Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 353-357).

SUR LA CHARGE ÉLECTRIQUE DES RAYONS DÉVIABLES DU RADIUM[1].

En commun avec Mme CURIE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXX, p. 647,
séance du 5 mars 1900.


Les expériences de MM. Giesel, Meyer et v. Schweidler et Becquerel ont montré que les rayons du radium sont déviés dans un champ magnétique comme les rayons cathodiques[2]. Nous avons montré d’autre part que le rayonnement du radium comprend deux groupes de rayons bien distincts : les rayons déviés dans un champ magnétique et les rayons non déviés dans un champ magnétique[3].

Or les rayons cathodiques sont, comme l’a montré M. Perrin, chargés d’électricité négative[4]. De plus, ils peuvent, d’après les expériences de MM. Perrin et Lenard, transporter leur charge à travers des enveloppes métalliques réunies à la terre et à travers des lames isolantes[5]. En tout point où les rayons cathodiques sont absorbés, se fait un dégagement continu d’électricité négative. Nous avons constaté qu’il en est de même pour les rayons déviables du radium. Les rayons déviables du radium sont chargés d’électricité négative.

Étalons la substance radioactive sur l’un des plateaux d’un condensateur, ce plateau étant relié métalliquement à la terre ; le second plateau est relié à un électromètre ; il reçoit et absorbe les rayons émis. Si les rayons sont chargés, on doit observer une arrivée continue d’électricité à l’électromètre. Cette expérience, réalisée dans l’air, ne nous a pas permis de déceler une charge des rayons, mais l’expérience ainsi faite n’est pas sensible. L’air entre les plateaux étant rendu conducteur par les rayons, l’électromètre n’est plus isolé et ne peut accuser que des charges assez fortes.

Pour que les rayons non déviables ne puissent apporter de trouble dans l’expérience, on peut les supprimer en recouvrant la source radiante d’un écran métallique mince ; le résultat de l’expérience n’est pas modifié[6].

Nous avons sans plus de succès répété cette expérience dans l’air en faisant pénétrer les rayons dans l’intérieur d’un cylindre de Faraday en relation avec l’électromètre[7].

On pouvait déjà se rendre compte, d’après les expériences qui précèdent, que la charge des rayons du produit radiant employé était considérablement plus faible que celle des rayons cathodiques.

Pour constater un faible dégagement d’électricité sur le conducteur qui absorbe les rayons, il faut le mettre à l’abri de l’air, soit en le plaçant dans un tube avec un vide très parfait, soit en l’entourant d’un bon diélectrique solide. C’est ce dernier dispositif que nous avons employé.

Un disque conducteur (fig. 1) est relié par la tige métallique t à l’électromètre ; disque et tige sont complètement entourés de matière isolante iii ; le tout est recouvert d’une enveloppe métallique qui est en communication électrique avec la terre. Sur l’une des faces du disque, l’isolant pp et l’enveloppe métallique sont très minces. C’est cette face qui est exposée au

Fig. 1.
Fig. 1.



rayonnement du sel de baryum radifère placé à l’extérieur dans une auge en plomb[8]. Les rayons émis par le radium traversent l’enveloppe métallique extérieure et la lame isolante pp et sont absorbés par le disque métallique . Celui-ci est alors le siège d’un dégagement continu et constant d’électricité négative que l’on constate à l’électromètre et que l’on mesure à l’aide du quartz piézoélectrique.

Le courant ainsi créé est très faible. Avec du chlorure de baryum radifère très actif formant une couche de 2,5 cm2 de surface et 0,2 cm d’épaisseur, on obtient un courant de l’ordre de grandeur de 10-11 ampères (les rayons utilisés ayant traversé, avant d’être absorbés par le disque , une épaisseur d’aluminium de 0,01 mm et une épaisseur d’ébonite de 0,3 mm).

Nous avons employé successivement du plomb, du cuivre et du zinc pour le disque , de l’ébonite et de la paraffine pour l’isolant ; les résultats obtenus ont été les mêmes.

Le courant diminue quand on éloigne la source radiante , ou quand on emploie un produit moins actif.

Nous avons encore obtenu les mêmes résultats en remplaçant le disque par un cylindre de Faraday rempli d’air, mais enveloppé extérieurement par une matière isolante. L’ouverture du cylindre, fermée par la plaque isolante mince pp, était en face de la source radiante.

Enfin, nous avons fait l’expérience inverse qui consiste à placer l’auge de plomb avec le radium au milieu de la matière isolante et en relation avec l’électromètre (fig. 2), le tout étant enveloppé par l’enceinte métallique reliée à la terre.

Dans ces conditions, on observe à l’électromètre que le radium

Fig. 2.
Fig. 2.



prend une charge positive et égale en grandeur à la charge négative de la première expérience. Les rayons du radium traversent, en effet, la plaque diélectrique mince pp et quittent le conducteur intérieur en emportant de l’électricité négative.

Les rayons non déviables du radium n’interviennent pas dans les expériences précédentes, puisqu’ils sont absorbés par une épaisseur extrêmement mince de matière. La méthode qui vient d’être décrite ne convient pas non plus pour l’étude de la charge des rayons du polonium, ces rayons étant également très peu pénétrants. Nous n’avons observé aucun indice de charge avec du polonium qui émet seulement des rayons non déviables, mais, pour la raison qui précède, on ne peut tirer de cette expérience aucune conclusion.

Ainsi, dans le cas des rayons déviables du radium, comme dans le cas des rayons cathodiques, les rayons transportent de l’électricité. Or, jusqu’ici, on n’a jamais reconnu l’existence de charges électriques non liées à la matière pondérable. On est donc amené à considérer comme vraisemblable que le radium est le siège d’une émission constante de particules de matière électrisée négativement, capables de traverser sans se décharger des écrans conducteurs ou diélectriques. Si le rapport de la charge électrique à la masse était le même que dans l’électrolyse, le radium, dans l’expérience précédente, perdrait 3 équivalents en milligrammes en un million d’années.

Un échantillon de radium qui serait isolé électriquement d’une façon parfaite, se chargerait spontanément en peu de temps à un potentiel extraordinairement élevé. Dans l’hypothèse balistique, le potentiel augmenterait jusqu’à la création d’un champ suffisamment intense pour empêcher l’éloignement des particules électrisées émises.

Nous avons répété avec les rayons de Röntgen les expériences dont il a été question dans cette Note. Les effets obtenus sont extrêmement faibles, nous pouvons seulement conclure de ces expériences que, si ces rayons sont chargés, ils le sont donc encore bien moins que les rayons déviables du radium.





  1. Ce travail a été fait à l’École municipale de Physique et Chimie industrielles.
  2. Giesel, Wied. Ann., t. LXIX, p. 834. — N. Meyer et v. Schweidler, Physikalische Zeitschrift, t. I, p. 113. — Becquerel, Comptes rendus, t. CXXIX, p. 996.
  3. Comptes rendus, t. CXXX, p. 73 et 76.
  4. Comptes rendus, t. CXXI, p. 1130, et Annales de Chimie et de Physique, 7e série, t. XI, 1897, p. 433. Dans les expériences de M. Perrin, l’ordre de la charge était de 10-6 coulombs pour une interruption de la bobine.
  5. Lenard, Wied. Ann., t. XLIV, p. 279.
  6. À vrai dire, dans ces expériences, on observe toujours une déviation à l’électromètre, mais il est facile de se rendre compte que ce déplacement est un effet de la force électromotrice de contact qui existe entre le plateau relié à l’électromètre et les conducteurs voisins ; cette force électromotrice charge l’électromètre grâce à la conductibilité de l’air soumis au rayonnement du radium.
  7. Le dispositif du cylindre de Faraday n’est pas nécessaire, mais il pourrait présenter quelques avantages dans le cas où il se produirait une forte diffusion des rayons par les parois frappées. On pourrait espérer ainsi recueillir et utiliser ces rayons diffusés, s’il y en a.
  8. L’enveloppe isolante doit être parfaitement continue. Toute fissure remplie d’air allant du conducteur intérieur jusqu’à l’enveloppe métallique est une cause de courant dû aux forces électromotrices de contact utilisant la conductibilité de l’air par l’effet du radium.