LA JOUYSSANCE[1].
Loin de ce pompeux edifice
Où nos princes font leur sejour,
Et lassé de voir à la cour
Tant de contrainte et d’artifice,
J’estois libre dans ma maison,
Bien que mon cœur fust en prison
Dans les beaux yeux de ma Sylvie ;
Et, sans craindre en amour l’inconstance du sort,
Je menois la plus douce vie
Qu’on puisse voir passer par les mains de la Mort.
Mes sens en bonne intelligence
S’entendoient avec mes desirs,
Me recherchans mille plaisirs
D’une soigneuse diligence.
Chacun admiroit mon bonheur ;
Le Ciel, pour me combler d’honneur,
Ne juroit que par mon merite,
Et disoit au sujet de mes affections
Que ta terre estoit trop petite
Pour pouvoir contenir tant de perfections.
Mon bien estoit incomparable,
Ainsi que ma dame et ma foy.
Le plus content au prix de moy
Ne s’estimoit que miserable.
J’estois amant, j’estois aimé ;
La douceur qui m’avoit charmé
Ne me gardoit point d’amertume,
Car tant plus j’en goustois, m’y laissant emporter,
Et tant plus, contre ma coustume,
S’augmentoit en mon cœur le desir d’en gouster.
Sous un climat où la nature
Montre a nud toutes ses beautez
Et nourrit les yeux enchantez
Des plus doux traits de la peinture,
Nous voyons briller sur les fleurs
Plustost des perles que des pleurs
Qui tomboient des yeux de l’Aurore,
Dont celle à qui Zephire adresse tous ses vœux,
Et que le beau printemps adore,
Se paroit au matin la gorge et les cheveux.
Entre les Ris et les Caresses,
Les petits Amours eveillez
Dançoient par ces champs emaillez
Avec les Graces leurs maistresses ;
Et souvent, pour s’entre-baiser,
Ils se venoient tous reposer
Au milieu du sein de ma belle,
Faisans naistre aussi-tost mille divins appas,
De qui la puissance estoit telle,
Qu’ils donnoient tout d’un coup la vie et le trespas.
Tantost nous voyons un Satyre,
Assis à l’ombre d’un ormeau,
Faire plaindre son chalumeau
De son agreable martyre ;
Tantost, dans un bois écarté
Où n’entre qu’un peu de clarté,
Nous visitions la Solitude ;
Et, trouvans le Repos qui lui faisoit la cour,
Nous chassions toute inquietude,
De peur de les troubler en leur paisible amour.
Là, sous un mirthe que les fées
Respectent comme un arbre saint,
Où Venus elle-mesme a peint
Ses mysteres et ses trofées,
Nous faisions des vœux solemnels
Que nos feux seroient eternels,
Sans jamais amoindrir leur force ;
Puis, prestans le serment à Dieu nostre vainqueur,
Nous l’ecrivions sur son escorce ;
Mais il estoit gravé bien mieux dans nostre cœur.
Tantost, feignant un peu de crainte,
Je disois à cette beauté,
Pour sonder sa fidelité,
Que son humeur estoit contrainte ;
Tantost, d’un visage mourant,
Je lui tenois en souspirant
Ces propos de glace et de flame :
Oseroy-je esperer, ô miracle des cieux !
D’estre aussi bien dedans ton ame
Comme en te regardant je me voy dans tes yeux ?
Lors elle disoit toute emeue,
En m’accusant de peu de foy :
Lysis, ton image est en moy
Bien plus avant que dans la veue.
Je t’en prens toy-mesme à tesmoin,
Reconnoy qu’elle est bien plus loin,
Puis qu’elle y paroist si petite ;
Et croy que tu la vois, par un regard fatal,
Dans mon cœur, où l’amour habite,
Comme on voit un portrait au travers d’un cristal.
À ce discours l’ame ravie
De ne sçavoir que repartir,
Je la priois de consentir
Aux vœux de l’amoureuse envie ;
Et pour terminer tout debat,
Je l’invitois aux doux ébat
Où jamais femme ne se lasse,
L’estreignant, en l’ardeur qui m’avoit provocqué,
Mieux que le houbelon n’embrasse
L’aubespine qu’il aime, et dont il est picqué.
Là, sur sa bouche à demy close
Je beuvois, baisant nuict et jour,
À la santé de nostre amour,
Dedans une couppe de rose.
Ma bergere, en toute saison
Ardente à me faire raison,
S’enyvroit de la mesme sorte ;
Et dans ce doux excès nos sens quasi perclus,
Sous une contenance morte,
Confessoient par nos yeux que nous n’en pouvions plus.
Nos desirs, reprenant courage
Quand nos efforts s’allentissoient,
En toutes façons exerçoient
Les traits de l’amoureuse rage.
Cette bouillante passion
Portoit avec tant d’action
Tous nos mouvements à la guerre,
Qu’à nous voir en ce poinct dans les jeux de Cypris
On eust dit que toute la terre
Estoit d’un tel combat le sujet et le pris.
Cependant en cette querelle
Suffisoit à nous contenter
Le lien qu’elle daignoit prester
À nos corps estendus sur elle.
Nous l’estimions plus mille fois
Que tous les païs que nos rois
Ont eus sous leur obeissance,
Ni mesme que ces lieux pour qui ce grand demon
Qui detient l’or en sa puissance
Fit treuver aux nochers l’usage du timon.
Dieux ! quelle plume assez lascive,
Fust-ce de l’aile d’un moineau,
D’un combat si doux et si beau,
Decriroit l’ardeur excessive ?
Jamais, alors qu’à membres nus
Adonis embrassoit Venus,
Tant de bon tours ne s’inventerent,
Ni jamais l’Amour mesme et sa belle Psiché
Tant de delices ne gousterent,
Que nos sens en goustoient en ce plaisant peché.
La langue, estant de la partie,
Si-tost qu’un baiser l’assiegeoit,
Aux bords des levres se rengeoit,
Afin de faire une sortie ;
L’ennemy, recevant ses coups,
Souffroit un martyre si dous,
Qu’il en benissoit les atteintes ;
Et mille longs souspirs, servant en mesme temps
De chants de victoire et de plaintes,
Monstroient que les vaincus estoient les plus contens.
Un jour, pres d’une vive source
D’argent liquide et transparant,
Qui prend la fuitte en s’esgarant
Vers la mer où finit sa course,
Mon lut, parlant à basse vois,
S’entretenoit à avec mes dois
De mes secrettes fantaisies,
Et parfois s’esclattant en la vigueur des sons,
Les roches se sentaient saisies
Du mignard tremblement de mille doux frissons.
Les oyseaux, tirez par l’oreille,
Allongeant le col pour m’ouyr,
Se laissoient presque esvanouyr,
Tous comblez d’aise et de merveille.
Les animaux autour de nous
Nous contemploient à deux genous,
Plongez dans un profond silence,
Quand d’un vieux chesne, esmeu de ce contentement,
Avec un peu de violence
Sortirent ces propos assez distinctement :
Orphée, aux yeux de Radamante,
A donc ramené des enfers,
Malgré les flames et les fers,
Sa chere et gracieuse amante ?
Ce rare exemple d’amitié
Est donc rejoint à sa moitié
Par deux fois de luy separée ?
Et sa teste, où les dieux tant de dons ont enclos,
Ny sa lyre tant admirée,
Ne furent donc jamais à l’abandon des flots ?
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