaux-de-vie en Angoumois. La vente de ces deux denrées est la seule voie qui puisse faire rentrer dans cette province l’argent qui en sort annuellement pour les besoins de ses habitants, pour les revenus des propriétaires qui résident dans la capitale, et pour le payement de plus de 6 millions 300,000 livres d’impositions, en y comprenant les droits des fermes et le tabac. Tous ces motifs suffiraient sans doute pour engager Sa Majesté à traiter la province du Limousin aussi favorablement qu’elle l’a été en 1763 et en 1764. Elle n’avait essuyé que des accidents ordinaires, et le roi lui avait accordé 200,000 livres de moins imposé en 1763, et 180,000 livres en 1764.

Pour que le moins imposé de 1765 produisît un soulagement égal, il faudrait y ajouter 80,000 livres que payent ensemble les 17 paroisses qu’il sera indispensable de décharger de la totalité de leurs impositions ; car, si Sa Majesté n’avait pas la bonté de diminuer de cette somme les impositions de la province, elle serait nécessairement répartie en surcharge sur les autres contribuables.

Dans ces circonstances, je crois devoir supplier Sa Majesté de vouloir bien accorder à la généralité de Limoges une diminution de 300,000 livres, ou du moins de 280,000 livres.


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges, pour l’année 1766[9].

Légumes. — Les élections d’Angoulême et de Brive en ont recueilli les deux tiers d’une année commune. Ils sont comptés pour rien dans les élections de Tulle et de Bourganeuf. À l’égard de l’élection de Limoges, il s’en cultive beaucoup dans les environs des villes, et ils ont assez réussi. On doit mettre au nombre des légumes les pommes de terre, dont la culture commence à s’étendre dans les élections de Limoges et d’Angoulême avec succès, et a été essayée dans celle de Tulle cette année seulement.

Bestiaux. — On a observé, à l’article des foins, que le commerce des bêtes à cornes commençait à prendre faveur dans la généralité, et qu’elles se vendaient mieux que les années précédentes ; mais dans le moment présent ce commerce ne consiste que dans l’achat des bœufs maigres qui se tirent en grande partie du Périgord. On les achète cher dans l’espérance de les engraisser, parce qu’on a beaucoup de fourrage à consommer. C’est le profit sur les bœufs gras qui rendra ce commerce profitable à la province ; mais il faudra pour cela que les bœufs gras s’exportent avec avantage. Si cette exportation n’est pas plus forte que l’année dernière, ces engrais ne seront que très-peu profitables aux propriétaires.

Les brebis et les moutons ont souffert beaucoup dans les années 1764 et 1765, et presque tous les agneaux ont péri. Ils se vendent, ainsi que la laine, un peu mieux que les années précédentes, ce qui provient de leur rareté. Le prix des cochons a aussi augmenté ; et, si le débit et l’exportation s’en rétablissent comme avant la guerre, ce sera une nouvelle ressource pour la généralité.

Accidents particuliers. — La généralité de Limoges a essuyé cette année moins de grêle que l’année précédente. Par les procès-verbaux des officiers des élections, on trouve vingt et une paroisses grêlées dans celle de Limoges ; vingt-huit dans celle d’Angoulême ; onze dans celle de Tulle ; vingt-neuf dans celle de Brive, et quatre dans celle de Bourganeuf ; ce qui fait en total quatre-vingt-treize paroisses.

Cette calamité, soit par rapport au nombre, soit par rapport à la perte éprouvée, est bien moins considérable que celle de l’année 1764, dont les funestes effets subsistent encore en partie, et dont le nombre montait à deux cent vingt-huit paroisses, ce qui faisait plus du quart de la généralité. L’on ne peut se dissimuler qu’elle a moins à se plaindre à cet égard ; mais il faut avouer aussi que, surtout dans la partie du Limousin, les pluies continuelles ont produit cette année un mal plus général, et par là plus considérable que celui que la grêle avait produit l’année dernière, puisque la récolte a été incomparablement plus mauvaise en Limousin. Il est vrai que dans l’Angoumois, qui compose à peu près le tiers de la généralité, la récolte a été moins mauvaise cette année. On doit surtout remarquer que les paroisses de l’Angoumois qui ont été écrasées en totalité par la grêle du 27 juin 1764 ont souffert non-seulement par la perte totale de leur récolte, mais encore par la destruction du bois des vignes et des arbres fruitiers, par la ruine des bâtiments et par la dispersion d’une partie des cultivateurs, ce qui rendra la perte très-sensible encore pendant plusieurs années.

On croit devoir encore ajouter aux accidents particuliers les ravages des papillons de blé qui ont continué dans l’Angoumois, et ceux des charançons dans le Limousin, qui ont obligé un grand nombre de particuliers de se défaire de leurs grains à la hâte ; ce qui diminue tout à la fois le revenu des propriétaires en rendant la vente moins avantageuse, et les ressources pour la subsistance du peuple en épuisant la province des grains qu’elle a produits, et qui n’y peuvent être remplacés pour la consommation qu’avec l’augmentation des frais de transport qui sont en pure perte.

La roi a eu la bonté, l’année dernière, d’accorder à la généralité de Limoges 280,000 livres de moins imposé. Les motifs que nous lui avions présentés étaient, premièrement, la surcharge que la province éprouve depuis longtemps dans la répartition générale des impositions sur le royaume ; surcharge établie par la comparaison de la taxe à laquelle sont assujettis les domaines du Limousin avec celles que supportent des domaines de pareille valeur en Poitou, en Saintonge, en Périgord, provinces qui sont affranchies de la gabelle comme le Limousin ; surcharge prouvée par l’empressement des contribuables à choisir par préférence leur domicile dans les provinces voisines ; surcharge telle, qu’en comptant les vingtièmes le roi tire de presque toutes les terres plus que le propriétaire, c’est-à-dire plus de la moitié, et quelquefois les deux tiers du produit net[10].

Le second motif était les accidents généraux de grêle et la médiocrité de la récolte dans une grande partie de la province.

Le troisième motif était la grêle extraordinaire accompagnée d’ouragans, qui avait tellement ravagé plusieurs paroisses des environs d’Angoulême, que non-seulement la récolte entière de l’année a été anéantie, mais que les vignes, les arbres et les bâtiments ont été endommagés pour plusieurs années. La décharge qu’il a été nécessaire d’accorder à ces paroisses sur l’imposition de 1765 a absorbé 80,000 francs du moins imposé que Sa Majesté avait bien voulu accorder.

De ces trois motifs, le premier subsiste dans son entier, et subsistera probablement jusqu’à ce que, par un travail très-long et très-difficile, et dont les principes sont même très-peu connus, le gouvernement ait pu se procurer des moyens suffisants pour comparer, en connaissance de cause, les forces des différentes provinces du royaume.

Il résulte du compte que nous venons de rendre de la situation de la province et de ses productions, que cette situation n’est pas en général plus avantageuse que l’année dernière, et que la partie du Limousin souffrira au moins autant du défaut général de ses récoltes de 1765 à 1766, que celle de l’Angoumois avait souffert de 1764 à 1765. La seconde considération qui avait engagé le roi à traiter favorablement la province en 1765 subsiste donc dans toute sa force, et doit faire espérer que Sa Majesté voudra bien lui continuer les mêmes bontés.

À l’égard du fléau particulier qu’un certain nombre de paroisses de l’Angoumois avaient essuyé l’année dernière, nous avons observé que les pertes ne s’étant pas bornées à la récolte de l’année, mais ayant encore détérioré le fonds pour quelques années, il serait indispensable de leur continuer pendant celle-ci la moitié du soulagement qu’elles avaient obtenu l’année dernière, ce qui absorbera 40,000 livres, au lieu de 80,0000 livres, sur le moins imposé de 1766. Cette réflexion pourrait conduire à continuer cette année le moins imposé de 1765, à 40,000 livres près. Mais nous prendrons la liberté de représenter que, par ce moyen, l’augmentation d’environ 36,000 livres sur le brevet de la taille portera tout entière en augmentation effective de l’année dernière à cette année ; et nous ajouterons que cette augmentation, qui a pour objet la dépense des haras, sera d’autant plus sensible, que les anciens privilèges donnés aux gardes étalons et aux propriétaires des juments, qui font déjà une charge sur la province d’environ 15,000 livres, ne sont pas supprimés.

Nous ne devons pas oublier un autre motif bien propre à déterminer le roi à soulager les habitants de cette province : ce sont les maladies épidémiques qui, depuis l’année dernière, ont régné dans plusieurs cantons, et enlevé un très-grand nombre de chefs de famille. Ces maladies étaient des dyssenteries putrides et des fièvres pourprées ; elles ont fait périr beaucoup de monde l’automne dernier, et ont commencé à la fin de cet été avec plus de violence que jamais, malgré les mesures que l’on a prises pour procurer des secours aux malades.

Dans ces circonstances, je crois devoir supplier Sa Majesté de vouloir bien continuer, cette année, à la généralité de Limoges une diminution égale à celle de l’année dernière, c’est-à-dire de 280,000 livres[11].


Mémoire sur la surcharge d’impositions qu’éprouvait la généralité de Limoges, dans lequel l’auteur traite incidemment de la grande et de la petite culture, adressé au Conseil en 1766.

On se plaint depuis longtemps dans la généralité de Limoges de l’excès des impositions, ou de leur disproportion avec les produits de la terre et le peu de richesse des habitants ; on y est généralement persuadé que cette province est beaucoup plus chargée que les provinces voisines. Il n’est certainement aucun de ceux qui l’ont successivement administrée qui n’ait été frappé de ce cri universel, et je sais que tous mes prédécesseurs ont fait avant moi à ce sujet de vives représentations au Conseil. Elles ont été jusqu’à présent sans succès.

Il est assez naturel que toutes les provinces se plaignant à peu près également, et le Conseil ne pouvant connaître par lui-même à quel point leurs plaintes sont fondées, il les regarde à peu près du même œil et laisse les choses comme elles sont. Le témoignage même des intendants est suspect, parce que, désirant tous procurer du soulagement à la province qui leur est confiée, ils en plaident la cause avec un zèle égal. On résiste d’autant plus volontiers à leurs sollicitations, que les besoins de l’État ne permettent guère de soulager une province sans répartir en augmentation sur les autres les diminutions qu’on lui accorderait.

Je dois croire cependant que, si l’on pouvait mettre sous les yeux du roi la surcharge d’une de ces provinces d’une manière si claire et si démonstrative qu’il n’y eût plus aucun lieu au doute, sa justice et sa bonté le détermineraient à remédier sur-le-champ au mal.

Il n’est malheureusement pas aussi facile qu’on le croirait au premier coup d’œil d’établir d’une manière précise et convaincante la proportion réelle des impositions avec le revenu des fonds, et de comparer cette proportion dans une province à celle qui règne dans une autre ; et, quoique la notoriété publique et l’aveu des habitants des provinces voisines du Limousin m’aient convaincu depuis longtemps de la réalité de la surcharge dont celle-ci se plaint, il s’est passé un assez long intervalle avant que j’aie pu me procurer aucun résultat précis et propre à établir sans réplique la justice de ces plaintes.

Dans les provinces riches, telles que la Normandie, la Picardie, la Flandre, l’Orléanais, les environs de Paris, rien n’est plus facile que de connaître la véritable valeur des biens-fonds et son rapport avec le taux de l’imposition. Toutes les terres y sont affermées, et leur valeur dans les baux est une chose notoire ; on connaît même la valeur de celles que quelques propriétaires font valoir et qui presque toutes ont été affermées ; tous les fermiers du canton savent ce qu’ils en donneraient de ferme. La proportion de la taille au prix des baux est aussi une chose connue et sur laquelle on ne peut se tromper. On peut dire que dans ce pays le cadastre est pour ainsi dire tout fait quant à l’évaluation des fonds.

L’état des choses est bien différent dans les provinces pauvres de l’intérieur du royaume, telles que le Bourbonnais, le Limousin et toutes les provinces abandonnées à la petite culture, à la culture par métayers.

Il est beaucoup question depuis quelque temps dans les ouvrages économiques de cette distinction entre la grande et la petite culture, distinction qui frappera les yeux de quiconque aura des terres dans deux des provinces où ces cultures sont respectivement en usage, mais qu’on a contestée, parce que les écrivains qui en ont le plus parlé ont négligé de s’expliquer assez clairement sur leurs vrais caractères distinctifs.

Il est absolument nécessaire de fixer les idées à ce sujet ; car, sans cette connaissance fondamentale, il serait impossible de faire aucun travail solide sur l’évaluation des biens-fonds dans les différentes provinces : on parlerait toujours sans s’entendre, et on se laisserait entraîner par cette confusion dans des erreurs funestes et destructives.

Les détails dans lesquels sont entrés quelques auteurs sur ces deux sortes de culture ont donné lieu à bien des personnes de s’imaginer que ce qu’on entendait par grande culture était la culture qui s’exécute avec des chevaux, et que la petite culture était celle qui s’exécute avec des bœufs. Quoiqu’il soit vrai qu’en général on n’emploie point de chevaux dans la petite culture, il s’en faut bien que ce soit là le vrai caractère de ces deux cultures, qui mettent ou plutôt qui supposent entre les deux parties du royaume qu’elles occupent une si énorme différence dans la valeur des terres et l’aisance du peuple. Il y a dans plusieurs provinces de grande culture des cantons où l’on travaille les terres avec des bœufs, et je connais en Normandie des terres louées 15 livres l’arpent et labourées de cette manière.

Ce qui distingue véritablement et essentiellement les pays de grande culture de ceux de petite culture, c’est que, dans les premiers, les propriétaires trouvent des fermiers qui leur donnent un revenu constant de leur terre et qui achètent d’eux le droit de la cultiver pendant un certain nombre d’années. Ces fermiers se chargent de toutes les dépenses de la culture, des labours, des semences, de meubler la ferme de bestiaux de toute espèce, des animaux et des instruments de labour. Ces fermiers sont de véritables entrepreneurs de culture, qui ont à eux, comme les entrepreneurs dans tout autre genre de commerce, des fonds considérables, et qui les font valoir par la culture des terres. Lorsque leur bail est fini, si le propriétaire ne veut plus le continuer, ils cherchent une autre ferme où ils puissent transporter leurs richesses et les faire valoir de la même manière. Le propriétaire de son côté offre sa terre à louer à différents fermiers. La concurrence de ces fermiers donne à chaque terre, à raison de la bonté du sol, une valeur locative courante, si j’ose ainsi parler, valeur constante et propre à la terre, indépendamment de l’homme qui la possède. Il n’y a pas de propriétaire de biens-fonds, dans quelqu’une des provinces que je viens de nommer, qui ne sache que les choses s’y passent ainsi.

Il est bien évident que cette valeur locative universelle, cette égalité de culture qui fertilise la totalité du territoire, n’est due qu’à l’existence de cette espèce précieuse d’hommes qui ont non pas seulement des bras, mais des richesses à consacrer à l’agriculture ; qui n’ont d’autre état que de labourer, non pour gagner leur vie à la sueur de leur front comme des ouvriers, mais pour employer d’une manière lucrative leurs capitaux, comme les armateurs de Nantes et de Bordeaux emploient les leurs dans le commerce maritime. Là où les fermes existent, là où il y a un fonds constant de richesses circulant dans les entreprises d’agriculture, là est la grande culture : là, le revenu des propriétaires est assuré, et il est facile de le connaître.

Les pays de petite culture, c’est-à-dire au moins les quatre septièmes de l’étendue du royaume[12], sont ceux où il n’existe point d’entrepreneurs de culture ; où un propriétaire qui veut faire valoir sa terre ne trouve pour la cultiver que des malheureux paysans qui n’ont que leurs bras ; où il est obligé de faire à ses frais toutes les avances de la culture, bestiaux, instruments, semences, d’avancer même à son métayer de quoi se nourrir jusqu’à la première récolte ; où par conséquent un propriétaire qui n’aurait d’autre bien que sa terre, serait obligé de la laisser en friche. C’est dans ce pays que le proverbe : « Tant vaut l’homme, tant vaut sa terre », est exactement vrai, parce que la terre par elle-même n’y a aucune valeur.

Après avoir prélevé la semence et les rentes dont le bien est chargé, le propriétaire partage avec le métayer ce qui reste des fruits, suivant la convention qu’ils ont faite entre eux.

Le propriétaire, qui fait les avances, court tous les risques des accidents de récoltes, des pertes de bestiaux ; il est le seul véritable entrepreneur de la culture. Le métayer n’est qu’un simple manœuvre, un valet auquel il abandonne une part des fruits pour lui tenir lieu de gages. Mais le propriétaire n’a pas dans son entreprise les mêmes avantages que le fermier, qui la conduit lui-même avec attention et avec intelligence : le propriétaire est forcé de confier toutes ses avances à un homme qui peut être négligent ou fripon, et qui n’a rien pour en répondre.

Ce métayer, accoutumé à la vie la plus misérable, et qui n’a ni l’espérance ni même le désir de se procurer un état meilleur, cultive mal, néglige d’employer les terres à des productions commerçables et d’une grande valeur ; il s’occupe par préférence à faire venir celles dont la culture est moins pénible et qui lui procurent une nourriture plus abondante, comme le sarrasin et surtout la châtaigne, qui ne donne d’autre peine que de la ramasser. Il est même assez peu inquiet sur sa subsistance ; il sait que, si la récolte manque, son maître sera obligé de le nourrir pour ne pas voir abandonner son domaine. Le maître est sans cesse en avance avec lui. Lorsque l’avance est grossie jusqu’à un certain point, le métayer, hors d’état d’y satisfaire, abandonne le domaine. Le maître, qui sent que les poursuites seraient inutiles, en cherche un autre, et se trouve fort heureux quand celui qui le quitte, content de lui faire banqueroute, ne lui vole pas le reste de ses effets.

Les propriétaires, qui ne font des avances que parce qu’ils ne peuvent faire autrement, et qui sont eux-mêmes peu riches, les bornent au plus strict nécessaire : aussi n’y a-t-il aucune comparaison à faire entre les avances d’un propriétaire pour la culture de son domaine dans un pays de petite culture, et celles que font les fermiers dans les pays de grande culture. C’est cette épargne forcée sur les avances de la culture qui fait que, dans tous les pays de petite culture, on ne laboure point avec des chevaux : ce n’est pas seulement parce que l’achat des chevaux est plus cher, et parce que l’on n’a pas la ressource, lorsqu’ils deviennent vieux, de les engraisser pour les revendre à profit ; c’est surtout parce que le bœuf ne coûte presque rien à nourrir ; c’est parce qu’il se contente de l’herbe qu’il trouve dans les landes et dans ce qu’on appelle des patureaux.

On laisse en friche une partie de son fonds pour pouvoir cultiver l’autre. Ce sacrifice tient lieu des avances qu’on n’est pas en état de faire ; mais cette épargne est une perte immense sur l’étendue des terres cultivées, et sur les revenus des propriétaires et de l’État.

Une conséquence qui résulte de ce système de culture est que, dans la totalité des produits que le propriétaire retire annuellement de son domaine, sont confondus les intérêts légitimes de ses avances. Cependant, ces intérêts ne doivent et ne peuvent jamais être considérés comme le revenu de la terre, car ce capital, employé à tout autre usage, eût produit le même intérêt. Dans les pays de grande culture, un fermier qui fait les avances en retire l’intérêt avec profit, et tout ce qui rentre au fermier est absolument étranger au revenu du propriétaire. On doit donc le déduire dans l’évaluation du revenu de la terre, lorsque le propriétaire fait les avances. Cette réflexion aura son application dans la suite.

Je ferai encore une autre observation importante sur l’effet qu’a dû produire, relativement à la culture, dans ces deux systèmes différents, l’établissement de la taille et des autres impositions auxquelles les cultivateurs sont assujettis.

Dans les pays de grande culture, le fermier, en passant son bail, sait que la taille est à sa charge, et il a fait son calcul en conséquence. Il faut que ses fonds lui rentrent avec le profit raisonnable qu’il doit attendre de ses avances et de ses soins. Il donnerait le surplus au propriétaire, s’il n’y avait point d’impôt ; il lui est indifférent de le donner au roi. Ainsi l’impôt, quand il est réglé et constant, et quand la terre est affermée, n’affecte et ne peut affecter que le revenu du propriétaire, sans entamer le capital des avances destinées aux entreprises d’agriculture ; il n’en est pas de même lorsque l’impôt assis sur le fermier est variable et sujet à des augmentations imprévues. Il est évident que, jusqu’au moment où le fermier peut renouveler son bail, le nouvel impôt est entièrement à sa charge ; et que, s’il avait porté sa ferme à son juste prix, il ne peut satisfaire à cette nouvelle charge qu’en prenant sur son profit annuel, c’est-à-dire sur sa subsistance et celle de sa famille, ou en entamant ses capitaux, ce qui à la longue le mettrait hors d’état de continuer ses entreprises.

Depuis le premier établissement des tailles jusqu’à présent, les impôts n’ont pas cessé d’augmenter d’une manière graduelle et plus ou moins sensible, à mesure que les besoins de l’État ont augmenté. Cette augmentation, continuée pendant plusieurs siècles, aurait sans doute à la longue absorbé toutes les avances des fermiers et anéanti la grande culture, si elle n’avait été contrebalancée par des causes encore plus puissantes. Voici quelques-unes de ces causes :

1o L’augmentation graduelle de la valeur numéraire du marc d’argent, augmentation qui, se faisant par secousses comme celle des impôts et au milieu des baux, tournait à l’avantage du fermier, qui ordinairement vendait ses denrées plus cher et continuait de payer le loyer sur le pied de la stipulation jusqu’à la fin du bail.

2o La diminution graduelle et successive de l’intérêt de l’argent qui, depuis deux siècles et demi, est tombé de 12 pour cent à 10, à 5, diminution qui suppose et qui produit une très-grande augmentation dans la masse des capitaux, et qui, forçant les propriétaires des richesses mobilières à se contenter d’un moindre profit, a dû conserver à l’agriculture des capitaux qui auraient été divertis à des emplois plus avantageux, si l’intérêt de l’argent était resté à son ancien taux.

3o L’accroissement des débouchés et des consommations dans les provinces qui sont à portée de la mer et de la capitale, les seules où la grande culture soit établie et où elle s’est non-seulement soutenue, mais peut-être même augmentée.

De cette espèce de compensation, il est résulté que les impôts n’ont pas fait dans les provinces de grande culture un tort sensible à l’agriculture, parce que les fermiers ont toujours su en rejeter le poids sur les propriétaires. Les choses se sont passées différemment dans les provinces de petite culture.

L’usage de partager les fruits par moitié entre le propriétaire et le cultivateur est d’une antiquité beaucoup plus reculée que l’établissement des tailles. Quand tous les monuments anciens ne le prouveraient pas, le seul nom de métayer, ou colon à moitié fruit, l’indiquerait suffisamment. Ce partage des fruits à moitié pouvait procurer alors aux paysans un sort assez heureux ; leur aisance devait tourner au profit de la culture et, par conséquent, du revenu. Si cet état eût duré, les métayers se seraient peu à peu assez enrichis pour se procurer eux-mêmes un capital en bestiaux ; alors, ils auraient pu faire avec le propriétaire un forfait pour avoir la totalité des fruits. Celui-ci aurait préféré cet arrangement, qui lui aurait procuré la jouissance de son revenu sans aucun soin. Il y a tout lieu de penser que l’usage d’affermer les terres ne s’est pas établi autrement, et que dans les provinces où la grande culture fleurit aujourd’hui, c’est ainsi qu’elle s’est peu à peu substituée à la petite, qui sans doute était universelle autrefois, puisque la grande suppose une masse de capitaux, et que les capitaux n’ont pu s’accumuler qu’avec le temps.

Si, dès la première origine, l’impôt eût été demandé aux propriétaires, ce progrès naturel des choses n’eût point été dérangé ; mais la taille n’ayant été d’abord qu’une espèce de capitation personnelle assez légère, et tous les nobles en étant exempts, lorsque l’augmentation obligea de la répartir à proportion des facultés des taillables, on taxa ceux qui exploitaient des terres à raison de leurs exploitations. C’était un moyen d’éluder le privilège de la noblesse. Tant que l’imposition fut modérée, le métayer y satisfit en prenant un peu sur son aisance ; mais, l’impôt ayant toujours augmenté, cette part du cultivateur a si fort diminué, qu’à la fin il s’est trouvé réduit à la plus profonde misère.

Cette misère était d’autant plus inévitable, qu’aucune des causes qui ont empêché l’appauvrissement des fermiers par les impôts, dans les pays de grande culture, n’a pu influer sur le sort des métayers de la petite : l’augmentation de la valeur numéraire du marc d’argent leur a été entièrement indifférente, puisqu’ils ne stipulaient point en argent avec le propriétaire, et qu’ils partageaient avec lui les fruits de la terre en nature.

La diminution de l’intérêt de l’argent n’a pu produire aucun effet dans ces provinces. Son effet immédiat est de conserver à l’agriculture des fonds que de trop grands profits détourneraient ailleurs. Mais les métayers de la petite culture ne sont pas exposés à une pareille tentation ; le bas intérêt de l’argent ne peut conserver à l’agriculture des capitaux qui n’existent point : ces cultivateurs ne possèdent même pas assez pour pouvoir emprunter, et ils ne peuvent, à aucun égard, profiter de l’abaissement de l’intérêt.

Enfin, la même cause qui augmentait les débouchés et la consommation dans les provinces voisines de la mer et de la capitale, les diminuait dans les provinces de l’intérieur ; puisque cette cause n’était autre que l’augmentation des dépenses du gouvernement, et le transport de celles des propriétaires qui, se réunissant de tous côtés dans la capitale, allaient y dépenser le revenu qu’ils dépensaient autrefois chez eux, et en diminuaient par là même la source.

Ces réflexions peuvent expliquer comment il est possible que les cultivateurs soient plongés dans l’excès de misère où ils sont aujourd’hui en Limousin et en Angoumois, et peut-être dans d’autres provinces de petite culture. Cette misère est telle que, dans la plupart des domaines, les cultivateurs n’ont pas, toute déduction faite des charges qu’ils supportent, plus de 25 à 30 livres à dépenser par an pour chaque personne (je ne dis pas en argent, mais en comptant tout ce qu’ils consomment en nature sur ce qu’ils ont récolté) : souvent ils ont moins, et lorsqu’ils ne peuvent absolument subsister, le maître est obligé d’y suppléer.

Quelques propriétaires ont bien été, à la fin, forcés de s’apercevoir que leur prétendu privilège leur était beaucoup plus nuisible qu’utile, et qu’un impôt, qui avait entièrement ruiné leurs cultivateurs, était retombé en entier sur eux ; mais cette illusion de l’intérêt mal entendu, appuyée par la vanité, s’est soutenue longtemps, et ne s’est dissipée que lorsque les choses ont été portées à un tel excès, que les propriétaires n’auraient trouvé personne pour cultiver leurs terres, s’ils n’avaient consenti à contribuer avec leurs métayers au payement d’une portion de l’impôt. Cet usage a commencé à s’introduire dans quelques parties du Limousin, mais il n’est pas encore fort étendu ; le propriétaire ne s’y prête qu’autant qu’il ne peut trouver de métayer autrement. Ainsi, même dans ce cas-là, le métayer est toujours réduit à ce qu’il faut précisément pour ne pas mourir de faim.

Je sais que les provinces de petite culture ne sont pas toutes réduites à ce dernier degré de la misère : le plus ou le moins de proximité des débouchés, les rentes plus ou moins fortes dont les terres sont chargées envers les seigneurs, le plus ou le moins d’impositions que supportent les différentes provinces ; enfin, une foule de circonstances, ont dû mettre une très-grande inégalité entre les différentes provinces où règne la petite culture, et dans la multitude de nuances dont elle est susceptible. Il doit s’en trouver qui se rapprochent presque entièrement des produits de la grande culture ; comme, dans les dégradations de la grande culture, on doit trouver des exploitations presque aussi mauvaises que celles de la petite culture. Des fermiers exploitants qui, au lieu d’une part des fruits, donneraient au propriétaire un loyer fixe, mais qui ne fourniraient ni les bestiaux, ni les outils aratoires, formeraient une culture mitoyenne entre la grande et la petite. Il y a de ces sortes de fermiers dans toutes les provinces, et même dans les plus pauvres de celles qui sont condamnées à la petite culture. Quelques paysans plus intelligents, et qui savent tirer meilleur parti des terres que le commun des métayers, consentent quelquefois à les affermer, et l’on en voit plusieurs exemples dans toutes les parties de ma généralité, quoiqu’ils y soient peut-être moins fréquents qu’ailleurs. — Il ne faut pas confondre non plus ces fermiers exploitants, avec les fermiers qui afferment de la plupart des seigneurs la totalité de leurs terres. Ces derniers perçoivent les rentes des tenanciers, font les comptes avec les métayers, courent les risques de perte et de gain, et rendent une somme fixe au propriétaire[13] ; mais ils ne sont point laboureurs, et ne font rien valoir par eux-mêmes.

L’idée que je viens de donner de la petite culture, de ses causes et de ses effets, peut faire comprendre comment la généralité de Limoges, étant une des provinces où cette culture est pour ainsi dire restée au plus bas degré, doit avoir un revenu très-faible, et par conséquent se trouver très-surchargée d’impositions.

La rareté des baux rend le point précis de cette surcharge très-difficile à déterminer : j’ai cependant cherché à m’en procurer quelques-uns, ainsi que des contrats de vente ; je n’ai pu faire usage que d’un petit nombre, parce que j’ai été obligé d’écarter tous ceux dont quelque circonstance pourrait rendre les résultats douteux.

Les deux seules élections sur lesquelles j’aie eu des éclaircissements assez précis pour en faire usage, sont celle de Tulle et celle d’Angoulême. Celle de Tulle passe pour être la plus surchargée de la généralité, et deux choses paraissent le prouver : l’une, l’excessive lenteur des recouvrements ; l’autre, la multitude de domaines abandonnés, indiqués sur les rôles, et dont on est obligé de passer l’imposition pour mémoire, ou de l’allouer en non-valeur aux collecteurs.

Les éclaircissements que j’ai reçus sur l’élection d’Angoulême ont cela de précieux, qu’ils me fournissent des moyens de comparaison très-précis entre les impositions de la généralité de La Rochelle et celles de la généralité de Limoges.

Je commence par l’élection de Tulle.


Comparaison du montant des impositions dans l’élection de Tulle,
avec le revenu des biens affermés.

Cinq domaines dans quatre paroisses différentes, et assez éloignées les unes des autres, sont affermés ensemble 800 liv.

L’estimation des fonds de ces cinq domaines, faite du temps de M. Tourny, pour servir de base à l’imposition, est de 1,027 liv., forcée de plus d’un quart en sus du prix des baux. L’imposition est réglée par cette estimation. Les vingtièmes montent à 113 liv. 1 sou. La taille, la capitation et autres impôts accessoires, sont de 621 liv. 12 sous 5 deniers ; par conséquent, le roi tire de ces fonds 734 liv. 13 sous 5 deniers.

Le propriétaire qui, de son côté, sur ces 800 liv., paye 113 liv. 1 sou, n’a de net que 686 liv. 19 sous ; ainsi :

La part du propriétaire est de
   686 l. 19 s. » d.
Celle du roi est de
   754    15     5    
––––––––––––––––––
Le revenu total est de
1,421    12     5    
––––––––––––––––––

D’où il est aisé de conclure que le roi a plus de 56 et demi pour 100 du produit total, et le propriétaire moins de 43 et demi pour 100.


Comparaison du montant des impositions avec le revenu des biens
établi par le prix des contrats de vente.

Différents domaines et héritages, vendus dans cinq paroisses différentes, montent ensemble à la valeur de 7,616 liv. 15 sous. Les biens-fonds se vendent communément sur le pied du denier trente, non pas dans toute la généralité de Limoges, mais dans la partie du Limousin qui est régie par le droit écrit, la facilité de disposer de ces biens par testament les faisant rechercher.

Ce prix est tellement regardé comme le prix ordinaire des biens-fonds, que les directeurs du vingtième, qui évaluent le revenu des biens vendus en Angoumois sur le pied du denier vingt des contrats, n’évaluent celui des biens vendus en Limousin que sur le pied du denier trente.

Le revenu de 7,616 liv. 15 sous au denier trente est de 253 liv. 17 sous 10 deniers. L’estimation du revenu de ces mêmes biens, qui sert de base aux impositions, est de 336 liv. 16 sous, ou plus forte d’un tiers en sus. Les vingtièmes montent à 37 liv. 1 sou. La totalité des impositions taillables est de 217 liv. 11 deniers, en défalquant du revenu des propriétaires les vingtièmes qu’ils payent au roi.

La part des propriétaires est de
216 l. 16 s. 10 d.
Celle du roi de
254      1     11    
––––––––––––––––––
Le produit total de
470     18      9    
––––––––––––––––––

Le roi a, suivant ce calcul, un peu moins de 54 pour cent, et le propriétaire un peu plus de 46 du produit total. Quand on évaluerait le revenu de ces fonds au denier vingt-cinq,

La part du propriétaire serait de
267 l. 12 s.  3 d.
Celle du roi de
254      1    11    
––––––––––––––––
Le produit total de
521    14     2    
––––––––––––––––

Le roi aurait toujours un peu moins de 49 liv. pour 100 du revenu total ; Le propriétaire un peu plus de 51 liv. pour 100 du revenu total.

Voici maintenant les résultats des détails que je me suis procurés sur l’élection d’Angoulême.


Comparaison du taux des impositions avec le revenu des domaines affermés dans l’élection d’Angoulême, et dans les paroisses voisines de la généralité de La Rochelle.
Domaines d’Angoumois.
Part du propriétaire
599 liv.

moins de 51 pour 100.

Part du roi
571    

Plus de 48 pour 100.

––––––––––
                                                  Produit total
1,170    
––––––––––
Domaines de Saintonge.
Part du propriétaire
356 liv.

Un peu moins de 76 pour 100.

Part du roi
120     

Un peu plus de 24 pour 100.

––––––––––
                                                  Produit total
476     
––––––––––

Par le résultat de cette comparaison, il paraît que le rapport des impositions de l’Angoumois à celles de la Saintonge est de quatre à deux, ou que le roi lève deux fois plus d’impôts à proportion en Angoumois qu’en Saintonge.


Comparaison des impositions avec le revenu en Angoumois et en Saintonge, par l’analyse des produits des domaines situés dans les deux provinces.

Rien n’est si difficile que d’évaluer exactement le produit des fonds qui ne sont point affermés, et c’est une des causes qui contribuera le plus à rendre l’opération du cadastre aussi difficile dans les pays de petite culture, qu’elle sera facile dans les provinces où la grande culture est en usage. Le meilleur moyen d’établir des principes certains sur cette matière serait de se procurer un compte exact de toutes les dépenses, de toutes les productions, de toutes les ventes, de toutes les pertes, de tous les profits survenus pendant plusieurs années consécutives dans un domaine, et de répéter cette opération sur un très-grand nombre de domaines. Malheureusement, l’exécution de ce plan est presque impossible : la plupart des propriétaires n’écrivent point, et ne pourraient tenir des livres en ordre, parce qu’il est très-rare que les métayers sachent lire et écrire, et que la plupart des opérations se font par eux ; les propriétaires se contentent de partager au bout de l’année ce qui reste de fruits, et d’arrêter leurs comptes avec leurs métayers.

J’ai vainement demandé ce travail à plusieurs personnes ; aucune n’a pu me satisfaire, à l’exception de mon subdélégué de la Valette en Angoumois, homme très-intelligent et très-exact, et d’autant plus propre à me procurer des éclaircissements sur lesquels je puisse compter, qu’il habite sur les limites des deux provinces, et qu’il a tout son bien en Saintonge : il a pris la peine de compter exactement tous les produits d’un de ses domaines, et toutes les dépenses de tout genre attachées à son exploitation. Il s’est procuré les mêmes connaissances sur un autre domaine situé aussi en Saintonge, et sur deux domaines situés en Angoumois ; et il m’a envoyé depuis peu une analyse très-détaillée de ces quatre domaines.

Pour pouvoir compter avec une certitude absolue sur les résultats de ces analyses, il faudrait, sans doute, qu’elles eussent été continuées pendant un certain nombre d’années ; mais on sent aisément qu’il n’a pas été possible de retrouver des détails de ce genre qui n’avaient jamais été écrits. Mon subdélégué a donc été obligé de se borner à l’année 1765; mais, les quatre domaines étant situés dans le même canton, le rapport qui en résultera, sur la comparaison entre les impositions de l’Angoumois et de la Saintonge, n’en sera pas moins exact, et il méritera d’autant plus de foi, que mon subdélégué, dont tout le bien est en Saintonge, n’est pas un témoin récusable, lorsqu’il prouve que la Saintonge est moins chargée que l’Angoumois, et qu’il le prouve par l’exemple de son propre bien.

Voici le résultat de cette analyse, dont je crois inutile de présenter ici le détail.

Domaines d’Angoumois.
Part du propriétaire
157 liv.

un peu moins de 43 pour 100.

Part du roi, compris les vingtièmes, montant à 29 liv. 14 sous
183     

Un peu plus de 56 pour 100.

––––––––––
                                                  Produit total
320    
––––––––––

Domaines de Saintonge.
Part du propriétaire
669 liv.

Un peu moins de 80 pour 100.

Part du roi
165     

Un peu plus de 19 pour 100.

––––––––––
                                                  Produit total
854     
––––––––––

Cette comparaison donne le rapport des impositions de l’Angoumois à celles de la Saintonge, de 5 et 7/10 à 2, plus inégal encore que le premier.


Comparaison des impositions de l’Angoumois à celles de la Saintonge, par le rapport du montant des impositions, avec la somme des productions indiquée par la ferme des dîmes.

Le même subdélégué a tenté un autre moyen de comparaison, qui ne peut servir à établir la charge absolue des fonds dans aucune des deux provinces, mais qui est très-bon pour faire voir dans quel rapport l’une est plus chargée que l’autre.

Il a trouvé dans son canton cinq paroisses de l’Angoumois, et deux de la Saintonge, dont toutes les dîmes étaient affermées ; il a recherché, d’après la quotité connue de la dîme dans chacune de ces paroisses, quelle était la valeur totale des fruits qui restaient aux habitants, et il l’a comparée au principal de la taille.

Le montant des dîmes des cinq paroisses de l’Angoumois suppose pour les habitants 93,940 liv. de productions : le principal de la taille y est de 21,740 liv., c’est un peu plus de 23 pour 100.

La ferme des dîmes dans les deux paroisses de la généralité de La Rochelle, indique 26,525 liv. pour la valeur des productions recueillies par les habitants : le principal de la taille est de 2,358 l., ce n’est que 8 et 4/5 pour 100.

Le rapport des impositions de l’Angoumois à celles de la Saintonge est de plus de 5 à 2. Ce rapport n’est établi que sur le produit brut, sans égard aux frais, et non sur le revenu ou produit net, frais déduits. Mais mon subdélégué observe avec raison que dans des paroisses d’un même canton, où les productions et les procédés de la culture sont les mêmes, les frais sont dans la même proportion avec les produits.

Je me suis assuré que le rapport des impositions accessoires, au principal de la taille, est le même dans les deux généralités, c’est-àdire environ à 12 sous 6 deniers pour livre de la taille[14]. Ainsi, rien n’altère le rapport trouvé de 5 à 2.


Comparaison des impositions de l’Angoumois et de la Saintonge, par la comparaison des impositions mises sur les mêmes fonds taxés par double emploi dans les deux généralités.

Suivant les règles établies dans les pays de taille personnelle, adoptées à cet égard dans le tarif de la généralité de Limoges, les fonds situés dans l’une des généralités, et dépendants de corps de domaine situés dans l’autre, doivent être imposés au feu vif, c’est-à-dire au lieu du bâtiment principal. Les commissaires qui font les rôles dans la généralité de Limoges se sont toujours conformés à cette règle ; mais les collecteurs dans la généralité de La Rochelle ont toujours fait difficulté de s’y assujettir. Il est résulté de là, dans presque toutes les paroisses limitrophes de ces deux généralités, une foule de doubles emplois qui ont occasionné beaucoup de plaintes. Ces plaintes m’ont engagé à faire faire un relevé général des fonds ainsi imposés, par double emploi, dans les deux généralités, afin de me concerter avec M. l’intendant de La Rochelle pour le faire supprimer[15], Dans ces relevés, on a marqué exactement l’imposition que supportent en Saintonge les fonds taxés par double emploi : dans quelques-uns, les commissaires ont eu aussi l’attention de distraire de la cote d’imposition faite sur le corps du domaine l’objet particulier de l’imposition faite sur le fonds situé en Saintonge, à raison de son estimation. La comparaison de ces taxes, faite sur les mêmes fonds dans les deux provinces, présente un tableau d’autant plus frappant de la surcharge de l’Angoumois, qu’on ne doit pas présumer que les collecteurs de la Saintonge aient ménagé les fonds appartenant à des particuliers demeurant en Angoumois. Je n’ai pu faire cette comparaison que sur les relevés de onze paroisses de l’élection d’Angoulême, fort éloignées les unes des autres ; il en résulte que les mêmes fonds, qui tous ensemble payent en Angoumois 558 liv. 8 sous 9 deniers, ne sont taxés en Saintonge qu’à 228 liv. 16 sous 3 deniers, ce qui établit l’inégalité dans le rapport de 4 6/10 à 2.

Il n’est pas possible de n’être point frappé de l’accord de tous ces résultats, trouvés par quatre moyens différents.

Il est constant dans le pays que la disproportion n’est guère moindre entre les impôts de l’Angoumois et du Limousin et ceux du Périgord ; il faut que la chose soit bien notoire, puisqu’elle est avouée par les habitants mêmes du Périgord. Je ne puis douter de cet aveu, qui m’a été fait à moi-même plus d’une fois. La comparaison des impositions du Limousin avec celles du Poitou et du Berry présenterait les mêmes résultats ; mais il m’a été impossible de me procurer, sur ces comparaisons, des détails aussi précis que ceux qui m’ont été fournis sur l’Angoumois et la Saintonge : on trouve très-difficilement des gens capables de travailler avec exactitude, et il est encore plus rare de trouver des gens qui veuillent, comme mon subdélégué de la Valette, dire la vérité à leur préjudice.

Si l’on pouvait compter sur la justesse des évaluations qui servent de base aux vingtièmes, ce serait le moyen le plus court de reconnaître la proportion selon laquelle les provinces sont chargées relativement à leur revenu ; mais cette base est si évidemment fautive, que les résultats n’en méritent aucune considération. Il est notoire que dans le plus grand nombre des provinces, et surtout dans les plus riches, les biens sont en général évalués aux rôles des vingtièmes au-dessous de leur valeur. Et je crois au contraire certain, qu’eh Limousin l’évaluation des fonds de terre est forcée. J’en dirai les raisons plus bas, lorsque j’aurai rendu compte des calculs que j’ai cru devoir faire, nonobstant l’imperfection des évaluations, pour connaître la proportion des impositions avec le revenu supposé.

    Suivant les rôles du vingtième (année 1763), le revenu
de la généralité de Limoges, monterait à
7,426,990 l.   » s.
    Il faut en retrancher, pour avoir la part du propriétaire,
le montant des deux vingtièmes, et 2 sous pour livre,
c’est-à-dire
    816,968    18    
––––––––––––––––––
                                                  Il reste
6,610,021      2    

Les impositions ordinaires, en 1763, en retranchant celles qui n’ont lieu que pendant la guerre, étaient de 3,478,202 l.

La part du propriétaire, d’après ce calcul, monterait à
  6,610,021     2    
Celle du roi, à
  4,295,170   18    
–––––––––––––––––
Le produit total à
10,905,192 l.  » s.
–––––––––––––––––

Le roi aurait à peu près 40 pour cent et le propriétaire 60 pour cent du revenu total. Cette charge, quoique très-forte, paraît au premier coup d’œil l’être beaucoup moins que celle qui résulte des calculs particuliers. Quelques considérations vont démontrer qu’elle en suppose, au contraire, une beaucoup plus forte sur les fonds taillables. En effet, on doit observer que tous les fonds sujets aux vingtièmes ne le sont pas à la taille[16]. Suivant les rôles du vingtième, les fonds appartenant aux nobles et privilégiés sont aux fonds appartenant aux taillables comme 7 est à 13. Quand on supposerait que la totalité des biens des nobles sont des fonds de terre exploités par des colons et par conséquent sujets à la taille d’exploitation[17], ils seraient toujours exempts du tiers de l’imposition taillable qui, suivant l’usage de la généralité de Limoges, tombe sur le propriétaire. Il faudrait donc rapporter ce tiers de l’imposition qu’ils auraient supportée, tant sur le bien des autres taillables qui acquittent le plein tarif, que sur la taxe même d’exploitation que supportent leurs colons. Cette déduction du tiers ne se borne pas même aux biens appartenant aux nobles. Ce tiers imposé sur le propriétaire, ne l’est que dans le lieu de son domicile ; s’il est domicilié dans une ville abonnée ou fixée, où la taille s’impose d’une manière beaucoup plus modérée et arbitrairement, il en éludera la plus grande partie, qui retombera à la charge des autres taillables. J’ai supposé que tous les biens des nobles étaient imposés à la taille d’exploitation. Le contraire est notoire : le plus grand nombre font valoir par eux-mêmes, en exemption, quelques domaines indépendamment de leurs prés, bois, vignes, clôtures, dont l’exemption est regardée par les officiers de l’élection comme une suite de l’exemption de taille personnelle[18]. Il y a de plus une grande partie de leurs biens imposés aux vingtièmes et qui ne sont en aucune manière susceptibles d’être imposés à la taille : ce sont les rentes seigneuriales, qui, dans cette province, forment la partie la plus considérable des revenus des seigneurs. Ce que ces objets auraient supporté, si les impositions avaient été réparties à raison de 40 pour cent sur tous les revenus de la province, est donc rapporté en augmentation sur les fonds taillables, et rend par conséquent la proportion des impôts à leur revenu beaucoup plus forte.

Il y a, sans doute, une compensation en faveur des fonds taillable résultant de la partie de l’impôt supportée par l’industrie et par quelques fonds appartenant aux ecclésiastiques ; mais il s’en faut bien que ces deux objets puissent balancer la suppression du tiers de l’impôt sur tous les fonds appartenant à des nobles ou à des bourgeois domiciliés dans les principales villes, et celle de la totalité de l’impôt sur les fonds exploités en privilège par des nobles, et sur tous les biens dont le genre n’est pas susceptible de la taille d’exploitation. Pour donner, d’après ces points de vue, le calcul précis de la proportion des impositions au revenu des fonds taillables, il faudrait un très-long travail, que je n’ai pu faire, et qui serait ici d’autant plus inutile, que la base des évaluations du vingtième est trop peu sure pour y appuyer tant de calculs. — Il me suffit de prouver que le calcul fait d’après la comparaison de la totalité des revenus indiqués par le montant des vingtièmes avec la totalité des impositions territoriales de la province, ne peut infirmer en rien la certitude des calculs par lesquels j’ai établi une surcharge beaucoup plus considérable que celle de 40 pour cent du revenu. J’ajoute qu’on se tromperait beaucoup si l’on croyait l’évaluation des fonds de la province plus forte, dans la réalité, que celle d’après laquelle le vingtième est imposé ; je crois au contraire celle-ci forcée. Je ne parle que des fonds de terre, car je crois qu’il y a dans la province quelques autres objets de revenu qui sont moins rigoureusement imposés aux vingtièmes, et sur lesquels il peut y avoir même quelques omissions, cette partie ayant été originairement imposée d’après les déclarations des propriétaires, qui n’ont pu être vérifiées que très-difficilement. Mais il n’en est pas de même des fonds de terre : comme, au moyen du tarifement pour la taille introduit par M. de Tourny, tous les fonds existants dans chaque paroisse étaient connus, il n’en a été omis aucun, et la vérification n’a pu consister que dans l’examen des estimations des rôles des tailles. Le contrôleur se transportait dans la paroisse ; il rassemblait quelques baux généraux quand il en trouvait, car il n’y a pas de baux particuliers, et quelques contrats de vente ; il cherchait à connaître la valeur de quelques principaux domaines, en s’informant de la quantité et de la valeur de leurs productions.

Il comparait le revenu qu’il avait trouvé par cette voie avec celui qui était porté aux rôles des tailles pour les mêmes articles, et il augmentait ou diminuait tous les autres fonds de la paroisse, à proportion, par une simple règle de trois. C’est ainsi que le taux des vingtièmes a été fixé pour presque toutes les paroisses de la généralité ; et, de cette manière d’opérer, il a dû résulter d’abord que tous les fonds de la province ont été compris au rôle des vingtièmes ; en second lieu, qu’ils y ont été portés au moins à leur valeur, puisque tous les fonds non vérifiés ont été augmentés comme ceux qui l’avaient été plus particulièrement, et dans la même proportion. La généralité de Limoges diffère donc à cet égard de la plus grande partie des autres provinces, dans lesquelles les vingtièmes s’imposent encore d’après les déclarations des propriétaires, et sont imposés en conséquence très-modérément.

Il est à remarquer, et c’est le plus important, que les contrôleurs, dans toutes leurs évaluations, n’ont eu aucun égard à une des conséquences que j’ai tirées ci-dessus de l’explication du système de la petite culture. Je crois avoir démontré que le propriétaire d’un bien affermé dans les pays de grande culture n’étant obligé aux avances d’aucune espèce, qui toutes roulent sur le fermier, celui-ci se réservant toujours, en fixant le prix de son bail, l’intérêt légitime de ces avances, cet intérêt n’étant par conséquent point compté dans le revenu d’un propriétaire de grande culture, il n’est pas juste de le compter davantage dans le revenu d’un propriétaire de petite culture, qui est déjà assez malheureux d’être obligé à cette avance, sans supporter, à raison de l’intérêt qu’elle lui rapporte, deux vingtièmes dont on est exempt dans les autres provinces parce qu’on y est plus riche. Il est donc juste de défalquer du prix des baux où le propriétaire fournit les avances l’intérêt de ces avances, qui n’est point un revenu de la terre, mais une simple reprise des frais de culture. Non-seulement on n’a point eu cette attention dans l’évaluation des fonds ; mais, lorsqu’on trouvait des baux ou des contrats où il était énoncé que le fonds était dégarni de bestiaux, on augmentait l’évaluation à raison de ce que le domaine garni devait produire.

Le directeur prétend y avoir été autorisé par des décisions du Conseil. Certainement, si ces décisions ont été données, c’est sur un exposé où le fond de la question n’avait pas été bien développé ; et il en résulte que l’évaluation du revenu des fonds est forcée du montant de l’intérêt de tous les cheptels de bestiaux employés à la culture dans la province.

Cette erreur s’est peut-être répandue sur le travail des contrôleurs du vingtième dans les autres provinces de petite culture ; mais ce qui la rend plus funeste à la généralité de Limoges, est que la vérification y a été plus complète qu’ailleurs, quant à la partie des fonds de terre. La seule conséquence que j’en veux tirer ici, c’est que le revenu réel des biens-fonds de la province est beaucoup moins fort que celui qu’on croirait pouvoir conclure du montant des rôles des vingtièmes.

Cette conséquence se vérifie encore par les exemples particuliers de baux et de contrats, que j’ai eu occasion de citer dans ce Mémoire. Dans tous, le vingtième est établi sur une évaluation plus forte que le revenu réel énoncé dans les baux.

Je crois donc être en droit, d’après tous les détails dans lesquels je suis entré, d’assurer que les impositions de la généralité de Limoges montent, en général, de 48 à 50 pour 100 du produit total, et que le roi tire à peu près autant de la terre que le propriétaire. Pendant la guerre, l’ustensile, les milices gardes-côtes, le troisième vingtième, faisaient monter cette proportion beaucoup plus haut. Je doute qu’il y ait aucune généralité où les impositions soient aussi exagérées ; et, certainement, toutes celles où la grande culture est établie sont beaucoup moins chargées, car 45 pour 100 du produit net des terres et de l’intérêt des capitaux employés à la culture feraient plus de 80 pour 100 du revenu des propriétaires. Or, il est notoire que les impositions y sont fort éloignées de ce taux. La plupart de ceux qui ont voulu estimer le plus haut point où pouvait être porté l’impôt territorial l’ont évalué au tiers, ou 33 1/3 pour 100 du produit net, ou 50 pour 100 du revenu des propriétaires. Quand on adopterait le calcul le plus bas, fait d’après la comparaison vague du total des impositions avec le revenu de la province indiqué par les rôles du vingtième, elle serait toujours surchargée de 6 pour 100 du produit total. Pour la réduire à 33 pour 100, il faudrait diminuer les impositions de six trente-neuvièmes, c’est-à-dire de 575,000 liv., distribuées partie sur la taille, partie sur le fourrage et sur la capitation, au prorata du montant de ces différentes impositions : ce serait sur la taille 340 à 350,000 liv., qu’il me paraît juste (j’ose le dire) de retrancher à perpétuité des impositions de la généralité de Limoges, indépendamment des grâces que le roi a la bonté d’accorder aux provinces qui ont souffert d’accidents particuliers, et auxquelles elle ne méritera pas moins de participer lorsqu’elle sera rétablie dans sa véritable proportion.

On peut soulager beaucoup la généralité de Limoges, sans charger d’une manière très-sensible les autres provinces, sur lesquelles il serait nécessaire de répartir ce qu’on lui ôtera. Une somme de 6 à 700,000 fr., répartie sur huit à dix provinces, fait un objet modique pour chacune ; et cette répartition est juste, puisqu’elle n’est que le rétablissement de l’égalité, que le gouvernement a toujours voulu observer entre tous ceux qui doivent contribuer aux charges de l’État.

Il est indubitable que les provinces qui environnent la généralité de Limoges, surtout la Saintonge et le Périgord, supportent beaucoup moins d’impôts qu’elle. Les provinces de grande culture, beaucoup plus riches, sont probablement les moins chargées de toutes à raison de leur revenu : ainsi, l’on ne doit pas être embarrassé de placer la diminution qu’on accorderait à la généralité de Limoges. Je sais qu’on a souvent répondu aux plaintes des habitants du Limousin sur le peu de proportion de leurs impositions avec celles des provinces voisines, qu’il est vrai qu’ils étaient très-chargés de tailles, mais que, comme ils n’avaient ni aides ni gabelles à payer, la plus forte proportion de leurs impositions territoriales était une compensation naturelle et juste de l’exemption de ces deux autres genres d’imposition. Mais les Limousins peuvent répondre, en premier lieu, que les provinces de Saintonge et du Périgord ne sont pas plus sujettes à la gabelle que le Limousin ; qu’à l’égard des aides, l’Angoumois y est sujet, mais que cette imposition n’est guère plus considérable en Saintonge, et que le Périgord en est entièrement exempt. Cependant, ces deux provinces sont incomparablement moins chargées que l’Angoumois.

Ils ont une seconde réponse, meilleure que la première. Ils ne disconviennent pas que les impositions indirectes, comme les aides et les gabelles, n’affectent considérablement le revenu des biens-fonds, et que le poids n’en retombe sur les propriétaires. En conséquence, ils avoueront qu’une province sujette aux aides et à la gabelle doit payer moins d’impôt territorial, à raison de son étendue et de sa fertilité ; mais ils ne doivent point pour cela convenir que des fonds du même revenu doivent payer plus d’impôt territorial dans deux différentes provinces. L’effet des aides et des gabelles sera, si l’on veut, de diminuer le revenu des biens de la province où ces droits sont établis, et l’impôt doit certainement être moindre à raison de ce que le revenu est moindre. Mais, lorsqu’au lieu de comparer une province à une autre, on compare un revenu de 10,000 liv. avec un autre revenu de 10,000 liv., on peut croire juste d’avoir égard à l’augmentation que les aides et la gabelle causent sur la dépense du propriétaire, et l’on doit voir aussi que cette augmentation de dépense, objet assez modique lorsqu’on la considère seule, ne saurait opérer une disproportion excessive, tandis que la vraie perte du propriétaire est sur le revenu avant qu’il puisse le toucher, sur l’augmentation de la dépense qu’il doit rembourser à ses cultivateurs avant d’avoir aucun revenu. À cela près, le traitement semble devoir être égal.

Si un Picard ne paye que 40 pour 100 de son revenu, tandis qu’un Limousin en paye 80 pour 100, le Limousin sera fondé à se croire beaucoup plus maltraité que le Picard, quoique la gabelle et les aides aient lieu en Picardie. Or, c’est toujours au revenu, et non à l’étendue des provinces, qu’on a comparé la quotité de l’impôt. J’ajoute que les provinces de grande culture, et voisines de Paris, ont tant d’avantages qui compensent le tort que leur font la gabelle et les aides, que, même à étendue égale, elles produisent plus de revenu. Il est notoire qu’un arpent de terre de même bonté rapporte beaucoup plus de revenu dans la Beauce ou la Normandie, que dans le Limousin ou l’Angoumois.

Tout concourt donc à prouver la justice du soulagement que réclame la généralité de Limoges ; mais, indépendamment de ce motif de justice, qui suffirait pour déterminer le Conseil, il y en a un plus pressant encore, c’est l’épuisement réel de la province, épuisement qui n’est que trop prouvé par le retard des recouvrements, par les non-valeurs des rôles, par l’abandon de plusieurs domaines faute de bestiaux, et par l’impuissance où sont les propriétaires de faire les avances de la culture. C’est jusqu’à présent dans l’élection de Tulle que ce mal a paru plus commun ; cette impuissance se fait surtout sentir d’une manière cruelle lorsque quelque accident exige du propriétaire de nouvelles avances, soit en ruinant ses bâtiments, soit en le privant pendant plusieurs années de son revenu. L’Angoumois, qui gémit depuis trois ans dans la disette, et qui a essuyé des pertes énormes, surtout dans les cantons ravagés par la grêle de 1764, et maltraité encore depuis en 1765, l’Angoumois ressent aujourd’hui les effets de l’épuisement qui met les propriétaires de ces cantons hors d’état de faire les dépenses nécessaires pour réparer leurs pertes. Le poids des charges fait fuir les hommes qui ne tiennent point au pays par quelque propriété, et les impositions qu’ils supportaient, réparties sur les habitants qui restent, augmentent encore leur fardeau.

Tel est exactement l’état des choses. Il exige un prompt remède, et la province ose l’attendre de la justice et de la bonté du roi.

addition.

On ajoutera aux détails compris dans ce Mémoire le résultat d’un travail du même genre, fait d’après le relevé de tous les contrats de vente qu’on a pu rassembler de vingt-sept paroisses de l’Angoumois. La totalité du prix des héritages vendus dans ces vingt-sept paroisses monte à 243,772 liv. Tous ces mêmes héritages payent ensemble au roi 8,721 liv. 17 sous, en y comprenant les vingtièmes. Si l’on suppose que ces héritages aient été seulement vendus, l’un portant l’autre, sur le pied du denier 20, le revenu du propriétaire, déduction faite des vingtièmes tels qu’ils sont établis d’après l’estimation qui sert de base à la répartition des tailles, et qui montent en tout à 1,354 liv. 15 sous, sera de 10,833 liv. 17 sous : telle sera donc la distribution du produit total.

Part du propriétaire
10,835 l. 17 s.
Part du roi
8,721    17    
––––––––––
                                                  Produit total
19,555 l. 14 s.
––––––––––

Ce qui établit la part du propriétaire sur le pied de 55 et deux cinquièmes pour 100 ; celle du roi, sur le pied de 44 et trois cinquièmes pour 100 du produit total ; la proportion de l’impôt au revenu, comme 80 pour 100 à 100, résultat entièrement conforme à celui que présente le Mémoire.


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges pour l’année 1767[19].

Le brevet de la taille de l’année prochaine 1767 est de la somme de 2,275,807 liv. 16 sous 3 deniers. Le brevet de la taille de la présente année 1766 montait à 2,274,755 liv. 1 denier, ce qui ne paraît faire en 1767 qu’une augmentation de 1,052 liv. 16 sous 2 deniers.

Mais nous observerons que, le roi ayant bien voulu accorder, par un arrêt postérieur à l’expédition des commissions des tailles de 1766, une diminution de 217,357 liv. 10 sous, l’imposition effective de ladite année n’a été que de 2,057,398 liv. 10 sous 1 denier ; en sorte que, si l’on imposait en 1767 la somme de 2,258,451 l. 6 sous 3 deniers, qui sera portée par les commissions du Conseil, il y aurait une augmentation réelle de 201,052 liv. 16 sous 2 deniers.

Après cette observation préliminaire, nous allons rendre compte de l’état de la province par rapport aux récoltes.

Froments. — La récolte des froments a été des deux tiers à la moitié d’une année commune dans l’élection d’Angoulême, et seulement du tiers au quart dans celles de Brive, de Limoges et de Tulle, où il ne s’en sème qu’une petite quantité, et d’environ les trois quarts d’une année commune dans celle de Bourganeuf.

Méteils. — Il ne s’en sème que dans l’élection d’Angoulême, où l’on en a recueilli la moitié d’une année ordinaire.

Seigles. — C’est la récolte la plus commune des élections de Limoges, de Tulle et de Bourganeuf. On s’était d’abord flatté, à Limoges et à Tulle, qu’on aurait une année commune, et on l’a ainsi marqué dans l’état des apparences de récolte envoyé à M. le contrô leur-général ; mais l’examen plus approfondi, et l’expérience de ce que les gerbes produisent au battage, ont fait voir qu’on ne devait compter que sur les trois quarts d’une année tout au plus. L’élection de Bourganeuf a moins produit encore. Le seigle, qui est la nourriture commune à Limoges, s’y soutient, depuis la récolte, à un prix très-haut, c’est-à-dire de 15 à 18 fr. le setier de Paris.

Dans l’élection d’Angoulême, où l’on sème peu de ce grain, on n’en a recueilli qu’environ une demi-année. Il est cette année d’une qualité supérieure à celui de l’année 1765. Il ne reste absolument plus rien de cette dernière récolte.

Avoines. — On en distingue deux espèces, la grosse, qui se sème en hiver, et la menue, qui se sème en mars. Les élections de Limoges, de Tulle et de Brive en ont recueilli une année commune ; celle de Bourganeuf une demi-année ; mais, dans l’élection d’Angoulême, les avoines d’hiver ont été gelées, et celles de mars ne rendent que peu.

Orges. — L’élection d’Angoulême, où il s’en sème beaucoup, celles de Limoges et de Tulle, où l’on en sème peu, ont récolté une année commune.

Ils ont gelé dans celle de Brive.

On n’en sème point dans celle de Bourganeuf.

Sarrasin ou blé noir. — Ce grain, qui fait un objet considérable dans les élections de Limoges, de Tulle, de Brive et de Bourganeuf, pour nourrir le paysan, n’a pas rendu plus du quart d’une année ordinaire. Il avait donné assez d’espérance, mais la sécheresse extrême qui a régné depuis le commencement d’août, l’a presque entièrement détruite, et c’est au vide que forme ce grain dans la subsistance du peuple, qu’on doit attribuer la cherté actuelle du seigle, qu’il semble que la récolte aurait du faire diminuer.

Blé d’Espagne. — Ce grain est pour l’élection d’Angoulême ce que le sarrasin est pour les autres élections de la généralité ; il est d’une très-grande ressource pour la nourriture du paysan ; il a mieux réussi que le sarrasin.

On en sème aussi dans les élections de Brive et de Tulle, mais plutôt pour faire manger en vert aux bestiaux que pour la nourriture des hommes.

Légumes. — Les élections d’Angoulême et de Brive, où il s’en sème beaucoup, en ont recueilli une année commune. Cependant les fèves, qui sont un objet de culture considérable dans quelques paroisses de l’Angoumois, ont été grêlées.

Il n’y a presque point de légumes dans les élections de Tulle et de Bourganeuf ; à l’égard de l’élection de Limoges, on en cultive beaucoup dans les environs des villes, et ils ont réussi.

Les raves, qui sont en même temps légumes et fourrage, ont manqué dans les élections de Limoges, d’Angoulême et de Bourganeuf. Elles promettent assez dans celles de Brive et de Tulle.

Foins et pailles. — Il y a eu peu de foin dans toute la généralité. Dans l’élection de Limoges, les trois quarts ; dans celles d’Angoulême, de Tulle et de Brive, la moitié ; et dans celle de Bourganeuf, le tiers seulement d’une année commune. Les prairies artificielles ont réussi, mais elles ne sont pas un objet considérable.

Les pailles ont été encore moins abondantes que les foins.

Vins. — Cette récolte, qui est la grande ressource de l’Angoumois, ne produira que la moitié d’une année commune dans les vignes qui ont résisté à la gelée. Mais il faut observer que la gelée a fait périr presque toutes les vieilles vignes, ce qui forme une perte immense pour l’élection d’Angoulême. L’élection de Brive a éprouvé le même malheur. Celles de Limoges et de Tulle n’auront que le quart d’une année, si les raisins peuvent mûrir. Mais cette production y est un fort petit objet.

Il n’y a point de vignes dans l’élection de Bourganeuf.

Fruits. — On en espère une année commune ; les noyers et les chênes promettent beaucoup, et l’abondance du gland a fait hausser considérablement le prix des porcs.

Châtaignes. — Cette espèce de fruit mérite un article séparé ; il peut nourrir, dans les bonnes années, pendant quatre mois, les élections de Limoges, de Tulle et de Brive. La rigueur de l’hiver a détruit environ le huitième des châtaigniers les plus vigoureux ; ce qui en reste est languissant, les arbres se sont dépouillés de leurs feuilles, et l’on ne compte presque plus sur cette ressource dans l’élection de Limoges. On en espère pourtant une année commune dans les élections d’Angoulême, de Tulle et de Brive. Il n’y en a pas dans celle de Bourganeuf.

Lins, chanvres, safran. — Les chanvres et le lin ont assez réussi dans les élections de Limoges et d’Angoulême, à l’exception des lins d’hiver que la gelée a détruits. On n’en dit rien dans les autres élections.

On n’espère presque rien des safrans dans la partie de l’Angoumois où l’on cultive cette plante, la moitié des oignons ayant péri par la gelée, et ce qui reste ayant produit très-peu.

Bestiaux. — Malgré la disette des fourrages, dont on a rendu compte, les bêtes à cornes s’étaient jusqu’ici soutenues à un bon prix ; mais il n’est point à douter que cette disette, surtout si elle est accompagnée d’un hiver rigoureux, n’oblige beaucoup de particuliers à vendre leurs bestiaux, et n’en fasse par conséquent diminuer la valeur. On s’aperçoit même que, depuis quelques jours, le prix des vaches et des veaux commence à baisser.

Les bêtes à laine ont éprouvé tant de mortalité cette année et les précédentes, que la rareté de l’espèce est ce qui cause leur cherté.

L’espérance du gland, en plusieurs endroits de la généralité et dans son voisinage, a fait augmenter le prix des porcs. La vente de ces animaux et celle des bœufs gras fera, si le prix en est avantageux, la plus grande ressource de cette généralité.

Nous apprenons qu’il s’est déclaré des maladies contagieuses sur les bêtes à cornes, dans la subdélégation d’Eymoutiers et dans la paroisse d’Escars et ses environs, élection de Limoges. Si, malgré les précautions que l’on a prises pour les arrêter, le mal venait à se répandre, ce serait le plus terrible des fléaux pour la province.

Accidents particuliers. — Les grêles ont été moins fréquentes cette année que les précédentes. Par les procès-verbaux des officiers des élections, on trouve 18 paroisses grêlées dans l’élection de Limoges, 5 dans celle d’Angoulême, 4 dans celle de Tulle et 19 dans celle de Brive, ce qui fait en total 46 paroisses. D’ailleurs, ces grêles n’ont pas causé de ces dommages qui se font ressentir plusieurs années de suite ; mais le froid excessif de l’hiver dernier a fait de très-grands maux. On a lieu de croire qu’il a été au moins aussi fort cette année dans les provinces méridionales du royaume qu’il l’avait été en 1709. C’est surtout dans les élections d’Angoulême et de Brive, où la neige était moins épaisse, que les effets de la gelée se sont fait sentir d’une manière plus funeste.

1o Les blés semés trop tard ont péri par la gelée, ainsi que les avoines d’hiver, les lins, diverses espèces de légumes et de prairies artificielles dans les cantons que la neige ne couvrait pas. La gelée a détruit aussi la moitié du safran qu’on cultive en Angoumois.

2o Elle a brûlé la racine des herbes dans beaucoup de prés, ce qui est la principale cause de la rareté du fourrage, que les pluies qui ont régné pendant la fauchaison ont augmentée, une grande partie ayant été gâtée avant qu’on pût la serrer.

3o Elle a détruit toutes les vieilles vignes de l’Angoumois et du haut et bas Limousin. Quoique quelques-unes aient repoussé par le pied, elles ne porteront de raisin que dans trois ans, et ceux qui se sont empressés de les arracher ne profiteront pas même de cette ressource.

4o Elle n’a pas été moins funeste aux arbres fruitiers de toute espèce, et surtout aux châtaigniers, dont le huitième, ou environ, des plus vigoureux ont péri ; de sorte que, dans une partie de la généralité, on n’espère presque rien de la récolte de ce fruit, qui pouvait la nourrir un tiers de l’année.

5o Elle a fait périr presque tous les agneaux et plusieurs ruches de mouches à miel, dont la cire fait un objet de commerce ; elle a privé les gens de la campagne de la ressource des journées d’hiver, personne ne les ayant employés pendant près de deux mois, et tous les genres de travail étant devenus impraticables.

avis.

Deux puissants motifs sollicitent les bontés du roi en faveur de la généralité de Limoges : l’un est la surcharge qu’elle éprouve depuis très-longtemps sur ses impositions, l’autre est sa situation actuelle.

La disproportion des impôts qu’elle supporte avec ses revenus n’est que trop constante et a été plus d’une fois représentée au Conseil, mais sans doute d’une manière trop générale et trop peu détaillée pour lever tous les doutes. Nous avons cru en devoir rassembler les preuves dans un Mémoire particulier assez étendu, que nous avons déjà envoyé au Conseil[20], et dont nous joignons une nouvelle expédition à cet avis. Nous croyons y avoir démontré clairement deux choses : l’une, que les fonds taillables payent au roi, en y comprenant les vingtièmes, de 45 à 50 pour 100 du produit total de la terre, et forment une somme à peu près égale à celle que retire le propriétaire ; l’autre, que cette charge est incomparablement plus lourde que celles que supportent les provinces voisines et un grand nombre d’autres provinces du royaume.

Des détails très-exacts, que nous nous sommes procurés, nous ont mis en état de faire une comparaison plus précise des impositions de l’Angoumois avec celles de la Saintonge. Cette comparaison, faite par cinq voies différentes, a toujours donné le même résultat à peu près ; c’est-à-dire que l’imposition de l’Angoumois est à celle de la Saintonge, sur un fonds d’égal produit, dans le rapport de 4 et demi ou 5 à 2.

Pour ramener les impositions de la généralité de Limoges à la même proportion que celles des autres provinces, il faudrait une diminution telle que nous n’osons la proposer. Nous nous sommes contenté de demander que, dans la répartition générale des impositions, la province fût soulagée d’une somme d’environ 600,000 livres, dont 350,000 environ sur la taille, et le surplus sur les autres impositions.

Nous sentons que, la répartition de cette année étant faite, il ne sera peut-être possible de rendre une pleine justice à la généralité de Limoges que dans la formation du brevet de 1767 ; mais nous espérons que Sa Majesté peut dès cette année, en cette considération, lui accorder un soulagement beaucoup plus fort sur le moins-imposé, d’autant plus que l’état actuel de la province a besoin des plus grands secours.

Elle n’a pas essuyé beaucoup de ces accidents qui, comme les grêles, se font sentir fortement à quelques cantons particuliers et sont nuls pour le reste de la province. Les maux qu’elle a essuyés sont d’une nature plus générale : les gelées excessives de l’hiver dernier en ont été le principe. Nous avons déjà dit que le froid avait été aussi rigoureux dans les provinces méridionales qu’il l’avait été en 1709. Les parties de la généralité de Limoges qui en ont le plus souffert sont les élections de Brive et d’Angoulême : la plus grande partie des vieilles vignes ont péri, et cette perte est d’autant plus inappréciable, qu’elle se fera sentir pendant plusieurs années. Les récoltes en grains dans ces deux élections ont extrêmement souffert, et cette denrée est actuellement à un prix très-haut. C’est la troisième année que l’Angoumois en particulier éprouve une véritable disette : le froment y est monté l’été dernier à près de 30 livres le setier de Paris ; malgré la moisson, il se soutient aux environs de 25 livres, et l’on ne doute pas qu’il n’augmente l’épuisement que cette continuité de disette pendant trois ans a produit dans une province déjà pauvre. L’excès de misère où elle a plongé le peuple ne se peut imaginer, et réclame pour cette malheureuse province toute l’étendue des bontés du roi. Nous savons que d’autres provinces méridionales ont souffert beaucoup de la rigueur du dernier hiver et sont justement inquiètes de leur subsistance ; mais le malheur d’être dans cette situation trois ans de suite est particulier à l’Angoumois.

On avait cru que la récolte serait beaucoup meilleure en Limousin, et dans l’état des apparences de la récolte, on s’était exprimé en conséquence de cette idée ; mais il paraît que la gerbe a rendu peu de grain, et cette circonstance, jointe à la sécheresse qui a détruit l’espérance de la récolte du sarrasin, a laissé les grains aux prix beaucoup trop forts où ils ont été l’année dernière. Le seigle, qui est la nourriture commune en Limousin, se soutient entre 15 et 18 livres le setier de Paris. Il est à craindre que les propriétaires ne puissent pas vendre ce qu’ils en ont recueilli, et ne soient obligés de le laisser à leurs métayers pour remplacer le vide que fait la perte des sarrasins, dont les paysans vivent ordinairement une grande partie de l’année. Cette partie de la généralité souffrira donc plus qu’on ne l’aurait cru d’abord, et aura aussi besoin de soulagement. Ces circonstances réunies, de la surcharge ancienne et démontrée de la généralité de Limoges, de son épuisement, d’une disette qui dure depuis trois ans dans une des provinces qui la composent, d’une cherté et d’une misère générale, nous font penser qu’elle a besoin au moins d’un soulagement de 500,000 livres, et nous supplions Sa Majesté de vouloir bien l’accorder.


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges pour l’année 1768.

Le brevet de la taille de l’année prochaine 1768 a été arrêté à la somme d’un million 942,293 livres 2 sous. Celui de la taille de la présente année 1767 montait à 2 millions 275,807 livres 16 sous 3 deniers.

Ce qui fait pour 1768 une diminution de 333,514 livres 14 sous 3 deniers.

Cette diminution, plus apparente que réelle, vient de ce que le brevet arrêté au Conseil pour 1768 ne comprend que le principal de la taille, le taillon de la gendarmerie, les gages et appointements des officiers et archers de la maréchaussée, les étapes des gens de guerre et le dixième ou 2 sous pour livre des impositions. Le surplus des sommes contenues dans les brevets des années précédentes ayant été distrait de celui de 1768, elles seront comprises dans un second brevet qui sera arrêté au Conseil, en sorte que la connaissance de ce second brevet pourra seule montrer si la province est ou non soulagée.

Après ces observations préliminaires, nous allons rendre compte de l’état où se trouve la récolte en parcourant chacun de ses objets[21].

Accidents particuliers. — La généralité de Limoges a essuyé cette année plus de grêles que l’année précédente. Ce dommage est pourtant peu de chose en raison de ce que lui ont fait éprouver les gelées du mois d’avril, si funestes en général aux provinces méridionales du royaume. Mais elles l’ont été encore plus en Limousin qu’ailleurs, et la raison en est qu’elles ont fait très-peu de tort à la production des froments ; au lieu que les seigles, étant beaucoup plus avancés et déjà en épis et en lait, ont incomparablement plus souffert. Or, la production principale du Limousin, quant à la partie des grains, est le seigle. On avait Semé cette année beaucoup plus que les années précédentes, et le haut prix des grains, joint à l’espérance du débit assuré par l’exportation, avait sans doute plus que toute autre chose contribué à cet accroissement de culture. Les semences s’étaient faites de bonne heure et par un très-beau temps ; l’abondance dont on se flattait ramenait déjà les grains et les autres denrées à un prix modéré : la récolte donnait à toute sorte d’égards des espérances que ces gelées ont renversées, et le peu qu’elle a rendu a encore aggravé l’idée qu’on s’était faite du mal.

La sécheresse qui a suivi ces gelées a desséché les prairies, et privé presque entièrement la province de fourrage.

Le vent sec et violent qui a soufflé pendant que les seigles étaient en fleur a encore augmenté les maux causés par la gelée, en faisant avorter la plus grande partie du grain dans l’épi. Ces gelées ont ravagé de la manière la plus cruelle les vignes, qui font la richesse des élections de Brive et d’Angoulême, qui avaient déjà si prodigieusement souffert de la gelée de l’hiver de 1765 à 1766.

La perte sur les vignes sera probablement commune à la généralité de Limoges et autres provinces méridionales ; mais la perte sur le seigle est particulière au Limousin, dont il est la plus importante culture, et où il fait la nourriture ordinaire du peuple.

Celle des fourrages lui sera encore infiniment plus sensible qu’aux autres provinces, parce qu’elle entraîne l’anéantissement du commerce des bestiaux, dont le profit est presque la seule base du revenu des propriétaires.

avis.

Nous avons tâché, l’année dernière, de mettre sous les yeux du Conseil, dans un Mémoire très-détaillé, l’exposition claire de la surcharge qu’éprouve depuis longtemps la généralité de Limoges[22].

Nous croyons avoir démontré, dans ce Mémoire, de la manière la plus claire, deux choses : l’une, que les fonds taillables payent au roi, en y comprenant les vingtièmes, de 45 à 50 pour 100 du revenu de la terre, ou presque autant que le propriétaire en retire ; l’autre, que cette charge est incomparablement plus forte que celle que supportent les provinces voisines et la plus grande partie des autres provinces du royaume.

Nous ne répéterons point les preuves que nous avons données dans ce Mémoire, que nous supplions le roi de vouloir bien faire examiner, et auquel nous nous référons. Nous ajouterons seulement que nous avons envoyé depuis, et avec la seconde expédition de ce Mémoire, le résultat d’un travail du même genre fait d’après le relevé de tous les contrats de vente qu’on a pu rassembler dans vingt-sept paroisses de l’Angoumois[23]. Ce travail établit que la part (lu propriétaire n’est que sur le pied de 55 et deux cinquièmes pour 100, et que celle du roi est sur le pied de 44 et trois cinquièmes pour 100 du produit excédant les frais de culture ; qu’enfin la proportion de l’impôt au revenu dont le propriétaire jouit se trouve dans le rapport de 80 et demi à 100, résultat entièrement conforme à celui que nous avaient procuré nos recherches de l’année dernière.

C’est un devoir pour nous de mettre chaque année sous les yeux du roi une surcharge aussi évidemment constatée, et de réclamer, pour la province qui l’éprouve, ses bontés et sa justice.

À ce premier motif constant, qui doit faire espérer à la généralité de Limoges un soulagement remarquable, se joint la considération non moins puissante des accidents particuliers qu’elle a essuyés dans le cours de cette année, et la diminution que les productions de la terre ont soufferte.

Dès l’année dernière, les gelées excessives de l’hiver de 1765 à 1766 avaient fait périr une très-grande quantité de vignes dans les élections d’Angoulême et de Brive. La plus grande partie des propriétaires s’étaient déterminés à les faire arracher. Ceux qui s’étaient contentés de les faire couper très-près de terre, et qui les avaient fait labourer, dans l’idée que le bois pourrait repousser la seconde année, ont vu leurs espérances détruites par les gelées rigoureuses de l’hiver dernier qui ont tout consumé.

Outre cette perte, qui embrasse presque toutes les vieilles vignes, et qui en a détruit en totalité la production, les autres vignes de la province ont été extrêmement endommagées par la gelée inopinée qui est survenue aux fêtes de Pâques, et qui a été d’autant plus funeste, que la douce température qui avait précédé avait plus avancé les productions de la terre. C’est par cette raison que cette gelée de Pâques a beaucoup plus nui aux provinces méridionales, où les productions sont plus hâtives, qu’aux provinces du Nord.

L’élection de Brive a de plus éprouvé un malheur particulier par une grêle arrivée à la fin de juillet, qui a ravagé quatorze paroisses des vignobles les plus renommés de cette élection.

Un autre mal au moins aussi funeste qu’a causé cette gelée de Pâques, est la perte de la plus grande partie des seigles, qui étaient alors en épis. Presque tous les seigles de l’élection de Brive, et une grande partie de ceux de l’élection de Limoges, de Tulle et de Bourganeuf, où ce genre de grains est presque le seul qu’on cultive, et fait la principale nourriture du peuple et même des bourgeois médiocrement aisés, ont été atteints par cette gelée. Cette perte mérite d’autant plus d’attention, que cette année sera la troisième où la récolte du seigle aura été très-mauvaise en Limousin, puisque depuis deux ans le prix de ce grain s’y est soutenu entre 15 et 18 fr. le setier, mesure de Paris, quoique le prix ordinaire n’y soit que d’environ 9 francs.

Les provinces qui cultivent le froment n’ont point participé à ce fléau, qui se trouve particulier à une province pauvre, à cause de sa pauvreté même ; et malheureusement le prix du froment est trop considérable pour que les peuples du Limousin puissent trouver une ressource dans l’abondance des provinces voisines. Le Limousin doit donc être distingué parmi les provinces méridionales, parce que, outre la perte des vins qu’il partage avec elles, il a de plus perdu la plus grande partie de ses récoltes de grains, et parce qu’il mérite à ce titre un plus grand soulagement.

Mais il est un troisième malheur encore plus fâcheux que le Limousin a éprouvé cette année : c’est la perte presque entière de ses fourrages. La gelée de Pâques avait beaucoup endommagé la pointe des herbes, et la sécheresse du printemps a achevé de tout détruire ; la première coupe des foins a été à peu près nulle, et le regain très-médiocre. Le prix des fourrages est au-dessus de 4 fr. le quintal. Cette perte pourrait être commune à d’autres provinces, et n’y pas produire des effets aussi funestes qu’en Limousin.

Ce qui la rend inappréciable, c’est l’influence qu’elle a sur l’engrais et le commerce des bestiaux, qui sont la principale richesse du Limousin, la source presque unique des revenus des propriétaires, et la seule voie par laquelle l’argent qui en sort, chaque année, pour le payement des impositions, puisse y rentrer.

La situation où se trouve ce commerce par la disette de fourrages est très-alarmante. M. le lieutenant de police nous a donné avis que les derniers marchés pour l’approvisionnement de Paris avaient été, contre l’usage, remplis de bœufs limousins, et m’a ajouté qu’on l’avait instruit que les envois continueraient toutes les semaines. Ce n’est ordinairement qu’au mois de novembre que les bœufs du Limousin viennent à Paris, que cette province continue d’approvisionner en grande partie jusqu’au mois d’avril. C’est la disette du fourrage et l’impossibilité où sont les propriétaires de les garder jusqu’à l’hiver, et de les engraisser, qui force à les vendre maigres et avant le temps.

M. le lieutenant de police, justement inquiet, et craignant que ce dérangement ne rende l’approvisionnement de Paris difficile et incertain pendant l’hiver, pense à prendre des mesures pour faire venir des bœufs de Suisse.

Si l’on est forcé d’adopter ce parti, les propriétaires, déjà épuisés par la cherté des engrais, seront entièrement ruinés par le défaut de vente ; et nous ne pouvons nous empêcher de prévoir les plus grandes difficultés pour le recouvrement des impositions, à moins que Sa Majesté n’ait la bonté de le faciliter par une diminution très-forte, beaucoup plus forte que l’année dernière.

Une diminution de 600,000 livres ne suffirait pas pour ramener la généralité de Limoges à la proportion des impositions communes des autres provinces, et le seul motif de la surcharge qu’elle éprouve nous autoriserait à la demander.

Elle souffre de plus cette année une perte très-grande sur la production des vignes dans les élections de Brive et d’Angoulême. La récolte des seigles, qui forme la principale culture dans la partie du Limousin, a été réduite à la moitié par la gelée des fêtes de Pâques. Enfin, cette gelée et la sécheresse, en privant la province du Limousin de fourrage, ont presque anéanti l’engrais et le commerce des bestiaux, qui font sa principale ressource pour le payement de ses impositions.

Tant de motifs réunis sollicitent puissamment les bontés de Sa Majesté, et nous la supplions d’y avoir égard, en accordant à la généralité de Limoges une diminution proportionnée.


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges pour l’année 1769.
(16 août 1768.)

Le brevet de la taille de l’année prochaine 1769 a été arrêtée la somme de 1,942,293 liv. 2 sous.

Celui de la présente année avait été de la même somme.

Mais le roi ayant bien voulu accorder, par un arrêt postérieur à l’expédition des commissions des tailles de 1768, une diminution de 220,000 liv., l’imposition effective n’a été que de 1,722,293 liv. 2 sous ; en sorte que, si l’on imposait en 1769 la somme de 1,942,293 liv. 2 sous, qui sera portée par les commissions, il y aurait une augmentation réelle de 220,000 liv.[24].

avis.

Quoique la récolte de cette année ne soit pas tout à fait aussi abondante que l’avaient fait espérer les premières apparences des grains et des vignes, elle est cependant assez bonne, surtout dans la partie du Limousin, pour qu’on ne soit pas en droit de se plaindre.

Il s’en faut bien cependant que nous nous croyions par là dispensés de représenter, de la manière la plus forte, le besoin qu’a cette province d’obtenir un soulagement effectif sur ses impositions.

Elle a un premier titre pour l’attendre des bontés de Sa Majesté, dans la surcharge qu’elle éprouve depuis longtemps, et dont nous avons, il y a déjà deux ans, mis la démonstration sous les yeux du Conseil, dans un Mémoire très-détaillé[25].

Nous nous reprocherions de ne pas en rappeler le résultat chaque année, jusqu’à ce que nous ayons été assez heureux pour obtenir de la justice et de la bonté du roi la suppression d’une surcharge aussi évidemment prouvée.

Nous ne transcrirons point les détails que ce Mémoire contient, et nous nous y référons, ainsi qu’aux nouvelles preuves que nous y avons ajoutées dans notre Avis sur les impositions des années dernières. Nous répéterons seulement que nous croyons avoir démontré dans ce Mémoire, de la manière la plus claire, deux choses : l’une, que les fonds taillables de cette généralité payent au roi, en y comprenant les vingtièmes, de 40 à 50 pour 100 du revenu des terres, ce qui est à très-peu près autant qu’en retirent les propriétaires ; l’autre, que cette charge est incomparablement plus forte que celle que supportent les provinces voisines et la plus grande partie des autres provinces du royaume.

Pour ramener les impositions de la généralité de Limoges à la même proportion que celles des autres provinces, c’est-à-dire pour qu’elle ne payât au roi qu’une somme égale à la moitié de ce que retirent les propriétaires, il faudrait une diminution effective de plus de 700,000 liv., dont la moitié serait portée sur la taille, et l’autre moitié sur les impositions accessoires. Nous n’avons pas espéré ni même osé demander une aussi forte diminution, mais au moins nous eût-il paru juste et nécessaire de ne point faire participer une province déjà aussi surchargée aux augmentations que les besoins de l’État ont forcé d’ajouter à l’imposition totale du royaume ; par là, elle eût été rapprochée de la proportion générale.

Elle aurait eu d’autant plus besoin de ne pas partager l’augmentation générale survenue en 1768, que la récolte de 1767 a été à tous égards une des plus fâcheuses qu’on ait vues de mémoire d’homme, surtout en Limousin. Tout avait manqué à la fois, les seigles, les fourrages, les vins, les fruits et même les châtaignes. Les seuls blés noirs avaient fourni une ressource pour la nourriture des paysans, et ont empêché les seigles de monter à un prix exorbitant.

Les pertes occasionnées par la gelée du 19 avril 1767 et des jours suivants ont détruit, dans une très-grande partie de la province, presque tout le revenu des propriétaires. La justice aurait exigé qu’on leur eût remis la plus grande partie des impositions ; mais l’augmentation effective qui a eu lieu au dernier département, malgré la bonté qu’eut Sa Majesté d’accorder à la province un moins-imposé de 220,000 liv., a cependant été de 123,518 liv. 9 sous 1 denier. Cette augmentation, disons-nous, n’a pas permis d’avoir à la situation des propriétaires souffrants tout l’égard qu’elle exigeait ; en sorte qu’ils ont à la fois supporté et la perte de leur revenu, et une augmentation sensible sur leurs impositions. Les productions de la terre sont, il est vrai, plus abondantes cette année ; mais on doit sans doute considérer que leurs impositions de l’année dernière n’ayant pu être acquittées sur un revenu qui n’existait pas, n’ont pu l’être que par anticipation sur les revenus de cette année, qui ne pourraient y suffire s’ils étaient chargés d’une imposition plus forte ou même égale. Il ne faut pas détruire, par des impositions anticipées, le peu qu’il y a de capitaux. Le soulagement que les circonstances n’ont pas permis de leur accorder au moment du fléau dont ils ont été frappés, ils osent le réclamer comme une dette de la bonté du roi, comme un secours nécessaire pour leur donner les moyens de réparer leurs forces épuisées. Nous osons représenter en leur nom que le retour des productions de la terre au taux de la production commune ne sera pas pour eux une abondance véritable, et ne fera que remplir le vide des productions de l’année dernière.

Nous sommes d’autant plus en droit d’insister sur un pareil motif de justice, que M. le contrôleur général sait combien la généralité de Limoges a été de tout temps arriérée sur le payement de ses impositions, et combien elle a besoin qu’un soulagement effectif la mette en état de s’acquitter. Il nous fit à ce sujet un reproche l’année dernière auquel nous fûmes très-sensible, et nous l’aurions été infiniment davantage, si nous l’avions mérité par la moindre négligence. Nous trouvâmes un motif de consolation dans l’occasion que ce reproche nous donna de lui démontrer, en nous justifiant, que la véritable cause de retard qu’on observe dans les recouvrements de cette province depuis un très-grand nombre d’années, et longtemps avant que nous fussions chargé de son administration, n’est autre que la surcharge même qu’elle éprouve sur ses impositions ; surcharge telle qu’il ne lui reste, après ses impositions payées, que ce qui est absolument nécessaire pour entretenir sa culture et soutenir la reproduction dans l’état de médiocrité auquel elle est réduite depuis longtemps.

D’où il résulte qu’aussitôt que les besoins de l’État obligent à augmenter la masse des impôts, la province, qui payait déjà jusqu’au dernier terme de la possibilité, se trouve dans une impuissance physique de payer l’augmentation, laquelle tombe en arrérages dont la masse grossit d’année en année, jusqu’à ce que des circonstances plus heureuses permettent de diminuer les impôts. Ce fut l’objet d’une lettre très-longue et très-détaillée que nous eûmes l’honneur d’écrire à ce ministre le 16 octobre 1767, et que nous accompagnâmes d’un tableau destiné à lui mettre sous les yeux la marche et l’analyse des recouvrements dans la généralité de Limoges depuis 1754 jusqu’en 1767[26]. Nous prenons la liberté de le supplier de se faire remettre sous les yeux cette lettre et ce tableau avec le présent Avis. Nous y démontrions que depuis un très-grand nombre d’années, et bien antérieurement à notre administration, l’imposition qui s’assied chaque année n’est à peu près soldée qu’à la fin de la troisième année, en sorte que pendant le cours d’une année les redevables payent une somme égale à l’imposition commune d’une année ; mais qu’une partie de cette somme seulement est imputée sur les impositions de l’année courante, une autre partie sur les impositions de l’année précédente, et une autre partie encore sur les impositions de l’année antérieure à celle qui précède immédiatement l’année courante.

Il n’y a que deux moyens imaginables de rapprocher les termes des recouvrements de l’époque de l’imposition : l’un serait de forcer les recouvrements de façon que les contribuables fussent contraints de payer à la fois et la totalité de l’imposition courante et les arrérages des années antérieures ; nous doutons qu’aucun homme puisse faire une semblable proposition, qui tendrait à doubler effectivement la somme à payer pour la province dans une année. Nous sommes très-assuré que le cœur paternel du roi la rejetterait, et nous croyons fermement que l’exécution en serait physiquement impossible. L’autre moyen, plus doux et le seul vraiment possible, est de procurer à la province un soulagement effectif assez considérable pour qu’en continuant de payer annuellement ce qu’elle paye, c’est-à-dire tout ce qu’elle peut payer, elle acquitte peu à peu les anciens arrérages, en avançant de plus en plus sa libération sur l’année courante. Ce parti paraît d’autant plus indispensable à prendre, qu’outre le retard ancien et constant dont nous venons de parler, qui consiste à ne payer qu’en trois ans la totalité des sommes imposées chaque année, la province n’a pu encore achever d’acquitter les arrérages extraordinaires qui se sont accumulés depuis 1757 jusqu’en 1763 inclusivement, c’est-à-dire pendant tout le temps qu’a duré la guerre ou l’augmentation des impositions qui en a été la suite.

La seule vue du tableau des recouvrements envoyé à M. le contrôleur-général démontre que ce retard extraordinaire n’a pu avoir d’autre cause que l’excès de la demande sur le pouvoir de payer, et que cet excès n’a cessé de s’arrérager chaque année en s’accumulant pendant tout le temps qu’il a duré.

Depuis 1764, la suppression du troisième vingtième et la liberté accordée au commerce des grains ont mis la province en état de se rapprocher du cours ordinaire des recouvrements ; mais la masse des arrérages accumulés est encore très-forte, et la province, nous osons le répéter, ne peut s’en libérer qu’autant que le roi voudra bien venir à son secours, en diminuant d’une manière effective et sensible la masse de ses impositions.

Pour résumer tout ce que nous venons d’exposer, trois considérations nous paraissent solliciter, de la manière la plus puissante, les bontés de Sa Majesté en faveur de la généralité de Limoges.

La première est la surcharge ancienne et toujours subsistante de cette généralité relativement à ses facultés, et par comparaison à l’imposition des autres provinces ; surcharge que nous avons établie d’une manière démonstrative par un Mémoire présenté au Conseil en 1766.

La seconde est la misère où la mauvaise récolte de 1767, une des plus fâcheuses qu’on ait vues de mémoire d’homme, a réduit les habitants de cette province ; la perte immense que les propriétaires ont soufferte sur leur revenu, l’impossibilité où l’augmentation de l’imposition en 1768 a mis de les soulager d’une manière proportionnée à leur situation, et le besoin absolu qu’ils ont d’un secours effectif pour les mettre en état de respirer après tant de malheurs.

La troisième, enfin, est la masse d’arrérages forcés qui se sont accumulés sur le recouvrement des impositions pendant le cours de la dernière guerre, et qu’on ne peut espérer d’éteindre qu’en facilitant aux contribuables les moyens de s’acquitter sur le passé en modérant les impositions présentes.

Tant de motifs si forts nous paraîtraient suffisants pour devoir déterminer à saisir ce moment afin de rendre une pleine justice à la généralité de Limoges, en la remettant à sa proportion naturelle relativement aux autres provinces, c’est-à-dire en lui accordant une diminution effective de 600,000 liv., partagée entre la taille et les impositions ordinaires. Mais, si la circonstance des malheurs extraordinaires qui ont aussi affligé quelques autres provinces par les suites de la mauvaise récolte de 1767, nous empêche d’insister sur cette demande, nous osons du moins supplier Sa Majesté de vouloir bien procurer à la généralité de Limoges un soulagement effectif en lui accordant sur le moins-imposé une diminution plus forte que celle de l’année dernière, qui était de 220,000 liv.

Supplément à l’Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges
pour l’année 1769. (17 octobre 1768.)

Lorsque, suivant l’usage, nous avons envoyé au Conseil, au mois d’août dernier, notre Avis sur les impositions de l’année prochaine, et sollicité les bontés du roi en faveur de cette généralité, nous avons insisté principalement sur la surcharge dont cette province est accablée depuis longtemps, et dont nous avons donné des preuves démonstratives dans un Mémoire adressé au Conseil en 1768, sur la misère où la mauvaise récolte de 1767 avait réduit les habitants, redoublée encore par l’augmentation d’impositions survenue dans la même année ; enfin, sur la masse d’arrérages accumulés dans le recouvrement des impositions pendant le cours de la dernière guerre, arrérages qui sont à la fois la preuve et l’effet de la surcharge, et dont les contribuables ne peuvent espérer de se libérer qu’autant qu’ils éprouveront un soulagement effectif sur les impositions des années à venir.

Nous nous flattions alors, et nous annoncions dans notre Avis, que la récolte de l’année présente serait, sinon abondante, du moins assez bonne. Les récoltes d’été s’avançaient, et l’on n’avait point absolument à se plaindre de leur quantité. Les récoltes d’automne, qui font une très-grande partie de la richesse de la province, promettaient beaucoup ; enfin, peu de paroisses avaient essuyé des accidents particuliers assez considérables pour exiger de fortes diminutions.

Depuis cette époque les choses sont bien changées. Le jour même où nous faisions partir notre Avis, le 16 août, fut marqué par un orage accompagné de grêle et d’ouragan, qui se fit sentir dans une très-grande partie de la province, mais surtout dans l’Angoumois, où plusieurs paroisses ont perdu la plus grande partie de leurs vignes, et même quelques-unes une partie de leurs froments, qui n’étaient point encore serrés. Il est vrai que cet orage a fait plus de mal encore dans la partie de l’Angoumois qui dépend de la généralité de La Rochelle, que dans celle qui est comprise dans la généralités de Limoges.

Mais il s’en faut beaucoup que les pertes qu’il a occasionnées, et qui n’ont été que locales, approchent du mal qu’a causé la continuité des pluies, qui ne cessent de tomber depuis deux mois. Indépendamment des pertes occasionnées par les ravines et les inonda tions locales, ces pluies ont entièrement anéanti les espérances qu’on s’était formées des récoltes d’automne. Les regains ont été entièrement perdus. Cette perte, qui peut être évaluée à un tiers de la totalité des fourrages de la province, est immense, surtout dans la partie du Limousin où l’engrais des bestiaux et le produit de leur vente est presque l’unique voie qui fasse rentrer l’argent que les impositions font sortir.

Il a été impossible de serrer la plus grande partie des blés noirs, qui pourrissent dans les champs, et dont la quantité a d’ailleurs été fort diminuée par les vents et les pluies. Les mêmes causes ont fait évanouir l’espérance qu’on avait conçue de la récolte des châtaignes. Ces deux récoltes forment le fond de la subsistance des habitants de la campagne en Limousin ; lorsqu’elles manquent, la récolte en seigle est presque absorbée pour la nourriture des cultivateurs, et à peine en reste-t-il pour porter au marché et pour former un revenu aux propriétaires.

Enfin, les vignes, qui font la richesse de l’Angoumois et du bas Limousin, et qui promettaient une récolte avantageuse pour la quantité ; et pour la qualité, n’ont pas moins souffert des pluies que les récoltes dont nous venons de parler. Les raisins n’ont pu mûrir, et une très-grande partie a pourri par l’excès de l’humidité.

Pour comble de maux, les terres sont tellement détrempées qu’il est impossible de semer ; et, si les pluies continuent encore, on doit prévoir pour l’année prochaine tous les malheurs de la disette.

Tel est exactement l’état des choses ; et, si les motifs que nous avions développés dans notre Avis auquel nous nous referons, et que nous prions M. le contrôleur-général de vouloir bien se faire représenter avec ce supplément, si ces motifs nous paraissent devoir déterminer Sa Majesté à procurer à la généralité de Limoges un soulagement effectif par une diminution plus forte que celle de l’année dernière, les nouveaux malheurs que nous ne prévoyions pas alors nous autorisent à plus forte raison à la supplier de donner encore plus d’étendue à ses bienfaits, et d’accorder à la province une diminution au moins de 300,000 liv.

Pour nous conformer à la lettre qui nous a été écrite par M. le contrôleur-général, le 17 août dernier, nous joignons à cet Avis l’état des diminutions qu’ont paru exiger les grêles, incendies et autres accidents particuliers, qui ont été constatés lors du département. Cet état ne monte qu’à 38,181 liv., et nous croyons que la modicité de cette somme, dans une année aussi malheureuse que celle-ci, doit prouver au Conseil combien il serait cruel pour les provinces de ne régler les diminutions que la bonté du roi veut bien accorder, qu’à raison de ces diminutions particulières accordées aux paroisses pour des accidents extraordinaires. Il est rare que ces accidents soient assez nombreux et assez considérables pour absorber la plus grande partie du moins-imposé accordé par le roi. Les pertes qui résultent de l’intempérie des saisons, et qui se font sentir à toute une province, méritent une tout autre considération, et ce sont elles qui doivent solliciter le plus puissamment la bonté du roi. En effet, il serait facile de soulager quelques paroisses grêlées en répartissant sur le reste de la province en augmentation le soulagement qu’on leur accorderait, sans que cette augmentation parût très-sensible. Mais, lorsqu’une province entière a souffert dans la totalité ou dans une partie considérable de ses récoltes, il n’y a que la bonté du roi qui puisse la soulager. Il peut même arriver souvent que la perte générale soit telle, qu’il devienne injuste d’accorder de fortes diminutions en faveur des accidents particuliers.

En effet, si l’on suppose que les vignes d’une paroisse aient été grêlées, cet accident, qui mériterait beaucoup d’égards dans le cas où la vendange aurait été abondante dans les autres paroisses, cesse, pour ainsi dire, d’être un malheur particulier pour celle qui l’a essuyé, si la sécheresse ou les pluies détruisent partout les espérances qu’avaient d’abord données les vignes. Alors, pour rendre justice à tous, il faudrait supprimer la diminution destinée à la paroisse grêlée ; et, si l’on suivait le principe de ne soulager les provinces qu’à raison des diminutions accordées pour les accidents particuliers, il en résulterait qu’elles seraient d’autant moins soulagées, que la province serait plus malheureuse.

Il résulterait aussi de ce principe que les parties de la province qui n’auraient essuyé aucun accident particulier, essuieraient une augmentation effective de la totalité du moins-imposé qui avait été précédemment accordé par le roi pour être réparti sur tous les contribuables, et dont la plus grande partie d’entre eux cesserait d’éprouver aucun soulagement. Si, par exemple, le roi n’accordait cette année de soulagement à la généralité de Limoges que jusqu’à la concurrence des accidents particuliers, il en résulterait sur tous les contribuables de la province une augmentation effective de plus de 180,000 liv., c’est-à-dire de plus d’un dixième du principal de la taille. Cette augmentation excessive ne saurait être à craindre dans une année aussi malheureuse et après l’augmentation déjà si forte que la province a essuyée l’année dernière, et qui subsiste encore cette année. L’amour du roi pour ses peuples nous rassure pleinement à cet égard ; et nous osons, au contraire, attendre de sa bonté le soulagement effectif de 300,000 liv., dont nous croyons avoir prouvé la nécessité.


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges pour l’année 1770.
(17 septembre 1769.)

Il n’y a aucune différence entre le brevet de la prochaine année et celui de l’année précédente 1769.

Mais, le roi ayant bien voulu accorder, par un arrêt postérieur à l’expédition des commissions des tailles de 1769, une diminution de 280,000 livres, si l’on imposait en 1770 la somme de 1 million 942,293 livres 2 sous, qui sera portée par les commissions, il y aurait une augmentation réelle de 280,000 livres[27].

avis.

Nous n’avons cessé, depuis l’année 1766, de rappeler au Conseil que la généralité de Limoges éprouve une surcharge excessive relativement aux facultés de ses habitants et à la proportion connue de l’imposition avec le revenu des fonds dans les autres généralités. Nous avons dès lors prouvé dans un Mémoire très-détaillé, que nous prions le Conseil de faire remettre sous ses yeux, que les fonds taillables payent au roi, en y comprenant les vingtièmes, de 45 à 50 pour 100 du revenu total de la terre, ou presque autant qu’en retirent les propriétaires, et que, pour ramener les fonds de cette généralité à la proportion des autres, il faudrait lui accorder une diminution effective de plus de 700,000 livres. Nous ne cesserons point d’insister sur cette vérité (comme nous l’avons fait l’année dernière et les précédentes), et de réclamer l’équité et la commisé ration de Sa Majesté, en la suppliant de mettre fin à une surcharge dont les effets ruineux affectent sensiblement la population et la culture de cette généralité, et rendent le fardeau des impositions plus insupportable de jour en jour.

Nous avons eu occasion de développer les effets de cette surcharge et de faire voir combien elle mettait de retard dans les recouvrements des revenus du roi, dans une lettre très-détaillée que nous avons adressée à M. le contrôleur-général le 16 octobre 1767, et que nous avons accompagnée d’un tableau destiné à lui mettre sous les yeux la marche et l’analyse des recouvrements de la généralité de Limoges depuis 1754 jusqu’en 1768[28], Nous avons déjà pris la liberté l’année dernière de le supplier de se faire représenter cette lettre et ce tableau avec notre Avis ; nous ne craindrons point de répéter encore l’espèce de résumé que nous en présentions alors[29].

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous avons plus récemment mis sous les yeux du Conseil, dans une lettre que nous avons eu l’honneur d’écrire à M. d’Ormesson le 27 août dernier[30], qui accompagne l’état des impositions de la province, un nouveau motif de justice pour en diminuer le fardeau, en lui démontrant le préjudice qu’elle a souffert, tant par l’excès de la somme à laquelle elle a été fixée pour l’abonnement des droits de courtiers-jaugeurs et d’inspecteurs aux boucheries et aux boissons, abonnement porté au triple du produit des droits, que par le double emploi résultant de ce que les mêmes droits dont cette généralité paye l’abonnement à un si haut prix, ne s’en perçoivent pas moins en nature, dans une très-grande partie de la province, par les commis des fermiers généraux, et dans la ville même de Limoges, au profit du corps de ville, qui avait acquis dans le temps les offices auxquels ces droits étaient attribués. Nous supplions le Conseil de vouloir bien prendre en considération les preuves que nous avons données dans cette lettre et de l’excès de l’abonnement, et du double emploi qui résulte de sa cumulation avec la perception en nature. Cet objet particulier est sans doute une des causes de la surcharge qu’éprouve la généralité de Limoges ; mais celle qu’il a occasionnée n’est qu’une petite partie de la surcharge totale.

Les motifs que nous venons de présenter sont anciens, et subsisteraient indépendamment des accidents particuliers et de l’intempérie des saisons. Malheureusement, la mauvaise récolte des grains et l’anéantissement de toutes les espérances auxquelles la continuité des pluies ne permet plus de se livrer sur les récoltes d’automne, sollicitent encore d’une manière plus forte et plus pressante les bontés de Sa Majesté pour les peuples de cette province.

Les pluies excessives qui ont eu lieu pendant l’automne de 1768 avaient déjà beaucoup nui aux semailles ; plusieurs champs n’ont pu être ensemencés, et dans ceux qui l’ont été, les terres, imbibées d’eau et plutôt corroyées que labourées par la charrue, n’ont pu acquérir le degré d’ameublissement nécessaire pour le développement des germes. La sécheresse qui a régné au commencement du printemps n’a pas permis aux jeunes plantes de taller et de jeter beaucoup d’épis. À la fin du printemps, les pluies sont survenues et ont fait couler la fleur des grains ; les seigles surtout ont souffert, et dans toute la partie du Limousin, la récolte, après qu’on aura prélevé la semence, pourra suffire à peine pour nourrir les cultivateurs ; il n’en restera point pour garnir les marchés et fournir à la subsistance des ouvriers de toute espèce répandus dans les campagnes et dans les villes. Le succès des blés noirs et des châtaignes, en fournissant aux cultivateurs et en général aux habitants de la campagne la subsistance de plusieurs mois, leur aurait laissé la liberté de vendre une partie de leurs grains ; mais cette ressource paraît leur devoir être enlevée par les pluies, qui n’ont pas cessé de tomber depuis le 15 du mois d’août jusqu’à présent, en sorte que la province est menacée d’une véritable famine[31].

La même cause fera perdre la totalité des regains, c’est-à-dire le tiers de la production des prairies. Les vignes, qui donnaient à peu près l’espérance d’une demi-année, et qui dans les élections d’Angoulême et de Brive forment une partie considérable du revenu, n’en donneront presque aucun, et l’année 1769 sera peut-être plus malheureuse encore que celle de 1767, une des plus fâcheuses qu’on ait essuyées depuis longtemps ; elle sera même plus malheureuse pour le Limousin, qui du moins en 1768 n’a pas souffert autant que les provinces du nord de la cherté des grains, et qui vraisemblablement éprouvera en 1770 tous les maux qu’entraîne la disette. Les grains sont augmentés dès le moment de la moisson, et le prix a haussé encore depuis : il a été vendu des seigles à 16 livres 10 sous le setier de Paris, et l’augmentation semble devoir être d’autant plus forte, que les pluies menacent de rendre les semailles aussi difficiles que l’année dernière.

On a d’autant plus lieu de craindre une augmentation excessive, que la cherté des transports dans ce pays montueux, où ils ne se font qu’à dos de mulet, rend les secours qu’on peut tirer des autres provinces très-dispendieux et très-lents, et que le seigle, dont les habitants de la province font leur nourriture, ne supporte pas le haut prix des voitures, qui augmente sa valeur ordinaire dans une proportion beaucoup plus forte que celle du froment. Le même accroissement dans le prix du transport, qui n’augmenterait le prix du froment que d’un tiers, augmenterait celui du seigle de la moitié. D’ailleurs, le seigle a aussi très-mal réussi dans les provinces voisines, qui souffriront cependant un peu moins que le Limousin, parce qu’elles recueillent plus de froment, mais qui ne pourront subvenir à ses besoins.

Le mal serait un peu moins grand si les pluies venaient à cesser ; il le serait toujours assez pour rendre les peuples fort malheureux et pour exiger une très-grande diminution dans les impositions, d’autant plus que le haut prix des bestiaux, qui avait soutenu les recouvrements dans les deux années qui viennent de s’écouler, paraît d’un côté devoir baisser par la cessation des causes particulières qui l’avaient produit, et dont une des principales a été la disette des fourrages en Normandie, de laquelle est résultée la vente forcée d’un plus grand nombre de bœufs normands, et que, de l’autre, l’argent que ce commerce apportait dans la province sera nécessairement absorbé pour payer les grains qu’elle tirera du dehors, devenus nécessaires à la subsistance des habitants.

En ces tristes circonstances, la province n’a d’espérance que dans les bontés du roi. Les titres qu’elle a pour les obtenir et que nous venons d’exposer sont :

1o La surcharge ancienne qu’elle éprouve.

2o La masse des arrérages cumulés pendant la guerre, dont-elle reste encore chargée, et dont elle ne peut espérer de s’acquitter qu’autant que ses ressources ne seront pas entièrement épuisées par les impositions courantes.

3o Le préjudice qu’elle essuie depuis 1723 par l’excès auquel a été porté l’abonnement des droits de courtiers-jaugeurs et d’inspecteurs aux boucheries et aux boissons, lequel a été porté à une somme triple de valeur de ces droits, et par le double emploi de l’abonnement cumulé avec la perception en nature des droits abonnés dans une partie de la province.

4o Enfin, la mauvaise récolte qu’elle vient d’avoir et les craintes trop bien fondées où elle est d’essuyer une famine.

Des motifs si pressants ne peuvent manquer de toucher le cœur de Sa Majesté, et nous osons attendre de son amour pour ses peuples une diminution effective, au moins de 500,000 livres, sur les impositions de cette généralité.


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges pour l’année 1771[32].

Il y a déjà plusieurs années que, dans un Mémoire envoyé au Conseil, nous avons démontré que la généralité de Limoges éprouve depuis longtemps une surcharge énorme sur ses impositions. Il résulte des détails dans lesquels nous sommes entré alors, et auxquels nous croyons pouvoir renvoyer, deux choses : l’une, que les fonds taillables de cette généralité payent au roi, en y comprenant les vingtièmes, de 45 à 50 pour 100 du revenu net de la terre considéré en total, ou de 90 à 100 pour 100 de ce qu’en retirent les propriétaires ; l’autre, que cette charge est incomparablement plus forte que celle que supportent les provinces voisines et la plus grande partie des autres provinces du royaume.

Nous avons prouvé, dans une lettre très-détaillée, écrite en 1767, accompagnée d’un tableau des recouvrements, et jointe encore à notre Avis pour les impositions de 1769, que c’est à cette surcharge seule que l’on doit imputer le retard habituel qui dure depuis un temps immémorial dans la généralité de Limoges sur le recouvrement des impositions, retard tel, que les impositions ne sont soldées qu’à la fin de la troisième année, et que les contribuables ont toujours à satisfaire trois collecteurs à la fois. Nous avons observé alors que le seul moyen de rapprocher des termes ordinaires les recouvrements arriérés, était de mettre la province en état de s’acquitter par degrés, en diminuant la surcharge qui lui laisse à peine de quoi se soutenir au point où elle est sans augmenter la masse des arrérages.

Pour ramener les impositions de la généralité de Limoges à la même proportion que celles des autres provinces, c’est-à-dire pour qu’elle ne payât au roi que le tiers du revenu total, ou une somme égale à la moitié de ce que retirent les propriétaires, il faudrait une diminution effective de plus de 700,000 liv., dont la moitié fût portée sur la taille, et l’autre moitié sur les impositions accessoires. Ce n’est point à titre de grâce, ni dans la forme de moins-imposé que ce soulagement devrait lui être accordé ; c’est un changement permanent dans la proportion avec les autres provinces, un changement dans sa fixation sur les commissions mêmes des tailles et dans l’assiette du second brevet de la capitation, et non une faveur passagère qu’elle réclame de la bonté et de la justice du roi.

En quelque temps que ce fût, nous nous ferions un devoir d’insister avec force sur les preuves de cette surcharge, et sur la nécessité d’y avoir égard ; nous nous attacherions à lever les doutes et les difficultés qui ont pu jusqu’ici suspendre la décision du Conseil ; mais ce motif, tout puissant qu’il est, n’est que d’une faible considération en comparaison de ceux qui parlent dans ce moment en faveur de cette malheureuse province ; motifs dont la force impérieuse ne peut manquer de déterminer la justice, la bonté, nous osons dire la sagesse même du roi, à prodiguer à une partie de ses sujets dénués de toute autre ressource les soulagements et les secours les plus abondants.

Personne n’ignore l’horrible disette qui vient d’affliger cette généralité[33]. La récolte de 1769 était en tout genre une des plus mauvaises qu’on eut éprouvées de mémoire d’homme : les disettes de 1709 et de 1739 ont été incomparablement moins cruelles. À la perte de la plus grande partie des seigles s’était jointe la perte totale des châtaignes, des blés noirs et des blés d’Espagne, denrées d’une valeur modique, et dont le paysan se nourrit habituellement une grande partie de l’année, en réservant autant qu’il le peut ses grains pour les vendre aux habitants des villes. Un si grand vide dans les subsistances du peuple n’a pu être rempli que par une petite quantité de grains réservés des années précédentes, et par l’immense importation qui s’est faite de grains tirés ou de l’étranger ou des provinces circonvoisines. — Le premier achat des grains importés a été très-cher, puisqu’aucune des provinces dont on pouvait recevoir des secours n’était dans l’abondance ; et les frais de voiture dans une province méditerranée, montagneuse, où presque tous les transports se font à dos de mulet, doublaient souvent le prix du premier achat. — Pour que de pareils secours pussent arriver, il fallait que les grains fussent montés à un prix exorbitant ; et en effet, dans les endroits où le prix des grains a été le plus bas, le froment a valu environ 45 livres le setier de Paris[34], et le seigle de 33 à 36 livres. Dans une grande partie de la province, ce dernier grain a même valu jusqu’à 42 livres. C’est à ce prix qu’a constamment payé sa subsistance un peuple accoutumé à ne payer cette même mesure de seigle que 9 francs et souvent moins, et qui, même à ce prix, trouve le seigle trop cher, et se contente de vivre une grande partie de l’année avec des châtaignes ou de la bouillie de blé noir.

Le peuple n’a pu subsister qu’en épuisant toutes ses ressources, en vendant à vil prix ses meubles et jusqu’à ses vêtements ; une partie des habitants ont été obligés de se disperser dans d’autres provinces pour chercher du travail ou des aumônes, abandonnant leurs femmes et leurs enfants à la charité des paroisses.

Il a fallu que l’autorité publique ordonnât aux propriétaires et aux habitants aisés de chaque paroisse de se cotiser pour nourrir les pauvres[35] ; et cette précaution indispensable a achevé d’épuiser les propriétaires même les plus riches, dont la plus grande partie du revenu était déjà absorbée par la nécessité d’avancer à leurs colons, qui n’avaient rien recueilli, de quoi se nourrir jusqu’à la récolte. On ne peut pas même supposer que le haut prix des grains ait pu être favorable aux propriétaires. La plupart n’avaient pas assez de grains pour suffire à la quantité de personnes qu’ils avaient à nourrir ; et il n’en est presque point, même parmi les plus riches, qui n’aient été forcés d’en acheter pour suppléer à ce qui leur manquait, surtout dans les derniers temps qui ont précédé la récolte, laquelle, pour surcroît de malheur, a été cette année retardée d’un mois. Les seuls à qui cette cherté ait pu être profitable sont les propriétaires de rentes seigneuriales et de dîmes qui avaient des réserves des années précédentes[36] ; mais ces revenus n’appartenant qu’à des privilégiés, il n’en résulte aucune facilité pour l’acquittement de la taille et autres impositions roturières.

Non-seulement la disette de l’année dernière a épuisé les ressources des artisans, des paysans aisés, et même des propriétaires de fonds ; elle a encore fait sortir de la province des sommes d’argent immenses qui ne peuvent y rentrer par les voies ordinaires du commerce, puisque celles-ci ne suffisent ordinairement qu’à remplacer ce qui sort annuellement pour les impositions, pour le payement des propriétaires vivant hors de la province, et pour la solde des denrées que la province est dans l’habitude de tirer du dehors. Nous ne pensons pas que cette somme s’éloigne beaucoup de 3 millions 600,000 liv. à 4 millions, somme presque égale au montant de la totalité des impositions ordinaires.

Le calcul en est facile : on ne pense pas qu’on puisse porter le vide occasionné par la modicité extrême de la récolte des grains, et par la perte totale des châtaignes, des blés noirs et du blé d’Espagne, à moins du tiers de la subsistance ordinaire. Qu’on le réduise au quart, c’est-à-dire à trois mois : on compte environ 700,000 personnes dans la généralité ; réduisons-les par supposition à 600,000, et retranchons-en le quart pour les enfants, ne comptons que 450,000 adultes consommant chacun deux livres de pain par jour, l’un portant l’autre. Il s’agit de pain de seigle composé de farine et de son_, qui par conséquent nourrit moins que le pain de froment ; si nous entrions dans le détail de ceux qui vivent de froment, nous trouverions une somme plus forte, et nous voulons tout compter au plus bas.

Le setier de seigle, mesure de Paris, fait 300 livres de pareil pain ; 450,000 personnes en consomment 900,000 livres par jour, et par conséquent 3,000 setiers de seigle, mesure de Paris ; c’est par mois 90,000 setiers, et pour les trois mois 270,000 setiers.

Le setier de seigle acheté au dehors n’a pu parvenir, dans la plus grande partie de la généralité, à moins de 27, 30 ou 33 liv. le setier. Mais, comme tous les lieux ne sont pas également éloignés des abords, et comme il faut soustraire la partie du prix des transports payée dans l’intérieur de la province, ne comptons le setier qu’à 24 liv. l’un portant l’autre. Les 270,000 setiers sont donc revenus à 6,480,000 liv., et il aurait fallu cette somme pour remplir un vide de trois mois dans la subsistance de la généralité. C’est tout au plus si les réserves des années précédentes ont pu fournir un mois ou le tiers du vide ; il faut donc compter 4,320,000 liv. de dépense. Et en supposant, pour tabler toujours au rabais, que les magasins aient pu fournir encore le tiers d’un mois, l’argent sorti effectivement de la province se réduira à 3,600,000 liv. C’est le plus faible résultat du calcul.

Les contribuables ne peuvent cependant payer les impositions qu’avec de l’argent ; et où peuvent-ils en trouver aujourd’hui ? Aussi les recouvrements sont-ils infiniment arriérés. Les receveurs des tailles sont réduits à l’impossibilité de tenir leurs pactes avec les receveurs généraux. Les collecteurs sont dans une impossibilité bien plus grande encore de satisfaire les receveurs des tailles.

Dans ces circonstances cruelles, le roi a bien voulu accorder des secours extraordinaires à la province. Ils ont été publiés et reçus avec la plus vive reconnaissance. Mais nous blesserions les sentiments paternels de Sa Majesté, nous tromperions sa bienfaisance, si nous lui cachions que ces secours, très-considérables quand on les compare aux circonstances où se trouve l’État, ne sont qu’un faible soulagement lorsqu’on les compare à l’immensité des besoins de la province. Nous ne parlons pas des fonds destinés aux approvision nements, aux distributions et aux travaux publics ; c’est un objet de 300,000 l.[37], qu’on doit sans doute soustraire des 3,600,000 1. sortis de la province pour l’achat des grains. Nous réduirons donc le déficit qui a eu lieu à 3,300,000 liv., et nous nous renfermerons dans ce qui regarde les impositions.

La généralité avait obtenu, en 1770, 30,000 francs de moins sur le moins-imposé qu’en 1769, c’est-à-dire, 250,000 livres, au lieu de 280,000. Quand la misère générale se fut développée au point qu’il fallut pourvoira la subsistance gratuite de près du quart des habitants de la province, nous prîmes la liberté de représenter à M. le contrôleur-général qu’il n’était pas possible que des malheureux qui n’avaient pas le nécessaire physique pour subsister, et qui ne vivaient que d’aumônes, payassent au roi aucune imposition, et nous le priâmes d’obtenir des bontés du roi une augmentation de moins-imposé suffisante pour décharger entièrement d’imposition, non-seulement les simples journaliers, mais encore une foule de petits propriétaires dont les héritages ne peuvent suffire à leur subsistance, et qu’on avait été obligé de comprendre dans les états des pauvres à la charge des paroisses. M. le contrôleur-général a eu la bonté d’accorder en conséquence un supplément de moins-imposé de 200,000 livres[38]. Mais cette somme n’a pas suffi pour remplir l’objet auquel elle était destinée. Il a fallu se borner à décharger de l’imposition les simples journaliers ; et l’on n’a pu supprimer la taxe des petits propriétaires non moins pauvres que les journaliers. Nous avons fait relever le tableau de ces cotes qui subsistent encore : quoique ceux qu’elles concernent aient été compris dans l’état des charités de leur paroisse, la totalité monte à environ 90,000 livres. Voilà donc 90,000 livres imposées sur des personnes qui n’ont pas eu de quoi se nourrir. Comment peut-on espérer qu’ils les payent ? Est-il possible que les collecteurs en fassent l’avance ? Non, sans doute ; voilà donc une non-valeur inévitable.

D’après ce tableau douloureux des maux qu’a déjà essuyés la province, et de la situation où la laisse la disette de l’année dernière, nous ne doutons point que, quand même la récolte de cette année serait abondante, l’épuisement des habitants n’exigeât les plus grands soulagements, et ne les obtînt de l’amour du roi pour ses peuples ; que sera-ce si nous y ajoutons le récit plus funeste encore des maux que lui présage le vide de la récolte actuelle ! Nous avons fait voir dans l’état que nous en avons envoyé au Conseil, que dans les deux tiers de la généralité, et malheureusement dans la partie la plus pauvre et la moins à portée de tirer des secours du dehors, la récolte des seigles n’a pas été meilleure en 1770 qu’en 1769 ; que ce qu’on a recueilli de plus en châtaignes et en blé noir ne suffit pas pour remplacer le vide absolu de toutes réserves sur les années antérieures, puisque ces réserves sont épuisées, au point que non-seulement on a commencé à manger la moisson actuelle au moment où on la coupait, c’est-à-dire trois mois plus tôt qu’à l’ordinaire, mais encore que la faim a engagé à couper des blés verts pour en faire sécher les grains au four. Ce n’est pas tout, il faut compter que le quart de la généralité n’a pas même cette faible ressource. La production des grains y a été du tiers à la moitié de celle de 1769 ; et dans la plus grande partie de ce canton l’on n’a pas recueilli la semence. On ne peut penser sans frémir au sort qui menace les habitants de cette partie de la province déjà si cruellement épuisés par les malheurs de l’année dernière. De quoi vivront des bourgeois et des paysans qui ont vendu leurs meubles, leurs bestiaux, leurs vêtements pour subsister ? Avec quoi les secourront, avec quoi subsisteront eux-mêmes des propriétaires qui n’ont rien recueilli, qui ont même pour la plupart acheté de quoi semer, et qui, l’année précédente, ont consommé au delà de leur revenu pour nourrir leurs familles, leurs colons et leurs pauvres ? On assure que plusieurs domaines dans ce canton désolé n’ont pointété ensemencés faute de moyens. Comment les habitants de ces malheureuses paroisses pourront-ils payer des impôts ? comment pourront-ils ne pas mourir de faim ? Telle est pourtant leur situation sans exagération aucune.

Nous savons combien les besoins de l’État s’opposent aux intentions bienfaisantes du roi, les peuples sont pénétrés de reconnaissance pour les dons qu’il a faits en 1770 à la province ; mais de nouveaux malheurs sollicitent de nouveaux bienfaits, et nous ne craindrons point de paraître importuns et insatiables en les lui de mandant au nom des peuples qui souffrent. Nous craindrions bien plutôt les reproches les plus justes, si nous pouvions lui dissimuler un objet si important et pour son cœur et pour ses vrais intérêts. À proprement parler, nous ne demandons point, nous exposons les faits.

Le relevé des cotes que nous n’avons pu supprimer l’année dernière, et qui concernent des particuliers nourris de la charité publique, monte à 90,000 livres, qu’il est impossible de ne pas passer en non-valeur : ci 90,000 livres.

Il est physiquement impossible, d’après les détails dans lesquels nous venons d’entrer, de faire payer aucune imposition aux paroisses de la montagne. Nous avons fait relever les impositions de ces paroisses ; elles montent, en y joignant celles de quelques paroisses de vignobles entièrement grêlées, à 539,000 livres.

Le reste du Limousin est aussi maltraité et souffrira davantage que l’année dernière, et il a au moins besoin des mêmes soulagements. Il a eu, l’année dernière, sa part des 450,000 livres de moins-imposé ; et comme nous évaluons cette partie de la généralité à peu près aux cinq douzièmes, il faut mettre en compte les cinq douzièmes de 450,000 livres, c’est-à-dire 187,500 livres.

Enfin, quoique l’Angoumois ait été un peu moins maltraité que le reste de la généralité, il s’en faut beaucoup qu’il soit dans l’abondance, et l’épuisement où l’année dernière l’a mis nous autoriserait, dans d’autres temps, à solliciter pour cette partie de la province des soulagements très-forts. Du moins ne peut-on pas le charger plus qu’il ne devait l’être en 1769, lorsque l’on n’avait fixé ses impositions que d’après les premières apparences de sa récolte. Alors il aurait du moins joui de sa portion du moins-imposé de 250,000 liv. En regardant cette province comme le tiers de la généralité, c’étaient 84,000 livres qui lui avaient été accordées. On ne peut pas cette année lui en donner moins. C’est donc encore 84,000 livres à joindre aux sommes ci-dessus.

Ces quatre sommes additionnées font ensemble 900,500 livres.

Encore une fois, nous exposons, nous calculons, nous ne demandons pas ; nous sentons combien cette demande peut paraître affligeante ; nous ne proposons le résultat de nos calculs qu’en tremblant, mais nous tremblons encore plus de ce que nous prévoyons, si les circonstances ne permettaient pas à Sa Majesté de se livrer à toute l’étendue de ses bontés. Nous sentons que d’autres provinces les solliciteront, et que quelques-unes y ont des droits que nous sommes loin de combattre. Mais nous oserons représenter que les provinces qui ont souffert l’année dernière n’ont pas éprouvé une misère aussi forte que celle du Limousin, et surtout que la misère n’y a ni commencé d’aussi bonne heure, ni duré aussi longtemps ; que la plupart d’entre elles seront cette année dans l’abondance ; que plusieurs de celles qui souffriront cette année n’ont point souffert l’année dernière. Le Limousin est peut-être la seule sur laquelle le fléau de la disette se soit également appesanti pendant deux années entières. C’est en même temps celle qui est, par sa position au milieu des terres, la plus éloignée de tout secours, sans canaux, sans rivières navigables, sans chemins ouverts dans la partie la plus affligée, presque sans manufactures et sans commerce. C’est en même temps une de celles où les impositions sont habituellement les plus fortes, où les recouvrements sont de temps immémorial le plus arréragés ; nous osons croire que tant de motifs lui donnent des droits aux grâces du roi qu’aucune province ne peut lui disputer. Serait-il donc injuste de verser sur elle, dans sa détresse, une partie du moins-imposé que, dans des temps plus heureux, le roi accorde à des provinces plus riches, et qui du moins, cette année, n’ont essuyé aucun accident extraordinaire ? Nous osons espérer.

Nous ne parlerons point ici des secours d’autres genres qui seront encore indispensables pour assurer les approvisionnements et pourvoir à la subsistance des pauvres, en leur procurant des secours et du travail, ni même des mesures à prendre pour adoucir la rigueur des recouvrements ; nous nous réservons d’écrire en particulier sur cet objet à M. le contrôleur-général. Nous nous bornons, quant à présent, à mettre sous les yeux du roi l’état, nous osons dire désespéré, d’une partie de ses enfants, et le calcul non pas de leurs besoins, mais de ce dont il paraît nécessairement indispensable de les soulager. Ce calcul, que nous croyons avoir fait en toute rigueur, monte à 900,000 livres.


Observations générales à la suite de l’état des récoltes de 1770.

Art. I. Sur ce qui reste des récoltes précédentes. — On a déjà observé, dans le premier état envoyé au mois de juillet, que la cruelle disette dont la province vient d’être affligée a consommé beaucoup au delà de ce qui pouvait rester des récoltes précédentes en tout genre de subsistances, et qu’une partie des habitants seraient exactement morts de faim sans le secours des grains importés soit des autres provinces, soit de l’étranger. La détresse où se sont trouvées la plus grande partie des familles les a obligées de vendre à vil prix, pour se procurer de l’argent, non-seulement tout ce qui pouvait rester des denrées de toute espèce recueillies les années précédentes, mais même la plus grande partie de leurs effets. Je ne vois qu’une denrée dont il puisse rester quelque chose, mais en petite quantité, et seulement dans les élections de Brive et d’Angoulême : c’est le vin. La dernière récolte en a été très-modique ; mais, ce vin ne se débitant que pour la consommation du Limousin et des cantons de l’Auvergne qui l’avoisinent, le débit en a été réduit presque à rien, les consommateurs étant obligés de réserver toutes leurs ressources pour avoir du grain.

II. Comparaison de la récolte en grains de cette année à l’année commune. — On aurait fort désiré pouvoir remplir entièrement les vues proposées dans la lettre de M. le contrôleur-général, du 31 mai dernier. Mais, quelques soins qu’aient pu prendre les personnes chargées de cette opération, il n’a pas été possible de parvenir à une précision satisfaisante.

Le premier élément de cette comparaison est entièrement ignoré, je veux dire l’année commune de la production. Tous les états qu’on est dans l’usage d’envoyer chaque année au Conseil, et celui-ci même qu’on a été obligé de dresser d’après les états des subdélégués, ne peuvent donner que des idées vagues, puisqu’on s’exprime toujours par demi-année, tiers et quart d’année, et qu’on ne s’est jamais occupé de se faire une idée fixe de ce qu’on entend par année commune. Le penchant naturel qu’ont les hommes à se plaindre vivement du mal, et à regarder le bien-être comme un état naturel qui n’est point à remarquer, fait que le plus souvent les laboureurs, dans leur langage, appellent une pleine année celle où la terre produit tout ce qu’elle peut produire. C’est à cette abondance extraordinaire, et qu’on ne voit que rarement, qu’ils rapportent leur évaluation de moitié, de tiers ou de quart d’année, évaluation qu’ils ne font d’ailleurs que d’une manière très-vague, et plus souvent au-dessous qu’au-dessus. La véritable mesure à laquelle on doit comparer les récoltes pour juger de leurs différences, n’est point cette extrême abondance qui ne sort pas moins de l’ordre commun que la disette ; mais l’année commune ou moyenne, formée de la somme des récoltes de plusieurs années consécutives, divisée par le nombre de ces années. Or, on n’a point rassemblé de faits suffisants pour connaître cette année moyenne. Elle ne peut être formée que d’après des états exacts de la récolte effective des mêmes champs ou des dîmes des mêmes paroisses pendant plusieurs années, et cela dans un très-grand nombre de cantons différents. C’est en comparant au résultat moyen de ces états la récolte actuelle des mêmes champs, ou si l’on veut les dîmes actuelles des mêmes paroisses, qu’on saurait exactement la proportion de la récolte actuelle à la production commune, ce qui serait très-utile pour guider les négociants dans leurs spéculations sur le commerce des grains, en leur faisant connaître les besoins et les ressources respectives des différents cantons ; car l’année commune est nécessairement l’équivalent de la consommation habituelle, puisque le laboureur ne fait et ne peut faire produire habituellement à la terre que ce qu’il peut débiter habituellement, sans quoi il perdrait sur sa culture, ce qui l’obligerait à la réduire. Or, il ne peut débiter que ce qui se consomme ou dans le pays, ou ailleurs. Ainsi, dans un pays où, comme en Angleterre et en Pologne, on exporte habituellement une assez grande quantité de grains, la production commune est égale à la consommation, plus l’exportation annuelle ; et, tant que la culture est montée sur ce pied, on ne peut pas craindre la disette, car dans les mauvaises années les prix haussent, leur haussement arrête l’exportation, et la quantité nécessaire à la consommation des habitants demeure.

Dans les pays, au contraire, où la subsistance des peuples est fondée en partie sur l’importation, comme dans les provinces dont les grains ne forment pas la principale production, et dans les États où une fausse police et le défaut de liberté ont resserré la culture, la production commune est égale à la consommation, moins la quantité qui s’importe habituellement.

Dans ceux où les importations, pendant un certain nombre d’années, se balanceraient à peu près avec les exportations, la production commune doit être précisément égale à la consommation.

D’après ce point de vue, il est vraisemblable qu’il doit être infiniment rare que la production soit réduite, du moins dans une étendue très-considérable, au quart, au tiers et même à la moitié d’une année commune. Ne fut-ce que la moitié, ce serait un vide de six mois de subsistance. Il n’est pas concevable que les réserves des années précédentes, jointes à l’importation, pussent remplir un pareil vide ; un vide d’un sixième seulement épouvante, quand on considère les sommes immenses qu’il faudrait pour y suppléer par la voie de l’importation. Il n’y a point de province qui n’en fût épuisée. L’année dernière, en Limousin, a été une des plus mauvaises dont on ait mémoire ; les états qui furent envoyés au Conseil évaluaient la production du seigle à un tiers et à un quart d’année, suivant les cantons. Un pareil vide sur la production commune, joint au déficit total des menus grains et des châtaignes, n’aurait jamais pu être suppléé, et j’en conclus que la production réelle surpassait de beaucoup le quart ou le tiers de la production commune.

Je n’ai pu me procurer la comparaison des dîmes de 1769 et 1770 avec l’année commune que dans quatre ou cinq paroisses d’un canton voisin du Périgord, qui paraît n’avoir été ni mieux, ni plus maltraité que la plus grande partie de la province. Dans ces paroisses, la dîme a donné, en 1769, environ 83 pour 100 de la production commune, et en 1770, 90 1/2 pour 100 de la production commune. Si c’était là le taux général, le vide sur le seigle en 1769 aurait été d’un peu moins d’un cinquième sur la consommation, et serait à peu près d’un dixième en 1770. On a vu quelle effrayante disette s’en est suivie. Il est vrai que le vide total des menus grains a beaucoup contribué à cette disette ; mais aussi il y avait dans cette province des réserves assez abondantes provenant des années 1767 et 1768, qui ont fait une espèce de compensation. Au surplus, il faut avouer que toute conséquence tirée de faits recueillis dans un canton aussi borné serait prématurée, et qu’il faut attendre, pour fixer ses idées, qu’on ait pu rassembler des faits sur un très-grand nombre de paroisses répandues dans plusieurs provinces.

III. Comparaison de la récolte de 1770 à celle de 1769. — Malgré les obstacles que mettent à ces recherches la défiance généralement répandue et le soin que chacun prend de se cacher du gouvernement, et la difficulté encore invincible de se former une exacte idée de la production commune, on est venu à bout de recueillir uni assez grand nombre de comparaisons des dîmes de 1770 à celles de 1769, et malheureusement le résultat est effrayant, par la grandeur du mal qu’il annonce. Il est moins universel qu’en 1769, mais il y a des cantons où il est plus grand. Je distinguerai la généralité en trois parties relativement à la production des grains.

L’Angoumois et une partie du Limousin ont pour productions principales en grains le froment, quoique cette production n’occupe qu’environ le sixième des terres, le reste étant occupé par le blé d’Espagne, les fèves, et surtout par les vignes. Quoi qu’il en soit, il paraît que la production de cette année est dans cette partie d’environ 140 pour 100 de celle de l’année dernière, c’est-à-dire qu’elle est de deux cinquièmes plus forte. À la vérité, l’année dernière était extrêmement mauvaise. Je regarde cette partie de pays comme formant environ les cinq douzièmes de la généralité. Dans la seconde partie du Limousin, faisant à peu près le tiers de la généralité, je vois que les dîmes, comparées à celles de 1769, sont les unes de 109, d’autres de 107, de 103, de 100, de 99, et quelques-unes de 90 seulement pour 100, c’est-à-dire les plus favorisées, d’un dixième plus fortes, et celles qui le sont le moins, d’un dixième plus faibles ; d’où je conclus qu’en faisant une compensation, la récolte du seigle y est égale à celle de l’année dernière. Enfin, la troisième partie de la généralité est ce qu’on appelle particulièrement la Montagne, qui s’étend le long de la généralité de Moulins et de celle d’Auvergne. Elle comprend toute l’élection de Bourganeuf, environ la moitié de celle de Tulle, et du tiers au quart de celle de Limoges, en tout le quart à peu près de la généralité. Ce canton n’a point de châtaigniers, et il s’y trouve moins de prairies que dans le reste du Limousin ; mais, quoiqu’il y ait des landes assez étendues, on y recueille ordinairement beaucoup plus de seigle qu’on n’en consomme, et cette partie est regardée comme le grenier de la province. C’est là principalement que se font les grosses réserves qui, dans les années disetteuses, se répandent sur les différentes parties qui souffrent. Quoique la dernière récolte n’y eût pas été bonne, il en est cependant sorti beaucoup de grains pour le reste du Limousin et pour le Périgord, et la misère excessive s’y est fait sentir plus tard qu’ailleurs ; mais cette année elle est portée au dernier degré, et cela dès le moment présent. Dans un très-grand nombre de domaines, on n’a pas recueilli de quoi semer. Je vois par les états des dîmes que dans plusieurs paroisses la récolte n’y est que dans la proportion d’environ 38 pour 100 de celle de 1769 ; dans quelques autres, de 56 pour 100. Compensation faite, ce n’est pas la moitié de l’année dernière ; encore est-ce un grain maigre, retrait, qui ne donne presque aucune farine et qui est mêle de beaucoup d’ivraie. Il n’est pas possible d’exprimer la désolation et le découragement qui règne dans ce malheureux canton, où l’on assure que des domaines entiers sont restés sans culture et sans semence, par l’impuissance des propriétaires et des colons.

IV. Prix des grains après la moisson. — Le prix du froment dans l’Angoumois, quoique assez haut, n’a encore rien d’effrayant : il n’est que de 24 à 26 ou 27 livres le setier, mesure de Paris. Il n’en est pas de même du seigle dans le Limousin : il est actuellement à Limoges entre 22 et 24 livres le setier de Paris, c’est-à-dire au même prix où il était en 1770 au mois de février, et lorsqu’on s’occupait d’exécuter l’arrêt du Parlement de Bordeaux qui ordonnait aux propriétaires et aux aisés de se cotiser pour subvenir à la subsistance des pauvres. Mais, dans les autres parties de la province plus reculées, il est à un prix beaucoup plus haut : à Tulle il vaut près de 31 livres le setier de Paris. Dans la Montagne il est encore plus cher, et l’on est près d’en manquer. Ce haut prix est l’effet de l’inquiétude généralement répandue par le déficit sensible des récoltes de toute espèce. La hausse du prix ne fut pas aussi rapide l’année dernière, parce qu’on n’avait point prévu toute l’étendue du mal et qu’on n’avait pas calculé l’effet de la perte des châtaignes et du blé noir, et parce qu’on comptait sur les réserves des années précédentes ; mais l’expérience du passé a rendu ceux qui ont des grains plus précautionnés. La plupart des propriétaires, qui avaient vendu une partie de leur récolte pour faire de l’argent, se sont trouvés dépourvus de grains et obligés d’en racheter à un prix excessif pour nourrir leurs domestiques, leurs colons et les pauvres dont ils ont été chargés. Dans la crainte d’éprouver le même inconvénient, aucun ne vend ses grains, et par une suite des mêmes causes, tout bourgeois, tout paysan au-dessus de la misère veut, à quelque prix que ce soit, faire sa provision. De là le resserrement universel des grains, cause aussi réelle de cherté que le prétendu monopole est chimérique.

V. Bestiaux. — On a été fondé à craindre une maladie épidémique sur les bêtes à cornes, et déjà elle s’était déclarée avec assez de violence dans quelques paroisses de l’élection de Brive et de celle de Limoges ; mais, par les précautions qu’on a prises, les progrès du mal se sont arrêtés, et il ne paraît pas qu’il se soit étendu. Le prix des bêtes à cornes a baissé sensiblement depuis quelque temps. Si cette baisse subsistait, elle ferait perdre au Limousin la seule ressource qui lui reste pour remplacer une faible partie des sommes immenses qui sont sorties l’année dernière de la province, et qui en sortiront encore cette année pour acheter des grains. Les bêtes à laine et les cochons ont essuyé l’année dernière, ainsi que les volailles, une très-grande mortalité ; elle continue encore sur les cochons, et c’est une perte d’autant plus funeste dans cette malheureuse année, que l’engrais de ces animaux est une des principales ressources des petits ménages de campagne.

VI. Vins et eaux-de-vie, — Les vignes ne sont un objet considérable que dans les élections d’Angoulême et de Brive ; elles forment surtout une des principales récoltes de l’Angoumois, où la vente des eaux-de-vie est presque la seule voie qui fasse rentrer dans la province l’argent qui en sort annuellement pour les impositions. L’année sera très-mauvaise en Angoumois, et cette mauvaise année vient à la suite de plusieurs autres très-médiocres. Cependant, comme les vins sont rares partout, il est à croire que le vin se vendra cher et dédommagera un peu les propriétaires, tant par le haut prix de ces vins, que par celui des anciennes eaux-de-vie qui peuvent encore leur rester. L’élection de Brive est plus malheureuse à cet égard que l’Angoumois : les vignes y ont encore plus mal réussi ; indépendamment du mal général, vingt paroisses du meilleur vignoble ont été entièrement ravagées par une grêle affreuse tombée le 3 septembre.

VII. Situation générale de la province. — L’Angoumois, qui fait à peu près le tiers de la généralité, sans être dans l’abondance, ne souffrira pas autant que l’année dernière. Sa production en froment a été assez bonne, de même que celle des blés d’Espagne, et les fèves, dont le peuple consomme beaucoup, y ont assez bien réussi. On a lieu de croire que, quoiqu’il ne reste rien des anciennes récoltes, et que celle-ci ait été par conséquent entamée au moment même de la moisson, les habitants auront de quoi subsister, d’autant plus que les deux provinces du Poitou et de la Saintonge qui l’avoisinent, et qui dans les meilleures années contribuent à l’approvisionner, ont elles-mêmes récolté beaucoup de froment. L’on croit, cependant, que les recouvrements pourront être difficiles, même dans cette partie de la province : 1o à cause de l’épuisement d’argent, dont il est sorti beaucoup l’année dernière pour acheter des grains au dehors ; 2o parce que les propriétaires ont été obligés de s’épuiser pour subvenir à la nourriture de leurs colons et des pauvres ; 3o enfin parce que les vignes, qui forment la principale partie de leur revenu, ne donneront que très-peu de vin, d’une qualité médiocre.

Quant au reste de la généralité, qui comprend le Limousin et la Basse-Marche, les craintes qu’on avait annoncées au commencement de l’été ne se sont que trop réalisées, et l’on sait à présent avec certitude que le cours de l’année 1771 sera encore plus désastreux que celui de 1770. La récolte en seigle n’est pas meilleure, dans les cantons les mieux traités, qu’elle ne l’a été en 1769 ; et, quoique celle des blés noirs et des châtaignes n’y soit pas entièrement nulle, elle est si médiocre qu’elle ne peut certainement entrer en compensation ou remplacement des réserves qu’on avait alors, et qui restaient des années antérieures. Ce n’est pas tout. Le canton de la généralité qui est ordinairement le plus abondant en grains se trouve dans le dénûment le plus absolu, au point qu’il n’y a pas eu de quoi semer dans la moitié des domaines. Ce malheureux canton n’a pas même la ressource la plus modique en châtaignes, et les blés noirs y ont plus mal réussi qu’ailleurs. Les habitants sont d’autant plus à plaindre, que les cantons voisins de l’Auvergne et de la généralité de Moulins sont hors d’état de les secourir, étant presque aussi maltraités. Le reste du Limousin est lui-même dans la disette, et paye les subsistances à un prix exorbitant. Ce prix sera encore augmenté par les frais de transport pour arriver à ce canton montagneux, enfoncé dans les terres, et où pendant l’hiver la neige met encore un obstacle invincible aux communications, déjà difficiles par elles-mêmes. Et comment pourront payer des grains à ce prix excessif de malheureux habitants privés pendant deux ans de récolte, à qui des propriétaires épuisés par la nécessité d’acheter des subsistances au plus haut prix pour nourrir eux et leurs familles, leurs domestiques, leurs colons, les pauvres de leurs paroisses, ne peuvent plus donner ni secours ni salaires ? De quelque côté qu’on tourne les yeux, on ne voit aucune ressource pour la subsistance de ces malheureux.

À l’égard des recouvrements, on conçoit encore moins comment le gouvernement pourrait tirer des impôts d’un peuple qui n’a pas le nécessaire physique pour subsister.

Tel est le résultat du cruel tableau qu’on est forcé de mettre sous les yeux du Conseil[39].


LETTRE À M. L’ABBÉ TERRAY[40].

Limoges, le 9 mars 1771.

Monsieur, en répondant le 31 janvier à la lettre que j’avais eu l’honneur de vous écrire le 15 décembre précédent, au sujet de l’emploi des 80,000 francs destinés à établir des travaux publics pour le soulagement des pauvres, vous avez bien voulu me faire espérer d’écouter les représentations que je vous annonçais sur les besoins de cette province et sur la modicité de la diminution qui lui a été accordée.

Je vais donc, monsieur, vous les exposer avec d’autant plus de confiance, qu’il me semble que les circonstances qui paraissaient, à la fin de l’automne, pouvoir mettre des bornes à la bienfaisance du roi pour cette malheureuse province, sont devenues aujourd’hui beaucoup plus favorables ; puisque, d’un côté, l’événement de la négociation entre l’Espagne et l’Angleterre paraît devoir rassurer sur les apparences alors très-fortes d’une guerre prochaine, tandis que, de l’autre côté, les craintes que la cherté des grains, éprouvée immédiatement après la récolte, avait fait naître d’une disette universelle, doivent être dissipées. En effet, la diminution graduelle du prix des grains, qui a lieu dans presque toutes les provinces depuis environ un mois, annonce que l’abondance est plus grande qu’on ne l’avait pensé, du moins dans les provinces à froment ; que le haut prix des grains qui s’est soutenu dans les premiers mois de l’hiver, a eu pour cause principale les inquiétudes occasionnées par l’extrême cherté qu’on a subie dans les derniers mois qui ont précédé la récolte de 1770 ; l’incertitude sur l’abondance réelle de la récolte jusqu’à ce qu’il y ait eu une assez grande quantité de grains battus ; l’interruption du commerce du nord, tant par l’augmentation des prix en Pologne, en Allemagne et en Hollande, que par la crainte de la peste ; les bruits de guerre ; enfin, l’obstacle que les pluies excessives ont mis aux semailles dans tous les terrains bas. Il était naturel que, dans ces circonstances, les propriétaires différassent de vendre, soit pour assurer leur provision et celle de leurs colons, soit pour attendre une augmentation de prix que l’alarme générale leur faisait croire inévitable. Mais, les grains s’étant montrés plus abondants à mesure que l’on a pu battre, la saison ayant paru favorable aux semailles des grains de mars, les grains semés en automne paraissant promettre, et les craintes d’une guerre prochaine ayant été dissipées, les esprits se sont rassurés sur la disette, l’empressement des acheteurs s’est ralenti, et les propriétaires se sont au contraire empressés de vendre.

Telle est, ce me semble, monsieur, la situation actuelle du plus grand nombre des provinces, et surtout de celles où la production du froment forme une partie considérable des récoltes. Les provinces dont la principale production est eu seigle, et qui, étant en même temps situées dans l’intérieur des terres et trop éloignées des abords de la navigation, ne peuvent être secourues que par des grains transportés à grands frais, sont les seules qui soient à présent véritablement à plaindre. On dit qu’il y a quelques parties de la Champagne et de la Lorraine qui ont souffert beaucoup. Je n’en suis pas assez instruit pour en parler avec certitude ; ce que je sais, c’est que la montagne du Limousin, les parties de la Marche limitrophes du Limousin et de l’Auvergne, et la partie de cette dernière province qui avoisine le Limousin et le Rouergue, ont été presque entièrement privées de toute récolte ; que la misère y a été et y est encore portée au dernier excès, et qu’il ne peut y parvenir de grains du dehors qu’à des prix au-dessus de toute proportion avec les facultés non-seulement des simples ouvriers, mais encore d’un très-grand nombre de propriétaires, privés de leur revenu par le défaut de récolte. Le malheur des habitants de la montagne du Limousin est d’autant plus complet, que, privés de leur récolte en seigle, ils sont dénués de toute autre ressource. Les châtaignes, qui dans le reste du Limousin ont été un peu plus abondantes qu’on ne s’en était flatté d’abord, et qui ont beaucoup adouci le sort des habitants de la campagne, sont inconnues dans la montagne, dont la température est trop froide pour cette production. L’avoine, qui, mise en gruau, fait une partie de la nourriture des peuples de ce canton, n’a pu être recueillie, l’abondance des pluies l’ayant fait pourrir sur la terre.

Cette différence entre la détresse de ce petit nombre de provinces et le reste du royaume est, monsieur, une observation essentielle sur laquelle je dois appuyer auprès de vous. J’avais cru, dans mon Avis sur le moins-imposé, vous avoir mis sous les yeux les motifs les plus forts et les plus péremptoires pour vous déterminer à accorder au Limousin un traitement extraordinaire et proportionné à des malheurs extraordinaires. Cependant, je vois qu’il a été traité moins favorablement que dans des années où il n’avait éprouvé que des malheurs communs : le moins-imposé, je parle du vrai moins-imposé au profit des contribuables, est de 60,000 francs moins fort qu’en 1769, et de 20,000 francs moins fort qu’il n’avait été fixé pour 1770, avant que la disette se fût développée. C’est donc une augmentation réelle d’impôt sur 1769 et même sur 1770. Je conviens qu’outre la diminution accordée sur les impositions, il a été destiné une somme de 80,000 livres pour l’établissement d’ateliers publics qui facilitent aux pauvres les moyens de subsister. Mais cette grâce, dont je sens tout l’avantage, ne rend pas la charge des propriétaires moins forte. D’ailleurs, je vois, par ce qui se passe dans les généralités, que le Limousin n’a pas été traité beaucoup plus favorablement que les autres provinces : toutes ont eu leur part à ce bienfait du roi, vraisemblablement à proportion de leur étendue. J’en juge par la généralité de Bordeaux, dans laquelle j’ai lieu de croire que les fonds accordés pour cet objet sont beaucoup plus con sidérables que dans celle de Limoges ; cependant je sais que cette généralité n’a pas souffert extraordinairement dans ses récoltes, et qu’elle est à peu près dans le même état que l’Angoumois, dont assurément la situation n’est en rien comparable à celle de la montagne du Limousin et des parties limitrophes de l’Auvergne et de la généralité de Moulins.

Je ne puis, monsieur, expliquer la disproportion du traitement de cette généralité avec ses besoins, que par l’idée où sans doute vous avez été que la misère était à peu près universelle dans le royaume, et que, l’immensité des besoins de l’État ne vous permettant pas de proposer au roi des diminutions d’impôts assez fortes pour procurer aux peuples un soulagement proportionné, vous ne pouviez rien faire de mieux que de répartir à peu près également entre toutes les provinces le peu de sacrifices que la situation des finances vous permettait de faire.

Je ne pourrais concevoir autrement, monsieur, que vous eussiez pu lire les détails dans lesquels je suis entré sans en être frappé et sans y avoir égard : ils sont tels qu’avec le plus grand désir de vous persuader et d’obtenir de vous un soulagement beaucoup plus considérable, il m’est impossible de trouver de nouvelles raisons, ni d’ajouter à la force de celles que je vous ai déjà exposées. Je suis donc forcé de vous les répéter, ou plutôt d’en faire une courte récapitulation, en vous suppliant de vous faire représenter encore ce que j’ai eu l’honneur de vous dire dans l’état des récoltes et dans mon Avis sur le moins-imposé.

Le premier motif sur lequel j’insistais était l’horrible disette que la province a éprouvée dans le cours de l’année 1770, et l’épuisement de toutes les ressources qui en avait résulté. Je vous observais que les ouvriers et les artisans n’avaient pu subsister qu’en vendant leurs derniers meubles et jusqu’à leurs vêtements ; que les propriétaires, forcés d’avancer la nourriture à leurs colons pour ne pas laisser leurs terres en friche, ont été presque tous obligés d’acheter à un prix exorbitant du grain au delà de ce qu’ils avaient récolté ; qu’ils avaient été en outre obligés de se cotiser pour nourrir les pauvres de leurs paroisses.

J’ajoutais un calcul frappant de la quantité d’argent que cette disette a du faire sortir de la province pour l’achat des subsistances. En prenant tous les éléments de ce calcul au plus bas, j’évaluais cette quantité à 3 millions 600,000 livres ou 4 millions, somme presque égale au montant des impositions ordinaires de la province, et qui ne peut rentrer par les voies ordinaires du commerce qu’au bout d’un assez grand nombre d’années ; et je représentais l’obstacle que ce vide dans la circulation devait nécessairement mettre au recouvrement des impositions. J’insistais encore sur la nécessité de suppléer, par un soulagement effectif, à l’impossibilité où s’étaient trouvés une grande partie des contribuables de payer leurs impositions dans un temps où, faute de moyens pour subsister, ils étaient obligés de vivre de charité.

Tous ces faits sont exactement vrais, monsieur ; mais une chose non moins vraie, et qui ne paraît pas vous avoir assez frappé, c’est que ce malheureux sort a été particulier au Limousin et à quelques cantons limitrophes des provinces voisines, dont aucune n’a autant souffert. Le cri général qui s’est élevé dans les derniers mois de l’été dernier a pu faire illusion ; mais il est très-certain que, dans le plus grand nombre des provinces, la cherté ne s’est fait sentir que pendant deux mois ou deux mois et demi tout au plus ; que nulle part elle n’a été comparable à celle qu’on éprouvait dans le Limousin, plus éloigné des secours ; que, même à prix égal, les peuples de cette dernière province ne pouvaient manquer de souffrir davantage, parce que, le prix habituel des grains, et par conséquent les revenus et les salaires du travail y étant plus bas que dans les provinces plus à portée des débouchés, la cherté, sans y être plus forte, y devait être plus onéreuse. Dans le grand nombre des provinces, cette cherté passagère n’est tombée que sur les journaliers et les artisans ; les propriétaires et les cultivateurs en ont du moins été dédommagés, peut-être même enrichis par la vente avantageuse de leurs récoltes : dans le Limousin, au contraire, les propriétaires, obligés d’acheter du grain pour nourrir leurs colons, ont éprouvé des pertes dont ils se sentiront longtemps. Je vous l’ai dit, monsieur, la cherté des grains ne peut être profitable dans cette province qu’aux nobles et aux ecclésiastiques propriétaires de rentes seigneuriales, et qui ne contribuent presque en rien à l’impôt ; il n’est donc pas vrai que la misère de l’année dernière n’ait affligé le Limousin que comme les autres provinces : cette généralité a été affligée hors de toute proportion, et j’ose dire qu’elle doit être soulagée hors de toute proportion.

Dans une lettre particulière que j’ai eu l’honneur de vous adres ser en même temps que mon Avis, j’ai appuyé sur une autre considération non moins décisive. Je vous avais déjà rappelé dans mon Avis ce que j’avais prouvé précédemment à M. de Laverdy, que, par une suite de la surcharge qu’éprouvait depuis longtemps cette province dans la masse de ses impositions, le recouvrement s’y trouvait arriéré de temps immémorial, de façon que les impositions n’étaient en général soldées qu’à la fin de la troisième année, et que le seul moyen de rapprocher des temps ordinaires les recouvrements arriérés, était de mettre la province en état de s’acquitter par degrés, en diminuant la surcharge qui lui laisse à peine de quoi se soutenir au point où elle est, sans augmenter la masse des arrérages. Dans ma lettre, je vous ai mis sous les yeux la comparaison des recouvrements en 1770, avec les recouvrements en 1769. Comme l’année n’était pas encore finie alors, je n’ai pu vous en présenter qu’un tableau incomplet. Je viens de le faire relever exactement sur les états des recouvrements de chaque mois : il en résulte qu’en 1769 la totalité des payements sur toutes les impositions des années non encore soldées a été de 4,415,431 liv. 17 sous 10 deniers. En 1770, la totalité des payements n’a été que de 3 millions 513,945 liv. 10 sous dix deniers. La province s’est donc arréragée, en 1770, de 901,486 liv. 7 sous, ou en nombre rond de plus de 900,000 francs. C’est environ le quart du total de ses impositions. Réunissez, monsieur, cette augmentation énorme dans ce que la province doit payer en 1771, avec un vide de près de 4 millions sur la somme d’argent existante dans la province, et voyez s’il est possible, je dis possible physiquement, qu’elle paye le courant et ces énormes arrérages, et je ne dis pas sans écraser les contribuables, je dis même en les écrasant.

Cependant, monsieur, je n’ai encore insisté que sur les suites des désastres qu’a versés sur elle la disette de 1769 à 1770. Que sera-ce, si vous faites entrer en considération les malheurs qu’elle a éprouvés de 1770 à 1771, malheurs qui lui sont tellement particuliers, qu’à proprement parler elle ne les partage qu’avec deux provinces voisines ? Je sais que le défaut de récolte n’a pas été aussi général que l’année dernière ; mais, dans la plus grande partie de la province, la récolte cependant a encore été très-médiocre, et dans tout le canton de la Montagne elle a été presque nulle. Dans ce malheureux canton, aucune denrée ne peut suppléer au vide des grains. et la détresse y est au point qu’on n’a pas même pu semer faute de semence, et que plusieurs des grains qu’on a semés n’ont pu germer en terre, parce qu’ils ne contenaient aucune farine. Je ne fais que vous répéter ce que je vous ai déjà mis sous les yeux ; mais je ne puis m’empêcher de vous redire encore qu’il est impossible de faire payer des impositions à un peuple réduit à cette extrémité. C’est un fait très-constant, que la plus grande partie des terres labourables n’ont produit aucun revenu à leurs propriétaires, et qu’ils sont obligés d’acheter du blé pour eux et pour leurs colons. Je suis obligé de vous répéter, monsieur, qu’il est indispensable de supprimer presque toute l’imposition des paroisses les plus affligées : or, le moins-imposé que vous avez procuré à la province est infiniment trop modique pour y suffire, même en n’accordant rien à tout le reste de la province.

J’ai fini mon Avis par un calcul qui vous a sans doute effrayé, et vous avez trouvé mes demandes exorbitantes : cependant je crois ce calcul exact, et je crois que vous devez être frappé du rapport précis qui se trouve entre son résultat et la somme dont la province s’est arréragée sur les recouvrements, par la seule impossibilité de payer. Je puis vous protester que je n’ai pas cherché à faire cadrer ces deux résultats, et que j’avais fait mon premier calcul avant de comparer ce que la province avait payé dans l’une et l’autre année.

Au reste, monsieur, comme je vous le disais alors, je calculais, j’exposais les besoins, je ne demandais pas ; je connaissais assez la situation de l’État menacé d’une guerre, pour ne pas espérer d’obtenir tout ce que je pensais être nécessaire ; mais il y a bien loin de 900,000 f. à 220,000 ; et je n’aurais jamais pensé qu’après vous avoir mis sous les yeux des raisons aussi fortes, vous eussiez laissé subsister sur les contribuables une charge de 60,000 fr. plus forte qu’en 1769. Si les circonstances, si les craintes de la guerre, si l’opinion de la disette générale ont mis alors obstacle à votre bonne volonté, j’ose espérer du moins que, rassuré sur les dangers de la guerre, et voyant que le Limousin a essuyé deux ans de suite des malheurs que les autres provinces n’ont point éprouvés, vous voudrez bien intéresser de nouveau en sa faveur la bienfaisance du roi.

Vous eûtes la bonté l’année dernière, sur mes représentations, d’ajouter au premier moins-imposé de 250,000 liv. un supplément de 200,000 livres. Pour nous faire un traitement égal, il faudrait un supplément de 230,000 liv. : ce ne serait point encore assez pour les besoins que j’ai exposés, et avec ce supplément même, je ne pourrai presque y faire participer la partie de l’Angoumois ; mais je pourrais du moins soulager d’une manière efficace la partie de la Montagne, et le reste du Limousin se ressentirait un peu des bontés du roi.

J’ose vous supplier, monsieur, de prendre en considération ces représentations, qu’il est de mon devoir de vous faire, et auxquelles je ne puis croire que l’amour du roi pour ses peuples se refuse, si vous avez la bonté de les faire valoir.

Je suis avec respect, etc.


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges pour l’année 1772[41].

Dans l’Avis que nous avons eu l’honneur d’adresser l’année dernière au Conseil, nous avons cru indispensable de rappeler le Mémoire[42] sur lequel nous insistons depuis l’année 1760, et par lequel nous avons démontré que la généralité de Limoges éprouve depuis longtemps une surcharge énorme dans ses impositions ; que les fonds taillables de cette généralité payent au roi, en y comprenant les vingtièmes, de 45 à 50 pour 100 du revenu total de la terre, ou de 90 à 100 pour 100 de ce qu’en tirent les propriétaires, et que cette charge est incomparablement plus forte que celle que supportent les provinces voisines et la plus grande partie des autres provinces du royaume.

Nous avons aussi rappelé une lettre très-détaillée, écrite en 1767 à M. de Laverdy, et nous y avons joint encore un tableau des recouvrements pour les impositions de 1769. Dans cette lettre, nous avions prouvé que c’est à cette surcharge seule que l’on doit imputer le retard habituel qui dure depuis un temps immémorial dans la généralité de Limoges sur le recouvrement des impositions ; retard tel que les impositions ne sont soldées qu’à la fin de la troisième année, et que les contribuables, dans les temps les plus heureux, ont toujours à satisfaire trois collecteurs à la fois. Nous observions, dans cette même lettre, que le seul moyen de rapprocher des termes ordinaires les recouvrements arriérés, était de mettre la province en état de s’acquitter par degrés en diminuant cette surcharge, qui lui laisse à peine de quoi se soutenir au point où elle est sans augmenter la masse des arrérages.

Nous aurons occasion, dans le cours de cet Avis, de remettre encore sous les yeux du Conseil d’une manière plus frappante l’excès de ces arrérages, et leur prodigieuse augmentation par l’effet des malheurs successifs qu’a essuyés le Limousin, ainsi que la nécessité urgente d’y remédier.

Nous ne nous lasserons point de répéter que, pour ramener les impositions de la généralité de Limoges à la même proportion que celles des autres provinces, c’est-à-dire pour qu’elle ne payât au roi que le tiers du revenu total, ou une somme égale à la moitié de ce que retirent les propriétaires, il faudrait une diminution effective de plus de 700,000 liv., dont la moitié fût portée sur la taille, et l’autre moitié sur les impositions accessoires.

Nous répéterions de même que ce n’est point à titre de grâce ni sous la forme de moins-imposé, que ce soulagement devrait lui être accordé ; que ce n’est point une faveur passagère qu’elle réclame de la bonté et de la justice du roi, mais un changement permanent dans sa proportion avec les autres provinces ; un changement dans sa fixation sur les commissions mêmes des tailles, et dans l’assiette du second brevet et de la capitation.

À quelque point qu’il fût intéressant de donner de nouvelles preuves de cette surcharge, d’insister sur la nécessité d’y avoir égard, et de lever les doutes et les difficultés qui ont pu jusqu’ici suspendre la décision du Conseil, nous nous trouvons encore cette année, ainsi que nous nous trouvions l’année dernière, dans la nécessité de passer légèrement sur des considérations aussi puissantes. Au milieu des fléaux dont cette province a été successivement accablée pendant trois années, nous avons malheureusement des motifs plus pressants encore à présenter.

M. le contrôleur-général sait qu’après deux disettes consécu tives que le Limousin a essuyées en 1770 et en 1771, il est encore menacé d’en essuyer une non moins cruelle en 1772. Nous lui en avons mis les détails sous les yeux, et ils ont fixé son attention, puisque la province a déjà ressenti l’effet des bontés paternelles du roi par les secours qu’il a bien voulu accorder pour faciliter les approvisionnements. Nous observerons seulement qu’à ne s’arrêter même qu’au vide des récoltes, indépendamment de toute autre considération, la situation de la province sera plus fâcheuse en 1772 qu’en 1771. La récolte est en général beaucoup moindre qu’en 1770, même dans la partie de la Montagne, où cependant la misère a été portée à l’excès. Dans le plat pays du Limousin, la châtaigne pourra remplacer en partie la différence d’une année à l’autre ; mais l’Angoumois, qu’une récolte passable en froment et abondante en blé d’Espagne avait sauvé de la disette en 1770, souffrira beaucoup et peut-être autant qu’en 1769. La médiocrité de la modération accordée sur les impositions de 1771, et l’excès des maux qui accablaient le canton de la Montagne, n’ont pas permis de faire participer l’Angoumois à cette modération, malgré l’épuisement où la disette de 1770 avait jeté les peuples ; mais cette année il aura des droits trop bien fondés, et auxquels nous espérons qu’on ne voudra pas se refuser.

L’état des récoltes de cette année sollicite puissamment les bienfaits de Sa Majesté en faveur d’une portion si malheureuse de ses sujets. Combien ce motif n’acquiert-il pas de force, lorsque l’on considère que cette disette vient à la suite de deux autres consécutives, dont la première avait suffi pour épuiser toutes les ressources, toutes les épargnes antérieures, tous les moyens de subsister pour les pauvres en vendant leurs bestiaux, leurs meubles, jusqu’à leurs vêtements, tous les moyens pour les habitants d’une fortune médiocre de soulager les plus malheureux ! Car enfin, avec quoi pourront payer des impositions ceux qui n’ont pas de quoi subsister eux-mêmes ?

Nous avions développé toutes ces considérations de la manière la plus forte, soit dans notre Avis de l’année dernière, soit dans une lettre particulière que nous avons eu l’honneur d’écrire à M. le contrôleur-général le 9 mars 1771. Nous ne répéterons point les détails dans lesquels nous entrâmes alors, mais nous osons dire qu’ils méritent toute son attention, et nous le supplions de vouloir bien se les faire représenter. Nous en rappellerons seulement quel ques articles principaux, en observant que la continuité des mêmes malheurs sur la province ajoute prodigieusement à la force des considérations que nous exposions, et qui n’étaient déjà que trop frappantes. Si les circonstances où se trouvait alors le royaume, menacé d’une guerre étrangère, n’ont pas permis d’avoir, à des demandes appuyées de tant de preuves, tout l’égard qu’elles méritaient, c’est un nouveau poids qu’elles ont acquis, et qui sollicite d’autant plus impérieusement la bienfaisance de Sa Majesté.

Nous insistons fortement sur un calcul[43], dans lequel, en mettant tout au plus bas, nous prouvions que, pendant la disette de 1770, il était sorti de la province, pour la nourriture des habitants, au moins 3,600,000 liv., réduits à un peu plus de 3 millions, en déduisant les soulagements extraordinaires que le roi avait eu la bonté d’accorder à la province, soit en augmentations de moins-imposé, soit en avances pour les approvisionnements et les travaux publics. Nous osons répéter que cette considération mérite toute l’attention du Conseil. Il est évident que les contribuables ne peuvent payer les impositions qu’avec de l’argent, et que par conséquent ce vide, dans la somme qui circulait pour les besoins et le commerce intérieur de la province, doit les mettre dans l’impossibilité d’y satisfaire. Il n’est pas moins évident que la province, dont le commerce dans aucun genre n’a pu augmenter, n’a eu aucun moyen de faire rentrer cet argent. Ce vide, bien loin d’être diminué, n’a pu que s’accroître beaucoup par la disette de 1771. À la vérité, cette dernière disette n’a pas été aussi générale, mais il n’en est pas moins vrai que le Limousin n’a pu subsister que par une importation considérable de grains de toute espèce qu’ont fournis les provinces voisines. Si l’on suppose que cette importation ait été le tiers de celle de 1770, le vide, au lieu d’être de 3 millions, sera donc de 4, et l’on doit s’attendre qu’il augmentera beaucoup plus en 1772, puisque le défaut de récolte est plus général.

Une autre considération, j’ose le dire, effrayante par elle-même, et encore plus quand on la rapproche du vide dans la masse d’argent dont nous venons de parler, c’est l’immensité des sommes dont la province est arréragée sur ses recouvrements ; et nous ne voulons point parler ici de ce retard ancien et immémorial, en conséquence duquel l’imposition assise chaque année n’est jamais sol dée qu’en trois ans, de sorte que les contribuables sont, comme nous l’avons déjà observé, toujours exposés aux poursuites de trois collecteurs à la fois.

Dans cet état des choses, les contribuables n’en payent pas moins chaque année, quoique sur différents exercices, une somme à peu près égale à la totalité des impositions de l’année courante ; et l’on sent au premier coup d’œil que s’il en était autrement, les arrérages grossiraient sans cesse au point de mettre les peuples absolument hors d’état d’y satisfaire jamais. Cependant, l’effet de cette surcharge d’impositions, dont nous nous plaignons depuis si longtemps, et que nous croyons avoir évidemment prouvée en 1766, est tel que, pour peu qu’il survienne un accroissement d’impositions extraordinaires, pour peu que la province essuie quelques malheurs particuliers, il devient impossible de payer dans l’année une somme égale à l’imposition courante, et que les arrérages n’augmentent nécessairement. En effet, nous avions observé à M. le contrôleur-général que la province avait payé, en 1770, environ 900,000 fr. de moins qu’en 1769, et nous lui avions fait considérer en même temps que cette somme cadrait assez exactement avec le calcul des sommes qu’il avait été nécessaire de remettre à la province, tant pour exempter d’impositions les journaliers et les petits propriétaires qu’on avait été obligé de mettre à la charité publique, que pour soulager d’une manière vraiment efficace les paroisses de la Montagne, et pour ne pas faire supporter aux autres contribuables de la province une charge plus considérable après la disette de 1770, que celle qu’ils supportaient en 1769. Nous ajoutions que l’accord de ces deux résultats méritait d’autant plus son attention, que cet accord n’avait été aucunement combiné, et que nous avions achevé le calcul des soulagements dont la province avait besoin avant d’avoir pensé à comparer les recouvrements de 1770 avec ceux de 1769.

Cette considération, qui ne paraît pas avoir autant frappé le Conseil l’année dernière qu’elle nous semblait le mériter, est trop importante pour que nous ne cherchions point à la développer de nouveau, et à la présenter encore sous un jour qui montre la nécessité d’y avoir égard.

Nous avons fait continuer, d’année en année, le relevé des recouvrements annuels que nous avions déjà adressé à M. de Laverdy en 1767, et nous avons comparé le recouvrement effectif de chaque année sur les différents exercices courants avec l’imposition assise chaque année sur la province. Il résulte de ce tableau que, dans l’intervalle de 1756 à 1763 inclusivement, c’est-à-dire pendant la durée de la guerre et des impositions extraordinaires qu’elle avait occasionnées, les recouvrements ont toujours été au-dessous de l’imposition de l’année courante. Cette augmentation annuelle d’arrérages formait, à la fin de 1763, une somme de 1,540,285 liv.

Depuis 1764, la province avait commencé à s’acquitter en payant chaque année quelque chose au delà de l’imposition courante. Ces excédants de recouvrements accumulés ne formaient cependant, à la fin de 1769, qu’une somme de 359,240 liv. Par conséquent, il restait encore, des anciens arrérages accumulés pendant huit ans de guerre, une somme de 1,199,025 fr. Or, cette somme est plus que doublée par l’effet de la disette de 1770 et 1771. En 1770, les payements ont été moindres que l’imposition de 819,329 liv. L’année 1771 n’est point achevée ; mais, en comparant les payements faits dans les neuf premiers mois avec les payements faits dans les neuf mois correspondants de 1769, année pendant laquelle les recouvrements furent à peu près égaux à l’imposition, on trouve une différence de 454,925 liv. Ainsi, pendant les deux disettes de 1770 et 1771, la province s’est encore arréragée sur ses impositions de 1,274,254 fr. Cette somme est plus considérable que celle qui lui restait à acquitter des anciens arrérages de la guerre. En les réunissant toutes deux, il en résulte qu’elle est actuellement arréragée de 2,473,279 fr, sur ses impositions, indépendamment du retard habituel et immémorial qui existait avant la guerre. Si l’on rapproche cette masse énorme d’arrérages d’un vide de 4 millions dans la masse effective de l’argent circulant, qui a nécessairement résulté des deux dernières disettes, on sentira combien il est impossible que les contribuables puissent jamais se relever d’une pareille dette envers le roi, s’il n’a la bonté de venir à leur secours par des soulagements proportionnés à une situation aussi accablante.

Toute la rigueur des poursuites, toute la force de l’autorité, toute la soumission, tout le zèle des sujets, ne peuvent rien contre l’impuissance physique de payer, que ces calculs démontrent d’une manière palpable.

Nous devons encore insister sur une observation très-importante, c’est que dans une province telle que le Limousin, où les proprié taires et les cultivateurs n’ont en général que très-peu de grain à vendre, et sont même obligés d’en acheter pour la nourriture de leurs colons et domestiques toutes les fois que les menues denrées dont les paysans se nourrissent ont manqué, l’influence de la disette sur les recouvrements est toute différente de ce qu’elle est dans les provinces à grandes exploitations, où les fermiers s’enrichissent ordinairement durant les disettes par la vente avantageuse de leurs récoltes, et n’en sont que plus en état de s’avancer sur le payement de leurs impositions. — Nous avons plusieurs fois observé que la cherté des grains ne peut être profitable en Limousin qu’aux ecclésiastiques et aux nobles, propriétaires des dîmes et des rentes seigneuriales, lesquels ne contribuent que très-peu à l’impôt. Nous ajoutons encore que le Limousin est en même temps la province qui a souffert de la disette le plus longtemps ; qui, par sa position méditerranée, se trouve plus éloignée des secours, et dans laquelle à cherté égale les peuples doivent souffrir davantage, puisque, le prix habituel des grains et par conséquent les revenus et les salaires du travail y étant plus bas que dans les provinces plus à portée des débouchés, la cherté sans y être plus forte doit y être plus onéreuse. Nous en conclurons, comme nous le faisions l’année dernière, et à bien plus forte raison dans un moment où nous sommes menacés d’une troisième disette, que cette généralité, ayant été affligée hors de toute proportion, doit être soulagée hors de toute proportion.

Quoique rien ne semble devoir ajouter à la force des considérations que nous venons de mettre sous les yeux du Conseil, nous ne pouvons cependant passer sous silence un autre objet de perte, d’autant plus intéressant, qu’il ne peut manquer de diminuer beaucoup les ressources pour le payement des impositions. On sait que la vente des bestiaux est presque la seule voie par laquelle rentrent chaque année en Limousin les sommes qui en sortent, soit pour les impositions royales, soit pour payer le revenu des propriétaires résidant hors de la province, soit pour solder les marchandises qu’elle tire du dehors pour sa consommation. Ce n’est même qu’à l’activité de ce commerce dans ces dernières années, que la province doit d’avoir pu soutenir jusqu’à un certain point le poids de la disette et paver même une partie de ses impositions. Cette ressource est prête à lui manquer. D’un côté, la cherté des fourrages qui s’est déjà fait sentir par la diminution du prix des bestiaux maigres ; de l’autre, la dimi nution sensible dans la consommation de Paris, qui fera nécessairement tomber le prix des bestiaux gras, occasionneront une double perte aux propriétaires. C’est encore un motif qui doit faire sentir de plus en plus la nécessité de soulager efficacement la province.

Pour nous résumer, nous allons rappeler en peu de mots les différentes considérations que nous venons d’exposer dans notre Avis. Au motif de la surcharge ancienne et trop prouvée dont la province se plaint dans les temps les plus heureux, et qui l’a jetée forcément dans un retard habituel sur le payement de ses impositions, qui ne sont jamais payées qu’en trois ans, se joignent l’approche d’une disette en 1772, à la suite des trois disettes consécutives qui ont déjà épuisé toutes les ressources des peuples, disette qui doit être et plus cruelle et plus étendue que celle de 1771, puisque le vide des récoltes s’est fait sentir dans toute la généralité. L’état du canton de la montagne en particulier ne laisse envisager de ressources contre la famine absolue que dans la bienfaisance de Sa Majesté.

Un vide de 4 millions sur la masse d’argent qui circulait dans la province, et qui en est sorti pour payer les grains qu’elle a été forcée de tirer d’ailleurs, vide qu’aucun commerce n’a pu remplacer, et que la nécessité de tirer encore des grains des autres provinces et de l’étranger augmentera nécessairement.

Une masse d’arrérages sur le recouvrement des impositions de près de 2,500,000 livres, c’est-à-dire des cinq huitièmes de la totalité des impositions de la province, arrérages dont plus de moitié se sont accumulés dans l’espace de vingt et un mois par l’effet nécessaire des deux dernières disettes, qui ont ainsi doublé le mal qu’avaient fait à cet égard huit années d’une guerre ruineuse.

Enfin, la diminution des ressources ordinaires de la province par l’affaiblissement du commerce des bestiaux, résultant de la perte totale des foins et de la diminution dans la consommation de Paris. Sans doute des motifs aussi forts, aussi touchants, ne sollicitent pas moins la justice et même la sagesse du roi que sa bonté paternelle, en faveur d’une partie de ses peuples accablée d’une [suite de fléaux successifs qui l’ont réduite à l’état le plus déplorable. Il nous suffit d’en avoir mis le tableau sous ses yeux. Nous n’osons nous fixer à aucune demande. L’année dernière, nous avions éprouvé la même crainte ; nous avions exposé les faits, calculé les besoins de la province, en observant que nos calculs n’étaient point des demandes. Nous sentions combien le résultat en était effrayant et peu proportionné aux besoins actuels de l’État, puisque ce résultat montait à 900,000 livres. Nous ne demandions ni n’espérions même pas ce secours ; mais nous avons été vivement affligé de n’obtenir que 270,000 livres, somme qui ne nous a permis que de soulager imparfaitement la Montagne et quelques parties du Limousin, et qui nous a laissé l’impuissance de faire sentir à l’Angoumois les effets de la bienveillance du roi. En 1770, nous avions du moins obtenu un moins-imposé de 450,000 livres, et toute la province s’en était ressentie. Nous devons dire, et nous croyons avoir prouvé, que ses besoins sont beaucoup plus considérables, et nous osons supplier Sa Majesté de vouloir bien y proportionner ses bontés.


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges pour l’année 1773[44].

Nous avons développé tant de fois, avec tant de force et d’étendue, l’indispensable nécessité de venir au secours de cette généralité, non-seulement par un soulagement momentané à titre de moins-imposé, mais par une diminution forte et permanente sur ses impositions, que nous sommes réduit à l’impuissance de rien ajouter de nouveau à ce que nous avons déjà dit. Nous osons prier encore le Conseil de prendre en considération le Mémoire sur la surcharge des impositions de la généralité, que nous avons joint à notre Avis sur les impositions à la fin de 1766, les détails dans lesquels nous sommes entré en donnant notre Avis en 1770, et ceux que nous y avons ajoutés l’année dernière. Nous nous bornerons à en présenter ici les résultats généraux.

1o Nous croyons avoir démontré, dans le Mémoire déjà cité, que les fonds taillables de la généralité de Limoges payent au roi, en y comprenant les vingtièmes, de 45 à 50 pour 100 du revenu total de la terre, ou de 90 à 100 pour 100 de ce qu’en tirent les propriétaires, et que cette charge est incomparablement plus forte que celle que supportent les provinces voisines, et la plus grande partie des autres provinces du royaume.

2o Nous avons prouvé en 1770 que la disette éprouvée par la province avait fait sortir près de 4 millions de la masse d’argent qui, jusqu’alors, y avait été en circulation : il n’est malheureusement que trop clair que ces sommes n’ont pu rentrer, et que le vide a dû au contraire augmenter, puisque la province n’a pas moins été en 1771 et 1772, qu’elle ne l’avait été en 1770, dans la nécessité de tirer des grains du dehors.

3o Nous avons fait voir qu’indépendamment du retard habituel sur le recouvrement des impositions, et qui consiste en ce que la province n’achève de solder entièrement les impositions d’une année qu’au bout de trois ans, l’excès des charges pendant la guerre avait augmenté les arrérages de la province d’une somme de 1,540,000 1. Depuis l’établissement de la liberté du commerce des grains jusqu’à la fin de 1769, la province s’était rapprochée du courant d’environ 360,000 liv., et n’était plus arriérée que d’environ 1,200,000 liv. En 1770, ses arrérages ont augmenté de 820 000 liv. ; c’est-à-dire qu’il y a eu cette différence entre l’imposition de 1770 et la somme des payements faits dans le cours de l’année sur les exercices de 1768, 1769, 1770, et autres antérieurs. En 1771, les arrérages se sont encore augmentés de 384,000 liv. Quant aux payements faits en 1772, on ne peut encore en avoir l’état précis, puisque l’année n’est pas finie ; mais, pour y suppléer, l’on a comparé les payements faits dans les neuf premiers mois avec les payements faits dans les mois correspondants de 1769. On a pris cette dernière année pour terme de comparaison, parce que la somme des payements a été à peu près égale à celle de l’imposition. Or, les payements faits pendant ces neuf mois correspondant à ceux de 1769, sont plus faibles de la somme de 333,000 liv., dont la province s’est encore arréragée dans le cours des premiers mois de cette année. Toutes ces sommes ensemble font, au moment où nous écrivons, une masse d’arrérages de 2,736,000 liv., non compris le retard ordinaire. Quand la province jouirait de toutes ses ressources, quand elle n’aurait essuyé aucun malheur particulier, on ose dire qu’elle serait dans l’impuissance d’acquitter une dette aussi énorme ; et cependant cette dette acquittée ne la mettrait pas au courant, puisque les impositions ne seraient encore soldées qu’à la troisième année. Le Conseil peut-il espérer que des peuples épuisés par une surcharge ancienne, dépouillés de toutes leurs ressources par une disette de trois ans, accablés encore en partie par de nouveaux accidents qui perpétuent leur misère, s’acquittent jamais d’arrérages aussi énormes ? Nous avons observé que les gelées du mois de mai ont presque détruit la récolte des seigles dans la moitié des paroisses de la Montagne ; le reste de ce canton a été aussi maltraité que l’année dernière. La grêle et les ouragans n’ont pas fait moins de ravages dans la partie de la basse Marche. La seule espérance pour la subsistance du peuple est fondée sur la récolte des blés noirs ; mais ce grain, qui nourrit les cultivateurs, n’est qu’un faible objet de commerce, et ne produit presque aucun revenu aux propriétaires. Ceux-ci n’auront pas même la ressource du commerce des bestiaux, dont le prix est baissé au moins d’un tiers, et dont la quantité est encore fort diminuée par les maladies qui ont affligé plusieurs cantons. — Nous le demandons encore, comment veut-on que ces malheureux satisfassent à des charges dont le poids ne cesse d’augmenter ? M. le contrôleur-général, frappé du retard des recouvrements, et supposant que ce retard pouvait venir de la négligence des receveurs des tailles, a autorisé les receveurs généraux à envoyer un vérificateur chargé de constater l’état et la régularité des registres des receveurs des tailles, et de voir par lui-même si les retards devaient être attribués à la misère des contribuables. Nous savons que la personne envoyée a visité une partie des élections de Bourganeuf et de Tulle, et qu’elle a trouvé la misère du peuple au-dessus de l’idée qu’elle avait pu s’en former.

Le mal est connu ; il est temps de songer au remède : si l’on ne se hâte de soulager des malheureux courbés sous le faix, il ne sera plus temps d’aller à leur secours quand ils auront succombé à l’excès de leurs maux ; quand la dépopulation, les émigrations, la mort des cultivateurs, l’abandon des domaines et des villages entiers, auront achevé de changer en désert le quart d’une province. Si les impôts restent les mêmes, il faudra que les arrérages augmentent chaque année : qu’y gagnera le Trésor royal ? rien, sans doute ! Un soulagement actuel proportionné aux malheurs de la province, un changement dans la proportion de ses impositions, qui la ramènerait au niveau des autres provinces, feraient respirer les peuples, leur feraient entrevoir l’espérance d’arriver à la fin de leurs maux, et leur donneraient les moyens de se rapprocher du courant dans leurs payements. Le roi recevrait toujours autant, car on doit être sur qu’ils payeront toujours tout ce qu’ils pourront payer : ce qu’on leur demandera de moins sur les années à venir servira à les acquitter de ce qu’ils doivent sur les années écoulées. Le roi, en faisant ce sacrifice, ne perdrait rien de réel : il ne sacrifierait véritablement qu’une créance qui ne sera jamais payée, puisqu’elle ne pourrait l’être qu’en laissant arrérager des sommes égales sur les années à venir. Le roi, à qui il est dû 2,735,000 liv. d’arrérages, et 4,400,000 liv. d’impositions, recevra, je suppose, en 1773, 2,735,000 liv. à compte des impositions de 1773, sur lesquelles la province redevra encore, en 1774, 2,735,000 liv. N’est-il pas visible, que si le roi remettait sur 1773 ces 2,735,000 liv., il aurait autant reçu au bout de l’année ; qu’il recevrait autant en 1774, autant en 1775 ; que par conséquent cette remise, quelque énorme qu’elle paraisse, n’intéresserait en rien le Trésor royal ; tandis qu’elle présenterait au peuple, indépendamment de la perspective la plus consolante, un soulagement réel dans la libération d’une dette, et dans l’affranchissement des poursuites et des frais auxquels elle expose le débiteur ?

Nous nous résumons à dire que la province est surchargée, et qu’il est indispensable de la soulager en la ramenant au niveau des autres provinces, ce qui ne se peut faire qu’en diminuant la masse de ses impositions de 700,000 liv. au moins ; qu’elle est doublement arréragée sur le payement de ses impositions ; que, par un retard ancien et dont l’époque remonte fort haut, les impositions ne sont soldées que dans la troisième année. Nous voyons, par les états de recouvrement de plusieurs années antérieures aux derniers malheurs de cette généralité, que, sur environ 4,400,000 liv. d’impositions, il n’y en a guère que 17 à 1,800,000 liv. soldées dans la première année ; que par conséquent la province est habituellement débitrice de 2,600,000 liv. sur les impositions des années antérieures à l’année courante. Outre ce retard, la province s’est arréragée depuis quelques années d’autres 2,735,000 liv. Ces deux sommes réunies font celle de 5,335,000 livres, que la province doit au roi, indépendamment de l’année courante. Or, il est de toute évidence qu’elle est dans l’impossibilité absolue de jamais payer cette dette. Il y aurait sans doute de l’inconvénient à remettre les arrérages échus ; on sait par expérience combien ces remises sont funestes aux recouvrements, par Ja fausse espérance qu’elles donnent aux contribuables de mauvaise volonté. Mais il ne peut y avoir qu’une foule d’avantages sans aucun inconvénient à mettre le peuple en état d’acquitter le passé en diminuant son fardeau pour l’avenir. Il n’y a point à craindre d’excéder la mesure dans les libéralités dont le roi usera à cet égard. Plus la diminution sera forte, plus il y aura d’arrérages acquittés, et la recette n’en sera guère moindre.

Après des motifs aussi forts, il devient presque superflu d’appuyer sur les soulagements effectifs qu’exigent les malheurs particuliers qu’ont éprouvés cette année les paroisses de la Montagne, où la gelée du 12 mai s’est le plus fait sentir, et celles de la basse Marche, qu’ont ravagées plus spécialement la grêle et l’ouragan du 27 juin dernier. Cependant, ces accidents sont dignes en eux-mêmes de toute l’attention du Conseil ; et l’on ne peut représenter assez fortement l’excès de la misère qui règnera dans ces paroisses, privées encore de récoltes après une disette de trois ans.

Nous ne pouvons former aucune demande précise. Comment mettre des bornes à nos demandes, lorsque les besoins n’en ont point ? Il suffit de les mettre sous les yeux du roi, et de réclamer ses bontés pour tant de malheureux qui n’ont pas d’autre espérance. 700,000 f. de surcharge ancienne, relativement à la proportion générale des impôts dans le royaume ; un retard ancien de 2,600,000 liv. sur le payement des impositions ; 2 autres millions 700,000 liv. d’arrérages nouveaux, accumulés en peu d’années ; 4 millions d’argent sortis de la province pour la subsistance des habitants, pendant une disette de trois ans ; tous les pauvres artisans, tous les cultivateurs, une grande partie des propriétaires épuisés de toutes leurs ressources, ayant vendu leurs meubles, leurs bestiaux, leurs bardes, ayant engagé leurs fonds pour subsister pendant cette cruelle disette ; de nouveaux accidents, à la suite de tant d’autres ; des paroisses entières privées de leur récolte par la gelée ou la grêle ; la perte d’une grande partie des fourrages ; des maladies et des mortalités sur les bestiaux ; la diminution de leur valeur, enlevant aux habitants du Limousin la dernière espérance qui pourrait leur rester ; voilà exactement la position de la province au moment où nous écrivons. Après un pareil tableau, il n’est pas nécessaire de dire que le moins-imposé que le roi a bien voulu accorder l’année dernière, et qui était de 270,000 liv., serait infiniment au-dessous de ce que les besoins de la province exigent. Quelque fortes que puissent être nos demandes, nous osons dire qu’elles seraient toujours trop faibles ; et la province ne peut que s’abandonner aux bontés du roi.


LETTRE À M. D’ORMESSON, ACCOMPAGNANT L’AVIS PRÉCÉDENT.
Le 14 octobre 1772.

Monsieur, j’ai l’honneur de vous adresser directement les états de récoltes de cette année, avec mon Avis sur les impositions.

Permettez-moi de recommander encore de nouveau cette province à vos bontés. M. le contrôleur-général trouvera peut-être que je ne cesse de me plaindre ; cependant, quelque fortes que soient les expressions par lesquelles je lui peins la situation de cette province, j’ose vous assurer qu’elles sont encore au-dessous de la réalité. Les espérances qu’on avait conçues par le succès des semailles de l’automne dernier ont été détruites par les gelées du 12 mai et par les brouillards qui ont accompagné la fleur des froments. Il est très-vrai que la récolte des jardins n’est pas meilleure que l’année dernière et n’est guère différente de celle de 1769. Le peuple vivra cependant ; mais les propriétaires n’auront que très-peu de revenu, à l’exception de ceux des pays de vignobles. Les autres parties auront besoin des plus grands soulagements.

J’insiste de nouveau dans mon Avis sur la surcharge ancienne de la province et sur l’énormité des arrérages dont elle est débitrice envers le roi. Ces arrérages augmentent chaque année, et il devient chaque année plus pressant d’en arrêter les progrès par le seul moyen qui puisse être efficace, c’est-à-dire par une forte, et très-forte diminution sur la masse des impositions. J’ose vous répéter que, pour que cette diminution ait quelque effet sensible, il faut qu’elle soit pour ainsi dire hors de toute mesure. Le compte qu’a dû vous rendre le sieur de Rousey de sa mission doit vous en faire sentir la nécessité. À quoi sert-il de demander à des malheureux ce qu’ils sont dans l’impuissance absolue de payer ? Et, s’ils peuvent payer quelque chose, ne vaut-il pas mieux que ce soit sur les anciens arrérages dont ils sont accablés, plutôt que sur de nouvelles impositions ? Voilà, monsieur, ce que je vous supplie de vouloir bien faire sentir à M. le contrôleur-général.

Je n’ai pu encore rendre à M. le contrôleur-général le compte détaillé de l’opération des ateliers de charité pour cette année ; je ne pourrai le lui adresser qu’au retour des départements de Tulle et de Brive, où je vais me rendre. On a fait à peu près autant d’ouvrages que l’année dernière ; ils ont été un soulagement très-sensible pour les habitants de la Montagne. Quoique en général le peuple doive avoir cette année un peu plus de facilité pour subsister au moyen des blés noirs, il y aura encore des parties où la misère sera excessive, et je croirais nécessaire de conserver cinq ou six ateliers de charité dans la Montagne et un dans la partie de la basse Marche, où la grêle et l’ouragan du 27 juin ont fait le plus de ravages. Ainsi, je vous serai très-obligé de vouloir bien destiner encore une somme considérable à cet objet : je puis vous répondre qu’elle sera employée utilement. Vous m’aviez donné 120,000 livres l’année dernière ; je présume que 80,000 suffiront pour celle-ci.

Quant au moins-imposé, mes demandes, si j’en formais, seraient sans bornes. J’espère de vos bontés tout ce que les circonstances rendront possible.

J’ai l’honneur d’être avec respect[45].


Avis sur l’imposition de la taille de la généralité de Limoges pour l’année 1774[46].

Si l’on n’envisageait l’état de la province, à la suite de la récolte de 1773, que du côté de l’abondance des denrées nécessaires à sa subsistance, on pourrait croire qu’après trois années de la plus terrible misère, elle commence enfin à respirer. En effet, dans l’intervalle qui s’est écoulé depuis la récolte de 1772, quoique cette récolte eût été mauvaise et aussi faible que celles de 1767 et de 1769, le peuple a vécu, parce que les blés noirs, les châtaignes et les blés d’Espagne ont remplacé le froment et le seigle dans la consommation des habitants de la campagne. Ces récoltes subsidiaires seront moins abondantes cette année ; mais, comme celle du froment et du seigle est beaucoup meilleure et approchant de l’année commune, il y a tout lieu d’espérer que le peuple vivra, à moins que des gelées très-fortes d’ici à peu de jours ne viennent détruire cette espérance. Dans ce cas il n’y aurait peut-être pas de famine absolue ; mais il y aurait du moins une cherté excessive que les inquiétudes répandues dans le reste du royaume, et le défaut de liberté dans le commerce des grains, augmenteraient encore. Quant à présent, le prix modéré des grains annonce la sécurité générale. Le seigle ne vaut en Limousin que 10 livres 10 sous le setier de Paris ; le froment n’y vaut que 18 francs, et il ne vaut à Angoulême que 21 livres. Ce prix est au-dessous du prix du marché général, c’est-à-dire au-dessous du prix commun qui a lieu dans les ports de Hollande, de France et d’Angleterre, lorsque le commerce des grains y est libre ; au-dessous par conséquent du prix auquel il est à désirer que les grains se fixent pour maintenir l’activité de la culture et pour mettre les consommateurs salariés à l’abri des augmentations excessives dans le prix des subsistances auxquelles les exposent les variations inséparables du système prohibitif et réglementaire. Enfin, le prix est au point qu’une baisse un peu considérable serait déjà extrêmement onéreuse aux fermiers, qui seraient hors d’état de payer le surhaussement de leurs baux, et par conséquent très-nuisible aux recouvrements, et d’autant plus nuisible que la ressource ordinaire du commerce des bestiaux est fort affaiblie par la diminution des ventes dans le cours de cette année, et que les vendanges, qui seront médiocres pour la quantité et la qualité, diminueront encore beaucoup les revenus des propriétaires dans les élections d’Angoulême et de Brive. Ces considérations ne méritent pas moins d’être pesées, dans l’opération de l’assiette des impositions, que la cherté des subsistances.

Il est de plus à considérer que la province se ressent encore né cessairement de l’épuisement d’argent qu’a du produire la nécessité où l’on a été de tirer du dehors une grande partie de la nourriture des habitants pendant trois années consécutives. Cet argent ne peut rentrer qu’à la longue, et rentrera d’autant plus lentement, que le commerce des bestiaux et celui des eaux-de-vie sera moins florissant, et que la masse des impositions sera plus forte.

La province a encore essuyé, à la suite de la disette, le fléau d’une dépopulation d’autant plus funeste, que les campagnes en ont principalement été frappées et que la culture souffrira extrêmement de ce vide. C’est surtout dans la partie du Limousin que l’épidémie a exercé ses ravages ; il y a régné en 1772 et 1773 des fièvres putrides très-meurtrières, et les registres mortuaires font foi que la mortalité a été en 1772 plus forte que dans les années ordinaires dans la proportion de 4 à 3, ou, ce qui est la même chose, d’un tiers en sus.

Telles sont les considérations que présente l’état de la province au moment actuel. Mais ce ne sont point ces considérations qui doivent principalement influer sur la diminution que nous réclamons de la bonté et de la justice du roi ; c’est la surcharge sous laquelle gémit cette province depuis si longtemps, que nous avons démontrée par un Mémoire très-détaillé en 1766[47], et dont nous n’avons cessé depuis de mettre chaque année les preuves sous les yeux du Conseil. Nous les avons développées tant de fois, avec tant de force, avec tant d’étendue, que nous sommes réduit à l’impuissance de rien dire de nouveau sur cette matière épuisée ; mais n’est-ce pas notre devoir de nous répéter jusqu’à ce que le Conseil nous écoute ?

Nous ne pouvons que supplier le Conseil de prendre encore en considération le Mémoire que nous avons joint à notre Avis sur les impositions lors du département de 1766 pour 1767, et notre Avis de l’année dernière, dont nous allons encore lui rappeler le précis.

Trois motifs principaux établissent la nécessité absolue de soulager la généralité de Limoges dans la fixation de ses impositions.

Le premier est la surcharge démontrée dans les différents Mémoires que nous avons donnés, desquels il résulte que les fonds taillables de la généralité de Limoges payent au roi, en y comprenant les vingtièmes, de 45 à 50 pour 100 du revenu total de la terre, ou de 90 à 100 pour 100 de ce que tirent les propriétaires, et que cette charge est incomparablement plus forte que celle que supportent les provinces voisines et la plus grande partie des autres provinces du royaume.

Le second motif est l’immense quantité d’argent que la disette des trois années 1770, 1771 et 1772 a fait sortir de la province. Nous avons prouvé, dans notre Avis donné en 1770 pour les impositions de 1771, que la quantité d’argent sortie de la province pour l’achat des grains ne pouvait pas être évaluée à moins de 3,600,000 livres, somme qui a dû être augmentée encore en 1771 et en 1772, années où la province a été encore forcée de tirer des grains du dehors.

Le troisième motif est l’énormité des arrérages que doit la province sur ses anciennes impositions. Il est établi, par le tableau de l’état des recouvrements qui a été mis sous les yeux de M. d’Ormesson, qu’au 1er janvier 1773, la généralité devait d’arrérages, outre les impositions de l’année courante, 4,702,671 livres, somme un peu plus forte que le total des impositions. Cette masse d’arrérages est formée de 2,600,000 livres dont la province était arréragée depuis un très-long temps, et de 2,100,000 livres dont l’augmentation de la misère l’a forcée de s’arrérager dans ces dernières années. Il est évidemment impossible que, si les impôts dont la province est chargée continuent d’être aussi forts, elle puisse jamais acquitter une dette si énorme. Il a été prouvé, par la visite même d’un vérificateur que le Conseil a envoyé pour approfondir les causes du retard des recouvrements, que ce retard devait être uniquement attribué à la misère qui règne dans la province. Ce n’est donc qu’en la soulageant qu’on peut espérer de ramener les recouvrements au niveau. Il est prouvé que les peuples payent à peu près chaque année une somme égale au montant des impositions, et qu’ils payent à peu près tout ce qu’ils peuvent payer. Si le roi accordait une remise très-considérable, une partie de ce que le peuple payerait serait imputée sur les anciens arrérages et en diminuerait la masse ; le roi, en faisant ce sacrifice, ne perdrait rien de réel, puisqu’il ne sacrifierait qu’une créance qu’il est démontré ne pouvoir jamais être payée. Nous nous référons pour le développement de cette vérité à ce que nous en avons dit dans notre Avis de l’année dernière, et nous finirons celui-ci en répétant, comme nous ne cessons de le faire depuis sept ans, que, pour remettre la province dans la véritable proportion où elle doit être, il est indispensable de diminuer la masse de ses impositions d’environ 700,000 livres, en répartissant cette diminution partie sur le brevet de la taille, partie sur le second brevet, et partie sur la capitation.


LETTRE À M. D’ORMESSON, SUR CE QUE LA PROVINCE,
AU LIEU D’ÊTRE SOULAGÉE, ÉTAIT SURCHARGÉE.
À Limoges, le 26 novembre 1773.

Monsieur, j’ai reçu la lettre par laquelle M. le contrôleur-général m’a annoncé que le moins-imposé effectif de cette généralité avait été fixé pour 1774 à la somme de 150,000 livres, c’est-à-dire à 50,000 liv. de moins que l’année précédente, indépendamment d’une diminution de 20,000 liv. sur les fonds destinés aux ateliers de charité ; diminution que j’aurais cru devoir tourner en augmentation du moins-imposé effectif. Je vous avoue que j’ai été étonné, et encore plus affligé, de cette diminution dans le traitement que j’avais lieu d’espérer pour la province.

Vous aviez eu la bonté de vous occuper l’hiver dernier des représentations tant de fois réitérées de ma part, et portées, j’ose le dire, à la démonstration la plus complète sur la surcharge qu’essuie depuis si longtemps cette province dans ses impositions. Vous m’aviez paru touché de mes raisons ; M. le contrôleur-général n’en avait pas été moins frappé. En me faisant part des motifs qui vous ont empêché jusqu’à présent de changer la proportion des impositions du Limousin dans la répartition générale entre les provinces du royaume, motifs que je crois très-susceptibles de réplique, vous m’aviez du moins fait espérer de dédommager la province sur le moins-imposé. Je comptais sur cette espérance que vous m’aviez donnée ; je me flattais que le moins-imposé serait plutôt augmenté que diminué relativement à celui de l’année dernière.

Vous pouvez juger combien il a été cruel pour moi de trouver au contraire que la province était moins favorablement traitée cette année. Je ne puis m’empêcher de vous faire à ce sujet les plus vives représentations, et de vous conjurer de les mettre sous les yeux de M. le contrôleur-général.

Il sait que la province essuie encore cette année une augmenta tion pour le remboursement de la finance des charges du Parlement de Bordeaux, et de celle de la Cour des aides de Clermont. Cette augmentation tombe précisément sur la partie du Limousin qui, comme vous le savez, est la plus pauvre, et celle qui a le plus souffert des disettes de ces dernières années. Elle a de plus été affligée par une mortalité assez considérable ; au reste, ces motifs particuliers ne sont rien en comparaison de la surcharge démontrée que la province éprouve, et de l’énormité des arrérages accumulés sur les impositions anciennes, qui ont leur source dans l’impossibilité de payer. Ce sont des choses que j’ai tant répétées, que j’ai présentées sous tant de faces, que j’avoue sans peine mon impuissance à rien dire de nouveau sur cette matière. Je serais le plus éloquent des hommes que toutes mes ressources seraient épuisées ; mais, puisque vous, monsieur, et M. le contrôleur-général, avez été pleinement convaincus de la justice et de la vérité de mes représentations, je n’ai besoin que de vous les rappeler, et j’ose espérer que vous vous joindrez à moi pour faire sentir à ce ministre la nécessité d’accorder un supplément au faible soulagement qui m’a été annoncé. Ce n’est pas trop que de réclamer au moins un traitement égal à celui de l’année dernière. Il était de 280,000 liv., y compris les fonds destinés aux ateliers de charité. Cette année, il n’est que de 210 : la différence est de 70,000 liv. Il s’en faut beaucoup que ce soit une justice complète, puisque j’ai prouvé que, pour remettre la province dans sa véritable proportion avec les autres, il lui faudrait une diminution de 700,000 liv. Il y aurait de l’indiscrétion à en demander une aussi forte sur le moins-imposé ; mais j’ose du moins supplier M. le contrôleur-général de ne pas traiter le Limousin plus défavorablement que l’année dernière. Je suis avec respect, etc.

fin des mémoires et lettres sur l’impôt.

  1. En août 1761.
  2. La circonscription de la généralité de Limoges, composée des quatre élections de Limoges, Brives, Angoulême, Bourganeuf et Tulle, embrassait, sauf une légère différence en plus ou en moins, tout le territoire des trois départements actuels de la Charente, de la Corrèze et de la Haute-Vienne.

    Necker, dans son livre De l’administration des finances, lui donne une étendue de 854 lieues carrées, et une population de 646,500 âmes : soit, par lieue carrée, 737 habitants. Cette population n’est portée qu’au chiffre de 585,000 âmes dans le dénombrement de M. de La Bourdonnaye, fait en 1698, et cité dans la Dîme royale. Aujourd’hui, la population totale des trois départements, auxquels correspond à peu près la généralité de Limoges, s’élève à plus de 960,000 habitants. La population de la ville de Limoges, évaluée par Necker à 22,000 âmes, monte, d’après le recensement de 1856, à 29,706 ; et celle d’Angoulême à 46,910 personnes, au lieu de 13,000.

    La généralité de Limoges n’était pas assujettie à la gabelle, ni aux octrois municipaux et aux aides, à l’exception des droits de courtiers-jaugeurs et d’inspecteurs aux boissons. Elle était exempte en outre du droit de marque des fers dans la partie de son territoire soumise à la juridiction du Parlement de Bordeaux.

    La somme totale de ses contributions s’élevait, d’après Necker, à 8,900,000 livres, soit 13 livres 15 sous par tête d’habitants. Les trois départements actuels de la Charente, Corrèze et Haute-Vienne versent aujourd’hui dans le Trésor plus de 21 millions d’impôt. D’où, approximativement, pour exprimer le rapport du progrès de la population, et beaucoup plus de pour exprimer celui du progrès des charges publiques.

  3. On peut assimiler à la taille de la généralité de Limoges le montant des quatre contributions directes des départements de la Charente, de la Corrèze et de la Haute-Vienne, La taille s’élevant, d’après Turgot, à 2,210,220 livres, et les contributions directes, d’après les documents officiels, à plus de 8,520,000 francs ; est à peu de choses près le rapport qui exprime l’accroissement de cette nature d’impôt, c’est-à-dire qu’il est presque quadruplé. — Voyez la note de la page 817. (E. D.)
  4. M. l’intendant de La Rochelle approuva ce projet d’arrêt. Les deux magistrats le proposèrent au Conseil, où il fut homologué. (Note de Dupont de Nemours.)
  5. Le commencement de cet Avis ne contient que d’assez longs calculs sur de petites diminutions et de petites augmentations relatives à des abonnements de certains droits et à des sous pour livre d’autres droits qui ne sont plus aujourd’hui d’aucune importance, même historique. (Note de Dupont de Nemours.)
  6. On verra par l’Avis suivant qu’au lieu de la diminution de 390,000 livres que M. Turgot demandait pour sa généralité, il n’en obtint qu’une de 180,000 livres. (Note de Dupont de Nemours.)
  7. Nous n’avons pas retrouvé l’Avis relatif à l’année 1764.

    Voici celui qui regarde l’année 1765, où nous retranchons de même le commencement, qui ne contient que des observations peu importantes sur de très-petites sommes en augmentation ou en diminution qui ont rapport au fonds des étapes, à l’abonnement des droits de courtiers-jaugeurs et d’inspecteurs aux boucheries et aux boissons, et au rachat des offices municipaux. (Note de Dupont de Nemours.)

  8. Les trois départements de la Charente, de la Corrèze et de Ja Haute-Vienne contiennent 946 communes, ce qui donne lieu de supposer que la généralité de Limoges leur était un peu inférieure en étendue. — Voyez les notes des pages 517 et 521. (E. D.)
  9. On supprime de cet Avis tous les détails qui concernent les diverses récoltes, et qui, quoique variés d’années en années, et montrant l’attention que l’administrateur apportait à la statistique annuelle de sa province, ne seraient présentement que d’un faible intérêt.

    On conserve seulement : 1o l’article des légumes, parce qu’il constate les premiers succès d’une culture bien précieuse, que M. Turgot a introduite en Limousin ; et 2o celui des bestiaux, qui fixe l’époque où leur commerce a commencé à se relever dans cette province. (Note de Dupont de Nemours.)

  10. M. Turgot croyait devoir répéter à cet égard, presque dans les mêmes expressions, ce qu’il avait exposé l’année précédente. — Il disait comme Voltaire : « Il faut bien que je me répète puisqu’on ne m’a pas entendu. » (Note de Dupont de Nemours.)
  11. À l’appui de ces conclusions, Turgot avait joint le Mémoire qui suit immédiatement, où se trouve traitée la question de la grande et de la petite culture, l’une des plus graves de l’économie publique actuelle. (E. D.)
  12. Quesnay assigne, dans l’article Grains de l’Encyclopédie, 30 millions d’arpents (de 51 ares 07) à la petite culture, et 6 millions seulement à la grande ; soit approximativement, pour la première, 15 millions d’hectares, et 3 millions pour la seconde. Il borne, à peu de choses près, la grande culture à la Normandie, la Beauce, l’Île de France, la Picardie, la Flandre française et le Hainault. L’on sait aujourd’hui, par les statistiques officielles, que l’exploitation des terres arables comprend 25,559,151 hectares, mais l’on ignore complètement quel est le rapport actuel de la grande à la petite culture. Cependant, rien ne serait plus facile à déterminer que ce rapport, et même d’une manière presque rigoureuse, par le moyen des maires, des percepteurs et des receveurs de l’enregistrement. Il faut espérer que l’administration y songera, (E, D.)
  13. En Irlande les choses se passent encore de cette manière, avec la différence, toutefois, qu’entre l’exploitant et le propriétaire du sol il se trouve deux intermédiaires au lieu d’un. Tout le domaine d’un lord a pour preneur direct un riche spéculateur qui le partage, en lots d’une certaine étendue, entre des spéculateurs secondaires qu’on nomme midlemen ; et c’est des mains de ces sous-fermiers avides que la terre arrive, par lambeaux, entre celles des malheureux paysans qui la mettent en valeur, ou plutôt qui lui arrachent tout juste la quantité de subsistance dont ils ont besoin pour ne pas mourir de faim. Peut-être ne tardera-t-on pas à importer ce déplorable système en France, car il y a partout tendance manifeste au démembrement des grandes fermes, et l’on a déjà vu plus d’un riche propriétaire ne pas se contenter de morceler le sol par petits lots, mais pousser encore l’élévation de la rente territoriale par le feu des enchères et le mode du fermage en adjudication. (E. D.)
  14. Ce qui équivaut à 62 c. 1/2 par franc.

    Le taux moyen des centimes additionnels de la contribution foncière, payée aujourd’hui par les trois départements qui correspondent à la généralité de Limoges, monte à 73 c. 33, ou près des trois quarts du principal.

    Il reste, par conséquent, en dehors de cette évaluation, les centimes additionnels afférents aux contributions personnelle et mobilière, des portes et fenêtres et des patentes. (E. D.)

  15. Voyez plus haut, page 525, le Mémoire sur les doubles-emplois d’impositions en Angoumois.
  16. Les vingtièmes étaient l’impôt foncier des biens nobles, et la taille celui des biens en roture, en ce seul sens, toutefois, que les biens de la première espèce échappaient à la taille, mais non que les biens de la seconde échappassent aux vingtièmes. Quant aux biens ecclésiastiques, ils n’étaient atteints ni par l’une, ni par l’autre de ces deux taxes. L’Église se contentait de faire l’aumône à César dans les cas de pressante nécessité, attendu que, lors de l’établissement des vingtièmes, en 1749, César n’avait pu trouver de réponse à cette pieuse argumentation :

    Non, Sire, ce ne sont pas des préjugés frivoles ni une religion peu éclairée qui ont fait établir les immunités de l’Église. On a senti, dans tous les temps, qu’on ne pouvait faire respecter la religion sans honorer ses ministres.

    …… Ne craindrait-on pas d’affaiblir le respect dû à cette même religion, si l’on voyait aujourd’hui les ministres de l’Église, pour la première fois, avilis et réduits à la condition de vos autres sujets, confondus avec les peuples qu’ils gouvernent, n’être distingués que par l’humiliation à laquelle on les aurait réduits, et devenir dans une grande partie du royaume l’objet du mépris de ces enfants égarés que souvent ils ramènent au sein de l’Église et qu’ils s’efforcent toujours de contenir ?……. » (Remontrances du clergé, 24 août 1749. ) — Voyez plus haut, page 445. (E. D.)

  17. En droit, les biens nobles et ecclésiastiques, affermés, étaient passibles de la contribution foncière, qui prenait alors le nom de taille d’exploitation. Mais, en fait, la loi très-souvent ne s’exécutait pas, et toujours s’exécutait mal, par suite de l’influence que les privilégiés exerçaient sur les divers degrés de répartition de l’impôt. En ajoutant donc aux biens de la noblesse et du clergé tous ceux qui étaient possédés par des titulaires d’offices ou de charges, auxquels s’attachait l’exemption de taille, nul doute qu’avant l’établissement des vingtièmes la moitié du territoire ne fût soustraite à la taxe foncière, et qu’en tout temps les propriétaires les moins riches n’aient été ceux sur qui retombait la plus lourde part de ce fardeau. — Voyez les dix-huit catégories d’exemptions tracées par Vauban dans le chapitre ix de la Dîme royale. (E. D.)
  18. On lit à la suite d’un édit sur les tailles, du mois de juillet 1766, cette singulière clause d’enregistrement, apposée par la Cour des aides de Paris, le 4o septembre 1768 :

    « Registré, etc……… à la charge que, conformément aux intentions dudit seigneur roi, données à entendre par sa réponse du 17 août dernier, et à la jurisprudence constante de la Cour, la noblesse, le clergé et les officiers des cours seront conservés dans le droit, dont ils ont toujours joui et dû jouir, de ne pouvoir être imposés à la taille pour tous les biens qui leur appartiennent, de quelque nature qu’ils puissent être, que pour l’excédant des terres labourables qu’ils feraient labourer au delà de quatre charrues. »

    Il est clair, 1o qu’aux termes de cette jurisprudence, et en vertu de la règle : Qui dicit de uno, de altero negat, ni les parcs, ni les jardins, ni les prés, ni les bois, ni les vignes, non affermés, des ecclésiastiques, des nobles et des officiers des cours souveraines, ne pouvaient être assujettis à la taille ; qu’en outre la plus grande partie de leurs terres arables échappait également au même impôt.

    Du reste, la jurisprudence de la Cour des aides était, en effet, conforme aux lois sur la matière, et l’on en trouve la preuve dans l’édit même de 1766, dont l’article Ier étend encore à bien d’autres la prérogative rappelée dans la clause d’enregistrement.

    « Voulons et nous plaît », dit cet article, « que le clergé, la noblesse, les officiers de nos cours supérieures, ceux des bureaux des finances, nos secrétaires et officiers des grandes et petites chancelleries, pourvus des charges qui donnent la noblesse, jouissent seuls à l’avenir du privilège d’exemption de taille d’exploitation dans notre royaume, conformément aux règlements qui ont fixé l’étendue de ce privilège, et en se conformant, par les officiers de nos cours et ceux des bureaux des finances, à la déclaration du 13 juillet 1764, concernant la résidence, etc…… »

    Il faut croire que la Cour des aides n’avait pas jugé cette garantie de ses immunités assez explicite, tant les corporations ont de prévoyance quand il s’agit de leur intérêt personnel ! (E. D.)

  19. On supprime, comme on l’a déjà fait dans les Avis précédents, le commencement, qui ne porte que sur des additions, soustractions et compensations de diverses impositions contenues au brevet de la taille ou annexées à ce brevet. (Note de Dupont de Nemours.)
  20. Voyez le Mémoire où Turgot traite de la grande et de la petite culture, page 541 de ce volume.
  21. On supprime ce détail statistique sur l’état des récoltes de froment, de méteil, de seigle, d’avoine, de sarrasin, de maïs, de légumes, de foins, de pailles, devins, de fruits, de châtaignes, de chanvres, de lins, de safran, et du produit des bestiaux ; on remarquera seulement que la culture du froment de mars s’était introduite dans quelques paroisses de l’élection de Tulle, et que dans celle d’Angoulême, outre les méteils ordinaires de froment et de seigle, on en faisait aussi de froment et d’orge. (Note de Dupont de Nemours.)
  22. Voyez page 541 de ce volume.
  23. Voyez pages 565 et suivantes de ce volume.
  24. Nous retranchons, comme nous l’avons fait pour l’année 1766, les détails statistiques, dont l’objet est de faire connaître l’état des récoltes de la province et de motiver l’Avis suivant.

    Les avoines et les châtaignes avaient prospéré ; on espérait des regains. Le commerce des bestiaux s’était relevé. (Note de Dupont de Nemours.)

  25. Voyez, page 541, le Mémoire joint à l’Avis sur la taille de 1766.
  26. Nous n’avons pu retrouver ni cette Lettre ni ce Tableau. (Note de Dupont de Nemours.)
  27. Nous passons, comme dans les Avis précédents, l’état statistique des récoltes, où la seule chose remarquable cette année est que l’on commençait à faire, avec quelque succès, du pain dans lequel la farine de froment ou celle de seigle se mêlait avec la fécule de pommes de terre. (Note de Dupont de Nemours.)
  28. Ces deux pièces n’ont point été retrouvées. (Note de Dupont de Nemours.)
  29. Voyez plus haut l’Avis sur la taille de 1769, page 582.
  30. On n’a pas retrouvé cette lettre. (Note de Dupont de Nemours.)
  31. Cette triste prévision se réalisa. — Voyez tome II, Travaux relatifs à la disette éprouvée par la généralité de Limoges en 1770 et 1771. (E. D.)
  32. Le préambule de cet Avis est résumé, par Dupont de Nemours, dans les termes suivants :

    « M. Turgot commence par observer que le brevet expédié pour l’année 1771 se montait à 1,942,293 livres, comme celui qui l’avait été en 1769 pour l’année 1770 ; mais que, le roi ayant en 1770 accordé un moins-imposé de 450,000 livres, si ce nouveau brevet était suivi, la province éprouverait une augmentation réelle de 450,000 livres sur ses impositions.

    Il rend compte ensuite de l’état des diverses récoltes, un peu meilleur en général que n’avait été celui de l’année précédente, mais qui, dans un quart de la province, avait été encore plus faible, et n’avait dans aucune partie été au niveau de l’année commune.

    Puis il passe à son Avis. »

  33. Tous les documents qui se rapportent à cette terrible calamité, et l’ensemble des mesures prises par Turgot pour la combattre, sont classés tome II, sous la rubrique : Travaux relatifs à la disette de 1770 et 1771. — Voyez, notamment, le Compte-rendu adressé au contrôleur-général. (E. D.)
  34. Contenant 156 litres, qui donnent en froment de bonne qualité 240 livres, poids de marc.
  35. Voyez, tome II, Travaux relatifs à la disette de 1770 et 1771, nos VII et VIII.
  36. Voyez ibid., no  XIII.
  37. Voyez le Compte-rendu des opérations de la disette.
  38. Ainsi le gouvernement, sollicité par M. Turgot, secourut la province de 750,000 livres ; savoir, 450,000 en moins-imposé, et 100,000 écus en argent.

    En outre, tous les gens riches ou aisés se cotisèrent. M. Turgot donna tout ce qu’il avait pu économiser en plusieurs années, et emprunta plus de 20,000 francs sur ses biens-fonds pour les consacrer à de nouvelles œuvres de bienfaisance. (Note de Dupont de Nemours.)

  39. M. Turgot n’obtint que 260,000 livres de moins-imposé, et la prolongation d’un fonds de 80,000 francs pour les travaux de charité, qui furent particulièrement employés à faciliter les routes de la montagne.

    Il continua ses sacrifices personnels, et son exemple en fit continuer d’autres. Le commerce s’était monté. Appelés par le haut prix, les approvisionnements ne cessèrent pas d’avoir lieu. Les seigneurs, éclairés par les événements de l’année précédente, sentirent la nécessité de ne pas abandonner leurs colons, et firent les plus grands efforts, employèrent les dernières ressources pour les aider. Les provisions particulières, que l’effroi avait conseillées à tous les particuliers encore un peu aisés au moment de la récolte, se trouvèrent plus considérables qu’on ne l’avait cru. La récolte des grains un peu moins mauvaise que les années précédentes, et la bonne apparence, qui ne fut pas trompeuse, de celle des châtaignes et des grosses raves, fit refluer l’excès de ces provisions, des familles les moins dénuées, sur celles qui n’avaient pu en faire. La misère ne cessa point, et ne pouvait cesser ; mais il n’y eut pas famine.

    Cependant, les récoltes étaient encore fort au-dessous de l’année commune ; et l’année aurait pu passer pour très-malheureuse, si on ne l’eût comparée à celle entièrement désastreuse à laquelle elle succédait. (Note de Dupont de Nemours.)

  40. Cette lettre forme un supplément aux Observations qui précèdent, et à l’Avis sur la taille de 1771. (E. D.)
  41. Les détails précédant cet Avis sont résumés de la manière suivante par Dupont de Nemours :

    « Après avoir observé que le brevet de la taille pour l’année 1772 avait été arrêté à la somme de 1,942,293 livres 2 sous, comme celui de l’année 1771 ; mais qu’en 1771 deux arrêts postérieurs ayant accordé une diminution de 270,000 livres, l’imposition effective de 1771 n’avait été que 1,672,295 livres 2 sous, en sorte que, si on laissait subsister l’imposition telle que le portait l’arrêt du Conseil, il y aurait une augmentation réelle de 270,000 francs, ce qui ne pouvait être l’intention du roi, M. Turgot rend compte de l’état des récoltes, qui ne promettaient d’abondance qu’en châtaignes ; puis il passe à son Avis. »

  42. Voyez ce Mémoire, page 541.
  43. Voyez plus haut, page 595 et suivantes de ce volume.
  44. Cet Avis était accompagné d’un préambule que Dupont de Nemours résume en ces termes :

    « M. Turgot observe que le brevet de la taille pour l’année 1775 est le même que pour l’année 1772, et que le roi ayant accordé après l’expédition du brevet une diminution de 270,000 livres en moins-imposé, la perception du nouveau brevet, si elle devenait obligatoire, serait une augmentation réelle de 270,000 francs.

    « Il rend compte ensuite de l’état des récoltes, puis il passe à son Avis. »

  45. M. Turgot perdait sa peine. Il n’obtint qu’un moins-imposé de 200,000 francs, et la province, loin d’être soulagée, fut chargée de 70,000 francs de plus que l’année précédente. (Note de Dupont de Nemours.)
  46. Préambule de cet Avis, résumé par Dupont de Nemours :

    « Cet Avis commence, comme tous les autres, par l’observation que, le brevet de la taille restant invariable depuis plusieurs années, quoique la province eût chaque année obtenu un moins-imposé, on ne pourrait répartir le montant du brevet sans qu’il y eût une augmentation de charge de toute la valeur du moins-imposé.

    « Il avait été l’année précédente de 200,000 francs, la demande de M. Turgot pour une diminution constante de 700,000 francs étant toujours demeurée sans réponse.

    « Cette observation préliminaire était, comme les années précédentes, suivie d’un compte de l’état des récoltes, en parcourant les différents genres de productions. Ensuite venait l’Avis. »

  47. Voyez plus haut, page 541 de ce volume.