CONDUCTIBILITÉ DES DIÉLECTRIQUES LIQUIDES
SOUS L’INFLUENCE
DES RAYONS DU RADIUM ET DES RAYONS DE RÖNTGEN.


Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXIV, p. 420,
séance du 17 février 1902.


J’ai reconnu que les rayons du radium et les rayons de Röntgen agissent sur les diélectriques liquides comme sur l’air en leur communiquant une certaine conductibilité électrique. Voici comment j’ai disposé l’expérience :

Le liquide à expérimenter est placé dans un vase métallique dans lequel on plonge un tube de cuivre mince  ; ces deux pièces métalliques servent d’électrodes. Le vase est maintenu à un potentiel connu au moyen d’une batterie de petits accumulateurs dont un des pôles est à la terre. Le tube est en relation avec l’électromètre. Lorsqu’un courant traverse le liquide, on maintient l’électromètre au zéro à l’aide d’un quartz piézo-électrique qui donne la mesure du courant. Le tube de cuivre relié à la terre sert de tube de garde pour empêcher le passage du courant à travers l’air. Une ampoule contenant le sel de baryum radifère peut être placée au fond du tube  ; les rayons agissent sur le liquide après avoir traversé le verre de l’ampoule et les parois du tube métallique. On peut encore faire agir le radium en plaçant l’ampoule au-dessous de la paroi .

Pour agir avec les rayons de Röntgen, on fait arriver ces rayons au travers de la paroi .

L’accroissement de conductibilité par l’action des rayons du radium ou des rayons de Röntgen semble se produire pour tous les diélectriques liquides ; mais, pour constater cet accroissement, il est nécessaire que la conductibilité propre du liquide soit assez faible pour ne pas masquer l’effet des rayons.

En opérant avec le radium et avec les rayons de Röntgen, j’ai obtenu des résultats du même ordre de grandeur.

Quand on étudie avec le même dispositif la conductibilité de l’air ou d’un autre gaz sous l’action des rayons de Becquerel, on

fig. 1.
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trouve que l’intensité du courant croît proportionnellement à la différence de potentiel entre les électrodes quand cette différence de potentiel est faible (de quelques volts pour l’appareil de la figure). Mais, quand on augmente de plus en plus la différence de potentiel, l’intensité du courant n’augmente plus proportionnellement à celle-ci ; l’effet d’une augmentation de tension va en diminuant, et, pour des tensions élevées (100 volts), l’intensité du courant ne s’accroît plus que d’une très petite fraction de sa valeur quand on double la différence de potentiel.

Les liquides étudiés avec le même appareil et avec le même produit radiant très actif se comportent différemment ; le courant est proportionnel à la tension quand celle-ci vaine entre 0 et 450 volts, et cela même quand la distance des électrodes ne dépasse pas 6 mm. On peut alors considérer la conductivité provoquée dans divers liquides par le rayonnement d’un sel de radium agissant dans les mêmes conditions. Les nombres du Tableau suivant, multipliés par 10-14, donnent la conductivité en mhos pour 1 cm³ :

Sulfure de carbone 20
Éther de pétrole 15
Amylène 14
Chlorure de carbonexxxx 08
Benzine 04
Air liquide 01,3
Huile de vaseline 01,6

On peut cependant supposer que les liquides et les gaz se comportent d’une façon analogue, mais que, pour les liquides, le courant reste proportionnel à la tension jusqu’à une limite bien plus élevée que pour les gaz ; la loi de proportionnalité, dans la série précédente d’expériences, ne cesserait de se vérifier que pour des tensions supérieures à 450 volts.

On pouvait, par analogie avec ce qui a lieu pour les gaz, chercher à abaisser la limite de proportionnalité en employant un rayonnement beaucoup plus faible. L’expérience a vérifié cette prévision ; le produit employé était cent cinquante fois moins actif que celui utilisé dans les premières expériences. Pour des tensions de 50, 100, 200, 400 volts, j’ai obtenu des courants qui peuvent être respectivement représentés par 109, 185, 255, 335. La proportionnalité ne se maintient plus, mais le courant varie encore fortement quand on double la différence de potentiel.

Quelques-uns des liquides examinés sont des isolants à peu près parfaits quand ils sont à l’abri de l’action des rayons et qu’on les maintient à température constante. Tels sont : l’air liquide, l’éther de pétrole, l’huile de vaseline, l’amylène. Il est alors très facile d’étudier l’effet des rayons.

L’huile de vaseline est beaucoup moins sensible à l’action des rayons que l’éther de pétrole. Il convient peut-être de rapprocher ce fait de la différence de volatilité qui existe entre ces deux hydrocarbures. L’air liquide qui a bouilli pendant quelque temps dans le vase d’expérience est plus sensible à l’action des rayons que celui que l’on vient d’y verser : la conductivité produite par les rayons est d’un quart plus grande dans le premier cas.

J’ai étudié sur l’amylène et sur l’éther de pétrole l’action des rayons aux températures de +10° et de −17°. La conductivité due au rayonnement devient plus faible d’un dixième seulement de sa valeur quand on passe de 10° à −17°.

Dans les expériences où l’on fait varier la température du liquide, on peut soit maintenir le radium à la température ambiante, soit le porter à la même température que le liquide ; on obtient le même résultat dans les deux cas. Cela tient à ce que le rayonnement du radium ne varie pas avec la température et conserve encore la même valeur, même à la température de l’air liquide, comme je l’ai vérifié directement par des mesures.