Œuvres de Louise Labé, édition Boy, 1887/I/07
ESCRIZ DE
diuers Poëtes, à la louenge de
LOVÏZE LABE’ LIONNOIZE.
Τὰς Σαπφοῦς ᾠδὰς γλυκυφώνου ἃς ἀπόλεσσεν
Ἡ παμφάγου χρόνου βίη,
Μειλιχίῳ Παφίης καὶ ἐρώτων νῦν γε Λαβαίη
Κόλπῳ τραφεῖσ’ ἀνήγαγε.
Εἰ δὲ τις ὡς καινὸν θαυμάζει, καὶ πόθεν ἐστὶ,
Φησΐν, νεὴ ποιήτρια ;
Γνοίη ὡς γοργὸν, καὶ ἄκαμπτον, δυστυχέουσα
Ἔχει Φαών’ ἐρώμενον :
Τοῦ πληχθεῖσα φυγῇ, λιγυρὸν μέλος ἦρξε τάλαινα
Χορδαῖς ἐναρμόζειν λύρης.
Σφόδρα δὲ πρὸς ταύτας ποήσεις οἶστρ’ ἐνίησι
Παιδῶν ἐρᾷν ὑπερήφανων.
am non canoras Pægaſidas tuis
Aſſueſce votis : nil tibi Cynthius
Fontiſue Dircæi receſſus
Proſuerint, vel inanis Euan.
Sed tu Labææ baſia candidæ
Imbuta poſcas nectare, quæ roſas
Spirant amaracoſque molles :
Et violas, Arabumque ſuccos.
Non illa ſummis diſpereunt labris,
Sed quà recluſis obicibus patet
Inerme pectus, ſuaueolentis
Oris aculeolo caleſcit.
Illo medullæ protinus æſtuant,
Et diſſolutis ſpiritus omnibus
Nodis in ore ſuauiantis
Lenius emoritur Labææ.
Hoc plenus æſtro (dicere ſeu lubet
Sectis puellas vnguibus acriter
Depræliantes, aut inuſtam
Dente notam labiis querenteis :
Cæliue motus & redeuntia
Anni viciſſim tempora : nec ſuo
Fulgore lucentem Dianam,
Sideribuſue polos micanteis.
Dignum Labææ baſiolis melos
Quod voce miſtis cum fidibus canat)
Dices coronatus quod aureis
Cecropias Latiaſque pungat.
Amour eſt donq pure inclinacion
Du Ciel en nous, mais non neceſſitante :
Ou bien vertu, qui nos coeurs impuiſſante
À reſiſter contre ſon accion ?
C’eſt donq de l’ame une alteracion
De vain deſir legerement naiſſante
À tout obiet de l’eſpoir periſſante.
Comme muable à toute paſſion ?
Ia ne ſoit crù, que la douce folie
D’un libre Amant d’ardeur libre amollie
Perde ſon miel en ſi amer Abſynte,
Puis que lon voit un eſprit ſi gentil
Se recouurer de ce Chaos ſutil.
Ou de Raiſon la Loy ſe laberynte.
Quel Dieu graua cette mageſté douce
En ce gay port d’une pronte allegreſſe ?
De quel liz eſt, mais de quelle Deeſſe
Cette beauté, qui les autret dejſtrouſſe ?
Quelle Syrene hors du ſein ce chant pouſſe,
Qui deceuroit le caut Prince de Grece ?
Quels ſont ces yeus, mais bien quel Trofee eſt ce,
Qui tient d’Amour l’arc, les trets & la trouſſe ?
Ici le Ciel libéral méfait voir
En leur parfait, grace, honneur, & ſauoir,
Et de vertu le rare témoignage :
Ici le traytre Amour me veut ſurprendre :
Ah ! de quel feu brule un cœur ia en cendre ?
Comme en deus pars ſe peut il mettre en gage ?
Iadis un Grec ſus une froide image,
Que conſacra Praxitèle à Cyprine,
Rafrechiſſant ſon ardente poitrine
Rendit du maitre admirable l’ouurage.
Las ! peu s’en faut qu’à ce petit ombrage,
Reconnoiſſant ta bouche coralline,
Et tous les trais de ta beauté diuine,
Ie n’aye autant porté de témoignage.
Qu’uſt fait ce Grec ſi cette image nue
Entre ſes bras fuſt Venus deuenue ?
Que ſuis ie lors quand Louïze me touche,
Et l’accollant d’un long baiſer me baiſe ?
L’ame me part, & mourant en cet aiſe,
Ie la reprens ia fuiant en ſa bouche.
Ie laiſſe apart Meduſe, & ſa beauté,
Qui tranſmuoit en pierre froide & dure,
Ceus qui prenoient à la voir trop de cure.
Pour admirer plus grande nouueauté :
Et reciter la douce cruauté
De belle à soy, qui fait bien plus grand’choſe,
Lors qu’en ſon tout grâce naïue encloſe
Veut eſlargir ſa douce priuauté.
Car d’un corps fait au comble de ſon mieus,
Du vif mourant contournement des yeus,
À demi clos tournant le blanc en vuë :
Puis d’un ſoupir mignardement iſſant,
Auant l’apas d’un ſouzris blandiſſant,
Les regardans en ſoymeſme tranſmue.
Si le Soleil ne peut touſiours reluire.
Fuir ne faut pourtant tout ce qui luit.
Car ſi au Ciel quelqu’autre flamme duit.
Sans le Soleil peut bien la clarté luire.
Mais quoy ? ſans lui, las ! on la veut réduire
Au ſeul plaiſir d’un Aſtre radieus,
Qui autre part d’eſclairer enuieus.
Par ce moyen peut à la clarté nuire.
Las ! quel Climat lui ſera donq heureus.
N’ayant faueur que par l’Aſtre amoureus,
Ou viue meurt cette lueur premiere ?
Si d’autre eſpoir de ſa propre vertu
N’eſt par effet ſon luſtre reuétu.
Sous tel Phebus s’eſteindra ſa lumière.
Voyez, Amans, voyez ſi la pitié
À mon ſecours or’à tort ie reclame :
Du haut, ou bas, rien n’eſt, fors ma poure ame,
Qui n’ait goûté quelque fruit d’amitié.
Par quel deſtin, las ! toute autre moitié
La mienne fuit ? ſuiuant l’ingrate trace
De celle là, dont eſperant la grâce.
Acquis ie n’ay que toute inimitié ?
Ô douce Mort (à tous plus qu’à ſoy belle)
À ta clarté ne ſois ainſi rebelle,
Ains doucement la fais en toy mourir :
Si tu ne veus par façon rigoureuſe
Sans aliment la rendre tenebreuſe ;
Car ia l’eſteint, qui la peut ſecourir.
ou dizieme couronnante la troupe.
Nature ayant en ſes Idees pris
Vn tel ſuget, qu’il ſurpaſſoit ſon mieus :
De grâce ell’ùt pour l’illuſtrer des Dieus
Otroy entier du plus ſupernel pris :
Dont elle put l’Vniuers rendre eſpris.
Ouvrant l’amas des influz bienheureus,
Duquel le rare zpuré par les Cieus
Atire encor le bien né des eſprits.
Dieus qui ſoufrez flamboyer tel Soleil
À vous égal, à vous le plus pareil,
Témoin le front de ſa beauté première,
Permettrez vous choſe ſi excellente
Patir l’horreur d’Atrope paliſſante.
Ne la laiſſant immortelle lumière ?
Qui doue in braccio al Rodano ſi vede
Girne le Sona queta, ſi ch’à pena
Scorger ſi puo là doue l’onde mena,
Si lenta muoue entr’al ſuo letto il piede :
Giunſi punto d’Amor, cinto di Fede,
Di ſpeme priuo, e colmo de la pena,
Ch’ all’ Alma (pria d’ogni dolcezza piena)
Fa di tutto il piacere aperte prede ;
E mouendo i ſoſpiri à chiamar voi
(Lungi dal voſtro puro aër’ ſereno)
Sperai vinto dal ſonno alta quiete :
Ma toſto vdi, dirmi da voi : Se i tuoi
Occhi ſon triſti e molli, i miei non meno,
Cosi ſempre per noi pianto ſi miete.
Ardo d’un dolce fuoco, e queſt’ ardore
Smorzar non cerco, anzi m’è caro tanto,
Che lieto in mezo de le fiamme io canto
Le voſtre lodi e’ l ſopran voſtro honore ;
E chieggio in guiderdone al mio Signore
Che non mi dia cagion d’eterno pianto ;
Ma d’un’ iſleſſo fuoco hoggi altrettanto
Vi porga ſi ch’ ogn’ hor n’auuampi il cuore.
Amor ſeco ogni ben mai ſemper apporta,
Quando d’un par diſio due Petti inuoglia ;
Ma s’un ne laſcia, è morte atroce e ria :
Siatemi dunque voi ſicura ſcorta :
Suegliate homai queſta grauoſa ſpoglia,
Ch’ à voi conſacrero la penna mia.
Auuenturoſi fiori,
Che cosi dolce ſeno,
Che cosi care chiome in guardia haueſte ;
Benedetto il ſereno
Aër’ doue naſceſte ;
E’ que’ mille colori
Di cui natura in voi vaga ſi piacque :
Ben’ ſù dolce deſtino
Il voſtro, é quel’ mattino
Che ſi felice al morir’ voſtro nacque :
Vinchino hor’ voſtri odori
Gli odoroſi Sabei, gli Arabi honori.
Dolce Luiſa mia
Che tanto bella ſete,
Quanto eſſer’ vi volete : E’ come il core
Hauete ſculto amore, e corteſia :
Tal’ ne gli occhi di lor’ ſi ſcorge traccia :
Da queſte dolci braccia,
Da queſti ardenti baci, anima bella,
Morte ſola mi ſuella
Ne vnqua mai fra noi maggior’ ſi ſia
Paura é geloſia.
Altra luce non veggio :
Altro ſole, alma bella,
Fuor’ che i voſtri occhi ſanti
Non ho : é queſti hor chieggio
Sol’ per mia guida é ſtella
Sempre come hor’ ſereni.
A voi beati amanti
Altra inuidia, altro zelo
Non hauro mai : ſe il cielo
Vuol’ che io mia vita meni
In coſi fatta guiſa
A i dolci raggi lor’dolce Luiſa.
Louïze eſt tant gracieuſe & tant belle,
Louïze à tout eſt tant bien auenante,
Louïze ha l’œil de ſi viue eſtincelle,
Louïze ha face au corps tant conuenante.
De ſi beau port, ſi belle & ſi luiſante,
Louïze ha voix que la Muſique auoue,
Louïze ha main qui tant bien au lut ioue,
Louïze ha tant ce qu’en toutes on priſe,
Que ie ne puis que Louïze ne loue,
Et ſi ne puis aſſez louer Louïze.
Ton lut herſoir encor ſe reſentoit
De ta main douce, & gozier gracieus,
Et ſous mes doits ſans leur ayde chantoit :
Quand un Dzmon, ou ſur moy enuieus.
Ou de mon bien ſe feignant ſoucieus,
Me dit : c’eſt trop ſus un lut pris plaiſir.
N’aperçois tu un furieus deſir
Cherchant autour de toy une cordelle,
Pour de ton cœur la Dame au lut ſaiſir ?
Et, ce diſant, rompit ma chanterelle.
de D. L. L.
Que faites vous, mes compagnons,
Des cheres Muſes chers mignons ?
Au’ ous encore en notre abſence
De votre Magny ſouuenance ?
Magny votre compagnon dous,
Qui ha ſouuenance de vous
Plus qu’aſſez, s’une Damoiſelle
Sa douce maitreſſe nouuelle
Qui l’eſtreint d’une eſtroite Foy
Le laiſſe ſouuenir de ſoy.
Mais le Pouret qu’Amour tourmente
D’une chaleur trop vehemente,
En oubli le Pouret ha mis
Soymeſme & ſes meilleurs amis :
Et le Pouret à rien ne penſe.
Et ſi n’a de rien ſouuenance,
Mais ſeulement il lui ſouuient
De la maitreſſe qui le tient :
Et rien ſinon d’elle il ne penſe
N’ayant que d’elle ſouuenance.
Et tout brûlé du feu d’amours
Paſſe ainſi les nuits & les iours.
Sous le ioug d’une Damoiſelle
Sa douce maitreſſe nouuelle,
Qui le fait ore eſclaue ſien,
Ataché d’un nouueau lien :
Qui le cœur de ce miſerable
Brûle d’un feu non ſecourable,
Si le ſecours ſoulacieus
Ne lui vient de ſes meſmes yeus,
Qui premiers ſa flamme alumerent,
Qui premiers ſon cœur enflammèrent.
Et par qui peut eſtre adouci
L’amoureus feu de ſon ſouci.
Mais ny le vin ny la viande.
Tant ſoit elle douce & friande,
Ne lui peuuent plus agréer.
Rien ne pourroit le recréer ;
Non pas les gentileſſes belles
De ces gentiles Damoiſelles,
De qui la demeure lon met
Sur l’Heliconien ſommet,
Qu’il auoit touſiours honorées,
Qu’il auoit touſiours adorées
Des ſon ieune âge nouuelet,
Encores enfant tendrelet.
Adieu donq Nynfes, adieu belles.
Adieu gentiles Damoiſelles,
Adieu le Chœur Pegaſien,
Adieu l’honneur Parnaſien.
Venus la mignarde Deeſſe,
De Paphe la belle Princeſſe,
Et ſon petit fils Cupidon
Me maitriſent de leur brandon.
Vos chanſons n’ont point de puiſſance
De me donner quelque allégeance
Aus tourmens qui tiennent mon cœur,
Genné d’une douce langueur
Ie n’ay que faire de vous, belles :
Adieu, gentiles Damoiſelles :
Car ny pour voir des monceaus d’or
Aſſemblez dedens un treſor,
Ny pour voir flofloter le Rone,
Ny pour voir eſcouler la Sone,
Ny le gargouillant ruiſſelet,
Qui coulant d’un bruit doucelet,
À dormir, d’une douce enuie,
Sur la freſche riue conuie :
Ny par les ombreus arbriſſeaus
Le dous ramage des oiſeaus,
Ny violons, ny eſpinettes,
Ny les gaillardes chanſonnettes,
Ny au chant des gayes chanſons
Voir les garces & les garçons
Fraper en rond, ſans qu’aucun erre,
D’un branle meſuré, la terre.
Ny tout celà qu’a de ioyeus
Le renouueau delicieus,
Ny de mon cher Giués (qui m’ayme
Comme ſes yeus) le confort meſme,
Mon cher Giués, qui comme moy
Languit en amoureus émoy,
Ne peuuent flater la langueur
Qui tient genné mon poure cœur ;
Bien que la mignarde maitreſſe,
Pour qui ie languis en détreſſe,
Contre mon amoureus tourment
Ne s’endurciſſe fierement,
Et bien qu’ingrate ne fait celle,
Celle gentile damoiſelle
Qui fait d’un regard bien humain,
Ardre cent feus dedens mon ſein.
Mais que ſert toute la careſſe
Que ie reçoy de ma maitreſſe ?
Et que me vaut paſſer les iours
En telle eſperance d’amours.
Si les nuiz de mile ennuiz pleines
Rendent mes eſperances veines ?
Et les iours encor pleins d’ennuis,
Qu’abſent de la belle ie ſuis ?
Quand ie meurs, abſent de la belle.
Ou quand ie meurs preſent pres d’elle
N’oſant montrer (ô dur tourment !)
Comment ie l’ayme ardantement ?
Celui vraiment eſt miſerable
Qu’Amour, voire eſtant fauorable,
Rend de ſa flame langoureus.
Chetif quiconque eſt amoureus.
Par qui ſi cher eſt eſtimee
Vne ſi legere fumee
D’un plaifir ſuiui de ſi près
De tant d’ennuiz qui ſont après.
Si ây ie auſſi cher eſtimee
Vne ſi legere fumee.
Ou print l’enfant Amour le fin or qui dora
En mile creſpillons ta teſte blondiſſante ?
En quel iardin print il la roze rougiſſante
Qui le liz argenté de ton teint colora ?
La douce grauité qui ton front honora,
Les deus rubis balais de ta bouche allechante,
Et les rais de cet œil qui doucement m’enchante,
En quel lieu les print il quand il t’en decora ?
D’ou print Amour encor ces filets & ces leſſes
Ces haims & ces apaſts que ſans fin tu me dreſſes
Soit parlant ou riant ou guignant de tes yeus ?
Il print d’Herme, de Cypre, & du ſein de l’Aurore,
Des rayons du Soleil, & des Graces encore,
Ces atraits & ces dons, pour prendre hommes & Dieus.
Ô ma belle rebelle,
Las que tu m’es cruelle !
Ou quand d’un dous ſouzris
Larron de mes eſprits,
Ou quand d’une parole
Si mignardement mole,
Ou quand d’un regard d’yeus
Traytrement gracieus,
Ou quand d’un petit geſte
Non autre que celeſte.
En amoureuſe ardeur
Tu m’enflammes le cœur.
Ô ma belle rebelle,
Las que tu m’es cruelle !
Quand la cuiſante ardeur
Qui me brûle le cœur.
Veut que ie te demande
À ſa brûlure grande
Vu rafrechiſſement
D’un baiſer ſeulement.
Ô ma belle rebelle,
Que tu ferais cruelle !
Si d’un petit baiſer
Ne voulais l’apaiſer,
Au lieu d’alegement
Acroiſſant mon tourment.
Me puiſſe-ie un iour, dure,
Vanger de cette iniure :
Mon petit maitre Amour
Te puiſſe outrer un iour,
Et pour moy langoureuſe
Il te face amoureuſe,
Comme il m’a langoureus
Pour toy fait amoureus.
Alors par ma vengeance
Tu auras connoiſſance
Que vaut d’un dous baiſer
Vn Amant refuſer.
Et ſi ie te le donne,
Ma gentile mignonne,
Quand plus fort le deſir
En viendrait te ſaiſir :
Lors après ma vengeance,
Tu auras connoiſſance
Quel bienfait, d’un baiſer
L’Amant ne refuſer.
Eſtant nauré d’un dard ſecrettement,
Par Cupidon, & bleſsé ù outrance,
Ie n’oſois pas declairer mon tourment
Saiſi de peur, delaiſsé d’eſperance.
Mais celui ſeul, qui m’auoit fait l’ofenſe,
M’a aſſeurè, diſant, que ſans ofenſe
Ie pouuois bien mon ardeur deceler,
Ce que i’ay fait ſans plus le receler,
Eſtant nauré.
À une donq pourement aſſuré,
Creingnant bien fort d’elle eſtre refusé,
Ay déclairé du tout ma doleance :
Et ſur mon mal hardiment excusé
Lui ſupliant me donner allegeance,
Ou autrement ie perdrois pacience
Eſtant nauré.
Au mien propos ha ſi bien reſpondu
Celle que i’ay plus chere que mon ame,
Et mon vouloir ſagement entendu,
Que ie confſns qu’il me ſoit donne blame
Si ie l’oublie : car elle m’a rendu
Le ſens, l’eſprit, l’honneur, le cœur & l’ame
Eſtîant nauré.
à ſon bon Signeur.
d. m.
Muſes, filles de Iupiter,
Il nous faut ores aquiter
Vers ce docte & gentil Fumee,
Qui contre le tems inhumain
Tient vos meilleurs trets en ſa main,
Pour paranner ſa renommée.
Ie lui dois, il me doit auſſi :
Et ſi i’ay ores du ſouci
Pour faire mon payment plus dine,
Ie le voy ores deuant moy
En un auſſi plaiſant émoy
Pour faire ſon Ode Latine.
Mais par ou commencerons nous ?
Dites le, Muſes : car ſans vous
Ie ne fuis l’ignorante tourbe,
Et ſans vous ie ne peu chanter
Choſe, qui puiſſe contenter
Le pere de la lyre courbe.
Quand celui qui iadis naquit
Dens la tour d’erein, que conquit
Iupiter d’une caute ruſe,
Vt trenché le chef qui muoit
En rocher celui qu’il voyoit,
Le chef hideus de la Meduſe :
Adonques par l’air s’en allant.
Monté ſur un cheual volant,
Il portoit cette horrible teſte :
Et ia défia voiſin des Cieus
Il faiſoit voir en mile lieus
La grandeur de cette conqueſte.
Tandis du chef ainſi trenche
Eſtant freſchement arraché,
Diſtiloit du ſang goute à goute :
Qui ſoudein qu’en terre il eſtoit.
Des fleurs vermeilles enfantoit,
Qui changeaient la campagne toute,
Non en Serpent, non en ruiſſeau,
Non en Loup, & non en oiſeau,
En pucelle, Satire, ou Cyne :
Mais bien en pierre : faiſant voir
Par un admirable pouuoir
La vertu de leur origine.
Et c’eſt auſſi pourquoy ie crois,
Que fendant l’air en mile endrois
Sur mile étrangères campagnes,
À la fin en France il vola,
Ou du chef hideus s’eſcoula
Quelque ſang entre ces montagnes :
Meſmement aupres de ce pont
Opposé viz à viz du mont,
Du mont orguilleus de Foruiere :
En cet endroit ou ie te vois
Egaier meinte & meinte fois
Entre l’une & l’autre riuiere.
Car deſlors que fatalement
I’en aprochay premierement,
Ie vis des la premiere aproche
Ie ne ſay quelle belle fleur :
Qui ſoudein m’eſclauant le cœur
Le fit changer en une roche.
Ie viz encor tout à lentour
Mile petis freres d’Amour,
Qui menoient mile douces guerres :
Et mile creintifs amoureus
Qui tous comme moy langoureus
Auoient leurs cœurs changez en pierres.
Depuis eſtant ainſi rocher,
Ie viz près de moy aprocher
Vne Meduſe plus acorte
Que celle dont s’arme Pallas.
Qui changea iadis cet Atlas
Qui le Ciel ſur l’eſchine porte.
Car elle ayant moins de beautez,
De ces cheueus enſerpentez
Faiſoit ces changemens eſtranges :
Mais cetteci, d’un ſeul regard
De ſon œil doucement hagard
Fait mile plus heureus eſchanges.
Celui qui voit ſon front ſi beau,
Voit un ciel, ainçois un tableau
De criſtal, de glace, ou de verre :
Et qui voit ſon ſourcil benin.
Voit le petit arc hebenin,
Dont Amour ſes traits nous deſſerre.
Celui qui voit ſon teint vermeil.
Voit les roſes qu’à ſon réueil
Phebus épanit & colore :
Et qui voit ſes cheueus encor,
Voit dens Pactole le treſor
Dequoy ſes ſablons il redore.
Celui qui voit ſes yeus iumeaus,
Voit au ciel deus heureus flambeaus.
Qui rendent la nuit plus ſerene :
Et celui qui peut quelquefois
Eſcouter ſa diuine voix
Entend celle d’une Sirene.
Celui qui fleure en la baiſant
Son vent ſi dous & ſi plaiſant.
Fleure l’odeur de la Sabee :
Et qui voit ſes dens en riant
Voit des terres de l’Orient
Meinte perlette deſrobee.
Celui qui contemple ſon ſein
Large, poli, profond & plein,
De l’Amour contemple la gloire.
Et voit ſon teton rondelet.
Voit deus petis gazons de lait.
Ou bien deus boulettes d’iuoire.
Celui qui voit ſa belle main,
Se peut aſſeurer tout ſoudein
D’auoir vù celle de l’Aurore :
Et qui voit ſes piez ſi petis,
S’aſſeure que ceus de Thetis
Heureus il ha pù voir encore.
Quant à ce que l’acoutrement
Cache, ce ſemble, expreſſement
Pour mirer ſur ce beau chef d’euure.
Nul que l’Ami ne le voit point :
Mais le graſſelet embonpoint
Du viſage le nous deſcœuure.
Et voilà comment ie fuz pris
Aus rets de l’enfant de Cypris,
Eſprouuant ſa douce pointure :
Et comme une Meduſe fit,
Par un dommageable proufit,
Changer mon coeur en pierre dure.
Mais c’eſt au vray la rarité
De ſa grace & de ſa beaute,
Qui rauit ainſi les perſonnes :
Et qui leur ote cautement
La franchiſe & le ſentiment,
Ainſi que faiſoient les Gorgonnes.
Le Tems cette grand’fauls tenant
Se vét de couleur azuree,
Pour nous montrer qu’en moiſſonnant
Les choſes de plus de duree,
Il ſe gouuerne par les Cieus :
Et porte ainſi la barbe griſe.
Pour faire voir qu’Hommes & Dieus
Ont de lui leur naiſſance priſe.
Il aſſemble meinte couleur
Sur ſon azur, pource qu’il treine
Le plaiſir apres la douleur
Et le repos apres la peine :
Montrant qu’il nous faut endurer
Le mal, penſant qu’il doit fin prendre.
Comme l’Amant doit eſperer.
Et merci de ſa Dame atendre.
Il porte ſur ſon vétement,
Vn milier d’eſles empennees.
Pour montrer comme vitement
Il s’en vole auec nos années :
Et s’acompagne en tous ſes faits
De cette gente Damoiſelle,
Conférant que tous ſes efets
N’ont grâce ne vertu ſans elle.
Elle s’apelle Ocaſion
Qui chauue par derrière porte,
Sous une docte alluſion,
Ses longs cheueus en cette ſorte :
À fin d’enſeigner à tous ceus
Qui la rencontrent d’auenture.
De ne ſe montrer pareſſeus
À la prendre à la cheuelure.
Car s’elle ſe tourne & s’en fuit.
En vain apres on ſe trauaille :
Sans eſpoir de fruit on la fuit.
Le Tems ce dous loiſir nous baille,
De pouuoir gayement ici
Dire & ouir meintes ſornettes.
Et adoucir notre ſouci.
En contant de nos amourettes.
Le Tems encore quelquefois
Admirant ta grace eternelle.
Chantera d’une belle voix
D’Auanſon ta gloire eternelle :
Mais or’l’ocaſion n’entend
Que plus long tems ie l’entretienne,
Creingnant perdre l’heur qui m’atend
Ou qu’autre maſque ne ſuruienne.
Arſe coſi per voi, Donna, il mio core
Il primo di ch’ intento vi mirai,
Che certo mi penſai
Che no poteſſe in me creſcere piu ardore :
Ma in voi belta creſcendo d’hor’ in hora,
Creſc’ in me il ſuoco ancora.
Il qual no potra mai creſcer’ ſi pocco,
Ch’ altro no ſaro piu che ſiamme e fuoco.
Toute bonté abondante
Aus gouuerneurs des ſaints Cieus,
Vn, qui de main foudroyante
Eſtonne mortels & Dieus,
Enſemença ces bas lieus
De diuerſité d’atomes
Formez de ce vertueus
Surpaſſant celui des hommes.
Leſquels d’une deſtinee
Sous quelque fatal heureus,
Pour former une bien née
Furent enſemble amoureus :
Et goutant le ſauoureus.
Lequel ou l’Amour termine,
Ou le rend plus doucereus,
La font voir choſe diuine.
Meſmement ſi familiere
À la troupe des neuf Seurs,
Qu’elles l’ont pour leur lumière
Fait lampeger en leurs chœurs :
Là receuant les honneurs
De ceus, qu’on n’a laiſsé boire
Aus ſourſes & cours donneurs
De perpetuelle gloire.
Elle le fait aparoitre
Au docte de ſes eſcriz,
Qu’on voit iournellement naitre,
Et deuancer les eſprits,
Qui auoient gaigné le pris
D’eſtre mieus luz en notre aage.
Ô féminin entrepris
De l’immortalite gage !
Qui une flame amoureuſe,
Qui mieus les paſſionnez,
Et de veine plus heureuſe
Diſcerne les aptes nez,
Et à l’Amour fortunez,
De ceus, leſquels à outrance
Seront touſiours mal menez,
Et repuz d’une eſperance ?
Qui de langue plus diſerte
Fait le Muſagete orer
Contre l’eloquence experte
Du Dieu, qui peut atirer
Par le caut de ſon parler
L’erreur à la vraye trace ?
Qui près d’eus peut ſommeiller,
Comme elle, ſur le Parnaſſe ?
Donq que ſur ſes temples vole
Ce vert entortillonné
Pris de la ramure mole
De la fuyarde Daphné,
Et doctement façonné
Pour orner la ſeur de celle,
Qui ſortit, le coup donné,
En armes, de la ceruelle.
Si de ceus qui ne t’ont connue, qu’en liſant
Tes Odes & Sonnets, Louïze, es honoree :
Si ta voix de ton lut argentin tempérée,
D’arreſter les paſſans eſt moyen ſufiſant :
Et ſi ſouuent tes yeus d’un ſeul rayon luiſant
Ont meinte ame en priſon pour t’adorer ferree :
Tu te peus bien de moy tenir toute aſſeuree.
Car ſi iamais ton oeil ſus un coeur fut puiſſant.
Il ha eſté ſur moy, & fait meinte grand’ playe :
Telle grâce à chanter, baller, ſonner te ſuit,
Qu’à rompre ton lien ou fuir ie n’eſſaye.
Tant tes vers amoureus t’ont donné los & bruit,
Qu’heureus me ſens t’auoir non le premier aymee,
Mais priſé ton fauoir auant la renommee.
la comparant aus Cieus.
Sept feus on voit au Ciel, leſquels ainſi
Sont tous en toy meſlez enfemblement.
Phebé eſt blanche : & tu es blanche auſſi.
Mercure eſt docte : & toy pareillement.
Venus touſiours belle : ſemblablement
Belle touſiours à mes yeus tu te montre.
Tout de fin or eſt le chef du Soleil :
Le tien au ſien ie voy du tout pareil.
Mars eſt puiſſant : mais il creint ta rencontre.
Iupiter tient les Cieus en ſa puijſſnce :
Ta grand’ beauté tient tout en ſfon pouuoir.
Saturne au Ciel ha la plus haute eſſence :
Tu as auſſi la douce iouiſſance
Du plus haut heur qu’autre pourroit auoir.
Donq qui veut voir les grans dons, que les Dieus
Ont mis en toy, qu’il contemple les Cieus.
Lionnoize.
Il ne faut point que i’apelle
Les hauts Dieus à mon ſecours,
Ou bien la bande pucelle
Pour m’ayder en mon diſcours.
Puis que les Dieus, de leur grace.
Les ſaintes Muſes, les Cieus
Ont tant illuſtré la face,
Le corps, l’eſprit curieus
De celle, dont i’apareille
La louenge nompareille,
Ie congnoy bien clerement
Que toute eſſence diuine
Me fauoriſe, & s’encline
À ce beau commencement.
Sus ſus donq, blanche feneſtre,
Fay tes reſonans effors ;
Et toy, ô mignarde deſtre,
Chatouille ſes dous acors :
Chantons la face angelique,
Chantons le beau chef doré,
Si beau, que le Dieu Delphique
D’un plus beau n’eſt decoré.
N’oublions en notre metre
Comme elle oſa s’entremettre
D’armer ſes membres mignars :
Montrant au haut de ſa teſte
Vne eſpouuentable creſte
Sur tous les autres ſoudars.
Ô noble, ô diuin chef d’euure
Des Dieus hauteins tous puiſſans,
Au moins meintenant deſcœuure
Tes yeus tous reſiouiſſans,
Pour voir ma Muſe animee,
Qui de ſa robuſte main
Hauſſera ta renommée,
Trop mieus que ce vieil Rommein,
Qui ſa demeure ancienne,
La terre Saturnienne
Delaiſſa pour ta beauté,
À fin qu’à toy rigoureuſe
Il fut hoſtie piteuſe
En ſa ferme loyauté.
La Muſe docte diuine
Du vieillard audacieus,
Par le vague s’achemine
Pour t’enleuer iuſqu’aus Cieus :
Mais la Parque naturelle
Dens les Iberiens chams
Courut deſemplumer l’aile
De ſes pleurs, & de ſes chants :
Enuoyant en ſa vieilleſſe,
Malſeant en ta ieuneſſe,
Son corps, au tombeau ombreus :
Et ſon ame enamouree
En l’obſcure demouree
Des Royaumes tenebreus.
Dieus des voûtes eſtoilees,
Qui en perdurable tour
Retiennent emmantelees
Les terres, tout à l’entour :
Permetez moy que ie viue
Des ans le cours naturel,
À fin qu’à mon gré i’eſcriue
En un ouurage eternel.
De cette noble Deeſſe
La beauté enchantereſſe,
Ce qu’elle ha bien mérité :
Et qu’en ſa gloire immortelle.
On voye esbahie en elle
Toute la poſterité.
Ainſi que Semiramide,
Qui feingnant eſtre l’enfant
De ſon mari, print la guide
Du Royaume trionfant,
Puis démantant la Nature
Et le ſexe féminin
Hazarda à l’auenture
Son corps iadis tant bénin.
Courant furieuſe en armes
Parmi les Mores gendarmes,
Et es Indiques dangers
De ſa rude ſimeterre
Renuerſant deſſus la terre
Les eſcadrons eſtrangers.
Ainſi qu’es Alpes cornues
(Qui, ſoit Hiuer ſoit Eſté,
Ont touſiours couuert de nues
Le front au Ciel arreſté)
On voit la ſuperbe teſte
D’un roc de[1]pins emplumé,
Rauie par la tempeſte
De ſon corps acoutumé,
En roullant par ſon orage
Froiſſer tout le labourage,
Des Beufs les âpres trauaus,
Ne laiſſant rien en ſa voye
Qu’en pièces elle n’enuoye,
Cherchant les profondes vaux :
Ou comme Penthaſilee,
Qui pour ſon ami Hector
Combatoit entremeſlee
Par les Grecs, ans cheueus d’or,
Ores de ſa roide lance
Enferrant l’un au trauers.
Or’ du branc en violance
Trebuchant l’autre à l’enuers :
Et ainſi que ces pucelles
Qui l’une de leurs mammelles
Se bruloient pour s’adeſtrer
Aus combas & entrepriſes
Aus bons guerroyeurs requiſes,
Pour l’ennemi rencontrer :
Louïze ainſi furieuſe
En laiſſant les habiz mols
Des femmes, & enuieuſe
De bruit, par les Eſpagnols
Souuent courut, en grand’ noiſe,
Et meint aſſaut leur donna,
Quand la ieuneſſe Françoiſe
Parpignan enuironna.
Là ſa force elle deſploye,
Là de ſa lance elle ploye
Le plus hardi aſſaillant :
Et braue deſſus la celle
Ne demontroit rien en elle
Que d’un cheualier vaillant.
Ores la forte guerriere
Tournait ſon deſtrier en rond :
Ores en une carriere
Eſſayoit s’il eſtoit pront ;
Branlant en flots ſon panache.
Soit quand elle ſe iouoit
D’une pique, ou d’une hache,
Chacun Prince la louoit ;
Puis ayant à la feneſtre
L’eſpee ceinte, à la deſtre
La dague, enrichies d’or,
En s’en allant toute armee
Ell’ ſembloit parmi l’armee
Vn Achile, ou un Hector.
L’orguilleus fils de Clymene
Nous peut bien auoir apris
Qu’il ne faut par gloire vaine
Qu’un grand trein ſoit entrepris.
L’entrepriſe qui eſt faite
Sans le bon conſeil des Dieus
N’a point, ainſi qu’on ſouhaite,
Son dernier efet ioyeus :
Ainſi cette belliqueuſe
Ne fut iamais orguilleuſe :
Telle au camp elle n’alla :
Ains ce fut à la priere
De Venus, ſa douce mere,
Qui un ſoir lui en parla.
Vn peu plus haut que la plaine,
Ou le Rone impetueus
Embraſſe la Sone humeine
De ſes grands bras tortueus,
De la mignonne pucelle
Le plaiſant iardin eſtoit.
D’une grâce & façon telle
Que tout autre il ſurmontoit :
En regardant la merueille
De la beauté nompareille
Dont tout il eſtoit armé,
Celui bien on l’uſt pù dire
Du iuſte Roy de Corcyre
En pommes tant renommé.
À l’entrée on voyoit d’herbes,
Et de thin verfloriſſant,
Les lis & croiſſans ſuperbes
De notre Prince puiſſant :
Et tout autour de la plante
De petits ramelets vers
De marioleine flairante
Eſtoient plantez ces ſix vers :
DV TRESNOBLE ROY DE FRANCE
LE CROISSANT NEVVE ACROISSANCE
DE IOVR EN IOVR REPRENDRA,
IVSQVES À TANT QVE SES CORNES
IOINTES SANS AVCVNES BORNES
EN VN PLEIN ROND IL RENDRA.
Tout autour eſtoient des treilles
Faites auec un tel art,
Qu’aucun n’uſt ſù ſans merueilles
Là eſpandre ſon regard :
La voûte en eſtoit ſacree
Au Dieu en Inde inuoqué,
Car elle eſtoit accoutrée
Du ſep au raiſin muſqué :
Les coulomnes bien polies
Eſtoient autour enrichies
De Romarins & Roſiers,
Leſquels faciles à tordre
S’entrelaſſoient en bel ordre
En mile neus fais d’oſiers.
Au milieu pour faire ombrage
Eſtoient meints arceaus couuers
De Coudriers, & d’un bocage
Fait de cent arbres diuers :
Là l’Oliue paliſſante
Qu’Athene tant reclama,
Et la branche verdiſſante
Qu’Apolon iadis ayma :
Là l’Arbre droit de Cibelle,
Et le ceruerin rebelle
Au plaiſir venerien :
Auec l’obſcure ramee
Par Phebe iadis formee
Du corps Cypariſſien.
Sous cette douce verdure,
Soit en la gaye ſaiſon.
Ou quand la triſte froidure
Nous renferme en la maiſon,
Tarins, Roſſignols, Linotes
Et autres oiſeaus des bois
Exercent en gayes notes
Les dous iargons de leurs voix :
Et la veſue tourterelle
Y pleint & pleure à par elle
Son amoureus tout le iour :
De ſa parole enrouee
À pleints & à pleurs vouee
Efroyant l’air tout autour.
Et à fin qu’à beauté telle
Rien manquer on ne puſt voir,
De la beauté naturelle
Qu’un beau iardin peut auoir,
Il y ut une fonteine,
Dont l’eau coulant contre val
En ſautant hors de ſa veine
Sembloit au plus cler criſtal :
Elle ne fut point ornee,
Ny autour enuironnee
De beaus mirtes Cipriens,
Ny de buis, ny d’aucun arbre,
Ny de ce precieus marbre
Qu’on taille es monts Pariens :
Mais elle eſtoit tapiſſee
Tout l’enuiron de ſes bors,
Ou ſon onde courroucee
Murmuroit ſes dous acors,
D’herbe touſiours verdoyante.
Peinte de diuerſes fleurs,
Qui en l’eau douſondoyante
Meſloient leurs belles couleurs.
Qui uſt regardé la teſte
D’un Narciſſe qui s’arreſte
Tout panchant le col ſur l’eau,
On uſt dit que ſon courage
Contemploit encor l’image
Qui trop & trop lui fut beau.
Auſſi par cette verdure
Eſtoit le iaune Souci,
Qui encor la peine dure
De ſes feus n’a adouci :
Ains touiours ſe vire & tourne
Vers ſon Ami qu’il veut voir,
Soit au matin, qu’il aiourne,
Ou quand il eſt près du ſoir.
Là auſſi eſtoient Brunettes,
Maſtis, damas, violettes
Çà & là ſans nul compas :
Auec la fleur, en laquelle
Hiacinte renouuelle
Son nom apres ſon treſpas.
Le ruiſſeau de cette ſourſe
À par foy s’ebanoyant,
D’une foible & lente courſe
Deça dela tournoyant
Faiſoit une protraiture
Du lieu ou fut renfermé
Le monſtre contre nature
En Paſiphaë formé :
Puis ſon onde entrelaſſee,
De longues erreurs laſſee
Par un beau pré s’eſpandoit :
Ou maugré toute froidure
Vne plaiſante verdure
Eternelle elle rendoit.
Titan laſſant ſa campagne
Peu à peu ſous nous couloit,
Et dens la tiède eau’ d’Eſpagne
Son char il deſateloit :
Quand en ce lieu de plaiſance
Louïze eſtoit pour un ſoir,
Qui cherchant reſiouiſſance
Près la font ſe vint aſſoir :
Elle ayant aſſez du pouce
Taté l’harmonie douce
De ſon lut, ſentant le ſon
Bien d’accord, d’une voix franche
Iointe au bruit de ſa main blanche,
Elle dit cette chanſon :
La forte Tritonienne,
Fille du Dieu Candien,
Et la vierge Ortygienne,
Seur du beau Dieu Cynthien,
Sont les deus ſeules Deeſſes
Ou i’ay mis tout mon deſir,
Et que ie fù pour maitreſſes
Des mon enfance choiſir.
Si Venus m’a rendu belle,
Et toute ſemblable qu’elle,
Auec ſa diuinité,
Que pourtant elle ne penſe,
Qu’en un ſeul endroit i’ofenſe
Ma chaſte virginité.
La pucelle Lionnoize
Fredonnant meints tons diuers,
Au ſon plein de douce noiſe,
N’ut deus fois chanté ces vers,
Qu’un ſommeil de courſe lente
Deſcendant parmi les Cieus,
Finit ſa voix excellente
Et ſon ieu melodieus.
Sur la verdure eſpandue
Tous dous il l’a eſtendue,
Flatant ſes membres diſpos :
Deſſus ſes yeus il ſe poſe,
Et tout ſon corps il arroſe
D’un treſgracieus repos.
En dormant tout deuant elle
Sa mere ſe preſenta,
En ſon beau viſage telle
Qu’alors qu’elle s’acointa
D’Anchiſe, pres du riuage
Du Simoent Phrygien :
Dont naquit le preus courage
Qui au camp Heſperien
Renouuella la memoire,
Et la trionfante gloire
Du ſang Troyen abatu.
Qui deuoit en rude guerre
Tout le grand rond de la Terre
Conquérir par ſa vertu.
Ell’ regarde par merueille
Son viſage nompareil,
Son haut front, ſa ronde oreille.
Son teint freſchement vermeil,
Le vif coral de ſa bouche.
Ses ſourcis tant gracieus,
Que doucement elle touche
Pour voir les rais de ſes yeus :
Non ſans contempler encore
Celle beauté qui decore
La rondeur de ſon tetin,
Qui ni plus ni moins ſoupire
Qu’au printems le dous Zephire
Alenant l’air du matin.
Apres que la Cyprienne
Vt ſon regard contenté,
Voyant de la fille ſienne
La plus qu’humeine beauté,
Esbahie en ſon courage
De ſa grand’ perfeccion,
Elle augmenta dauantage
Vers ell’ ſon afeccion :
Puis toute gaye & ioyeuſe,
D’une voix treſgracieuſe,
Pour deſcouurir ſon ſouci.
Tenant les vermeilles roſes
De ſa bouche un peu deſcloſes
Elle parola ainſi :
Les Dieus n’ont voulu permettre
Aus vains penſers des mortels,
Que d’eus ils ſe puſſent mettre
À fin : bien que leurs autels
Soient tous couuers de fumee,
Ou pour gaigner leur faueur
Ou pour leur ire animee
Faire tourner en douceur,
Tous les veus pas ils n’entendent
Qui deuant leurs yeus ſe rendent :
Ains les ont à nonchaloir.
Veu ni priere qu’on face
N’y font rien, ſi de leur grâce
Ils n’ont un meſme vouloir,
Que penſes tu fille chere,
Penſes tu bien reſiſter
Contre les dars de ton frere
S’il lui plait t’en moleſter ?
Il ſcet domter tout le monde
De ſon arc audacieus :
L’Ocean, la Terre ronde,
L’Air, les Enfers, & les Cieus.
Onq fille n’ut la puiſſance
De lui faire reſiſtance,
Et ſes fiers coups ſoutenir :
Mais ie te veus faire entendre
Pourquoy i’ay voulu deſcendre
Du Ciel, pour à toy venir.
Les hommes pleins d’ignorance,
Citoyens de ces bas lieus,
Te penſent de leur ſemence,
Et non de celle des Dieus :
Mais par trop ils ſe deçoiuent
(Bien qu’ils le tiennent pour ſeur)
Et aſſez ils n’aperçoiuent
De ta beauté la grandeur.
Qui dirait, voyant ta face,
Que tu fuſſes de la race
D’un homme ſimple & mortel ?
La Terre ſale & immunde,
Ne ſauroit aus yeus du monde
De ſoy produire riens tel.
Tout ainſi la beauté rare
D’Heleine, chacun penſoit
Engendree de Tyndare :
Car on ne la connoiſſoit.
Toutefois ſi eſtoit elle
Fille du Dieu haut tonnant,
Qui ſa maiſon ſupernelle.
Le haut Ciel, abandonnant,
Atourné d’un blanc plumage,
Semblant l’Oiſeau qui preſage.
En chantant, ſa proche mort,
En Lede fille de Theſte
De ſa ſemence celeſte,
La conçut par ſon effort,
Auecques deus vaillans freres,
Dont l’un alaigre eſcrimeur
Domta les menaſſes fieres,
Et la trop âpre rigueur
Du cruel Roy de Bebrice,
Acoutumé d’outrager
Et meurtrir par ſa malice
Chacun ſoudart eſtranger :
L’autre de hardi courage,
Inuenta premier l’uſage
De ioindre au char le courſier :
Ou il ſe roula grand’ erre,
Effroyant toute la terre
Des deus ronds bornez d’acier.
Ainſi, bien qu’on ne te donne
L’honneur d’eſtre de mon ſang,
Et du fier Dieu qui ordonne
Les puiſſans ſoudars en rang,
Si m’eſt ce choſe aſſeuree,
Que de Gradiue le fort
En moy tu fus engendree,
Ioingnant le gracieus bord,
Ou la Sone toute quoye
Fait une paiſible voye
S’en allant fendre Lion :
Dens lequel on voit encore
Vn mont[2], ou lon me décore,
Qui retient de moy ſon nom.
Le lieu ou tu fus conçue
Ne fut vile ny chateau,
Ains une foreſt tiſſue
De meint plaiſant arbriſſeau,
Dont ie veus (en témoignage
De ta race) te pouruoir,
Ainſi que d’un heritage
Que ie tiens en mon pouuoir.
Là autour ſont meintes plaines,
Eſquelles les blondes graines
De Ceres pourras cueillir,
Et la liqueur qui agree
À Bachus, & meinte pree
Ou l’herbe ne peut faillir.
Là auſſi font meints bocages
Deça delà eſpandus.
Ou en tout tems les ramages
Des Oiſeaus ſont entendus.
Parfois tu y pourras tendre
Le ret rare, à ton deſir,
Et quelque gibier y prendre
Pour acroitre ton plaiſir :
Ou t’exerçant à la chaſſe
Tu pourſuiuras à la trace
Les Lieures fuians de peur,
De chiens autour toute armee,
Vagans deſſous la ramee,
Se guidans à la ſenteur.
Et ſi par trop tu te peines
En trop violent effort,
De meintes cleres fonteines
Tu pourras auoir confort :
L’eau ſortante de leur ſourſe
Tes membres refreſchira,
Et la murmurante courſe
À ſon bruit t’endormira :
Apres chargee de proye,
Tu te pourras mettre en voye
Pour à ton château tourner,
Qu’en brief batir ie veus faire,
Sufiſant pour te complaire
S’il te plait y ſeiourner.
Sur tout (fille) ie t’auiſe,
Que d’un cœur tant odieus
Ton frère tu ne meſpriſe,
C’eſt le plus puiſſant des Dieus.
En ta beauté excellente
Meint homme il rendra tranſi,
Mais ſa main ne ſera lente
À te tourmenter auſſi.
Prens bien à ce propos garde,
Car ia deſia il te darde
Son tret âpre & rigoureus :
Dont il t’abatra par terre,
Rendant d’un homme de guerre
Ton tendre cœur amoureus.
En ce il prendra bien vengeance
Du bon Poëte Rommain,
Auquel ſans nulle allégeance
Ton cœur eſt trop inhumein.
Bien prendra à ta ieuneſſe
Auoir apris à ſoufrir
Des durs harnois la rudeſſe,
Et à meint trauail s’ofrir :
Souuent ſeras rencontrée
Depuis la tarde veſpree
Iuſqu’au point du prochein iour,
Parmi les bois languiſſante,
Et tendrement gemiſſante
La grand’ cruauté d’Amour.
Alors pour eſtre aſſeuree
Point en femme tu n’iras,
Ains d’une lance paree
Cheualier tu te diras.
Ia en ton harnois brauante
Ie te regarde aſſaillir
Meint cheualier, qui ſe vante
Hors de l’arçon te ſaillir :
Puis dextrement apreſtee,
Ayant ta lance arreſtee,
Le deſarçonner en bas,
Lui tout froiſse, à grand’ peine
Leuer ſon arme incerteine,
Chancelant à chacun pas.
À ſi grans trauaus ton frere
Durement te contreindra,
Iuſqu’à ce qu’à la première
Liberté il te rendra :
Alors laiſſant les alarmes.
Et les hazars perilleus,
Tu rueras ius les armes,
Et le courage orguilleus,
Dont tu ſoulois mettre en terre
Meint vaillant homme de guerre
Renuersé ſous ſon eſcu,
Qui repentant en ſa face
De ſa première menaſſe
Tout haut ſe crioit vaincu.
Donq laiſſant dague & eſpee
Ton habit tu reprendras,
À plus dous ieus ocupee
Ton dous lut tu retendras :
Et lors meints nobles Poëtes,
Pleins de celeſtes eſprits,
Diront tes grâces parfaites
En leurs treſdoctes eſcriz :
Marot, Moulin, la Fonteine,
Auec la Muſe hauteine
De ce Sceue avdacieus,
Dont la tonnante parole.
Qui dens les Aſtres carole,
Semble un contrefoudre es Cieus
Toutefois leur fantaſie
Ton loz point tant ne dira,
Comme d’un la Poëſie,
Qui de l’onde ſortira.
Du petit Clan, dont la riue
Priuee de flots irez
Ha en tout tems l’herhe viue
Autour des bors retirez.
De cil la Muſe nouvelle
Rendra ta grace immortelle :
Du Ciel il eſt ordonné
Qu’à lui le bruit de la gloire
De t’auoir miſe en mémoire,
Entierement ſoit donné.
Qu’à ton cœur touſiours agree
Du Poëte le labeur :
Son eſcriture eſt ſacree
À tout immortel bonheur.
Ayant qui ton loz eſcriue,
Mourir ne peus nullement :
Ainſi Laure, ainſi Oliue
Viuent eternellement.
Vn Bouchet en façon telle,
Met en memoire immortelle
De ſon Ange le beau nom :
Sacrant l’Angelique face,
Sa beauté, ſa bonne grace,
Au temple du ſaint renom.
À tant la Deeſſe belle
Mit fin à ſon dous parler :
Son chariot elle atelle
Toute preſte à s’en voler :
Les mignonnes colombelles
Par le vague doucement
Eſbranlent leurs blanches eſles
D’un paiſible mouuement.
Louïze eſtant eſueillee
Reſta toute eſmerueillee
De la ſainte viſion ;
Ignorante ſi ſon ſonge
Eſt verité ou menſonge.
Ou quelque autre illuſion.
Son corps droit, ſa bonne grâce,
Son dur teton, ſes beaus yeus,
Les diuins traits de ſa face,
Son port, ſon ris gracieus.
Le front ſerein, la main belle,
Le ſein comme albaſtre blanc
Montrent euidemment qu’elle
Sortit du Ciprien flanc.
Puis ſa vaillance & proueſſe,
Son courage, ſon adreſſe,
Et la force du bras ſien
De grand heur acompagnee,
La montrent de la lignee
Du Gradiue Thracien.
Mais d’autre part, ſa doctrine,
Sa ſageſſe, ſon ſauoir,
La penſee aus arts encline
Autant qu’autre onq put auoir ;
Les vers doctes quelle acorde.
En les chantant de ſa voix,
À l’harmonieuſe corde,
Fretillante ſous ſes doits :
Et la chaſteté fidelle,
Qui touſiours eſt auec elle,
Nous rendent quaſi tous ſeurs
Qu’elle ut la naiſſance ſienne
De la couple Cynthienne,
Ou de l’une des neuf Seurs.
Toutefois il nous faut croire
Ce que nous diſent les Dieus,
Qui par la nuitee noire
Se montrent aus dormans yeus.
Ainſi Hector à Enee
En un ſonge s’aparut.
Et la ſienne deſtinee
En ſonge il lui diſcourut.
Souuent la future choſe
Du ſain eſprit qui repoſe
Eſt preuuë de bien loin :
Ce ſonge preſque incroyable,
Qui après fut veritable,
En pourra eſtre témoin.
Mais il eſt tems douce Lire,
Que tu ceſſes tes acors.
Si aſſez tu n’as pù dire,
Si as tu fait tes effors.
Celle harpe Methimnoiſe,
Qui peut la mer eſmouuoir,
N’ut la Ninfe Lionnoize
Chanté ſelon ſon deuoir :
Non pas toute la Muſique
De celle bende Lirique
Qui (longtems ha) floriſſoit
En la Grece : qui meint Prince,
Meint pais, meinte Prouince,
De ſon chant reſiouiſſoit.