Œuvres de Saint-Amant/Le Soleil levant

Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 193-198).

LE SOLEIL LEVANT[1].


Jeune deesse au teint vermeil,
Que l’Orient revere,
Aurore, fille du Soleil,
Qui nais devant ton pere,
Vien soudain me rendre le jour,
Pour voir l’objet de mon amour.

Certes, la nuict a trop duré ;
Desja les cocqs t’appellent :
Remonte sur ton char doré,
Que les Heures attellent,
Et viens montrer à tous les yeux
De quel esmail tu peins les cieux.

Laisse ronfler ton vieux mary
Dessus l’oisive plume,
Et pour plaire à ton favory

Tes plus beaux feux r’allume ;
ll t’en conjure à haute voix,
En menant son limier au bois.

Mouille promptement les guerets
D’une fraische rosée,
Afin que la soif de Cerès
En puisse estre appaisée,
Et fay qu’on voye en cent façons
Pendre tes perles aux buissons.

Ha ! je te voy, douce clarté,
Tu sois la bien venue :
Je te voy, celeste beauté,
Paroistre sur la nue,
Et ton estoile en arrivant
Blanchit les costaux du levant.

Le silence et le morne roy
Des visions funebres
Prennent la fuite devant toy
Avecque les tenebres,
Et les hyboux qu’on oyt gemir
S’en vont chercher place à dormir.

Mais, au contraire, les oyseaux
Qui charment les oreilles
Accordent au doux bruit des eaux
Leurs gorges nompareilles,
Celebrans les divins apas
Du grand astre qui suit tes pas.

La Lune, qui le voit venir,
En est toute confuse ;
Sa lueur, preste à se ternir,
À nos yeux se refuse,
Et son visage, à cet abord,
Sent comme une espece de mort.

Le voilà sur notre horison
En sa pointe première.
Ô que l’Ethiope a raison
D’adorer sa lumière !
Et qu’il doit priser la couleur
Qui luy vient de cette chaleur !

C’est le dieu sensible aux humains,
C’est l’œil de la nature ;
Sans luy les œuvres de ses mains
Naistroient à l’advanture,
Ou plustost on verroit périr
Tout ce qu’on voit croistre et fleurir.

Aussi pleine d’un sainct respect,
Quand le jour se rallume,
La Terre, à ce divin aspect,
N’est qu’un autel qui fume,
Et qui pousse en haut comme encens
Ses sacrifices innocens.

Au vif esclat de ses rayons,
Flattés d’un gay zephire,
Ces monts sur qui nous les voyons
Se changent en porphyre,
Et sa splendeur fait de tout l’air
Un long et gracieux esclair.

Bref, la nuict devant ses efforts,
En ombres séparée,
Se cache derrière les corps
De peur d’estre esclairé,
Et diminue ou va croissant,
Selon qu’il monte ou qu’il descent.

Le berger, l’ayant révéré
À sa façon champestre,
En un lieu frais et retiré

Ses brebis meine paistre ;
Et se plaist à voir ce flambeau
Si clair, si serain, et si beau.

L’aigle, dans une aire à l’escart,
Estendant son plumage,
L’observe d’un fixe regard,
Et luy rend humble hommage,
Comme au feu le plus animé
Dont son œil puisse estre charmé.

Le chevreuil solitaire et doux,
Voyant sa clarté pure
Briller sur les feuilles des houx
Et dorer leur verdure,
Sans nulle crainte de veneur,
Tasche à luy faire quelque honneur.

Le cygne, joyeux de revoir
Sa renaissante flame,
De qui tout semble recevoir
Chaque jour nouvelle ame,
Voudroit, pour chanter ce plaisir,
Que la Parque le vint saisir.

Le saulmon, dont au renouveau
Thetis est despourveue,
Nage doucement à fleur d’eau
Pour jouir de sa veue,
Et monstre au pescheur indigent
Ses riches escailles d’argent.

L’abeille, pour boire des pleurs,
Sort de sa ruche aymée,
Et va sucer l’ame des fleurs
Dont la plaine est semée ;
Puis de cet aliment du ciel
Elle fait la cire et le miel.

Le gentil papillon la suit
D’une aisle tremoussante,
Et, voyant le soleil qui luit,
Vole de plante en plante,
Pour les advertir que le jour
En ce climat est de retour.

Là, dans nos jardins embellis
De mainte rare chose,
Il porte de la part du lys
Un baiser à la rose,
Et semble, en messager discret,
Luy dire un amoureux secret.

Au mesme temps, il semble à voir
Qu’en esveillant ses charmes,
Ceste belle luy fait sçavoir,
Le teint baigné de larmes,
Quel ennuy la va consumant
D’estre si loing de son amant.

Et mesme elle luy parle ainsi
En son muet langage :
Helas ! je deviendray soucy
Au mal-heur qui m’outrage,
Si de ma fidelle amitié
Mon fier destin ne prend pitié.

Amour, sur moy comme vaincœur,
Exerce ses rapines,
Et moins en mes bras qu’en mon cœur
Je porte des espines ;
Mais je ne vivray pas longtemps :
C’est le seul bien où je m’attends.

Encore si, pour reconfort,
Quelques beaux doigts me cueillent
Avant que, par un triste sort,

Tous mes honneurs s’effeuillent,
Je n’auray rien à desirer,
Et finiray sans murmurer.

Reyne des fleurs, apaise-toi :
Voicy venir Sylvie,
Qui t’apporte en elle de quoy
Contenter cette envie,
Car sa main de lys a dessein
De te loger en son beau sein.



  1. Cf. Théophile, le matin, ode. — Edit. 1651, p. 187.