Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 417-419).

ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RAYONS DU RADIUM.

En commun avec HENRI BECQUEREL.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXII, p. 1289,
séance du 3 juin 1901.


Les rayons du radium agissent énergiquement sur la peau ; l’effet produit est analogue à celui qui résulte de l’action des rayons de Röntgen.

On doit à MM. Walkoff et Giesel les premières observations de cette action[1].

M. Giesel a placé sur son bras, pendant 2 heures, du bromure de baryum radifère enveloppé dans une feuille de celluloïd. Les rayons agissant au travers du celluloïd ont provoqué sur la peau une légère rougeur. Deux ou trois semaines plus tard, la rougeur augmenta, il se produisit une inflammation et la peau finit par tomber.

M. Curie a reproduit sur lui-même l’expérience de M. Giesel en faisant agir sur son bras, au travers d’une feuille mince de guttapercha, et pendant 10 heures, du chlorure de baryum radifère, d’activité relativement faible (l’activité était 5000 fois celle de l’uranium métallique). Après l’action des rayons, la peau est devenue rouge sur une surface de 6 cm² ; l’apparence est celle d’une brûlure, mais la peau n’est pas ou est à peine douloureuse. Au bout de quelques jours, la rougeur, sans s’étendre, se mit à augmenter d’intensité ; le vingtième jour, il se forma des croûtes, puis une plaie que l’on a soignée par des pansements ; le quarante-deuxième jour, l’épidémie a commencé à se reformer sur les bords, gagnant le centre, et, 52 jours après l’action des rayons, il reste encore à l’état de plaie une surface de 1 cm² qui prend un aspect grisâtre indiquant une mortification plus profonde.

M. H. Becquerel, en transportant un petit tube scellé contenant quelques décigrammes de chlorure de baryum radifère très actif [activité 800 000 fois celle de l’uranium[2]], a subi des actions du même ordre. La matière était enfermée dans un tube de verre scellé et occupait un volume cylindrique ayant environ 10 mm à 15 mm de hauteur sur 3 mm de diamètre ; le tube, enveloppé de papier, était contenu dans une petite boîte de carton. Le 3 et le 4 avril, cette boîte a été placée à plusieurs reprises dans un coin d’une poche de gilet pendant un temps dont la durée totale peut être évaluée à 6 heures. Le 13 avril, on s’aperçut que le rayonnement, au travers du tube, de la boîte et des vêtements, avait produit sur la peau une tache rouge qui devint plus foncée les jours suivants, marquant en rouge la forme oblongue du tube et affectant une forme ovale de 6 cm de long sur 4 cm de large. Le 24 avril, la peau tombait, puis la partie la plus attaquée se creusa en se mettant à suppurer ; la plaie fut soignée pendant un mois avec des pansements au liniment oléo-calcaire, les tissus mortifiés furent éliminés, et le 22 mai, c’est-à-dire 49 jours après l’action des rayons, la plaie se ferma, laissant une cicatrice dans la région qui marquait la place du tube.

Pendant que l’on donnait des soins à cette brûlure, on vit apparaître, vers le 15 mai, une seconde tache rouge, oblongue, en regard de l’autre coin de la poche de gilet où avait été placée la matière active. L’action remontait, soit à la même date que plus haut, soit vraisemblablement au 11 avril, mais elle avait été de très courte durée, 1 heure au plus. L’érythème apparaissait donc 34 jours au moins après l’action excitatrice ; l’inflammation se développa, présentant l’aspect d’une brûlure superficielle ; le 26 mai, la peau commençait à tomber ; soignée comme la première, cette brûlure parait en voie de guérison plus rapide.

Dans l’intervalle de ces observations, les 10, 11 et 12 avril, le même tube de matière active, enfermé dans un tube de plomb dont les parois avaient environ 5 mm d’épaisseur, a été conservé pendant 40 heures dans une autre poche de gilet et n’a produit jusqu’ici aucune action.

Ajoutons encore que Mme  Curie, en transportant dans un petit tube scellé quelques centigrammes de la même matière très active qui a donné les effets décrits ci-dessus, a eu des brûlures analogues, bien que le petit tube fût enfermé dans une boîte métallique mince. En particulier, une action ayant duré moins d’une demi-heure a produit au bout de 15 jours une tache rouge qui donna une ampoule semblable à celle d’une brûlure superficielle et mit ensuite 15 jours à guérir.

Ces faits montrent que la durée de l’évolution des altérations varie avec l’intensité des rayons actifs et avec la durée de l’action excitatrice.

En dehors de ces actions vives, nous avons eu sur les mains, pendant les recherches faites avec les produits très actifs, des actions diverses. Les mains ont une tendance générale à la desquamation ; les extrémités des doigts qui ont tenu les tubes ou capsules renfermant des produits très actifs deviennent dures et parfois très douloureuses ; pour l’un de nous, l’inflammation des extrémités des doigts a duré une quinzaine de jours et s’est terminée par la chute de la peau, mais la sensibilité douloureuse n’a pas encore complètement disparu au bout de 2 mois.





  1. Walkoff, Photogr. Rundschau, octobre 1900. — Giesel, Berichte der deutschen chemischen Gesellschaft, t. XXXIII, p. 3569.
  2. Les activités que nous citons sont celles que donne l’appareil de mesure de M. Curie. Elles permettent de classer et de caractériser les produits, mais le rayonnement du radium est si complexe que ces nombres n’ont pas de valeur absolue. Avec un autre dispositif expérimental on obtiendrait des nombres différents.