Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Actes du Ministère de Turgot/Sur les travaux publics et de charité

2o DÉCLARATIONS, ÉDITS, ETC., CONCERNANT LES TRAVAUX PUBLICS ET DE CHARITÉ.

Mémoire sur les moyens de procurer, par une augmentation de travail, des ressources au peuple de Paris, dans le cas d’une augmentation dans le prix des denrées. (1er mai 1775.)

L’augmentation subite dans le prix des denrées peut mettre une disproportion entre les salaires et les subsistances, entre les facultés et les besoins ; la modicité des récoltes, la distance des lieux d’où doivent venir les grains, peuvent les élever au-dessus des faibles ressources que le travail procure à la classe la plus indigente des consommateurs. Une augmentation de travail est le moyen le plus naturel d’y remédier. En multipliant les salaires, elle multiplie les moyens de vivre ; et le peuple, secouru par ce gain extraordinaire, n’est pas moins en état d’acheter sa subsistance que dans les circonstances où, les denrées étant moins chères, il gagnait des salaires moins étendus.

Mais un nouveau travail ne peut être un secours efficace contre l’indigence, s’il n’est à la portée des différentes classes de sujets que le public n’est pas dans l’usage d’occuper. Des salaires présentés à ceux qui, employés chaque jour aux travaux ordinaires, sont sûrs d’un gain suivi et continuel, seraient rejetés, ou n’augmenteraient pas les moyens de subsister.

Deux sortes de personnes peuvent avoir principalement besoin de ce secours : les artisans auxquels la pauvreté ne laisse pas les moyens de se procurer la matière sur laquelle s’exerce leur industrie, et les femmes et les enfants. Ainsi on peut ranimer les fabriques oisives en donnant les avances nécessaires pour les mettre en activité, et établir dans le sein des familles de nouvelles fabriques en mettant les femmes et les enfants en état de travailler.

Les dentelles, les gazes, les blondes et tous les autres genres d’ouvrages de cette nature, que l’expérience de MM. les curés, et la connaissance qu’ils ont du caractère et des besoins du peuple, peuvent les mettre en état d’indiquer, sont les objets qui pourront le plus, s’ils sont encouragés et soutenus, faire vivre un grand nombre d’artisans désœuvrés.

La filature procurera aux enfants et aux femmes un travail qui ne surpasse point leur adresse ; et, quelque modique que soit le salaire attaché à cette main-d’œuvre, il n’en sera pas moins un vrai secours qui, répandu par parcelles multipliées, et ajouté aux rétributions que le père se procure par un travail plus lucratif, assurera la subsistance de toute la famille.

Lorsque la cherté élève la denrée au-dessus des facultés du peuple, ce n’est point pour lui-même que souffre l’homme de journée, l’ouvrier, le manœuvre ; ses salaires, s’il était dégagé de tout lien, suffiraient pour le nourrir : ce sont sa femme et ses enfants qu’il ne peut soutenir, et c’est cette portion de la famille qu’il faut chercher à occuper et à salarier.

Pour parvenir à procurer ces ressources et mettre tous les sujets indigents en état d’y participer, Sa Majesté destine des fonds ; ils seront confiés, dans différents quartiers de la ville, à six commerçants, qui les administreront par esprit de charité et sans aucun bénéfice ; les frais seuls leur seront payés ; ils achèteront et feront venir les matières, en livreront des portions aux ouvriers indigents de chaque paroisse, par avance et sans exiger le payement du prix, sur les certificats que donnera M. le curé de leur honnêteté. La distribution se fera par petites parties : une livre de filasse, quelques onces de fil à dentelles, ou de soie pour la gaze et les blondes, seront à peu près les mesures dans lesquelles on se fera une loi de se contenir. Cette précaution paraît nécessaire pour prévenir les abus, et diminuer les pertes : un ouvrier à qui on confierait une plus grande quantité de matière serait tenté de la vendre, et d’en détourner le prix à son profit.

La matière distribuée sera évaluée au prix coûtant ; on ne pourra jamais l’excéder. Quand elle sera fabriquée, le commerçant achètera l’ouvrage et payera sur-le-champ le prix, en déduisant seulement la valeur de la matière, et il donnera au pauvre la même quantité de matière pour le mettre en état de continuer son travail : ainsi, par des livraisons successives, l’ouvrier sera continuellement occupé.

L’évaluation de l’ouvrage sera faite par une femme qui sera attachée au bureau de chacun de ces commerçants, et afin d’exciter au travail et augmenter ce genre de secours, on recommandera de faire l’évaluation un peu au-dessus du prix ordinaire.

L’ouvrier qui aura rapporté son ouvrage au bureau pourrait se croire lésé par l’évaluation, s’il était obligé d’y acquiescer ; peut-être prétendra-l-il que sa main-d’œuvre est d’un plus grand prix que celui auquel elle aura été estimée. On a senti cet inconvénient : pour le prévenir, on propose de laisser à l’ouvrier la liberté de remporter son ouvrage et d’aller le vendre ailleurs ; néanmoins, en rapportant au bureau la valeur de la matière qui lui avait été avancée, on lui en livrera une autre quantité.

Les commerçants chargés de chaque bureau vendront les ouvrages qui leur auront été rapportés, et du prix qui en sera résulté ils achèteront de la nouvelle matière.

Ainsi, chaque famille sera assurée d’une ressource prête à la soulager. Un double avantage lui est présenté : l’un d’obtenir la matière, quelle que soit son indigence, et sans être tenue de rien débourser ; l’autre d’être assurée du plus prompt débit, et de n’être pas obligée de chercher et d’attendre les salaires qui doivent l’aider à subsister. Ces salaires, distribués à tous les consommateurs, même aux enfants dont la famille est composée, seront proportionnés aux besoins ; la classe même de ces indigents que la honte couvre d’un voile et cache à la société qui les soulage, pourra vaquer à un travail exécuté dans l’intérieur des maisons et à l’ombre du secret domestique, et participer à ce secours ; et les indigents à qui leur tempérament ou leurs infirmités ne permettent ni de se livrer à aucune occupation, ni d’espérer aucun salaire, trouveront dans ce travail public l’avantage que les aumônes ordinaires, concentrées dans un cercle plus étroit et plus resserré, pourvoiront mieux à leurs besoins.

C’est du zèle et de l’application de MM. les curés que dépend principalement le succès d’une ressource si précieuse. L’influence qu’ils ont sur l’esprit des peuples, la confiance qu’ils sont faits pour inspirer, doivent principalement déterminer les indigents à se livrer à un travail auquel plusieurs d’entre eux ne sont pas accoutumés. La menace de leur retirer les aumônes, la précaution de les leur diminuer quand le travail sera ralenti, l’annonce qu’elles ne continueront que jusqu’à un délai fixé pour donner à leur famille le temps de s’habituer aux ouvrages qui lui auront été indiqués, sont des moyens dont ils peuvent se servir avec avantage, et qui paraissent capables de vaincre la répugnance et la paresse.


Instruction pour l’établissement et la régie des ateliers de charité
dans les campagnes. (2 mai 1775.)

(1) Le roi ayant bien voulu arrêter qu’il serait chaque année accordé aux différentes provinces des fonds pour soulager les habitants des villes et des campagnes les moins aisés, en leur offrant du travail, Sa Majesté a pensé que le moyen le plus sûr de remplir ces vues était d’établir des ateliers de charité dans les cantons qui auront le plus souffert par la médiocrité des récoltes, et de les employer, soit à ouvrir des routes nouvelles, soit à perfectionner les routes déjà commencées, soit à réparer les chemins de traverse.

(2) Le premier soin que doivent avoir MM. les intendants pour l’emploi des fonds destinés aux travaux de charité, est donc de se procurer les renseignements les plus précis sur la situation des récoltes dans les différents cantons de leur généralité : cette connaissance les mettra en état de répartir avec justice les fonds qui leur auront été accordés, et de proportionner les secours aux besoins. Lorsqu’ils auront une fois fixé la somme destinée à chaque canton, il leur sera facile de déterminer le nombre des ateliers qu’on y devra former, le genre d’ouvrage auquel chacun des ateliers sera occupé, et le lieu où les travaux seront ouverts. Comme le but de cet établissement est de procurer des secours aux personnes qui ont les plus grands besoins, avec le moins de moyens pour y subvenir, il est indispensable d’y admettre toutes celles qui sont en état de travailler, hommes, femmes, vieillards, et jusqu’aux enfants[1]. D’après cela on sent bien qu’il n’y a guère que les remuements et le transport de terres, de cailloux et de graviers, qui puissent être l’objet des ateliers de charité, parce que ce sont les seuls travaux qui puissent être exécutés par toutes sortes de personnes. Ainsi, dans les parties de chemin qu’on entreprend, s’il se rencontre des travaux plus difficiles, et qui exigent des bras plus exercés, il sera nécessaire de charger de leur exécution les entrepreneurs ordinaires des routes, et de payer ces entrepreneurs sur d’autres fonds que ceux destinés aux ateliers de charité.

(3) La conduite de ces ateliers exige une attention très-suivie, et qui doit embrasser plusieurs objets :

La conduite même et la direction des travaux ;

La police des ateliers, ainsi que les règles à suivre pour choisir ceux qui doivent être admis, et pour éviter l’engorgement des hommes ;

La distribution des tâches ;

La manière de payer les ouvriers ;

L’ordre de la comptabilité.

On va parcourir successivement chacun de ces articles.

Art. Ier. La conduite et la direction des travaux. (4) Si les travaux que l’on ouvrira ont pour objet la construction de quelque route, il sera à propos de confier la conduite des ouvrages aux ingénieurs des ponts et chaussées, et de les faire exécuter sur les plans et d’après les directions tracées par l’ingénieur en chef de la province, ou par les sous-ingénieurs du département. Lorsque ces opérations préparatoires seront achevées et que les travaux seront ouverts, il sera établi des conducteurs ou piqueurs sur chaque atelier, pour conduire immédiatement les travaux d’après les instructions du sous-ingénieur, distribuer et recevoir les tâches, surveiller les ouvriers, les instruire et les diriger dans leur travail. Il sera en outre établi des conducteurs généraux, chargés de veiller sur plusieurs ateliers, de les visiter continuellement, à l’effet de vérifier si les conducteurs particuliers se conforment exactement aux instructions qu’ils ont reçues, soit pour la distribution des tâches, soit pour le tracé et la façon des ouvrages. Ils seront aussi chargés d’examiner si l’on porte contre eux des plaintes fondées, et d’en rendre compte au sous-ingénieur et au subdélégué, afin que ceux-ci puissent faire les recherches nécessaires pour vérifier les accusations et y porter remède.

(5) Les conducteurs et piqueurs se conformeront, en ce qui concernera les directions, les pentes et tout ce qui sera relatif à l’art, aux instructions et aux ordres qui leur seront donnés par l’ingénieur ou le sous-ingénieur du département. Ils recevront aussi les ordres des subdélégués, ou des commissaires particuliers qui seront établis dans les lieux qui ne seraient pas assez à portée des subdélégués, pour tout ce qui concernera la police des ateliers. Ils leur rendront compte pareillement de tout ce qui pourrait se passer parmi les ouvriers contre le bon ordre et la subordination, afin qu’ils y pourvoient, et punissent les délinquants, suivant l’exigence des cas.

II. De la police des ateliers et des règles à suivre pour l’administration et la distribution des travailleurs. (6) Les subdélégués des lieux où seront établis les ateliers seront chargés de leur police et de la manutention générale de cette opération. Lorsque les subdélégués, par leur éloignement, ou par quelque autre circonstance, ne seront point à portée d’y veiller eux-mêmes, il sera nommé des commissaires particuliers qui rempliront les mêmes fonctions, et avec la même autorité que l’aurait fait le subdélégué.

(7) Les ateliers de charité étant destinés à fournir un moyen de subsistance à tous ceux qui en ont besoin, il semblerait que l’on devrait y admettre indifféremment tous les travailleurs qui s’y présentent, de quelque province et de quelque canton qu’ils soient ; mais cette facilité ne pourrait qu’entraîner les plus grands inconvénients. Il serait presque impossible de faire régner l’ordre sur de pareils ateliers, d’y régler les tâches, d’y distribuer les salaires à un si grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants assemblés au hasard ; d’où résulterait le double inconvénient d’une plus grande dépense, et d’une moindre quantité d’ouvrage à proportion de cette dépense.

(8) L’expérience a fait voir qu’un des objets les plus importants pour cette opération est de prévenir le trop grand engorgement des ateliers, et la confusion qui en est la suite. Il est indispensable, pour y parvenir, de désigner d’avance les paroisses qui doivent être admises à chacun des ateliers ouverts dans chaque canton, et d’attacher irrévocablement à chaque atelier les travailleurs des paroisses désignées pour cet atelier.

(9) D’après cette distribution préliminaire, le subdélégué, ou le commissaire chargé de la police de chaque atelier, écrira aux curés des paroisses affectées à celui qu’il dirige, pour leur demander des listes exactes de ceux qui se présenteront pour participer aux travaux. Le modèle de ces listes est ci-joint, imprimé à la suite de cette instruction. Chacun de MM. les intendants fera imprimer, et adressera au subdélégué ou commissaire, les feuilles qui doivent servir à former les listes des travailleurs de chaque paroisse : elles seront envoyées doubles au curé, pour qu’il puisse faire la liste double, qu’une des copies puisse être remise au conducteur de l’atelier, et que l’autre puisse rester entre les mains du commissaire, tant pour son usage que pour remplacer celle du conducteur, si elle venait à se perdre.

(10) Ces listes comprendront, nom par nom, tous les particuliers de chaque paroisse qui se présenteront pour travailler sur les ateliers, et qui auront besoin de ce secours. Ils seront partagés en brigades de dix à douze personnes au plus, et de cinq à six personnes au moins. On aura soin de prévenir MM. les curés de former chaque brigade, autant qu’il sera possible, de travailleurs qui soient de la même famille, ou tout au moins qui se connaissent, et de désigner pour chef de la brigade celui auquel ils croiront le plus d’intelligence et d’honnêteté, et qu’ils sauront jouir de la meilleure réputation.

(11) Il y a tout lieu d’espérer que MM. les curés se chargeront volontiers du soin de former ces listes, dont personne ne peut s’acquitter aussi bien qu’eux : dans le cas où quelques raisons les en empêcheraient, le commissaire s’adresserait ou au seigneur, ou à quelque autre personne qu’il saurait être, par son zèle et son intelligence, et par la connaissance de la paroisse, en état de remplir exactement la liste.

(12) Lorsque ces listes auront été formées de cette manière, et renvoyées au commissaire de l’atelier, celui-ci en remettra le double au conducteur ; il fixera le jour et l’heure auxquels les travailleurs de chaque paroisse seront admis sur l’atelier ; et il aura soin de fixer le temps pour chaque paroisse, de façon que les travailleurs de deux paroisses n’arrivent jamais ensemble sur l’atelier, et que ceux de la première puissent être placés et distribués sur l’ouvrage, lorsque ceux de la seconde arriveront. Par ce moyen, les conducteurs n’auront aucune peine à placer et distribuer les travailleurs sur l’atelier.

(13) Chaque jour, les conducteurs feront deux fois l’appel au moyen de ces listes, sans être obligés d’assembler tout l’atelier, et en le parcourant au contraire dans toute sa longueur, pour appeler successivement, nom par nom, les travailleurs de chaque paroisse et de chaque brigade, sur l’ouvrage même où elle sera occupée. Au moyen de ces appels on connaîtra dans le plus grand détail tous les travailleurs qui composeront l’atelier. Le conducteur pourra les surveiller tous sans confusion, et lorsqu’il arrivera quelque désordre, il sera toujours aisé de trouver le coupable et de le punir.

III. Distribution des tâches. (14) Dans un atelier où l’on admet indifféremment toutes sortes de personnes, il est impraticable de payer les ouvriers à la journée ; car, si l’on suivait cette méthode, il ne se ferait presque aucun ouvrage ; le plus grand nombre de ceux qu’on est obligé d’employer, n’étant que très-peu habitués au travail, perdraient presque tout le temps qu’ils passeraient sur les ateliers. Il est donc indispensable de payer à la tâche.

(15) Cette méthode serait presque impraticable si l’on voulait donner une tâche à chaque travailleur ; il est nécessaire, pour la simplifier, de réunir ensemble plusieurs travailleurs par famille ou par brigade, comme nous l’avons expliqué dans l’article précédent.

(16) Ce sera au chef de la brigade que le conducteur donnera la tâche pour toute la brigade. C’est à ce chef qu’il expliquera la nature et la quantité du travail, qu’il confiera les outils ; c’est avec lui qu’il conviendra du salaire ; c’est à lui qu’il donnera les à-comptes, qu’il délivrera la réception de l’ouvrage, et qu’il en soldera le payement : bien entendu que tous ces détails se traiteront en présence de toute la brigade, et que le conducteur veillera à ce que le chef n’abuse pas de la confiance qu’on aurait en lui, pour priver ses compagnons de travail de ce qui leur est dû.

(17) Le registre des conducteurs, pour la distribution des tâches, sera donc formé par paroisses et par brigades d’après les listes des curés ; mais il ne sera pas nécessaire d’y dénommer tous les travailleurs de chaque brigade ; il suffira de nommer le chef, et de marquer le nombre des hommes, celui des femmes et celui des enfants, qui composent la brigade.

Voici un modèle de la manière dont ce registre doit être rempli :

Paroisse de

(18) Comme les tâches ne doivent être données que pour un petit nombre de jours, et comme par conséquent la même brigade exécutera plusieurs tâches dans le cours de la campagne, il convient de destiner dans le registre un feuillet pour chaque brigade, afin qu’on puisse sans confusion enregistrer à la suite les unes des autres toutes les tâches qu’une même brigade fera dans le cours de la campagne. En supposant que chaque brigade soit composée, l’une portant l’autre, de huit personnes, un atelier de huit cents travailleurs ne formera que cent brigades, et n’exigera qu’un registre de cent feuilles.

(19) Il sera fourni aux conducteurs des registres dont les feuilles seront réglées d’avance et disposées en colonnes, afin qu’ils n’aient d’autre peine que celle de les remplir. Il faut que ces registres soient reliés, et du même format que le cahier qui comprendra les listes des paroisses, afin que le conducteur puisse les porter dans un sac de toile cirée qui les garantisse de la pluie.

(20) Cette méthode de distribuer les tâches par famille ou par brigade n’empêche pas qu’il ne soit encore difficile de proportionner ces tâches au nombre, à l’âge, à la force des personnes qui composent chaque famille. Pour établir cette proportion avec une exactitude rigoureuse, il serait d’abord nécessaire d’évaluer ce que peut faire un homme par jour, suivant l’espèce d’ouvrage, la qualité du terrain plus ou moins dur à fouiller, et la distance plus ou moins grande des deux termes du transport ; enfin, en ayant égard à toutes les difficultés qui se présentent. Cette évaluation devient encore plus embarrassante par la nécessité d’avoir égard à la différence de force des hommes, des femmes, des enfants qu’on emploie ; c’est cependant d’après toutes ces considérations que doit être déterminé le prix des ouvrages à la toise cube ou à la toise courante.

On sent qu’il faudrait, pour cette opération, des gens instruits du toisé et de la valeur des ouvrages ; or, on ne peut se flatter d’en trouver un nombre suffisant pour diriger tous les ateliers qu’on se propose d’établir.

(21) Dans l’impossibilité de trouver un assez grand nombre de commis capables d’exécuter cette opération méthodiquement, il faudra se contenter de chercher des hommes raisonnables qui fixeront ces tâches d’après une estimation un peu arbitraire, et qui ensuite marchanderont avec le chef de brigade, comme un bourgeois, lorsqu’il fait faire dans son domaine des fossés, des défrichements, des remuements de terres. Ce bourgeois fait marché avec des ouvriers aussi peu instruits que lui ; il se trompe quelquefois à son préjudice, quelquefois à celui de l’ouvrier : cependant on ne voit pas que ces sortes d’erreurs soient excessives ; et, dans l’opération des ateliers de charité, ces erreurs auront beaucoup moins d’inconvénients, parce qu’on pourra toujours s’en apercevoir et les corriger. En effet, le commis conducteur reconnaîtra facilement, au bout de quelques jours, si la tâche qu’il a donnée à une brigade est trop forte ou trop faible ; il verra bien si cette famille a travaillé avec activité, et si son travail lui a procuré de quoi vivre : comme il n’a aucun intérêt à profiter de l’erreur de son calcul, s’il est préjudiciable à l’ouvrier, il diminuera la tâche ou augmentera le prix ; il fera le contraire, si sa première estimation avait été trop forte. Cet arbitraire aura sans doute toujours quelques inconvénients ; mais il faut supporter ceux qui sont inévitables, se contenter de faire passablement ce qu’il n’est pas possible de faire bien.

(22) Il y a certaines natures d’ouvrages, tels que ceux qui consistent en transports de terre, ou en déblais et remblais, dans lesquels on peut parvenir, par une voie assez simple, à régler les tâches. En effet, ces transports de terre se font à la brouette, aux camions ou à la hotte, ou sur des espèces de civières, et à une distance réglée plus ou moins grande ; il ne faut pour les brouettes et les hottes qu’une seule personne, il en faut deux pour les civières et les camions. La tâche de ceux qui portent la terre d’un lieu à un autre est très-facile à régler par le nombre des voyages, à raison de la charge et de la distance plus ou moins grande ; ou, ce qui est la même chose, à raison du nombre de voyages qu’on peut faire par jour, puisque ce nombre dépend de la charge et de la distance, et qu’on peut aisément déterminer par quelques essais combien un homme peut faire de voyages par heure, et combien il peut travailler d’heures par jour sans une fatigue excessive. Il n’est pas moins facile de compter le nombre des voyages ; il suffit pour cela qu’à l’endroit de la décharge il y ait un homme préposé pour donner, à chaque voyage, au manœuvre une marque qui ne servira qu’à cet objet : quand le manœuvre aura gagné un certain nombre de ces marques, qui sera fixé, il les remettra au commis ou conducteur, qui lui fera payer le prix convenu.

(23) Le nombre des ouvriers occupés à transporter les terres au remblai, suppose un nombre proportionné d’ouvriers occupés dans le déblai à couper les terres que les premiers transportent. Les marques données à ceux qui voiturent la terre indiqueront en même temps le travail de ceux qui auront coupé dans le déblai la terre pour charger les hottes ou les brouettes. En effet, supposons qu’un fort ouvrier soit attaché à un déblai, et qu’on l’ait chargé de couper la terre à la pioche, qu’un enfant travaille avec lui à rassembler la terre que le premier a piochée, et à remplir la hotte d’un troisième qui va porter cette terre au remblai ; celui-ci aura reçu autant de marques qu’il aura fait de voyages. Mais il n’aura pas pu faire ce nombre déterminé de voyages, sans que le manœuvre qui a chargé sa hotte, et le terrassier qui a pioché la terre dont cette hotte a été chargée, aient fait chacun de leur côté un travail dont la quantité corresponde exactement au nombre des voyages qu’aura faits le porteur de hotte, et au nombre de marques qu’il aura reçues. On peut donc régler aussi, par le nombre de marques que rend le porteur de la hotte, le salaire de ceux qui ont travaillé à la remplir. Il n’est pas nécessaire que le salaire soit le même pour le même nombre de marques : par exemple, l’ouvrier qui pioche peut avoir à faire un ouvrage plus pénible et qui exige plus de force que le travail de l’enfant qui charge, ou même de celui qui porte la hotte. Rien n’empêche que le premier, pour cent marques délivrées au dernier, ne reçoive un prix plus considérable et proportionné à son travail.

(24) Le conducteur pourra, lorsque la composition des brigades se portera à cet arrangement, charger une brigade du déblai et du remblai. Le travail se distribuera naturellement entre les hommes qui feraient l’ouvrage du déblai, et les femmes et les enfants qui chargeraient et transporteraient la terre que les hommes auraient fouillée. Dans d’autres circonstances, on pourra charger du transport seul une brigade composée d’ouvriers faibles, tandis qu’une brigade composée principalement d’ouvriers forts serait occupée au déblai. Dans tous ces cas, on s’épargnera l’embarras du toisé, en évaluant les tâches, tant du déblai que du remblai, par le nombre de voyages de brouettes, de civières, de hottes, etc., auxquels cette tâche aura fourni. Cette méthode est simple, à la portée d’un plus grand nombre d’hommes, et n’est pas sujette à plus d’erreurs que celle des toisés réguliers. Elle a d’ailleurs un avantage, en ce que les voituriers, payés en raison du nombre des voyages qu’ils font, sont très-intéressés à presser les travailleurs qui doivent leur fournir de la terre, et seront pour ceux-ci une espèce de piqueurs sur lesquels on pourra compter.

(25) Le seul abus qu’on puisse craindre de cette méthode serait que, pour multiplier les voyages et diminuer le travail, les terrassiers et les voituriers s’accordassent à faire les charges trop légères ; mais les piqueurs ou commis, placés au remblai pour recevoir les brouettes et distribuer les marques, remédieront aisément à cet abus, en refusant de donner de ces marques pour les charges qui seraient sensiblement trop légères.

(26) Les ingénieurs pourront surveiller et instruire les commis des ateliers qui seront à leur portée. Lorsqu’ils croiront que le commis, qu’ils auront suivi quelque temps, sera suffisamment instruit, ils pourront le faire passer sur un atelier éloigné, d’où ils tireront le commis que le premier remplacera, pour l’instruire à son tour, en le faisant travailler sous leurs yeux, et ainsi de suite. Ils pourront dresser des tables par colonnes, pour fixer l’ouvrage d’un homme dans les différentes espèces de terres, et à proportion l’ouvrage des femmes et des enfants, afin d’évaluer la quantité de voyages que peuvent faire dans un jour les manœuvres à raison de leur âge, de leur force, de la distance et de l’espèce de voiture. Cependant, comme l’usage de ces tables exigera encore de l’intelligence et de l’attention, il sera bon que le commis se mette au fait, en opérant quelque temps sous les yeux de l’ingénieur. Or, tout cela exige du temps ; ainsi les tâches pourront encore être fixées un peu arbitrairement, mais il y a lieu d’espérer que cet inconvénient diminuera d’année en année, et finira par être absolument insensible, pourvu que l’on veuille y apporter de l’attention.

IV. De la manière de payer les ouvriers. (27) Il n’est guère possible de donner sans confusion des tâches pour chaque jour, et il faut nécessairement les donner pour une semaine. Il y aurait cependant un grand inconvénient à laisser écouler la première semaine entière sans rien payer aux travailleurs : une grande partie de ceux qui se présentent aux ateliers de charité sont des pauvres dénués de toute autre ressource pour vivre, et qui n’ont pas de quoi subsister ; avant la fin de la semaine il est donc indispensable de donner au père de famille, ou au chef de la tâche, à mesure que l’ouvrage avance, des à-comptes pour la subsistance journalière des travailleurs.

(28) À moins que la tâche donnée à une brigade n’ait été évaluée trop faiblement, ou que les ouvriers n’aient travaillé avec nonchalance, la brigade, à la (in de chaque semaine, doit avoir gagné quelque chose de plus que la simple subsistance des travailleurs, et par conséquent plus que le montant des à-comptes qui lui ont été distribués. Alors, et sur le certificat de réception de la tâche, le conducteur fora payer au chef de la brigade ce qui lui sera dû en sus des à-comptes qu’il aura reçus. Le certificat du conducteur, sur lequel cette solde finale des tâches sera payée, contiendra le décompte de la tâche, ainsi qu’il sera expliqué aux paragraphes ci-après.

(29) Comme la brigade est composée d’hommes, de femmes et d’enfants, comme tous ceux qui la composent ont été nourris sur les à-comptes reçus pendant le cours du travail, et que la nourriture qu’ils ont consommée n’a point été proportionnée à l’ouvrage qu’ils ont fait, puisqu’il est notoire que les enfants mangent presque autant que les hommes faits, et travaillent beaucoup moins, il ne serait pas juste que l’excédant du prix qui se trouve à la fin de la tâche fût distribué par tête à tout ce qui compose la brigade indistinctement. Il est juste, au contraire, que les hommes et les femmes qui ont fait plus de travail à proportion de ce qu’ils ont consommé, aient seuls part à ce qui a été gagné au delà de la subsistance. En conséquence, tout cet excédant de prix qui se trouvera après la réception de la tâche, sera partagé par égales portions entre les hommes et femmes au-dessus de seize ans ; les enfants au-dessous de cet âge n’y auront aucune part. Cette disposition est d’autant plus équitable, que les enfants n’ont guère d’autre besoin que d’être nourris ; au lieu que les pères et mères sont chargés de l’entretien de toute la famille, et ont quelquefois de jeunes enfants hors d’état de travailler, et qu’ils doivent nourrir sur le prix de leur travail.

(30) Il est nécessaire ; que cet arrangement soit expliqué d’avance aux ouvriers, lorsqu’on distribuera la tâche à chaque brigade, et que le conducteur s’assure qu’ils l’entendent bien ; c’est le seul moyen de prévenir les discussions et les disputes qui ne manqueraient pas de survenir à la réception des tâches, lorsqu’il serait question de partager ce qui resterait du prix, la nourriture des ouvriers prélevée.

(31) Si quelques-uns refusaient de souscrire à cet arrangement ainsi expliqué, il faudrait les effacer de la liste, et les renvoyer des ateliers. On doit croire que ceux qui ne voudraient pas souscrire à une règle aussi juste, et qui assure leur subsistance, ont quelque moyen de vivre indépendamment des ateliers.

(32) Quoique le chef de la brigade participe comme les autres ouvriers au profit qu’a donné la tâche, il est juste, s’il se conduit bien, de lui donner en sus du prix de sa tâche quelque gratification, à raison de ses soins et des détails dans lesquels il est obligé d’entrer ; trois ou quatre sous, plus ou moins, suivant que la tâche sera plus ou moins forte et exigera plus de temps, paraissent devoir suffire. Mais cette gratification ne sera donnée qu’autant que le chef de brigade aura rempli ses fonctions d’une manière satisfaisante, en poussant le travail avec intelligence et activité, sans donner lieu à des plaintes fondées de la part des ouvriers qui lui seront subordonnés.

(33) Le certificat de réception de la tâche fera une mention expresse de la bonne conduite du chef, et du montant de la gratification, afin que le caissier puisse payer en conséquence.

(34) Le conducteur veillera soigneusement à ce que les chefs de brigade tiennent compte aux hommes et femmes qui la composent de ce qui leur revient. Si quelque chef de brigade prévariquait à cet égard, le conducteur en rendrait compte au commissaire, afin que non-seulement il fût rendu justice à ceux qui auraient été lésés, mais encore que le prévaricateur fût puni sévèrement et destitué de ses fonctions de chef de brigade.

V. De l’ordre de la comptabilité. (35) Il est nécessaire que le commis-conducteur et le caissier chargé des payements tiennent un état exact et journalier de dépense, chacun pour ce qui les concerne ; et que ces états soient arrêtés régulièrement de semaine en semaine, et de mois en mois, par le subdélégué ou commissaire, sous la police duquel sera chaque atelier ; afin que celui-ci puisse tenir un compte exact de la recette et de la dépense générale.

(36) Le commis-conducteur doit tenir un état des tâches qu’il distribue, et les inscrire par ordre de dates, à mesure qu’il les donne. Il doit, dans cet état, spécifier la nature de la tâche, le nom du chef de brigade avec lequel il a fait prix, et le nombre des travailleurs dont chaque brigade est composée ; enfin le prix dont il est convenu.

(37) 11 se conformera, pour la formation de ce registre, au modèle qui a été donné ci-dessus, § 17 : après avoir rempli la colonne destinée à la spécification et à l’évaluation de la tâche, il laissera en blanc les deux dernières, pour les remplir successivement, et date par date, des notes de payements à compte, et de la réception de la tâche, lorsqu’elle sera finie.

(38) Le certificat de réception devant servir à l’ouvrier pour toucher du caissier ce qui lui restera dû pour sa tâche, en sus des à-comptes qui lui auront été délivrés et auront été employés à sa nourriture, il est nécessaire qu’il contienne la mention du prix de la tâche et du montant des à-comptes donnés, et en outre la mention de la bonne conduite du chef de brigade, et du montant de la gratification qui lui sera fixée. D’après ce certificat, le caissier fera le décompte de ce qui restera dû à ce chef de tâche, et lui en payera le montant.

(39) Les autres frais, soit pour les appointements de piqueurs et conducteurs, soit pour les achats d’outils, soit pour tout autre objet, ne seront payés par le caissier que sur l’ordre du subdélégué ou du commissaire qui en tiendra lieu.

(40) Le caissier sera tenu d’avoir un registre de recette et de dépense, où il inscrira, par ordre de date, de suite et sans interligne, toutes les recettes et dépenses de l’atelier.

(41) L’argent lui sera remis à fur et à mesure des besoins par le subdélégué, auquel il en donnera quittance, et il s’en chargera sur son registre en recette.

(42) Il gardera, pour pièces justificatives des payements faits aux ouvriers, les certificats de réception du conducteur.

(43) Quant aux autres payements, les ordres du subdélégué, et les reçus des parties prenantes, lui serviront de pièces justificatives.

(44) Le subdélégué, ou le commissaire chargé de l’atelier, arrêtera, semaine par semaine, le registre du conducteur et celui du caissier ; et il en fera de mois en mois un relevé qu’il adressera à M. l’intendant, pour lui faire connaître la dépense effective du mois.


Extrait de l’arrêt du Conseil d’État du 1er août 1775, qui ordonne et répartit les fonds nécessaires aux travaux du canal de Picardie et de celui de Bourgogne, de la navigation de la Charente, et autres ouvrages de cette nature destinés au progrès de la navigation.

Le roi s’étant fait représenter, en son Conseil, les arrêts rendus les 7 septembre 1773 et 9 août 1774, par lesquels le feu roi a ordonné qu’il serait réparti, pendant les années 1774 et 1775, au marc la livre de la capitation, une somme de 419,873 livres 8 sous 5 deniers, y compris les taxations, sur toutes les généralités de pays d’élections et pays conquis, laquelle serait employée aux ouvrages à faire au canal de Picardie, qui doit former la jonction de l’Escaut à la Somme et à l’Oise, et à celui de Bourgogne, qui réunira l’Yonne à la Saône ; Sa Majesté s’étant pareillement fait représenter l’état des différentes autres sommes imposées dans quelques-unes des généralités de pays d’élection pour travaux relatifs à la navigation, elle a jugé qu’il était conforme aux principes d’une sage administration de réunir ces impositions en une seule contribution générale, afin de ne point surcharger les généralités qui supportaient ces impositions particulières, et de faire contribuer toutes les provinces dans une juste proportion, à des dépenses qui intéressent également les différentes provinces. À quoi voulant pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc., le roi en son Conseil a ordonné et ordonne :

Que la répartition de 419,875 livres 8 sous 5 deniers, faite en vertu des arrêts des 7 septembre 1775 et 9 août 1774, pour le payement des travaux du canal de Picardie et de celui de Bourgogne, ainsi que les impositions particulières ordonnées dans les généralités d’Auch, Lyon, Montauban et Bordeaux, pour différents travaux concernant la navigation, cesseront d’avoir lieu à l’avenir ; et qu’au lieu d’icelles, il sera imposé, dans le second brevet que Sa Majesté fera arrêter incessamment en son Conseil, pour les impositions accessoires de la taille à lever en l’année prochaine 1776 sur les pays d’élections, une somme de 721,905 livres, et celle de 78,095 livres sur les pays conquis ; revenant lesdites deux sommes à celle de 800,000 livres, non compris les taxations ordinaires et accoutumées.

Suivent l’État de répartition entre les différentes provinces, puis l’Instruction pour la forme de la perception et le versement dans la caisse des trésoriers des ponts et chaussées.

Pour lesdites sommes être employées sans divertissement aux travaux du canal de Picardie, de celui de Bourgogne, de la navigation de la Charente, et autres ouvrages de cette nature, destinés au progrès de la navigation dans les différentes provinces du royaume.


Arrêt du Conseil d’État, du 20 septembre 1775, qui ordonne l’exécution des ouvrages à faire, tant pour rendre la rivière de Charente navigable depuis Civray jusqu’à Angoulême, que pour en perfectionne la navigation depuis Angoulême jusqu’à Cognac.

Le roi étant informé que la navigation de la rivière de Charente a toujours été un objet de l’attention des rois ses prédécesseurs, qui se sont successivement proposé d’accorder au vœu des provinces qu’elle arrose de faire faire sur cette rivière les ouvrages nécessaires, soit pour la rendre navigable depuis Civray jusqu’à Angoulême, soit pour en perfectionner la navigation depuis Angoulême jusqu’à Cognac ; que, les circonstances s’étant trop souvent opposées à cette dépense, le projet n’en avait été repris que dans ces derniers temps ; que le feu roi, par les arrêts du Conseil du 2 février 1734 et du 28 décembre 1756, aurait d’abord voulu pourvoir à faire cesser les obstacles apportés à ladite navigation par les entreprises des riverains, à l’effet de quoi le sieur intendant de Limoges avait été commis pour connaître de toutes les contraventions nées et à naître à ce sujet ; que, par autre arrêt du Conseil du 2 août 1767, le sieur Trésaguet, ingénieur en chef des ponts et chaussées de ladite généralité de Limoges, avait été chargé de dresser les plans, devis et détails estimatifs des ouvrages à faire pour établir la navigation de la Charente depuis Civray jusqu’à Angoulême, et la perfectionner depuis Angoulême jusqu’à Cognac ; et Sa Majesté s’étant fait représenter lesdits arrêts, plans, devis et détails estimatifs rédigés en conséquence par ledit sieur Trésaguet, contenant l’estimation de tous les ouvrages d’art et du montant des sommes qui pourront se trouver dues en indemnité aux propriétaires des terres riveraines sur lesquelles on prendra le chemin de halage, et à ceux qui possèdent, en vertu de titres légitimes, des moulins, usines ou pêcheries qu’il pourrait être nécessaire de détruire ou de reconstruire autrement, Sa Majesté a reconnu tous les avantages qui résulteront des ouvrages proposés, non-seulement pour plusieurs provinces fertiles que la Charente traverse dans son cours, dont les productions accroîtront nécessairement de valeur, mais même pour tout le royaume, par les nouvelles et faciles communications que l’exécution de ces ouvrages donnera à des villes déjà commerçantes et à d’autres propres à le devenir : elle a cru de sa bonté paternelle pour ses sujets de ne pas différera les faire jouir d’un bien désiré depuis tant d’années ; à l’effet de quoi elle a ordonné qu’il fût fait des fonds suffisants, tant pour l’exécution desdits ouvrages que pour le payement des indemnités qui pourraient être dues légitimement à aucuns propriétaires à raison des dommages qui leur seraient occasionnés. À quoi voulant pourvoir, ouï le rapport du sieur Turgot, etc., le roi étant en son Conseil,

A approuvé et approuve les plans, devis et détails estimatifs dressés par le sieur Trésaguet, inspecteur général des ponts et chaussées, et ingénieur en chef de la généralité de Limoges : ce faisant, a ordonné et ordonne que les ouvrages nécessaires pour rendre la rivière de Charente navigable depuis Civray jusqu’à Angoulême, et pour en perfectionner la navigation depuis Angoulême jusqu’à Cognac, lesquels ouvrages sont décrits et mentionnés auxdits plans, devis et détails estimatifs, seront exécutés sous les ordres du sieur intendant et commissaire départi en la généralité de Limoges, et sous la conduite et direction dudit sieur Trésaguet ; qu’à cet effet l’adjudication des ouvrages sera passée par ledit sieur intendant en la forme ordinaire, et les dépenses acquittées par les trésoriers généraux des ponts et chaussées, chacun dans leur année d’exercice, en vertu de ses ordonnances ; qu’il sera pareillement procédé, par ledit sieur intendant de la généralité de Limoges, à la liquidation des indemnités qui pourraient être dues à aucuns propriétaires riverains à raison des dommages dûment constatés qu’ils éprouveraient par la confection desdits ouvrages : à l’effet de quoi ils représenteront tous titres et renseignements nécessaires audit sieur intendant, pour être par lui, au vu desdits titres et procès-verbaux des pertes, et de l’estimation qui en sera faite par le sieur Trésaguet, rendu les ordonnances nécessaires pour liquider et fixer le montant desdites indemnités, et les faire acquitter en deniers comptants sur les fonds à ce destinés : attribuant à cet effet, audit sieur intendant et commissaire départi en la généralité de Limoges, toute cour, juridiction et connaissance ; comme aussi pour le jugement de toutes les contestations nées et à naître, et toutes contraventions relatives, soit à la navigation sur la Charente depuis Civray jusqu’à Cognac, soit sur toutes les demandes, prétentions et difficultés qui pourraient naître à l’occasion des ouvrages ordonnés par le présent arrêt ; défendant à toutes parties de se pourvoir ailleurs, et à toutes cours et juges d’en connaître ; et seront les ordonnances du sieur intendant de la généralité de Limoges, auquel Sa Majesté enjoint de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, exécutées nonobstant appellations et oppositions ou empêchements quelconques, pour lesquels ne sera différé, et dont si aucuns interviennent, Sa Majesté s’est réservé à elle et à son Conseil la connaissance.


Arrêt du Conseil d’État, du 6 février 1776, qui réduit à quarante-deux pieds la largeur des routes principales, et prescrit des règles pour fixer la largeur des routes moins importantes.

Le roi s’étant fait représenter l’arrêt du Conseil du 3 mai 1720, qui fixe à soixante pieds la largeur des chemins royaux, Sa Majesté a reconnu que, si la vue de procurer un accès facile aux denrées nécessaires pour la consommation de la capitale, et d’ouvrir des débouchés suffisants aux villes d’un grand commerce, avait pu engager à prescrire une largeur aussi considérable aux grandes routes, cette largeur, nécessaire seulement auprès de ces villes, ne faisait, dans le reste du royaume, qu’ôter des terrains à l’agriculture sans qu’il en résultât aucun avantage pour le commerce. Elle a cru qu’après avoir, par la suppression des corvées et celle des convois militaires, rendu aux hommes qui s’occupent de la culture des terres la libre disposition de leurs bras et de leur temps, sans qu’aucune contrainte puisse désormais les enlèvera leurs travaux, il était de sa justice et de sa bonté pour ses peuples de laisser à l’industrie des cultivateurs, devenue libre, et à la reproduction des denrées, tout ce qu’il ne serait pas absolument nécessaire de destiner aux chemins pour faciliter le commerce.

Elle s’est déterminée, en conséquence, à fixer aux grandes routes une largeur moindre que celle qui leur était précédemment assignée, en réglant celle des différentes routes suivant l’ordre de leur importance pour le commerce général du royaume, pour le commerce particulier des provinces entre elles, enfin, pour la simple communication d’une ville à une autre ville, etc. À quoi voulant pourvoir, ouï le rapport du sieur Turgot, etc. Sa Majesté ordonne ce qui suit :

Art. Ier. Toutes les routes construites à l’avenir, par ordre du roi, pour servir de communication entre les provinces, les villes et les bourgs, seront distinguées en quatre classes ou ordres différents.

La première classe comprendra les grandes routes qui traversent la totalité du royaume, ou qui conduisent de la capitale dans les principales villes, ports ou entrepôts de commerce.

La seconde, les routes par lesquelles les provinces et les principales villes du royaume communiquent entre elles, ou qui conduisent de Paris à des villes considérables, mais moins importantes que celles désignées ci-dessus.

La troisième, celles qui ont pour objet la communication entre les villes principales d’une même province, ou de provinces voisines.

Enfin, les chemins particuliers, destinés à la communication des petites villes ou bourgs, seront rangés dans la quatrième.

II. Les grandes routes du premier ordre seront désormais ouvertes sur la largeur de 42 pieds ; les routes du second ordre seront fixées à la largeur de 36 pieds ; celles du troisième ordre à 30 pieds.

Et à l’égard des chemins particuliers, leur largeur sera de 24 pieds.

III. Ne seront compris, dans les largeurs ci-dessus spécifiées, les fossés ni les empattements des talus ou glacis.

IV. Sa Majesté se réserve et à son Conseil de déterminer, sur le compte qui lui sera rendu de l’importance des différentes routes, dans quelle classe chacune de ces routes doit être rangée, et quelle doit en être la largeur en conséquence des règles ci-dessus prescrites.

V. Entend néanmoins Sa Majesté que l’article III du titre des chemins royaux de l’ordonnance des eaux et forêts, qui, pour la sûreté des voyageurs, a prescrit une ouverture de soixante pieds pour les chemins dirigés à travers les bois, continue d’être exécuté selon sa forme et teneur.

VI. Entend pareillement Sa Majesté que dans les pays de montagnes, et dans les endroits où la construction des chemins présente des difficultés extraordinaires, et entraîne des dépenses très-fortes, la largeur des chemins puisse être moindre que celle ci-dessus prescrite, en prenant d’ailleurs les précautions nécessaires pour prévenir tous les accidents ; et sera, dans ce cas, ladite largeur fixée d’après le compte, rendu au Conseil par les sieurs intendants, de ce que les circonstances locales pourront exiger.

VII. La grande affluence des voitures aux abords de la capitale et de quelques autres villes d’un grand commerce, pouvant occasionner divers embarras ou accidents, qu’il serait difficile de prévenir si l’on ne donnait aux routes que la largeur ci-dessus fixée de 42 pieds, Sa Majesté se réserve d’augmenter cette largeur aux abords desdites villes, par des arrêts particuliers, après en avoir fait constater la nécessité ; sans néanmoins que ladite largeur puisse être, en aucun cas, portée au delà de 60 pieds.

VIII. Seront lesdites routes bordées de fossés, dans les cas seulement où lesdits fossés auront été jugés nécessaires, pour les garantir de l’empiétement des riverains, ou pour écouler les eaux ; et les motifs qui doivent déterminer à en ordonner l’ouverture seront énoncés dans les projets des différentes parties de route envoyés au Conseil pour être approuvés.

IX. Les bords des routes seront plantés d’arbres propres au terrain, dans les cas où ladite plantation sera jugée convenable, eu égard à la situation et à la disposition desdites routes ; et il sera pareillement fait mention, dans les projets à envoyer au Conseil pour chaque partie de route, des motifs qui doivent déterminer à ordonner que lesdites plantations aient ou n’aient pas lieu.

X. Il ne sera fait, quant à présent, aucun changement aux routes précédemment construites et terminées, encore que la largeur en excédât celle ci-dessus fixée ; suspendante cet égard Sa Majesté l’effet du présent arrêt, sauf à pourvoir par la suite, et d’après le compte qu’elle s’en fera rendre, aux réductions qu’elle pourra juger convenable d’ordonner.

XI. Sera, au surplus, l’arrêt du 3 mai 1720 exécuté selon sa forme et teneur, en tout ce à quoi il n’a point été dérogé par le présent arrêt[2].


Extrait de l’arrêt du Conseil d’État du 17 avril 1776, qui fixe à un an le délai accordé aux propriétaires riverains pour planter sur leurs terrains, le long des routes, et permet aux seigneurs voyers de faire lesdites plantations à défaut par les propriétaires de les avoir faites dans ledit délai.

L’arrêt du 3 mai 1720, concernant la plantation des routes, ne fixant aucun délai pour mettre les propriétaires en demeure d’en planter les bords, les seigneurs voyers s’empressaient de faire eux-mêmes les plantations à fur et à mesure que l’on traçait les chemins : cet usage imposant sur les terres des propriétaires une servitude non méritée et une peine qui n’était pas encourue, le roi ordonne

Qu’à l’avenir, et à compter du jour de la publication de l’arrêt, les seigneurs voyers ne pourront planter les chemins, dans l’étendue de leurs seigneuries, qu’à défaut par les propriétaires d’avoir fait lesdites plantations dans un an, à compter du jour où les chemins auront été entièrement tracés et les fossés ouverts. L’année expirée, les seigneurs voyers pourront planter, conformément à l’arrêt de 1720.


Extrait de l’édit du roi, portant établissement d’un hospice dans les écoles de chirurgie de Paris. (Donné, à Versailles au mois de décembre 1774, registre en Parlement le 7 janvier 1775.)

Louis, etc. Le roi, notre très-honoré seigneur et aïeul, persuadé que les arts utiles à la société contribuent à l’avantage ainsi qu’à l’ornement des États, n’a cessé, pendant le cours de son règne, de donner des marques de sa protection à tous les établissements qui pouvaient en favoriser les progrès ; c’est ce qu’il a surtout accompli et exécuté par rapport à la chirurgie, qui lui a paru mériter d’autant plus d’attention qu’elle tient un rang important entre les arts nécessaires à la conservation de l’humanité, et qu’il en avait lui-même reconnu l’utilité dans les différentes guerres qu’il avait eu à soutenir, dans lesquelles les chirurgiens avaient conservé à l’État un grand nombre d’officiers et de soldats qui seraient demeurés victimes de leur bravoure sans les secours de cet art salutaire. C’est par cette considération qu’après avoir établi, par son édit du mois de septembre 1724, cinq places de professeurs au collège de chirurgie de Paris pour y enseigner gratuitement les différentes parties de cet art salutaire ; qu’après avoir, par ses lettres-patentes du 8 juillet 1748, confirmé l’établissement de l’Académie royale ; par celles du mois de mai 1768, réglé la police et la discipline des écoles de chirurgie, il aurait assuré aux chirurgiens le rang honorable et distingué qu’ils devaient occuper dans la classe des citoyens : enfin, après avoir étendu aux chirurgiens des provinces une partie des mêmes avantages, et pourvu, par différents règlements que sa sagesse lui a dictés, à tout ce qui pourrait contribuer à la perfection des études et des exercices capables de former les meilleurs sujets dans cette partie essentielle de l’art de guérir, le roi notre aïeul, ne voulant rien laissera désirer pour la perfection des divers établissements qu’il avait ordonnés en faveur de la chirurgie et des chirurgiens, s’était aussi déterminé à transférer le chef-lieu des écoles et de l’Académie royale de chirurgie de Paris dans un lieu plus spacieux, où les maîtres et les étudiants pussent suivre avec plus d’ordre et de tranquillité les différents exercices qui y ont été établis… Cet édifice, commencé sous son règne, nous a paru d’une utilité si sensible pour le bien de nos sujets, que non-seulement nous nous sommes empressé d’en ordonner la continuation dès notre avènement au trône, mais que nous avons voulu même en poser la première pierre, qui deviendra le premier monument et un témoignage toujours subsistant de l’engagement que nous avons pris, et que nous renouvellerons toujours avec satisfaction, de concourir en tout ce qui dépendra de nous au soulagement de l’humanité… Et pour contribuer de notre part à rendre cet établissement plus parfait en joignant la pratique à la théorie, nous avons jugé à propos d’y fonder, avec un nouveau professeur de chimie chirurgicale, un hospice de quelques lits destinés à recevoir différents malades indigents, attaqués de maladies chirurgicales extraordinaires, qui ne pourraient se procurer ailleurs les secours de l’art aussi utilement que dans le centre de la chirurgie, et à portée d’être chaque jour aidés des lumières et de l’expérience des professeurs et autres grands maîtres qui s’y rendent pour leurs différents exercices. Sur quoi voulant plus particulièrement expliquer nos intentions, et à ces causes, nous avons, par le présent édit, statué et ordonné, voulons et nous plaît ce qui suit :

Art. Ier. Nous avons fondé, établi et érigé ; fondons, établissons et érigeons dans les nouvelles écoles de chirurgie de Paris un hospice de six lits, dans lequel seront reçus autant de malades indigents de l’un ou de l’autre sexe, attaqués de maladies chirurgicales graves et extraordinaires, dont le traitement long et dispendieux ne pourrait être suivi dans les hôpitaux. Défendons, sous quelque prétexte que ce puisse être, d’y recevoir et admettre aucuns malades attaqués de maladies ordinaires, et dont le traitement est suffisamment connu.

II. Seront lesdits malades reçus audit hospice sur l’avis de notre premier chirurgien, par délibération du bureau d’administration du Collège et Académie royale de chirurgie, établi par lettres-patentes du 24 novembre 1769, auquel bureau nous attribuons toute connaissance des comptes, revenus, dépenses, régie et administration dudit hospice, sous l’inspection de notre premier chirurgien.

III. Les malades seront visités par les professeurs et les autres maîtres en chirurgie, qui, après avoir consulté sur l’état des malades, nommeront ceux d’entre eux qu’ils jugeront à propos pour faire en leur présence les opérations et pansements nécessaires, et en suivre spécialement le traitement.

IV. Et pour que les dits malades trouvent dans le même lieu tous les secours nécessaires à leur guérison, nous avons établi et par ces mêmes présentes établissons l’un des maîtres en chirurgie de Paris, qui nous sera présenté à cet effet par notredit premier chirurgien, pour, en qualité de professeur, démonstrateur de chimie chirurgicale, tenir et avoir dans le lieu à ce destiné les médicaments tant simples que composés, et iceux délivrer pour le service desdits malades, lorsqu’il en sera requis sur un billet signé du trésorier. Ledit professeur sera en outre chargé de faire un cours de chimie chirurgicale aux élèves et étudiants dans l’amphithéâtre, aux jours et heures qui seront fixés par notredit premier chirurgien.

V. Nous avons attribué, et par ces présentes attribuons une somme de 7,000 livres, tant pour le service des six lits établis par l’art. Ier, à raison de 1,000 livres par chacun, que pour les appointements du professeur établi par l’article précédent, laquelle somme de 7,000 livres sera payable par chaque année, sans aucune retenue, par les receveurs de nos domaines de la généralité de Paris, sur les simples quittances du trésorier de ladite administration ; de laquelle recette, ainsi que de la dépense à laquelle elle est destinée, il rendra chaque année un compte distinct et séparé, à notredit premier chirurgien et à ladite administration, dans la forme ordinaire.

VI. La dépense dudit hospice sera toujours proportionnée avec la recette, et celle-ci complètement employée sans aucune distraction au service desdits malades ; en sorte que, le cas arrivant où le nombre complet des malades et les frais extraordinaires qu’ils occasionneraient, engageraient dans des dépenses plus fortes que la recette, il ne serait reçu desdits malades que jusqu’à la concurrence des sommes dont l’administration aurait à disposer : comme aussi, s’il arrivait que la diminution dans le nombre des malades laissât lieu à quelque excédant dans la recette, ce qui en resterait serait réservé à subvenir dans d’autres circonstances à l’excédant des dépenses, lesquelles nous entendons être administrées et régies par lesdits administrateurs, avec la même économie et la même attention que de bons pères de famille doivent apporter à l’administration domestique ; nous reposant sur eux du meilleur emploi de ladite fondation, suivant les vues d’humanité qui nous ont déterminé à l’établir, sans que sous aucun prétexte les fonds que nous y destinons puissent être divertis ou employés à un autre usage. Si donnons en mandement, etc.


Lettres-patentes pour la translation des écoles de la Faculté de médecine dans les bâtiments des anciennes écoles de la Faculté de droit. (Données à Versailles le 15 septembre 1775, registrées en Parlement audit an.)

Louis, etc. Étant informé que la Faculté de médecine se trouve dans la nécessité de quitter ses écoles, dont la démolition a été ordonnée, et qui n’est suspendue que jusqu’au 1er octobre prochain, et désirant pourvoir au logement nécessaire de ladite Faculté pour y faire ses exercices, nous nous sommes fait représenter l’arrêt du Conseil du 6 novembre 1763, et les lettres-patentes sur icelui du 16 dudit mois, registrées en parlement le 29 desdits mois et an, par lesquels le feu roi, notre très-honoré seigneur et aïeul, en agréant la translation des écoles de Droit sur la place de la nouvelle église de Sainte-Geneviève-du-Mont, a en même temps ordonné qu’aussitôt après la construction desdits édifices pour la Faculté de Droit, et après que les écoles y seraient ouvertes, il serait procédé, par-devant un des conseillers du parlement de Paris, sur une simple affiche et publication, à la vente des terrains, cour et bâtiments qui servaient alors aux écoles de ladite Faculté, pour le prix qui en proviendrait être employé d’abord au payement des sommes qui se trouveraient être redues pour raisons des bâtiments desdites nouvelles écoles de Droit, et le surplus à la construction de l’église de Sainte-Geneviève. Mais, jugeant à propos d’affecter lesdits bâtiments pour loger provisoirement la Faculté de médecine, nous y avons statué par arrêt rendu cejourd’hui en notre Conseil, nous y étant. À ces causes, nous avons ordonné, et par ces présentes, signées de notre main, ordonnons :

Que, jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu par nous, il sera sursis à la vente des terrains, cour et bâtiments des anciennes écoles de la Faculté de Droit, ordonnée par arrêt du Conseil du 6 novembre 1763, et lettres-patentes sur icelui du 16 desdits mois et an, pour lesdits bâtiments et terrains être employés aux exercices de la Faculté de médecine de la ville de Paris ; nous dérogeons, pour ce regard seulement, aux dispositions desdits arrêt et lettres-patentes des 6 et 16 novembre 1763, en ce qui est contraire à celles des présentes.


Arrêt du Conseil d’État, du 9 février 1776, qui ordonne qu’il sera envoyé annuellement dans les provinces la quantité de deux mille deux cent cinquante-huit boîtes de remèdes, pour être distribuées gratuitement aux pauvres habitants des campagnes, au lieu de sept cent soixante-quatorze boîtes qui se distribuaient précédemment.

Le roi s’étant fait représenter, en son Conseil, l’arrêt du 1er mars 1769, par lequel le feu roi avait ordonné que, pour prévenir et guérir plusieurs maladies épidémiques dont les peuples, et surtout les habitants des campagnes, étaient souvent attaqués, il serait envoyé chaque année, aux sieurs intendants et commissaires départis dans les différentes généralités du royaume, la quantité de sept cent quarante-deux petites boîtes de remèdes, et trente-deux grandes, pour être par eux confiées à des personnes charitables pour en faire la distribution, et Sa Majesté étant informée de la bonté de ces remèdes, due aux soins du sieur de Lassone, conseiller d’État, premier médecin du roi en survivance, et premier médecin de la reine, que Sa Majesté a chargé de leur composition, et qui s’en acquitte avec un désintéressement digne d’éloge ; que le zèle et l’attention avec lesquels les sieurs intendants et commissaires départis entrent dans les vues de Sa Majesté pour leur distribution, procurent aux habitants des campagnes de grands avantages en les mettant à portée de prévenir et de guérir les maladies qui ne les affligent que trop souvent ; qu’il serait à désirer que ce genre de secours fût plus multiplié ; que, par une légère augmentation et une nouvelle subdivision, les remèdes parviendraient dans les endroits les plus éloignés, sans rien perdre de leur vertu ; et Sa Majesté voulant donner à ses peuples des preuves de son amour paternel et de son attention pour tout ce qui peut contribuer à leur soulagement et à leur conservation : ouï le rapport du sieur Turgot, etc., le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne :

Qu’au lieu de 742 petites boîtes de remèdes, et 32 grandes, qui étaient envoyées aux sieurs intendants et commissaires départis dans les provinces, il sera chaque année, à commencer de la présente, envoyé la quantité de 2,258, dont 32 grandes, et 2,226 petites boîtes ; qu’à cet effet, le sieur de Lassone, chargé par Sa Majesté de la composition desdits remèdes, en remettra ladite quantité avec les imprimés d’instructions pour l’usage d’iceux, boîtes, fioles, pots, caisses et emballage, au sieur Guillaume-François Rihouey des Noyers, que Sa Majesté charge de l’envoi desdits remèdes, pour être, par ledit sieur des Noyers, adressés aux sieurs intendants et commissaires départis, à proportion de l’étendue et des besoins des différentes généralités, sur les ordres qui lui seront donnés à cet effet par le sieur contrôleur-général des finances, et être, par lesdits sieurs intendants, confies à des personnes charitables et intelligentes dans les campagnes, pour être par elles distribués aux pauvres habitants d’icelles seulement. Fait Sa Majesté très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de quelque état, condition et qualité qu’elles puissent être, de troubler et inquiéter le sieur de Lassonne dans la préparation et fourniture desdits remèdes ; le sieur des Noyers dans l’envoi d’iceux, et les personnes chargées par les sieurs intendants et commissaires départis de ladite distribution, à peine de tous dépens, dommages et intérêts.


Ordonnance de roi, du 12 avril 1776, qui prescrit ce qui sera observé relativement à l’acquisition, que Sa Majesté jugerait à propos de faire, de la composition et préparation de certains remèdes particuliers.

De par le roi. Sa Majesté, voulant désormais rendre aussi utile qu’il est possible l’acquisition, qu’elle jugera à propos de faire pour le bien de l’humanité, de la composition et de la préparation de certains remèdes particuliers, d’après le rapport de son premier médecin ou de tels autres commissaires, s’il en est besoin, choisis et nommés à cet effet, et voulant que ces remèdes, acquis par sa bienfaisance, ne soient plus, comme autrefois, exposés à être perdus ou altérés, et qu’il n’en puisse résulter aucun abus ; Sa Majesté a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. Ier. Lorsque l’acquisition d’un remède quelconque aura été faite par Sa Majesté, sans aucune réserve du secret au profit du vendeur, jusqu’après sa mort ou après un certain temps limité, alors l’écrit original contenant la composition, la préparation et les propriétés dudit remède, sera remis au secrétaire d’État ayant le département de la maison de Sa Majesté, lequel en fera faire deux copies, certifiées exactes et fidèles, par le premier médecin du roi.

II. L’une des deux copies restera dans le dépôt du secrétaire d’État : l’autre sera envoyée à l’Imprimerie royale, pour la répandre ensuite dans le public, par la voie de l’impression. L’écrit original sera envoyé à la Faculté de médecine de Paris, avec ordre de le conserver dans ses archives ; et le doyen de la Faculté donnera aussitôt au secrétaire d’État, au nom de sa Compagnie, un récépissé de cet écrit, s’obligeant à le représenter, s’il en était requis.

III. Lorsque Sa Majesté aura acheté la composition et la préparation de quelque remède particulier, auparavant inconnu, et jugé efficace, en accordant la réserve du secret au vendeur jusqu’après sa mort, ou après un certain temps limité, alors l’écrit original contenant la composition et la préparation du remède sera remis, sous une enveloppe cachetée, au secrétaire d’État, qui y mettra une seconde enveloppe, par lui pareillement cachetée ; sur cette seconde enveloppe seront écrits la dénomination et les propriétés spéciales du remède, le temps où cette composition pourra être rendue publique, et la date de l’acquisition faite par le roi.

IV. L’écrit, ainsi renfermé sous cette double enveloppe, sera remis par le secrétaire d’État au doyen de la Faculté de médecine de Paris, qui en donnera sur-le-champ un récépissé au nom de sa compagnie ; et ledit doyen, après en avoir informé la Faculté de médecine assemblée, déposera tout de suite ledit écrit, tel qu’il lui aura été remis, dans les archives de la Faculté, où il sera fidèlement conservé, sans qu’il soit permis de le confier à personne, jusqu’à ce qu’il doive être rendu public.

V. Dans les trois mois, à dater du jour du dépôt fait à la Faculté de médecine, le doyen en instruira le public par la voie des journaux et des gazettes : les auteur » et rédacteurs de ces ouvrages périodiques seront tenus de publier cet avertissement donné par le doyen au nom de la Faculté de médecine, en sorte que le public sache que le secret est déposé, et dans quel temps il doit être publié.

VI. Le vendeur du remède, qui jouira seul pendant sa vie, ou pendant un certain temps limité, de la composition ou préparation dudit remède acheté par le roi, sous cette condition accordée, sera obligé de faire publier par la voie des journaux, ou par telle autre voie qu’il voudra, les règles précises de l’usage et de l’administration du médicament, en spécifiant les maux particuliers et les circonstances où il convient de l’employer ; mais cette espèce d’avertissement et d’instruction sommaire ne pourra être publiée et imprimée, de quelque manière qu’elle le soit, qu’autant qu’elle sera munie de l’approbation du premier médecin du roi ou de tels autres commissaires qui auront été chargés de prendre, sous la réserve du secret, connaissance de la composition et de la préparation du remède, pour l’examiner, pour en juger, et pour en faire ensuite leur rapport ; et s’il arrivait que le possesseur du remède encore secret contrevînt à cette loi qui doit lui être imposée, dès lors la vente dudit remède serait de droit arrêtée et interdite.

VII. Le possesseur du remède vendu sous la réserve du secret sera obligé de fournir tous les ans, au secrétaire d’État ayant le département de Paris et au doyen de la Faculté de médecine, un certificat de vie en bonne forme, faute de quoi il sera procédé, après les six mois où le certificat aurait dû être fourni, à l’exécution de l’article suivant.

VIII. Immédiatement après que la mort du possesseur du remède acheté par le roi sera constatée, ou que tel autre temps limité pour la réserve du secret sera expiré, le doyen de la Faculté de médecine sera tenu d’envoyer l’écrit contenant la composition et préparation du remède, aux auteurs des journaux et gazettes, pour le publier ; et cependant la minute originale restera encore pendant dix ans dans les registres de la Faculté.

IX. Aussitôt que lesdits remèdes seront rendus publics, soit par la voie des journaux ou autrement, tous les apothicaires seront obligés d’en inscrire exactement la formule et la préparation sur un registre particulier à ce destiné, afin qu’ils puissent s’y conformer ; et qu’il n’y ait jamais dans cette préparation, lorsqu’elle leur sera prescrite pour l’usage, ni variation, ni innovation, ni changement ; et ils seront obligés de communiquer ledit registre, chaque fois qu’ils en seront requis par quelques-uns des membres de la Faculté de médecine, sans pouvoir s’en dispenser sous quelque prétexte que ce soit.


Arrêt du Conseil d’État, du 29 avril 1776, qui établit une commission de médecins à Paris, pour tenir une correspondance avec les médecins des provinces sur tout ce qui peut être relatif aux maladies épidémiques et épizootiques.

Le roi s’étant fait rendre compte, en son Conseil, des précautions anciennement prises, et des moyens qui ont été employés pour porter des secours à ses sujets, et veiller à leur conservation, lorsque des maladies épidémiques ont affligé quelques provinces, ou se sont répandues dans les campagnes, Sa Majesté a reconnu qu’il était digne de sa bienfaisance de pourvoir à cet objet important par des institutions plus efficaces et capables de remplir plus sûrement leur objet ; qu’une longue expérience prouve que les épidémies, dans leur commencement, sont toujours funestes et destructives, parce que le caractère de la maladie, étant peu connu, laisse les médecins dans l’incertitude sur le choix des traitements qu’il convient d’y appliquer ; que cette incertitude naît du peu de soin qu’on a eu d’étudier et de décrire les symptômes des différentes épidémies, et les méthodes punitives qui ont eu le plus de succès ; que, si quelques médecins habiles ont écrit et conservé leurs observations sur les épidémies qu’ils ont vues régner, ces ouvrages isolés sont demeurés sans utilité, faute d’être rassemblés, et de concourir, par leur réunion et leur comparaison, à la formation d’un corps complet de doctrine ; que cependant, la véritable et la plus sûre étude de la médecine consistant dans l’observation et l’expérience, le véritable code des médecins serait dans le recueil de tous les faits que les hommes les plus instruits de l’art ont observés, et des traitements dont ils ont éprouvé, dans les épidémies, les bons ou les mauvais succès ; que, pour encourager les médecins habiles à conserver leurs observations, et pour parvenir à les réunir et les comparer ensemble, rien ne serait plus utile que l’établissement d’une commission composée de médecins choisis par Sa Majesté, et qui seraient par elle spécialement chargés de s’occuper de l’étude et de l’histoire des épidémies connues ; de se ménager des correspondances avec les meilleurs médecins des provinces et même des pays étrangers ; de recueillir et de comparer leurs observations, de les rassembler en un seul corps ; enfin, de se transporter, toutes les fois qu’il leur serait ordonné, dans toutes les parties du royaume où des maladies épidémiques requerraient les secours de leur art, l’objet essentiel de ceux qui l’exercent étant surtout de ne négliger aucun moyen de se rendre utiles à l’humanité. Sa Majesté a droit d’attendre, du zèle de ceux qu’elle aura choisis, qu’à l’exemple des plus grands médecins de l’antiquité, ils ne dédaigneront point d’étudier pareillement les maladies des animaux, et les remèdes qui leur conviennent. Ces considérations ont déterminé Sa Majesté à faire choix de plusieurs médecins qui, sous la conduite et l’inspection d’un chef, s’occuperont spécialement du soin d’étudier l’histoire et la nature des différentes épidémies, de demander et de réunir les observations des médecins des provinces ; de faire des recherches d’anatomie, en joignante la dissection du corps humain celle des animaux, et rassemblant ainsi toutes les notions qui peuvent être utiles pour prévenir ou pour arrêter les ravages que les maladies contagieuses font parmi les hommes ou parmi les animaux qui, partageant avec eux les travaux de l’agriculture, deviennent une partie intéressante de leur richesse. À quoi voulant pourvoir, ouï le rapport du sieur Turgot, etc., le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. Ier. Il se tiendra à Paris, au moins une fois par semaine, dans le lieu qui sera désigné par le sieur contrôleur-général des finances, une assemblée qui sera composée d’un inspecteur-directeur-général des travaux et de la correspondance relatifs aux épidémies et épizooties, d’un commissaire-général, premier correspondant avec les médecins des provinces, et de six docteurs en médecine, lesquels se consacreront principalement à l’étude des maladies épidémiques et épizootiques ; à faire des dissections et autres opérations propres à remplir l’objet auquel ils seront destinés ; à se livrer aux travaux de la correspondance qui sera établie avec les médecins des provinces, lesquels seront invités par le commissaire-correspondant, qui sera nommé ci-après, à concourir à l’utilité des travaux de ladite assemblée par leurs observations et leurs expériences.

Les art. II et III nomment directeur-général M. de Lassone, et commissaire-général M. Vicq d’Azyr.

IV. Le sieur Vicq d’Azyr sera tenu de faire un cours d’anatomie humaine et comparée, dans lequel on s’occupera principalement de la description et de la comparaison des parties propres à fournir des conséquences utiles à la pratique ; auquel cours assisteront les six médecins agréés et les docteurs ou étudiants en médecine, dont il sera parlé ci-après, article VII.

V. Les six docteurs en médecine dont il est fait mention dans l’article Ier seront nommés par le sieur de Lassone, et seront tenus de se transporter, en conséquence des ordres du sieur contrôleur-général, dans les provinces où ils seront jugés nécessaires pour le soulagement des hommes ou des bestiaux.

VI. Lorsqu’un ou plusieurs desdits médecins seront envoyés dans les provinces, il leur sera remis par le médecin-inspecteur et directeur-général, ou par le médecin commissaire du roi en cette partie, un plan de conduite approuvé par le sieur contrôleur-général des finances, auquel ils seront tenus de se conformer, à peine de privation de leurs places.

VII. Pour étendre le plus qu’il sera possible l’utilité que le public et les médecins doivent retirer de cet établissement, il sera admis à ladite assemblée, pour en suivre les instructions et exercices, des docteurs ou étudiants en médecine, faisant leurs cours à Paris, même des chirurgiens ou des élèves en chirurgie, qui, par leurs talents, mériteront cette admission ; et pour les engagera s’y rendre exacts et attentifs, veut Sa Majesté qu’il soit accordé des encouragements proportionnés à leurs talents à ceux qui se seront distingués par leur application et leur amour pour le travail, etc.


  1. Si les paroisses qui auront souffert par la médiocrité des récoltes, et qui par cette raison ont besoin de secours, se trouvent à portée de villes qui puissent leur offrir un débouché, il serait peut-être plus à propos de consacrer les fonds qui leur auraient été destinés à y introduire des filatures. C’est aux personnes chargées de l’administration de chaque province qu’il appartient de considérer ce que les circonstances locales exigent pour tirer le parti le plus avantageux des secours accordés par le gouvernement. (Note de l’auteur.)
  2. Les successeurs de M. Turgot n’ont donné aucune exécution aux dispositions de cet arrêt, si raisonnable et si favorable à l’agriculture. (Note de Dupont de Nemours.)