ELEGIE À DAMON.
Damon, je languissois dans un sombre silence,
Suivant de mon humeur la froide nonchalence,
Quand cet œil gracieux, dont tu te sens espris,
En te bruslant le cœur éclaira mes esprits.
Lors mille hauts sujets reveillerent ma veine,
Et, publiant sa gloire en dépeignant ta peine,
Je mis la Muse en œuvre, et taschay par mes vers
De le faire briller aux bouts de l’univers.
Les voyans si hardis à chanter sa louange,
Ô vous qui les orrez, ne trouvez point estrange
Qu’il leur ait inspiré, d’un eclat nompareil,
La fureur d’Apollon, puis que c’est un Soleil.
Depuis, entretenant ce beau feu qu’il allume,
Il a tousjours receu quelque fruit de ma plume.
J’ay fait dire à mon lut qu’Orante seulement
Eleve tous les cœurs dans le ravissement ;
Et lors, sans vanité, qu’il chante ses merveilles,
Il ne transporte pas, possible, moins d’oreilles ;
Mais elle en est la cause, on l’en doit admirer,
Et luy donner l’honneur que j’en pourrois tirer.
Pour moy, comme je puis, par tout je m’en acquitte,
Sçachant que la Raison, qui connoist son merite,
Requiert que le devoir ne se puisse assouvir
En moy de la louer, en toy de la servir.
Sers-la donc, cher Damon ; mets y toute industrie,
Pousse tes sentimens jusqu’à l’idolatrie :
Les Dieux t’excuseront pour un sujet si beau.
En tout cas ne crains point la rigueur du tombeau.
Quand quelque deïté s’en tiendroit offencée,
Tu garderas tousjours cecy dans ta pensée,
Que, depuis qu’un mortel une fois a gousté
De ce manger divin en l’Olimpe appresté,
De ce mets precieux qu’on appelle ambroisie,
On peut asseurement croire sans frenesie
Qu’il est exempt d’aller en ces tristes manoirs
Où Charon a passé tant de fantomes noirs.
Hé ! n’en goûtas-tu pas quand tu baisas Orante,
Quand je te vy pasmé sur sa bouche odorante,
Et que ses doux regards te firent revenir ?
Ô combien vivement tu t’en dois souvenir !
Et puis, quand tu mourrois pour l’avoir adorée,
De quel plus beau trespas pourrait estre honorée
Une vie où l’amour fait voir sa passion
Jusques au plus haut point de la perfection ?
Mais, ô le vain discours où s’engage ma Muse !
Que je suis aveuglé ! que ma raison s’abuse !
Puis qu’on la tient deesse entre les immortels,
On peut bien sans peché luy dresser des autels.
Sers-la donc, cher Damon, revere son empire,
Jamais à d’autre but ta volonté n’aspire ;
Jamais autre beauté ne se loge en ton cœur,
Et jamais autre objet n’en puisse estre vainqueur.
Fay-la tirer au vif comme elle est dans ton ame,
Et puis, pour signaler ton courage et ta flame,
Arme-toy fierement d’un superbe harnois,
Et va chercher par tout les plus fameux tournois,
Deffiant au combat, d’une ardente menace,
Quiconque osera dire, enflé de vaine audace,
Que la beauté qu’il sert s’egale au moindre trait
Que l’art fera briller en ce rare portrait.
Et quand mesme ce dieu qui preside à la guerre,
S’eslevant contre toy, voudrait descendre en terre,
Que ton bras le contraigne à dire que Cypris
N’eut jamais tant d’appas que celle qui t’a pris.
Mais à quoy ces conseils te sont-ils necessaires !
Tu ne peux en cela rencontrer d’adversaires,
Puis que tous les amans disent de leur bon gré
Qu’elle tient des beautez le supresme degré.
Elle le tient vrayement, et jamais la nature
N’employa tant de soins à l’humaine structure.
Les elemens grossiers, concertans leurs accords,
N’ont rien contribué pour faire un si beau corps ;
Elle est comme le ciel, d’où sa forme est venue,
D’une matiere pure à nos sens inconnue :
Encor, le surpassant, elle a double soleil,
Comme elle a double aurore en son beau teint vermeil.
On la doit croire Lune en sa blancheur extresme,
Puis que sa chasteté la rend Diane mesme ;
Enfin rien icy bas ne la peut egaler,
Et la voix d’un mortel ne sçait comme en parler.
La rose devient pasle approchant de sa joue,
Si bien que l’on dirait qu’en soy-mesme elle advoue
Qu’elle a commis un crime en la temerité
De s’estre comparée avec cette beauté.
Le lis tremble et rougit dès que sa main le touche,
Et par cette action, qui luy tient lieu de bouche,
Plein de crainte et de honte, il semble declarer
Qu’il est vaincu par elle, et qu’il faut l’adorer ;
Alors il s’humilie en abaissant la teste,
Tout ainsi qu’il demeure après quelque tempeste ;
Et, lui sacrifiant sa plus vive frescheur,
Il rend tout aussi-tost hommage à sa blancheur.
Ma muse de bon sens n’est pas si depourveue
Qu’elle s’aille ingerer de depeindre sa veue.
C’est assez qu’elle ait dit que, surpassant les cieux,
Elle peut faire voir deux soleils en ses yeux.
Eh ! quel aigle hautain, exerçant ses prunelles,
Auroit bien ramassé tant de vigueur en elles,
Qu’il pust considerer d’un effort inouy
Deux soleils à la fois sans en estre eblouy ?
Je depeindroy son front si le jaloux Zephire,
Redoutant que l’amour ne me le fist decrire,
Et qu’un autre que luy ne luy portast ses vœux,
Ne me le cachoit point avec ses blonds cheveux.
Que ne diroy-je pas de sa voix angelique,
Qui chasse des esprits l’humeur melancolique !
Quelle stupidité ne s’en éveilleroit !
Quelle estrange fureur ne s’en assoupiroit !
Avec quels doux propos et quels amoureux gestes
Vante-t-on son beau sein, ces deux mondes celestes !
Que l’on est estonné, lors qu’on pense à ce point,
Qu’en se voyant si beaux ils ne se baisent point !
Ô Damon ! ô Damon ! que l’on te porte envie
Quand on te voit mener une si douce vie,
Que de souffrir ainsi le martyre d’amour
Pour le plus bel objet qui jamais vit le jour !
Mais n’en sois point en peine, aucun ne t’y peut nuire ;
C’est sur toy seulement que ses yeux daignent luire :
Car ton heureux destin, travaillant à ton bien,
A tant fait que d’abord il a gaigné le sien.
Enfin, quand ses faveurs et ta perseverance
Par la possession t’osteront l’esperance,
Je croy que tu diras qu’après un tel plaisir
Tu ne sçaurois trouver dequoy faire un desir.
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