RECHERCHES SUR LA DÉTERMINATION DES LONGUEURS D’ONDE DES RAYONS CALORIFIQUES À BASSE TEMPÉRATURE.

En commun avec P. DESAINS.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. XC, p. 1506,
séance du 28 juin 1880.


Dans une série de recherches récentes, M. Mouton a fait connaître une méthode par laquelle on peut déterminer avec beaucoup de précision les longueurs d’onde des rayons calorifiques obscurs, et il a étudié les relations qui existent entre ces longueurs d’onde et les indices de la réfraction que les rayons qu’elles caractérisent éprouvent à travers différentes substances, le flint, le crown et le sel gemme.

La méthode suivie par M. Mouton suppose que les rayons sont transmis à travers des polariseurs et des analyseurs, et jusqu’ici les seuls polariseurs ou analyseurs qui aient paru propres à ses expériences ne sont en aucune façon perméables à la chaleur venant de sources qui n’ont pas une très haute température.

Dans ce cas spécial nous avons cherché à résoudre le problème par un emploi convenable des réseaux de Fraunhofer, et nous demandons à l’Académie la permission de lui soumettre nos résultats.

Le réseau que nous avons le plus souvent employé était une nappe de fils métalliques de de millimètre de diamètre. Ils étaient tendus parallèlement entre eux sur un cadre résistant et à des distances sensiblement égales aussi à de millimètre, de telle sorte que l’élément optique du réseau avait une longueur égale à de millimètre, ou plutôt, d’après l’observation directe, à 0mm,252. Étudié optiquement, ce réseau a laissé peu de chose à désirer, et, en l’employant à déterminer la longueur d’onde de la lumière du sodium, nous avons obtenu les résultats ordinaires.

Pour opérer avec ce réseau, nous le placions à 0m,50 environ d’une fente par laquelle passait un rayon de chaleur obscure, sensiblement homogène, dont la direction était perpendiculaire à celle du réseau. Immédiatement contre celui-ci et du côté de la fente était une lentille de sel gemme d’environ 0m,25 de foyer. L’image calorifique de la fente se faisait de l’autre côté de la lentille, à une distance voisine de 0m,50, et dont la valeur rigoureuse était calculée d’après la connaissance des indices des rayons employés.

En ce point et perpendiculairement au rayon central, on plaçait une règle divisée, le long de laquelle pouvait se mouvoir une pile thermo-électrique dont les déplacements pouvaient se mesurer à de millimètre près[1].

La fente de la pile et la fente d’admission avaient le plus souvent une largeur de 0mm,5 ou de 1mm ; quelquefois nous avons porté cette largeur à 2mm. Ces variations n’ont jamais eu d’influence que sur l’intensité absolue des maxima observés et nullement sur leur position.

La méthode que nous exposons suppose nécessairement l’emploi de rayons calorifiques homogènes, et, pour que les résultats aient une utilité scientifique, il faut préciser la position occupée dans le spectre par chacun des rayons employés.

On satisfait de la manière suivante à cette double condition :

On commence par faire un spectre en prenant pour source une lampe de MM. Bourbouze et Wiesnegg, à dôme de platine incandescent, et un appareil réfringent tout en sel gemme, dans lequel le prisme ait un angle bien connu, 60° par exemple. Puis, comme s’il s’agissait d’étudier la distribution de la chaleur dans le spectre, on dispose, à l’endroit où ce spectre est bien net, une pile dont le mouvement peut être exactement mesuré.

Alors on détache la pile de la plaque porte-fente contre laquelle elle est d’ordinaire fixée ; mais cette plaque reste en place, attenante au pied à mouvement, et par suite la fente peut être amenée successivement en toutes les régions du spectre et dans toutes ses positions : sa distance aux rayons de la flamme sodique peut être exactement mesurée. Il est dès lors toujours possible d’isoler à travers cette fente un faisceau de rayons homogènes et de réfrangibilité connue. Il est entendu que, les choses ainsi disposées, on fixe le pied de la règle porte-fente et l’on ne déplace plus que la fente elle-même. Dans la pratique, avant de séparer la pile de la fente, il est bon de déterminer la position exacte du maximum et la valeur des intensités en quelques autres points.

Dans le spectre produit comme nous l’avons indiqué plus haut, les rayons distants du jaune d’un angle égal à 1° 55′ n’étaient plus transmissibles à travers une lame de verre de 0m,01 d’épaisseur, et pourtant, sans prendre de fente de largeur supérieure à 0m,001, nous avons pu aisément faire des déterminations de longueurs d’onde sur des rayons dont la distance aux rayons jaunes atteignait 2° 43′, et nous avons trouvé cette longueur égale à 0mm,0056. Pour les rayons situés à 3° 16′ de ceux de la raie D, la faiblesse de l’intensité nous a forcés à porter les largeurs des fentes à 0m,002 ; mais les minima n’en ont pas été moins nettement accusés.

Il nous a paru convenable de faire quelques essais pour fixer les relations qui existent entre les rayons d’une longueur d’onde aussi considérable et ceux qui sont émis par les sources franchement obscures, par exemple une lame de cuivre noircie et chauffée à 300° ou même à 1500. Dans ce but nous avons fait les expériences suivantes :


Un spectre étant formé avec un appareil réfringent tout en sel et la lampe Bourbouze comme source, nous l’avons étudié au point de vue de la distribution calorifique.

Au rouge extrême l’action galvanométrique était 400, au maximum 5800, etc. Ces déterminations faites, au platine incandescent nous avons substitué une lame de cuivre chauffée à 300°. En observant alors les indications de notre thermoscope, nous avons constaté qu’elles étaient nulles tant que la distance de la pile à la position qu’elle occupait quand elle recevait les rayons d’une flamme sodique n’atteignait pas  ; à partir de ce moment, lorsqu’on avançait vers la région de moindre réfrangibilité, les effets thermiques marchaient rapidement vers un maximum pour décroître plus lentement ensuite. La position de la pile au moment de l’action maximum a été prise par nous comme définissant ce que l’on pourrait appeler l’indice moyen, ou plutôt l’indice des rayons de plus grande efficacité de la lame.

En rétablissant alors le spectre primitif, c’est-à-dire en remettant le platine incandescent à la place de la lame de cuivre, on déterminait la longueur d’onde des rayons correspondant à cet indice moyen, et on la prenait pour longueur d’onde moyenne des rayons émis par la source obscure.


Nous avons cherché à contrôler l’exactitude des résultats que nous venons de faire connaître et nous y sommes arrivés en employant comme réseaux des échantillons de toiles métalliques du commerce. Ces toiles sont plus ou moins serrées, mais en général elles sont bien régulières et, dans la lumière homogène, elles donnent avec beaucoup de netteté et d’éclat les phénomènes des franges successives. En employant des toiles de numéros différents, nous sommes toujours arrivés aux mêmes longueurs d’onde pour des rayons de même indice.

Enfin, dans les régions voisines du maximum, nous avons constaté que les résultats de nos observations s’accordent d’une manière satisfaisante avec ceux que l’étude de cette même région avait fournis à M. Mouton.

Le Tableau suivant résume l’ensemble de nos recherches.

Dans la première colonne sont simplement transcrites les divisions de la règle le long de laquelle se mouvait la pile ; dans la deuxième, la distance angulaire qui séparait les rayons étudiés de ceux de la flamme sodique ; dans les troisième, quatrième et cinquième, les intensités qui correspondaient à ces rayons quand on employait comme source la lampe à platine incandescent, la plaque à 300°, la plaque à 150° ; dans la sixième, les longueurs d’onde. Les nombres inscrits aux troisième, quatrième et cinquième colonnes ont été obtenus avec des appareils de sensibilités différentes soigneusement comparés. Ils sont rapportés à une même unité.

Divisions de la règle. Distance angulaire aux rayons du sodium. Intensités. Longueurs d’onde.
Lampe à platine incandescent. Cuivre noir à 300°. Cuivre à 150°.
0 ° 0 171 » » 0,000588
4 13 . 20 256 » » »
9 30 . 00 399 » » »
14 46 . 40 1026 4 » 0,00096
19 1 . 3 . 20 2494 7 » 0,00113
24 1 . 20 . 00 4474 18 » 0,00143
29 1 . 36 . 40 5785 33 2 0,00186
34 1 . 53 . 20 4674 53 5 0,00213
39 2 . 10 . 00 2123 60 9 0,00400
44 2 . 26 . 40 1026 53 8 0,00460
49 2 . 43 . 20 557 45 7,3 0,00560
54 3 . 00 . 00 307 36 6,5 0,00600
59 3 . 16 . 40 225 26 6 0,00700
64 3 . 33 . 20 170 » » »
69 3 . 50 . 00 150 23 » »
74 4 . 06 . 40 144 19 4 »
79 4 . 23 . 20 110 19 » »
84 4 . 40 . 40 50 19 3 »



  1. Quand la pile était placée de façon à recevoir le rayon central lui-même, l’effet thermoscopique produit était maximum et, en général, considérable. Il diminuait rapidement dès qu’on écartait la pile de cette position dans un sens ou dans l’autre. Bientôt l’intensité de l’action atteignait un minimum qui souvent n’avait d’autre valeur que zéro ; puis, en continuant le mouvement toujours dans le même sens, on atteignait un nouveau maximum, dont la valeur atteignait environ le cinquième de l’intensité du rayon central. La pile était alors en coïncidence avec le premier spectre. En continuant à l’éloigner de l’image centrale, nous avons plus d’une fois trouvé un second minimum et un second spectre. Dans tous les cas, le phénomène s’est toujours montré symétrique par rapport au rayon central.