Texte établi par recueillies et annotées par A. VermorelF. Cournol (p. 341-346).
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NOTES

ROBESPIERRE JOURNALISTE (p. 72).


Robespierre journaliste mérite d’être connu, et il y aurait toute une physionomie intéressante à étudier à ce point de vue qui compléterait celle de l’orateur. Les deux extraits de ses Lettres à ses commettants, sur la suppression du budget des cultes et sur l’instruction publique, montrent bien une des faces de son talent de journaliste ; mais, ce sont ses polémiques contre La Fayette, contre Pétion, contre les Girondins qu’il faut lire. Nous en donnerons du moins une idée par l’extrait suivant d’un article du Défenseur de la Constitution écrit après le 20 juin, lorsque La Fayette avait quitté son camp pour venir faire ses représentations verbales à l’Assemblée :

« Ajax, roi des Locriens, avait laissé une si haute opinion de sa valeur, que ses concitoyens conservaient toujours sa tente au milieu de leur camp ; l’ombre seule de ce héros gagnait encore des batailles.

» Nous avons un général qui semble avoir choisi pour modèle l’ombre d’Ajax. La tente de M. La Fayette est au milieu du camp où il commande ; mais elle est souvent déserte, comme celle du roi grec : ce général a la propriété de disparaître de son camp par intervalles, pour huit ou quinze jours, sans que ni les ennemis ni son armée s’en aperçoivent. La seule différence qui existe entre l’ombre d’Ajax et M. La Fayette, c’est que celui-ci ne gagne pas de batailles. Pyrrhus apprit aux Romains l’art des campements ; La Fayette instruira les généraux qui le suivront dans l’art de voyager. Faire la guerre à la tête de son armée, est une science commune, qui appartient aux héros vulgaires : être éloigné d’elle de soixante-dix lieues, plus ou moins, et faire la guerre : voilà le talent merveilleux, réservé aux êtres privilégiés, refusé à tout général qui n’a subjugué ou affranchi qu’un seul monde. Le général est-il au camp ? Est-il au château des Tuileries ? Est-il à Paris ? Est-il à la campagne ? sont aujourd’hui autant de questions qui n’ont rien du tout d’oiseux ni de ridicule. et dont la solution n’est pas même facile. Par exemple, au moment où j’écris, on regarderait comme un homme très-habile, celui qui pourrait dire, avec certitude, si M. La Fayette est enfin retourné à Maubeuge, ou si c’est Paris qui le recèle.

» Cette nouvelle méthode de faire la guerre a sans doute de grands avantages, ne fût-ce que celui de conserver le général, sinon à l’armée, du moins à la nation. Comment le battre ou le faire prisonnier, s’il n’est pas même possible de le découvrir ?

» Au reste, qu’on examine bien ce système, il est beaucoup moins extraordinaire qu’on ne pourrait le croire, au premier coup d’œil. Il est très-approprié à la nature et aux motifs de la guerre actuelle. Jamais guerre n’exigea plus d’entrevues secrètes, plus d’entretiens intimes, plus de confidences mystérieuses ; or, tout cela suppose des voyages, et oblige nécessairement le général à faire plus d’usage de chevaux de poste que de chevaux de bataille.

» Ce n’est plus un secret aujourd’hui pour personne, que le but de la guerre n’est point de détrôner la maison d’Autriche, en Brabant ; mais de rétablir son empire en France. Ce n’est point Bruxelles qu’on veut affranchir, c’est Paris que l’on veut réduire ; il s’agit non de dompter les factieux de Coblentz, mais de châtier les factieux de l’Assemblée nationale et de la capitale. Le roi de Prusse et le roi de Hongrie, comme on sait, sont bien moins à craindre pour la France que les municipaux et les sociétés des amis de la constitution : Léopold et La Fayette nous l’ont hautement déclaré. Il faut épargner Coblentz, évacuer Courtrai, et préparer le siège du couvent des Jacobins. Le véritable théâtre de la guerre n’est donc point la Belgique, c’est Paris. Le véritable quartier-général n’est pas au camp retranché de Maubeuge ; il est dans le palais des Tuileries. Le conseil de guerre, c’est le comité autrichien. À quoi servent ici la valeur et les talents militaires ? Il n’est question que de stratagèmes politiques. M. La Fayette a donc moins besoin de conférer avec des officiers expérimentés qu’avec les intrigans habiles. Au camp, il peut être facilement remplacé ; mais au conseil secret, comment pourrait-on se passer de sa présence ?

» Eh ! d’ailleurs, pourquoi les Autrichiens lui donneraient-ils quelque inquiétude pendant son absence ? Est-il en guerre avec eux ? Que dis-je ? Ne sont-ils pas alliés ? Ne sont-ils pas ligués avec lui pour rétablir en France le bon ordre, pour anéantir le règne des clubs et rétablir celui de la loi ?… »

Robespierre développe cette accusation, en faisant des rapprochements entre le manifeste de Léopold et la lettre de La Fayette à l’Assemblée ; il dénonce le général comme l’instrument des ennemis de la révolution ; il donne incidemment son opinion sur le 20 juin :

« Le moment était enfin arrivé où cette conspiration générale devait éclater. Pour s’élancer dans sa carrière criminelle, La Fayette n’attendait plus qu’une occasion favorable à ses vues. Il fallait un prétexte pour pallier une démarche audacieuse qui le prononçât comme le chef du parti de la cour. Il s’est appliqué à le faire naître, et il prétend l’avoir trouvé dans les événements du 20 juin. Je puis m’expliquer librement sur ce rassemblement, j’ai assez prouvé mon opposition à cette démarche, par des faits aussi publics que multipliés. Je l’ai regardée comme impolitique et sujette à de graves inconvénients. Je n’ai pas besoin de dire que l’extravagance aristocratique a pu seule concevoir l’idée de la présenter comme un crime populaire, comme un attentat contre la liberté et contre les droits du peuple. Ce qu’il importe d’observer ici, ce qui est démontré à mes yeux et à ceux de quiconque connaît ce qui s’est passé ; c’est que la cour et La Fayette ont fait tout ce qui était en eux pour la provoquer, pour la favoriser, en paraissant l’improuver ; c’est que ce dessein est trop clairement indiqué par l’étrange affectation avec laquelle ils cherchèrent, dans les jours qui le précédèrent, et où il était déjà annoncé, à braver l’opinion publique et à lasser la patience des citoyens, par des actes aussi contraires à la sûreté de l’État qu’aux intérêts de la liberté ; c’est que les lettres de La Fayette à l’Assemblée nationale et au roi ont été combinées avec l’époque de cet événement prévu. Sans doute, il avait pensé, comme tous ses complices, que quelque pures, quelque légitimes que fussent les intentions du peuple, un grand rassemblement pourrait produire quelque crime individuel qui pourrait servir de prétexte pour le calomnier et pour décrier ou persécuter les amis de la liberté. La vertu populaire et la raison publique déconcertèrent ses projets et les efforts même de ses émissaires. Mais il n’en poursuit pas moins le dessein qu’il avait formé de fonder sur cet événement une espèce de manifeste royal et autrichien pour colorer la révolte qu’il méditait contre la souveraineté nationale…

» Pour oser déclarer la guerre à sa patrie, il fallait qu’il eût l’air de ne point attaquer la nation : mais un troisième parti, qui n’était point celui de la cour et de l’aristocratie, et qui, cependant serait présumé ennemi de la liberté et de la constitution : La Fayette a donc présenté les patriotes, le peuple, tout ce qui n’est point sa faction, comme une secte particulière qu’il a appelée, qu’il a fait appeler par tous les écrivains qu’il soudoie, tantôt républicaine, tantôt jacobine, à laquelle il impute tous les maux qu’il a causés, tous les crimes de la cour et de l’aristocratie C’est sous ce nom qu’il prétend accabler le peuple, avec le nom du roi, avec les forces de la cour, de la noblesse, des prêtres séditieux, des puissances étrangères, et de tous les citoyens pervers ou stupides qu’il pourra égarer ou attacher à sa fortune. On voit qu’en cela il s’accorde encore parfaitement avec nos ennemis extérieurs qui, pour ne point paraître combattre la volonté de la nation, pour ménager en même temps l’opinion de leurs propres sujets, déclarent qu’ils ne prennent les armes que contre cette même faction jacobine à qui ils supposent le pouvoir de maîtriser le peuple français… Voilà toute la politique de ce héros… Eh bien ! qu’il comble enfin la mesure de ses crimes ; qu’il passe le Rubicon comme César[1], ou plutôt que, comme Octave, à qui il ressemble beaucoup mieux, aux talents près, il se cache au fond de cale, tandis qu’on donnera la bataille d’Actium… Citoyen ingrat et parjure, hypocrite et vil conspirateur, que tout le sang qui coulera retombe sur ta tête sacrilège. Tu as dit dans ta lettre à l’Assemblée, en parlant de tes complices : « Je déclare que la nation française, si elle n’est point la plus vile de l’univers, peut et doit résister à la coalition des rois. » Et moi, je dis que si le plus dangereux de ses ennemis et le plus coupable de tous les traîtres n’est pas bientôt exemplairement puni, nous sommes en effet la plus vile nation de l’univers, ou du moins nos représentants sont les plus lâches de tous les hommes. »


SUR PĖTION (p. 68.)


Robespierre, comme on a pu le voir, avait été très-lié avec Pétion : ce fut ce dernier qui provoqua la rupture, en intervenant pour prendre sa défense contre les accusations de Rebecqui et de Louvet : « Le caractère de Robespierre, dit Pétion, explique ce qu’il a fait : Robespierre est extrêmement ombrageux et défiant ; il aperçoit partout des complots, des trahisons, des précipices. Son tempérament bilieux, son imagination atrabilaire, lui présentent tous les objets sous de sombres couleurs ; impérieux dans son avis, n’écoutant que lui, ne supportant pas la contrariété, ne pardonnant jamais à celui qui a pu blesser son amour-propre, et ne reconnaissant jamais ses torts ; dénonçant avec légèreté et s’irritant du plus léger soupçon ; croyant toujours qu’on s’occupe de lui, et pour le persécuter ; vantant ses services et parlant de lui avec peu de réserve ; ne connaissant point les convenances, et nuisant par cela même aux causes qu’il défend ; voulant par-dessus tout les faveurs du peuple ; lui faisant sans cesse la cour et cherchant avec affectation ses applaudissements ; c’est là, c’est surtout cette dernière faiblesse, qui, perçant dans les actes de la vie publique, a pu faire croire que Robespierre aspirait à de hautes destinées, et qu’il voulait usurper le pouvoir dictatorial. »

Robespierre ne sut aucun gré à Pétion de sa bonne intention, et il fut piqué au vif par cette façon de le justifier. Dans ses Lettres à ses commettants et à la tribune de la Convention et des Jacobins, toutes les fois que l’occasion s’en présentait, il prit désormais Pétion, qu’il appelait « le roi Jérôme Pétion, » pour plastron des railleries les plus amères.


SUR ANACHARSIS CLOOTZ (p. 427).


Robespierre était sujet à ces retours d’appréciation sur les hommes. C’est ainsi qu’en dénonçant Anacharsis Clootz aux Jacobins, le 12 décembre 1793, il formula notamment ce grief contre lui : « L’amour-propre lui fit publier un pamphlet intitulé : Ni Marat, ni Roland. Il y donnait un soufflet à ce dernier, mais il en donnait un plus grand à la Montagne. »

Or voici en quels termes, dans sa 6e Lettre à ses commettants, Robespierre avait apprécié ce pamphlet de Clootz : « Il me tombe dans ce moment entre les mains une brochure d’Anacharsis Clootz, intitulée : Ni Marat, ni Roland. À deux ou trois idées près, peut-être, qui m’ont paru manquer de justesse, cette production, écrite d’un style piquant et original, est pleine de goût et de philosophie. Anacharsis trace avec tant de vérité la nullité ridicule de quelques hommes qui ont enrayé le char de la révolution, que je me reprocherais le ton sérieux avec lequel je les ai quelquefois attaqués, si je ne me rappelais une maxime que j’ai déjà appliquée à La Fayette ; c’est que, s’il faut du génie pour faire le bien public, il ne faut que des vices et de l’astuce pour l’empêcher. Au reste, je m’unis à lui pour crier : Vive la liberté universelle ! »


COMMENT LES JACOBINS ACCUEILLIRENT LA CHUTE DE ROBESPIERRE (p. 439.)


Robespierre ne fut pas davantage défendu aux Jacobins qu’à la Convention, et dans les séances qui suivirent le 9 thermidor ce ne furent que malédictions contre le tyran. On déclara non-avenues toutes les exclusions prononcées à l’instigation de Robespierre contre des citoyens qui n’avaient pu répondre aux accusations portées contre eux. « Depuis six mois, dit Thirion, les droits sacrés de l’homme ont été ouvertement violés dans cette enceinte par le Catalina moderne. Peut-être se croira-t-on bien fondé à nous reprocher de ne nous être pas élevés contre l’oppression ; mais qui blâma jamais Brutus d’avoir joué le rôle d’imbécile à la cour de Tarquin, en attendant le moment favorable de le frapper et de sauver la liberté de son pays ? Qu’on sache que la Montagne a suivi le rôle de Brutus ! Il fallait, avant d’attaquer le tyran, donner au peuple le temps de s’apercevoir de la tyrannie, il fallait que les moins clairvoyants fussent éclairés sur sa perfidie. En un mot, nous n’avons point parlé quand le moment de se faire entendre n’était pas arrivé… Dès que le moment nous a favorisés, nous avons parlé ; nous avons mieux fait encore, nous avons agi. »

Dans la séance du 18 thermidor, Lequinio, revenant à la charge, accuse Robespierre d’avoir opprimé la liberté de la presse, et d’avoir eu l’intention d’empêcher l’instruction, pour parvenir avec plus de facilité à la tyrannie ; il instruit la société « que le traître Henriot, qui n’agissait que par les ordres de Robespierre, a proposé, dans une des sections de Paris, d’anéantir toutes les bibliothèques. »



FIN DES NOTES.
  1. On assure que, plusieurs années avant la révolution, les plaisants de la cour lui avait donné le nom de Gilles-César. (Note de Robespierre.)