Œuvres de Louise Labé, édition Boy, 1887/I/05

Texte établi par Charles Boy, Alphonse Lemerre, éditeur (p. 93-107).

SONNETS

I.



Non hauria Vlyſſe o qualunqu’altro mai
Piu accorto fù, da quel diuino aſpetto
 Pien di grade, d’honor & di riſpetto
 Sperato quai i ſento aſſanni e guai.
Pur, Amor, co i begli ochi tu fatt’hai
 Tal piaga dentro al mio innocente petto,
 Di cibo & di calor gia tuo ricetto,
 Che rimedio non v’e ſi tu no’l dai.
Ô forte dura, che mi fa eſſer quale
 Punta d’un Scorpio, & domandar riparo
 Contr’ el velen’ d’all’ iſteſſo animale.
Chieggio li ſol’ ancida queſta noia,
 Non eſtingua el deſir à me ſi caro,
 Che mancar non potra ch’ i non mi muoia.

II.

Ô beaus yeus bruns, ô regars deſtournez,
 Ô chaus ſoupirs, ô larmes eſpandues,
 Ô noires nuits vainement atendues,
 Ô iours luiſans vainement retournez :
Ô triſtes pleins, ô deſirs obſtinez,
 Ô tems perdu, ô peines deſpendues,
 Ô mile morts en mile rets tendues,
 Ô pires maus contre moy deſtinez.
Ô ris, ô front, cheueus, bras, mains & doits :
 Ô lut pleintif, viole, archet & vois :
 Tant de flambeaus pour ardre une femmelle !
De toy me plein, que tant de feus portant,
 En tant d’endrois d’iceus mon cœur tatant.
 N’en eſt ſur toy volé quelque eſtincelle.

III.

Ô longs deſirs, Ô eſperances vaines,
 Triſtes ſoupirs & larmes coutumieres
 À engendrer de moy maintes riuieres,
 Dont mes deus yeus ſont ſources & fontaines :
Ô cruautez, ô durtez inhumaines,
 Piteus regars des celeſtes lumieres :
 Du cœur tranſi ô paſſions premieres,
 Eſtimez vous croitre encore mes peines ?
Qu’encor Amour ſur moy ſon arc eſſaie,
 Que nouueaus feus me gette & nouueaus dars :
 Qu’il ſe deſpite, & pis qu’il pourra face :

Car ie ſuis tant nauree en toutes pars,
 Que plus en moy une nouuelle plaie,
 Pour m’empirer ne pourroit trouuer place.

IIII.

Depuis qu’Amour cruel empoiſonna
 Premièrement de ſon feu ma poitrine,
 Touſiours brulay de ſa fureur diuine,
 Qui un ſeul iour mon cœur n’abandonna.
Quelque trauail, dont aſſez me donna,
 Quelque menaſſe & procheine ruïne :
 Quelque penſer de mort qui tout termine,
 De rien mon coeur ardent ne s’eſtonna.
Tant plus qu’Amour nous vient fort aſſaillir,
 Plus il nous fait nos forces recueillir,
 Et touſiours frais en ſes combats fait eſtre :
Mais ce n’eſt pas qu’en rien nous fauoriſe,
 Cil qui les Dieus & les hommes meſpriſe :
 Mais pour plus fort contre les fors paroitre.

V.

Clere Venus, qui erres par les Cieus,
 Entens ma voix qui en pleins chantera.
 Tant que ta face au haut du Ciel luira,
 Son long trauail & ſouci ennuieus.
Mon œil veillant s’atendrira bien mieus,
 Et plus de pleurs te voyant gettera.
 Mieus mon lit mol de larmes baignera,
 De ſes trauaus voyant témoins tes yeus.

Donq des humains ſont les laſſez eſprits
 De dous repos & de ſommeil eſpris.
 I’endure mal tant que le Soleil luit :
Et quand ie ſuis quaſi toute caſſee,
 Et que me ſuis miſe en mon lit laſſee,
 Crier me faut mon mal toute la nuit.

VI.

Deus ou trois fois bienheureus le retour
 De ce cler Aſtre, & plus heureus encore
 Ce que ſon œil de regarder honore.
 Que celle là receuroit un bon iour,
Qu’elle pourrait ſe vanter d’un bon tour
 Qui baiſeroit le plus beau don de Flore,
 Le mieus ſentant que iamais vid Aurore,
 Et y ferait ſur ſes leures ſeiour !
C’eſt à moy ſeule à qui ce bien eſt du,
 Pour tant de pleurs & tant de tems perdu :
 Mais le voyant, tant lui feray de feſte,
Tant emploiray de mes yeus le pouuoir,
 Pour deſſus lui plus de crédit auoir,
 Qu’en peu de temps feray grande conqueſte.

VII.

On voit mourir toute choſe animée,
 Lors que du corps l’ame ſutile part :
 Ie ſuis le corps, toy la meilleure part :
 Ou es tu donq, ô ame bien aymee ?

Ne me laiſſez par ſi long temps pàmee,
 Pour me ſauuer après viendrois trop tard.
 Las, ne mets point ton corps en ce hazart :
 Rens lui ſa part & moitié eſtimee.
Mais fais, Ami, que ne ſtit dangereuſe
 Cette rencontre & reuuë amoureuſe,
 L’accompagnant, non de ſeuerite,
Non de rigueur : mais de grâce amiable,
 Qui doucement me rende ta beaute,
 Iadis cruelle, à prefent ſauorable.

VIII.

Ie vis, ie meurs : ie me brule & me noye.
 I’ay chaut eſtreme en endurant froidure :
 La vie m’eſt & trop molle & trop dure,
 I’ay grans ennuis entremeſlez de ioye :
Tout à un coup ie ris & ie larmoye,
 Et en plaiſir maint grief tourment i’endure :
 Mon bien s’en va, & à iamais il dure :
 Tout en un coup ie ſeiche & ie verdoye.
Ainſi Amour inconſtamment me meine :
 Et quand ie penſe auoir plus de douleur,
 Sans y penſer ie me treuue hors de peine.
Puis quand ie croy ma ioye eſtre certeine,
 Et eſtre au haut de mon deſiré heur,
 Il me remet en mon premier malheur.

IX.

Tout auſſi tot que ie commence à prendre
 Dens le mol lit le repos deſiré,
 Mon triſte eſprit hors de moy retiré
 S’en va vers toy incontinent ſe rendre.
Lors m’eſt auis que dedens mon ſein tendre
 Ie tiens le bien, ou i’ay tant aſpiré.
 Et pour lequel i’ay ſi haut ſouſpire,
 Que de fanglots ay ſouuent cuidé fendre.
Ô dous ſommeil, ô nuit à moy heureuſe !
 Plaiſant repos, plein de tranquilité,
 Continuez toutes les nuiz mon ſonge :
Et ſi iamais ma poure ame amoureuſe
 Ne doit auoir de bien en vérité.
 Faites au moins qu’elle en ait en menſonge.

X.

Quand i’aperçoy ton blond chef couronné
 D’un laurier verd, faire un Lut ſi bien pleindre,
 Que tu pourrois à te ſuiure contreindre
 Arbres & rocs : quand ie te vois orné.
Et de vertus dix mile enuironné,
 Au chef d’honneur plus haut que nul ateindre :
 Et des plus hauts les louenges eſteindre :
 Lors dit mon cœur en ſoy paſſionné :

Tant de vertus qui te font eſtre aymé,
 Qui de chacun te font eſtre eſtimé,
 Ne te pourroient auſſi bien faire aymer ?
Et aioutant à ta vertu louable
 Ce nom encor de m’eſtre pitoyable.
 De mon amour doucement t’enflamer ?

XI.

Ô dous regars, ô yeus pleins de beauté,
 Petis iardins, pleins de fleurs amoureuſes
 Ou ſont d’Amour les fleſches dangereuſes.
 Tant à vous voir mon œil s’eſt arreſté !
Ô cœur félon, ô rude cruauté,
 Tant tu me tiens de façons rigoureuſes.
 Tant i’ay coulé de larmes langoureuſes.
 Sentant l’ardeur de mon cœur tourmenté !
Donques, mes yeus, tant de plaiſir auez,
 Tant de bons tours par ſes yeus receuez :
 Mais toy, mon cœur, plus les vois s’y complaire,
Plus tu languiz, plus en as de ſouci,
 Or deuinez ſi ie ſuis aiſe auſſi,
 Sentant mon œil eſtre à mon cœur contraire.

XII.

Lut, compagnon de ma calamité.
 De mes ſoupirs témoin irréprochable.
 De mes ennuis controlleur veritable.
 Tu as ſouuent auec moy lamenté :

Et tant le pleur piteus t’a moleſté,
 Que commençant quelque ſon delectable,
 Tu le rendois tout ſoudein lamentable,
 Feignant le ton que plein auoit chanté.
Et ſi te veus efforcer au contraire.
 Tu te deſtens & ſi me contreins taire :
 Mais me voyant tendrement ſoupirer,
Donnant faueur à ma tant triſte pleinte :
 En mes ennuis me plaire ſuis contreinte.
 Et d’un dous mal douce fin eſperer.

XIII.

Oh ſi i’eſtois en ce beau ſein rauie
 De celui là pour lequel vois mourant :
 Si auec lui viure le demeurant
 De mes cours iours ne m’empeſchoit enuie :
Si m’acollant me diſoit, chère Amie,
 Contentons nous l’un l’autre, s’aſſeurant
 Que ia tempeſte, Euripe, ne Courant
 Ne nous pourra deſioindre en notre vie :
Si de mes bras le tenant acollé,
 Comme du Lierre eſt l’arbre encercelé,
 La mort venait, de mon aiſe enuieuſe :
Lors que ſouef plus il me baiſeroit.
 Et mon eſprit ſur ſes leures fuiroit.
 Bien ie mourrois, plus que viuante, heureuſe.

XIIII.

Tant que mes yeus pourront larmes eſpandre,
 À l’heur paſsé auec toy regretter :
 Et qu’aus ſanglots & ſoupirs reſiſter
 Pourra ma voix, & un peu faire entendre :
Tant que ma main pourra les cordes tendre
 Du mignart Lut, pour tes grâces chanter :
 Tant que l’eſprit ſe voudra contenter
 De ne vouloir rien fors que toy comprendre :
Ie ne ſouhaitte encore point mourir.
 Mais quand mes yeus ie ſentiray tarir,
 Ma voix caſſee, & ma main impuiſſante,
Et mon eſprit en ce mortel ſeiour
 Ne pouuant plus montrer ſigne d’amante :
 Priray la Mort noircir mon plus cler iour.

XV.

Pour le retour du Soleil honorer,
 Le Zephir, l’air ſerein lui apareille :
 Et du ſommeil l’eau & la terre eſueille,
 Qui les gardoit l’une de murmurer
En dous coulant, l’autre de ſe parer
 De mainte fleur de couleur nompareille.
 Ia les oiſeaus es arbres font merueille,
 Et aus paſſans font l’ennui moderer :

Les Nynfes ia en mile ieus s’esbatent
 Au cler de Lune, & danſans l’herbe abatent :
 Veut tu Zephir de ton heur me donner,
Et que par toy toute me renouuelle ?
 Fay mon Soleil deuers moy retourner.
 Et tu verras s’il ne me rend plus belle.

XVI.

Apres qu’un tems la greſle & le tonnerre
 Ont le haut mont de Caucaſe batu,
 Le beau iour vient, de lueur reuétu.
 Quand Phebus ha ſon cerne fait en terre,
Et l’Océan il regaigne à grand erre :
 Sa ſeur ſe montre auec ſon chef pointu.
 Quand quelque tems le Parthe ha combatu,
 Il prent la fuite & ſon arc il deſſerre.
Vn tems t’ay vù & conſolé pleintif,
 Et defiant de mon feu peu hatif :
 Mais maintenant que tu m’as embraſee.
Et ſuis au point auquel tu me voulois.
 Tu as ta flame en quelque eau arroſee.
 Et es plus froit qu’eſtre ie ne ſoulois

XVII.

Ie fuis la vile, & temples, & tous lieus,
 Eſquels prenant plaiſir à t’ouir pleindre,
 Tu peus, & non ſans force, me contreindre
 De te donner ce qu’eſtimois le mieus.

Maſques, tournois, ieus me ſont ennuieus.
 Et rien ſans toy de beau ne me puis peindre :
 Tant que tachant à ce deſir eſteindre,
 Et un nouuel obget faire à mes yeus.
Et des penſers amoureus me diſtraire,
 Des bois eſpais ſui le plus ſolitaire :
 Mais i’aperçoy, ayant erré maint tour,
Que ſi ie veus de toy eſtre deliure.
 Il me conuient hors de moymeſme viure,
 Ou fais encor que loin ſois en ſeiour.

XVIII.

Baiſe m’encor, rebaiſe moy & baiſe :
 Donne m’en un de tes plus ſauoureus,
 Donne m’en un de tes plus amoureus :
 Ie t’en rendray quatre plus chaus que braiſe.
Las, te pleins tu ? ça que ce mal i’apaiſe.
 En t’en donnant dix autres doucereus.
 Ainſi meſlans nos baiſers tant heureus
 Iouiſſons nous l’un de l’autre à notre aiſe.
Lors double vie à chacun en ſuiura.
 Chacun en ſoy & ſon ami viura.
 Permets m’Amour penſer quelque folie :
Touſiours ſuis mal, viuant diſcrettement,
 Et ne me puis donner contentement,
 Si hors de moy ne fay quelque ſaillie.

XIX.

Diane eſtant en l’eſpeſſeur d’un bois,
 Apres auoir mainte beſte aſſenee.
 Prenait le frais, de Nynfes couronnée :
 I’allois reſuant comme fay maintefois,
Sans y penſer : quand i’ouy une vois,
 Qui m’apela, diſant, Nynfe eſtonnee,
 Que ne t’es tu vers Diane tournee ?
 Et me voyant ſans arc & ſans carquois,
Qu’as tu trouué, ô compagne, en ta voye,
 Qui de ton arc & fleſches ait fait proye ?
 Ie m’animay, reſpons ie, à un paſſant.
Et lui getay en vain toutes mes fleſches
 Et l’arc après : mais lui les ramaſſant
 Et les tirant me fit cent & cent breſches.

XX.

Predit me fut, que deuois fermement
 Vn iour aymer celui dont la figure
 Me fut deſcrite ; & ſans autre peinture
 Le reconnu quand vy premierement :
Puis le voyant aymer fatalement,
 Pitié ie pris de ſa triſte auenture :
 Et tellement ie forcay ma nature.
 Qu’autant que lui aymay ardentement.

Qui n’uſt pensé qu’en faueur deuoit croître
 Ce que le Ciel & deſtins firent naitre ?
 Mais quand ie voy ſi nubileus aprets,
Vents ſi cruels & tant horrible orage :
 Ie croy qu’eſtoient les infernaus arrets.
 Qui de ſi loin m’ourdiſſoient ce naufrage.

XXI.

Quelle grandeur rend l’homme venerable ?
 Quelle groſſeur ? quel poil ? quelle couleur ?
 Qui eſt des yeus le plus emmieleur ?
 Qui fait plus tot une playe incurable ?
Quel chant eſt plus à l’homme conuenable ?
 Qui plus pénètre en chantant ſa douleur ?
 Qui un dous lut fait encore meilleur ?
 Quel naturel eſt le plus amiable ?
Ie ne voudrois le dire aſſurément,
 Ayant Amour forcé mon iugement :
 Mais ie ſay bien & de tant ie m’aſſure.
Que tout le beau que l’on pourroit choiſir.
 Et que tout l’art qui ayde la Nature,
 Ne me ſauroient acroitre mon deſir.

XXII.

Luiſant Soleil, que tu es bien heureus,
 De voir touſiours de t’Amie la face :
 Et toy, ſa ſeur, qu’Endimion embraſſe.
 Tant te repais de miel amoureus.

Mars voit Venus : Mercure auentureus
 De Ciel en Ciel, de lieu en lieu ſe glaſſe :
 Et Iupiter remarque en mainte place
 Ses premiers ans plus gays & chaleureus.
Voilà du Ciel la puiſſante harmonie,
 Qui les eſprits diuins enſemble lie :
 Mais s’ils auoient ce qu’ils ayment lointein.
Leur harmonie & ordre irreuocable
 Se tournerait en erreur variable,
 Et comme moy trauailleroient en vain.

XXIII.

Las ! que me ſert, que ſi parfaitement
 Louas iadis & ma treſſe dorée.
 Et de mes yeus la beauté comparee
 À deux Soleils, dont Amour finement
Tira les trets cauſez de ton tourment ?
 Ou eſtes vous, pleurs de peu de duree ?
 Et Mort par qui deuoit eſtre honorée
 Ta ferme amour & itéré ſerment ?
Donques c’eſtoit le but de ta malice
 De m’aſſeruir ſous ombre de ſeruice ?
 Pardonne moy, Ami, à cette fois,
Eſtant outrée & de deſpit & d’ire :
 Mais ie m’aſſure, quelque part que tu ſois,
 Qu’autant que moy tu ſoufres de martire.

XXIIII.

Ne reprenez, Dames, ſi i’ay aymé :
 Si i’ay ſenti mile torches ardantes,
 Mile trauaus, mile douleurs mordantes :
 Si en pleurant, i’ay mon tems conſumé,
Las que mon nom n’en ſoit par vous blamé.
 Si i’ay failli, les peines ſont preſentes,
 N’aigriſſez point leurs pointes violentes :
 Mais eſtime qu’Amour, à point nommé,
Sans votre ardeur d’un Vulcan excuſer,
 Sans la beauté d’Adonis acuſer.
 Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuſes :
En ayant moins que moy d’ocaſion,
 Et plus d’eſtrange & forte paſſion.
 Et gardez vous d’eſtre plus malheureuſes.


fin des evvres de lovïze
labe’ lionnoize.