Œuvres de Saint-Amant/Epistre à l’Hiver sur le voyage de S. M. en Pologne
EPISTRE À L’HYVER
Sur le voyage de Sa Serenissime Majesté en Pologne.
toy, demon, qui fais que la nature,
Lasse d’agir, est comme en sepulture
Dans un lict froid, où sa fecondité
S’eschauffe et dort sous la sterilité
Qui l’enlaidit pour la rendre plus belle,
Qui sa vigueur irrite et renouvelle,
Et qui luy sert à reproduire au jour
Le gay printemps, les graces et l’amour ;
À toy, vieillard ; à toy, prudent genie
Sous qui l’année, utillement finie,
Reprend son cours et sur qui nos raisons
Fondent l’espoir des trois autres saisons,
Ma plume addrese une juste requeste,
Qu’avec ardeur un humble vent s’appreste
À te porter jusques sur ces climas
Où tu regis l’empire des frimas,
Où, haut monté sur un trosne de gloire
Fait de tes mains, au lieu d’or ou d’yvoire,
De pure neige et de riche cristal,
Tu ranges tout sous ton sceptre fatal.
Le but de grace où ma priere vise
Est qu’il te plaise, ô prince de la bise !
Suspendre un peu l’aspre et dure vertu
Dont aujourd’huy ton bras est revestu.
Cette faveur non sans cause j’implore :
Un rare objet, que le ciel mesme adore,
Une deesse, un miracle charmant,
Dont sur la terre est le seul digne amant
Le plus auguste et le plus grand monarque
Qui sous l’arctique ait fait luire la marque
Qu’au front des roys grave le roy des dieux,
En ton sejour va monstrer ses beaux yeux.
Mais, tu le sçais, des-jà la Renommée
En a partout la nouvelle semée ;
Des-jà le bruict de ton proche bon-heur,
Des-jà l’eclat d’un si sublime honneur,
A disposé, par sa fameuse course,
Le pole mesme à donner à son ourse
Une autre forme, un plus benin aspect,
Et la nature approuve son respect.
Donc, ô demon qui regnes sur la glace,
Puis qu’un devoir porte à changer de face
Les feux du ciel, dont tu reçois la loy,
On n’en peut pas attendre moins de toy.
Aussi des-jà, flatté de cet exemple,
Je me prepare à te bastir un temple
Si magnifique et si noble en autels,
Qu’il ravira tous les cœurs des mortels.
Là de cristal ton image formée
Rendra la veue esblouye et charmée ;
Là sur ton chef cent vigoureuses fleurs
Qui de l’esté dedaignent les chaleurs
Feront en rond voir leur lustre superbe,
Et sous tes pieds mainte feuille et mainte herbe
Que le froid garde afin de te parer ;
Diront aux yeux qu’on te doit reverer
Comme le seul qui couve et fortifie
Les biens qu’aux champs le laboureur confie,
Comme le seul qui donne ame à Cerès,
Qui rend l’air sain, qui purge les guerets,
Et qui fabrique en un moment sur l’onde
Des chemins secs, les plus riches du monde.
Du grand Ronsard l’hymne s’y chantera,
Et de mes vers peut-estre on y lira,
Vers qu’autrefois, en un passage estrange,
Ma chere muse a faits à ta louange ;
Vers qu’on estime, et qui, sans vanité,
Meritent bien que je sois escouté.
Escoute donc, escoute ma demande,
Rends-toy plus doux, fay qu’Éole commande
Aux vents mutins, durs fleaux de ta saison,
De vivre en paix dans sa noire prison ;
Que, si Borée en obtient la sortie,
Son front soit tel qu’il fut pour Orithie,
Lorsque l’amour vit cet audacieux,
Pour la gagner prendre un air gracieux
Banir de soy l’orage et la tempeste,
Ployer l’orgueil qui couronne sa teste,
Et d’un maintien et soumis et vainqueur
Forcer la nymphe à luy donner son cœur.
Or, noble Hyver, ne crois pas que Neptune
Doive pourtant, au gré de la fortune,
Porter ma reine où pour la recevoir
Tout le Nort brille et se range au devoir.
Ne pense pas que l’on vueille commettre
Ce beau tresor, cher suject de ma lettre,
À l’avanture, à la foy des dangers
Que sur les flots courent les pins legers.
Les grands perils de l’illustre ambassade,
Sauvée à peine au doux sein d’une rade,
Monstrent assez que l’infidelité
Est de la mer la belle qualité.
Et toutesfois, qu’aucun ne s’en estonne,
Ce fut sans doute un des traits de l’Autonne,
Qui, de despit de ce que tu detruits
Sa pompe verte, et son regne, et ses fruits,
Du fier Midy sollicitant la rage,
Tascha soudain, par quelque insigne outrage,
De se venger et du Nort et de toy
Sur les vaisseaux envoyez de ton roy.
Ouy, c’en fut un, ce fut sa violence,
Ce fut sa noire et jalouse insolence,
Qui, prevoyant qu’on t’alloit obtenir
Le plus grand bien qui te puisse avenir,
Fit ses efforts, arma le vent et l’onde
Contre la trouppe auguste et vagabonde,
Pour t’empescher d’estre un jour honoré
Du plus bel œil qu’Amour ait adoré.
Mais sa fureur fut impuissante et vaine :
L’affection triompha de la haine ;
Elle prit terre, et, preste à retourner,
Desjà Louise elle veut emmener.
Ha ! qu’en ce point la France est combatue !
Que ce depart qui nous plaist et nous tue,
Par des effets l’un à l’autre opposez,
Confond en nous de pensers divisez !
Nos cœurs, induits à se livrer en proye
Tantost au dueil et tantost à la joye,
Sont suspendus entre ces passions,
Et nostre chois retient ses fonctions :
Car d’un costé, quand sa gloire immortelle
Nous entretient du trosne qui l’appelle,
Quand nous songeons à sa propre grandeur,
À sa fortune, à sa haute splendeur,
Tous nos esprits penchent vers l’allegresse ;
Nostre raison blasme nostre tendresse,
L’aise l’emporte, et le moindre moment
Nous semble injuste en son retardement.
Mais d’autre part, lors que la Seine mesme
Nous represente, en son regret extresme,
Que sans malheur on ne peut esperer
De la revoir sa belle onde esclairer,
Que la pensée en est illegitime,
Que le desir n’en peut estre sans crime ;
Nous ne sçavons qu’eslire en ce milieu ;
Et cependant elle nous dit adieu.
Ce brave train dont la superbe entrée
Vole en discours de contrée en contrée ;
Ce somptueux, ce royal appareil[1]
De qui l’esclat a vaincu le soleil,
De qui la pompe et la magnificence,
Ont fait du luxe admirer la licence,
Et dont l’orgueil pacifique et guerrier,
À sur tout autre emporté le laurier ;
La trouppe, dis-je, et triomphante et leste,
Conduit desjà cette reine celeste,
Cette merveille et d’honneur et d’appas,
Aux nobles lieux destinez à ses pas.
Toute la cour, où sa vie adorable
Laisse une odeur divine et perdurable,
L’a desjà mise au chemin desiré,
Et tout Paris en revient esploré.
Ses sentimens ne sont plus dans le doute,
Son interest nulle raison n’escoute ;
ll la regrette, il commence à sentir
D’un si grand don l’indigne repentir ;
Et la plaignant, mesme à peine sa veue
De son aspect se trouve despourveue,
Qu’il en gemit, comme si le tombeau
Avoit enclos tout ce qu’il eut de beau.
Il est bien vray que nos torrens de larmes
Procedent moins de perdre ainsi les charmes
D’un si doux astre au front si glorieux,
Que de penser, en ce temps furieux,
Aux longs travaux du penible voyage
Où, sous les loix de son saint mariage,
Amour l’oblige avec quelque rigueur,
Quand tu fais voir ta plus rude vigueur,
Quand les forests, sous tes froides bruines,
De leurs beautez deplorent les ruines ;
Quand tu transis l’onde, la terre et l’air ;
Quand le feu mesme, estincelant et clair
Fremit, petille et ne semble qu’à peine
Se garantir de ta cruelle haleine,
Et quand, enfin, tous tes bruyans suppos,
De l’univers bannissent le repos.
Apprens, au reste, et soit dit sans menace,
Que si bien tost on ne voit la bonace,
Si pour deux mois tu ne laisses en paix
L’air agité de tourbillons espais,
Ce beau soleil pour qui ton roi souspire
D’un seul rayon destruira ton empire ;
Te montrera combien tu luy desplus,
Et de l’hyver on ne parlera plus.
Sois donc plus doux ; montre, s’il t’est possible
Qu’aux justes vœux tu n’es point insensible ;
Suspens ta force, et pour ton propre bien,
En ce besoin ne me refuse rien.
Or en tout cas, si ta fureur ne cesse,
Contente toy de voir cette princesse
De quelque mont si loin au bout du Nort,
Que nul vivant n’en esprouve l’effort ;
Contente-toy de sçavoir par ma plume
Qu’elle a des yeux où la gloire s’allume,
Que ses attraits ravissent tous les sens,
Que ses vertus sont dignes de l’encens,
Que son esprit n’ignore rien d’illustre,
Que son renom verra le dernier lustre,
Que son merite esgale son bon-heur,
Et que son ame est l’ame de l’honneur.
Ne pense pas venir au devant d’elle
En vassal mesme et discret, et fidelle,
Mais fay luy voir avec tranquilité,
La courtoisie en l’incivilité.
- ↑ L’ambassade des Polonois fut magnifique, dit Tallemant. L’hôtel de Vendôme fut préparé pour recevoir l’ambassadeur et sa suite. On trouve dans les mémoires du temps de nombreux détails sur leur entrée, leur séjour à Paris, etc. — Voy., entre autres, Mlle de Montpensier, un peu jalouse de « cette reine d’un jour », dans ses Mémoires, Maestricht, 1776, in-12, 1, 135. — Voy. aussi Mme de Motteville, et surtout Le Laboureur.