Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 410-413).

SUR LA RADIOACTIVITÉ INDUITE
PROVOQUÉE PAR LES SELS DE RADIUM.

En commun avec A. DEBIERNE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXII, p. 548,
séance du 4 mars 1901.


M. et Mme  Curie ont établi qu’une substance quelconque, placée dans le voisinage d’un sel de baryum radifère, devient elle-même radioactive. Cette radioactivité induite persiste pendant longtemps après l’éloignement du sel de baryum radifère ; cependant elle diminue avec le temps, d’abord rapidement, puis de plus en plus lentement, et semble tendre asymptotiquement vers zéro. M. A. Debierne a montré que les sels de baryum mis en contact intime avec les sels d’actinium acquièrent temporairement une partie des propriétés des sels de baryum radifère et conservent cet état pendant plusieurs mois.

D’autre part, Mme  Curie avait constaté, en mesurant la radioactivité de l’oxyde de thorium, des irrégularités qui n’avaient pu être expliquées à ce moment. M. Owens fit les mêmes remarques et montra que les courants d’air suppriment, en quelque sorte, une partie de l’activité de l’oxyde de thorium. M. Rutberford, étudiant à nouveau ce phénomène, montra que l’air ayant séjourné dans le voisinage de l’oxyde de thorium, et entraîné au loin, conserve pendant environ 10 minutes ses propriétés conductrices. Il observa également que l’oxyde de thorium était capable de produire des phénomènes de radioactivité induite analogues à ceux provoqués par les sels de radium. Enfin il constata ce fait important que les corps chargés d’électricité négative s’activaient plus énergiquement que les autres. M. Rutherford explique ces phénomènes en admettant que l’oxyde de thorium dégage une émanation radioactive particulière, susceptible d’être entraînée par l’air et chargée d’électricité positive par les ions positifs de l’air. Cette émanation serait la cause de la radioactivité induite. M. Dorn a reproduit, avec les sels de baryum radifères, les expériences que MM. Owens et Rutherford avaient faites avec l’oxyde de thorium.

Enfin rappelons que, dès le début de leurs recherches sur les corps radioactifs, M. et Mme  Curie ont pu obtenir, en chauffant la pechblende, un gaz qui est resté radioactif pendant un mois[1].

Nous avons entrepris de nouvelles recherches sur cette radioactivité induite, qui se présente sous des aspects très variés et dont la nature nous paraît loin d’être élucidée.

La radioactivité était étudiée par la méthode électrique. Nous citerons les expériences suivantes :

1° La radio-activité induite est beaucoup plus intense lorsqu’on opère en vase clos. La matière active est placée dans une petite

fig. 1.
fig. 1.



ampoule en verre mince a ouverte en o et placée au milieu d’un vase complètement clos (fig. 1). Diverses plaques , , , suspendues dans le vase en différentes régions, s’activent à peu près également au bout d’un jour d’exposition. La lame , placée à l’abri du rayonnement derrière l’écran en plomb , est activée autant que et . Une plaque telle que , appuyée sur une paroi, est fortement activée sur la face exposée à l’air de la boîte ; la face posée contre la paroi ne l’est sensiblement pas. Dans une série de plaques au contact , placées contre l’ampoule, c’est seulement la face extérieure de la dernière plaque exposée à l’air qui est activée fortement. Toutes les substances semblent s’activer à peu près de la même manière (plomb, cuivre, aluminium, verre, ébonite, carton, paraffine).

Avec du chlorure de baryum radifère très actif (poids atomique du métal : 174), les plaques exposées pendant quelques jours prennent une activité 8000 fois plus forte qu’une plaque d’uranium métallique de mêmes dimensions. Exposées à l’air libre, elles perdent la plus grande partie de leur activité en un jour. L’activité disparaît beaucoup plus lentement lorsque les plaques sont laissées dans l’enceinte fermée après avoir retiré la matière active.

Enfin, si l’on répète les expériences précédentes avec l’ampoule a complètement fermée, on n’obtient aucune activité induite.

2° La petite chambre (fig. 2) contenant le corps actif communique avec les chambres et contenant les corps et à activer, par des tubes capillaires (diamètre intérieur, 0,1 mm ; longueurs, 5 cm et 75 cm).

fig. 2.
fig. 2.



Les chambres , et étant très petites, l’activation se fait très rapidement et aussi fortement que si et étaient dans la même chambre que le corps actif.

Ces phénomènes ont été constatés avec divers sels de baryum radifère (chlorure, sulfate, carbonate). Les composés d’actinium produisent également la radioactivité induite. Au contraire, les sels de polonium, même très actifs, ne produisent aucune activation. Comme on sait, du reste, que le polonium n’émet pas de rayons déviables par le champ magnétique, il convient peut-être de rapprocher ces deux faits l’un de l’autre.

On peut conclure, de ces premières expériences, que le rayonnement du radium n’intervient pas dans le phénomène de radioactivité induite. Seuls pourraient intervenir des rayons extrêmement absorbables qui agiraient sur l’air en contact immédiat avec la matière radiante.

La radioactivité induite se transmet dans l’air de proche en proche, depuis la matière radiante jusqu’au corps à activer ; elle peut même se transmettre par des tubes capillaires très étroits. Les corps s’activent progressivement, d’autant plus rapidement que l’enceinte dans laquelle ils se trouvent est plus petite, et tendent à prendre une activité induite limite comme dans un phénomène de saturation. L’activité limite est d’autant plus élevée que le produit agissant est plus actif.

La théorie de l’émanation de M. Rutherford permet d’expliquer assez bien ces différents résultats ; mais, comme on peut concevoir facilement d’autres explications satisfaisantes, il nous semble prématuré d’adopter une théorie quelconque. De nouveaux faits sont nécessaires pour élucider la question.

Quoi qu’il en soit, ce phénomène se présente comme une des propriétés les plus importantes des corps radioactifs. Peut-être est-il le complément nécessaire du rayonnement déviable.





  1. M. et Mme  Curie, Comptes rendus, novembre 1899. — A. Debierne, Comptes rendus, juillet 1900. — Mme  Curie, Comptes rendus, avril 1898. — Owens, Phil. Mag., octobre 1899. — Rutherford, Phil. Mag., janvier et février 1900. — Dorn, Abh. Naturforsch. Gesell. Halle, juin 1900. — M. et Mme  Curie, Congrès de Physique, 1900.