Œuvres de Robespierre/Premier discours pour la fête de l’Être Suprême

Texte établi par recueillies et annotées par A. VermorelF. Cournol (p. 337-338).


PREMIER DISCOURS AU PEUPLE RÉUNI
POUR LA FÊTE DE L’ÊTRE SUPRÊME.

8 juin 1794.
(20 prairial an II de la république française.)


Français républicains, il est enfin arrivé ce jour à jamais fortuné que le peuple français consacre à l’Être-Suprême ! Jamais le monde qu’il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne de ses regards. Il a vu régner sur la terre la tyrannie, le crime et l’imposture : il voit dans ce moment une nation entière aux prises avec tous les oppresseurs du genre humain, suspendre le cours de ses travaux héroïques pour élever sa pensée et ses vœux vers le grand Être qui lui donna la mission de les entreprendre et la force de les exécuter !

N’est-ce pas lui dont la main immortelle, en gravant dans le cœur de l’homme le code de la justice et de l’égalité, y traça la sentence de mort des tyrans ? N’est-ce pas lui qui, dès le commencement des temps, décréta la république, et mit à l’ordre du jour, pour tous les siècles et pour tous les peuples, la liberté, la bonne foi et la justice ? Il n’a point créé les rois pour dévorer l’espèce humaine ; il n’a point créé les prêtres pour nous atteler comme de vils animaux au char des rois, et pour donner au monde l’exemple de la bassesse, de l’orgueil, de la perfidie, de l’avarice, de la débauche et du mensonge ; mais il a créé l’univers pour publier sa puissance ; il a créé les hommes pour s’aider, pour s’aimer mutuellement, et pour arriver au bonheur par la route de la vertu.

C’est lui qui plaça dans le sein de l’oppresseur triomphant le remords et l’épouvante, et dans le cœur de l’innocent opprimé le calme et la fierté ; c’est lui qui force l’homme juste à haïr le méchant, et le méchant à respecter l’homme juste ; c’est lui qui orna de pudeur le front de la beauté pour l’embellir encore ; c’est lui qui fait palpiter les entrailles maternelles de tendresse et de joie ; c’est lui qui baigne de larmes délicieuses les yeux du fils pressé contre le sein de sa mère ; c’est lui qui fait taire les passions les plus impérieuses et les plus tendres devant l’amour sublime de la patrie ; c’est lui qui a couvert la nature de charmes, de richesses et de majesté. Tout ce qui est bon est son ouvrage, ou c’est lui-même : le mal appartient à l’homme dépravé qui opprime ou qui laisse opprimer ses semblables.

L’auteur de la nature avait lié tous les mortels par une chaîne immense d’amour et de félicité : périssent les tyrans qui ont osé la briser !

Français républicains, c’est à vous de purifier la terre qu’ils ont souillée, et d’y rappeler la justice qu’ils en ont bannie ! La liberté et la vertu sont sorties ensemble du sein de la Divinité : l’une ne peut séjourner sans l’autre parmi les hommes. Peuple généreux, veux tu triompher de tous tes ennemis ? Pratique la justice, et rends à la Divinité le seul culte digne d’elle. Peuple, livrons-nous aujourd’hui sous ses auspices aux transports d’une pure allégresse ! Demain, nous combattrons encore les vices et les tyrans ; nous donnerons au monde l’exemple des vertus républicaines, et ce sera l’honorer encore !