Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 30-32).

DÉFORMATIONS ÉLECTRIQUES DU QUARTZ.

En commun avec JACQUES CURIE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. XCV, p. 914,
séance du 13 novembre 1882.


À chaque manière[1] de provoquer par pression le dégagement électrique dans le quartz correspond un phénomène réciproque particulier. Soit un parallélépipède ayant deux faces normales à un axe électrique et deux normales à l’axe optique ; lorsqu’il y a entre les deux faces normales à l’axe électrique une différence de potentiel, le quartz se dilate suivant l’axe électrique et se contracte dans la direction normale aux axes optique et électrique, ou inversement se contracte suivant la première direction et se dilate suivant la première direction et se dilate suivant la seconde, selon le sens de la tension. La troisième direction ne varie pas. Les sens des phénomènes réciproque et direct sont liés entre eux par une loi de réaction analogue à la loi de Lenz. Chacune des déformations est proportionnelle à la différence de potentiel. Enfin, dans chaque direction, la grandeur de la dilatation est donnée en centimètres, pour une différence de potentiel égale à l’unité absolue C. G. S. électrostatique, par le même nombre que celui qui exprime en valeur absolue la quantité d’électricité dégagée par une pression d’une dyne exercée dans la direction considérée.

La dilatation suivant l’axe électrique est indépendante des dimensions de la plaque ; elle est trop faible pour être constatée directement, mais, pour la mettre en évidence, on peut s’opposer à ce que la déformation se produise, employer de grandes surfaces et utiliser la variation de pression assez considérable qui en résulte. C’est ce que nous avons déjà fait. La méthode est des plus sensibles, mais la connaissance imparfaite ou nulle que l’on a des coefficients d’élasticité ne nous a pas permis de faire des expériences quantitatives. Au contraire, la dilatation normalement à l’axe varie avec les dimensions du parallélépipède ; elle est égale à la dilatation suivant l’axe, lorsque le rapport des dimensions actives est égal à 1 ; en faisant varier ces dimensions, on peut la rendre beaucoup plus grande ; elle peut devenir visible et mesurable au microscope, surtout après amplification à l’aide d’un levier.

L’appareil dont nous nous sommes servis était disposé de la façon suivante : une plaque de quartz, revêtue de deux feuilles d’étain sur les faces normales à l’axe électrique (et très peu épaisse suivant la direction de cet axe), était fixée par l’une des extrémités de sa grande longueur (normale aux deux axes optique et électrique) à un montant solide.

L’autre extrémité, munie d’une petite pièce rigide, retenait le petit bras d’un levier. Le grand bras portait une petite toile d’araignée que l’on regardait avec un microscope muni d’un micromètre oculaire.

Les variations de longueur de la plaque de quartz étaient amplifiées une cinquantaine de fois. On produisait la tension électrique en chargeant les deux feuilles d’étain à l’aide d’une machine de Holtz reliée à une batterie de six bouteilles de Leyde. La tension s’établissait ainsi assez lentement et l’on notait le déplacement du levier à l’instant où l’étincelle partait entre deux boules.

La mesure se compose de deux parties distinctes :

1° On détermine expérimentalement, par les procédés que nous avons précédemment publiés, la quantité absolue d’électricité dégagée par la lame revêtue de ses feuilles d’étain et telle qu’elle va être employée dans la seconde partie ;

2° On mesure, à l’aide de l’appareil ci-dessus décrit, les variations de longueur correspondant à une série de différences de potentiel données par les distances explosives entre des boules de 0m,06 d’après les déterminations de M. Baille.

Lame
1.[2] 2.
Traction nécessaire pour charger une capacité de 0m,50 à la tension d’un daniell 258g 48g,5
D’où une traction de 1 dyne dégagerait une quantité absolue d’électricité égale à 7,39.10-7 39,3.10-7
D’où dilatation calculée en centimètres pour l’unité de différence de potentiel 7,39.10-7 39,3.10-7
D’où dilatation calculée en millimètres pour une différence de potentiel égale à 14,8, correspondant à une étincelle de 1mm dans l’air, entre boules de 0m,06 » 0mm,00058
D’où dilatation calculée en millimètres pour une différence de potentiel de 65,2 (étincelle de 6mm) 0mm,00048 »
Déplacement de l’extrémité du levier exprimé en divisions du micromètre, pour tension correspondant à 1mm d’étincelle » 6,7
Déplacement pour tension correspondant à 6mm d’étincelle 5,0 »
Valeurs de ces déplacements en millimètres 0mm,0206 0mm,0276
Rapport des bras du levier 40,8 46,5
D’où dilatation mesurée 0mm,00050 0mm,00061

Les dilatations mesurées étant de 0mm,00050 et de 0mm,00061, les dilatations calculées par les quantités d’électricité dégagées sont 0mm,00048 et 0mm,00058. Ces résultats doivent être considérés comme satisfaisants. Sans même considérer les facteurs nombreux entrant en cause, les différences s’expliquent simplement par l’erreur de lecture dans la mesure des dilatations électriques. Ces déterminations sont donc des vérifications non seulement qualitatives, mais aussi numériques des conséquences auxquelles les principes de la conservation de l’énergie et de la conservation de l’électricité ont conduit M. Lippmann. La proportionnalité de la dilatation à la différence de potentiel se vérifie également bien ; toutefois nos expériences n’ont pu être faites que sur des échelles de tension très limitées.



  1. Voir Journal de Physique, 1882, p. 245.
  2. Les épaisseurs des lames étaient 2mm,4 et 0mm,65 ; les longueurs de l’étain environ 27mm,8 et 40mm.