Œuvres de La Rochefoucauld - T.1/Appendice
APPENDICE.
NOTICE.
Ce Discours[1], placé en tête de la première édition des Maximes (1665), et supprimé dès la seconde (1666), a été attribué jusqu’ici à Segrais, mais nous croyons pouvoir établir que c’est sans fondement. M. Boutron-Charlard, dont le riche cabinet est libéralement ouvert à tous les gens d’étude, possède un exemplaire de la première édition des Maximes, lequel a appartenu à Walckenaer. Sur le feuillet de garde on trouve, de la main même du savant biographe, une note dont nous extrayons ce qui concerne le discours dont il s’agit :
« Dans la Promenade de Saint-Cloud (par Gabriel Gueret), composée, je crois, vers 1669[2] (Mémoires de Brueys, 1751, in-12, tome II, p. 225), un des interlocuteurs dit : « Plût à Dieu que cette envie prit à la Chapelle, ou à quelque auteur de sa force ! » À quoi l’autre (Cléante) répond : « Si je ne me trompe, il y a deux beaux esprits de ce même nom ; mais je ne pense pas que vous entendiez parler de l’auteur de la préface des Maximes de M. D. L. R. (M. de la Rochefoucauld), car il me semble que celui-là n’est pas encore assez connu dans le monde, et que même cette préface n’est pas une pièce à donner une grande réputation à sa plume. Je sais bien au moins que le libraire[3] s’est imaginé qu’elle portoit malheur à son livre, et je me souviens qu’en l’achetant, il me fit remarquer, comme une circonstance de la bonté du volume, que la préface n’y étoit plus. » Ainsi, conclut Walckenaer, le Discours sur les Maximes de la Rochefoucauld est de la Chapelle, et non de Segrais. »
Peut-être se prononce-t-il un peu trop vite, sur une seule information, qu’il ne confirme par aucune autre preuve ; cependant, si l’on se rappelle que la mode était de tout attribuer à Segrais, même Zaïde, et la Princesse de Clèves ; si l’on considère qu’on ne retrouve nulle part l’origine de l’attribution qui lui est faite de ce Discours ; si l’on remarque que la Rochefoucauld a, en effet, supprimé assez, dédaigneusement cette apologie, comme il l’appelle[4], et qu’il n’eût pas traité avec si peu de façon un homme aussi considérable que l’était Segrais, un homme qui était d’ailleurs son ami, aussi bien que l’ami de Mme de la Fayette, et qui ne cessa pas de l’être, même après la suppression de cette pièce ; si l’on remarque en outre que telle était alors la réputation de cet écrivain, qu’un écrit de sa main ne pouvait être soupçonné de porter malheur à un livre ; si l’on remarque enfin que ce morceau, pour n’être pas sans mérite, est cependant bourré de citations trop pédantes[5], même pour Segrais, il faut avouer que le témoignage de Gueret mérite déjà quelque considération.
D’un autre côté, en tenant compte des dates, il ne paraît guère possible que Segrais fût l’auteur du travail dont il est question. Bien que la 1re édition, à laquelle il était destiné, n’ait paru qu’en 1665, l’Achevé d’imprimer est à la date du 27 octobre 1664, et le Permis remonte au 14 janvier de la même année[6]. Il y a donc grande apparence que le Discours fut écrit dans la première moitié de l’année 1664 ; or Segrais partageait alors l’exil de Mademoiselle de Montpensier, en province, à Saint-Fargeau, d’où il ne revint avec elle que vers la seconde quinzaine de juin[7], alors que l’ouvrage devait être déjà sous presse. Sans doute, il ne serait pas absolument impossible que, de juin à
octobre, Segrais se fût mis a l’œuvre ; il ne serait pas impossible même qu’il eût fait le travail avant son départ de Saint-Fargeau ; mais outre que la chose est peu probable, comment s’expliquer qu’il n’en soit fait mention ni dans les Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, ni dans les Mémoires de Segrais lui-même ? Il faut noter d’ailleurs que la liaison entre Segrais et la Rochefoucauld ne s’établit d’une manière suivie qu’après la seconde rentrée de Mademoiselle de Montpensier à Paris, c’est-à-dire après juin 1664, et que cette liaison ne prit le caractère de l’intimité qu’au moment où Segrais, brouillé avec Mademoiselle, vint habiter chez Mme de la Fayette, au mois de mars 1671.
À ces présomptions contre Segrais, nous ajoutons une preuve en faveur de la Chapelle. Nous la tirons d’une lettre inédite[8], que l’on trouvera parmi les autres lettres de notre auteur[9], mais dont nous devons reproduire ici, en les soulignant, les principaux passages, parce que, à notre avis, ils tranchent la question.
Le 12 juillet (1666)[10], la Rochefoucauld écrit au P. Rapin[11] : « Ce n’est pas assez pour moi de tout ce que nous disions hier : il me vient à tous moments des scrupules, et l’on ne sauroit jamais avoir trop de délicatesse pour un ami du prix de M. de la Chapelle ; c’est pourquoi, mon très-révérend Père, je vous supplie très-humblement de vous mettre précisément en ma place, et de vouloir être mon directeur pour tout ce que je dois à notre ami, avec autant d’exactitude que vous en avez pour les consciences. N’ayez, s’il vous plaît, aucun égard à l’intérêt des Maximes, et ne songez qu’à ne me laisser manquer à rien vers l’homme du monde à qui je veux le moins manquer, etc., etc. »
Après le témoignage de Gueret, il nous semble que nous avons ici plus qu’un commencement de preuve, et qu’on peut, sans abuser de l’induction, commenter ainsi cette lettre : en 1665, ou plutôt en 1664 (voyez à la page Précédente), pour répondre aux nombreuses objections qu’avait déjà soulevées le livre, même avant la publication[12], la Rochefoucauld accepte la plume de la Chapelle, offerte par un ami commun, le P. Rapin. Dès la seconde édition 354 APPENDICE. (i6fi6), le succfs de l’ouvrage assuré, l’autnir des Maximes veut se défaire triine apologie qui lui paraît désormais inutile, et qui n’avait été d’ailleurs qu’assez peu goûtée; mais, au moment de prendre ce parti, il lui vient des scrupules, et il est prêt à sacrifier Vintcrét même des Maximes plutôt que de manquer à M. de la Chapelle et, par conséquent, au P. Rapin lui-même. Il semble demander à l’un et à l’autre un consenicment, qu’il obtint sans doute, car le morceau a été supprimé dans les quatre éditions suivantes. Il faut croire cependant que la Cbapellc tenait à sa pièce d’éloquence, car dès l’édition de iCif)"}, la première qui ait été pui)liée après la mort de la Rochefoucauld, on voit reparaihe le Discours en tête des Maximes, retouclic et abrégé, saas doute par l’auteur Ini-mème, sur la demande de l’éditeur Barbin. Mais quel est ce la Chapelle? Sans compter le joyeux collaborateur de Bacbaumont, qu’on appelait souvent la Chapelle, il y eut au dix-septième siècle, comme le dit Gueret, deux écrivains de ce nom. Le plus connu ou le moins inconnu ^es deux, c’est Jean de la Chapelle, qui fut nommé membre de l’Académie française, après l’exclusion de Furetière ; mais il ne saurait être ici question de lui, car né à Bourges en i655, il n’avait que neuf ans lorsque fut écrit le morceau qui nous occupe’. Tout ce qu’on sait de l’autre, le seul que Gueret puisse désigner comme l’auteur du Discours, c’est qu’il s’appelait Henri de Bessé ou de Besset, sieur de la Chapelle-’Mion, et qu’il fut inspecteur de& beaux-arts sous Edouard Colbert, marquis de Villacerf, surintendant général des bâtiments du Roi, des arts et des manufactures de France^. Des divers ouvrages que ce dernier la Chapelle a dû composer, !Moréri, à l’article Cha- pelle (Claude-Emmanuel Luillier), ne mentionne qu’une Relation des cam- pagnes de Rocroy el de Frilourg ^. Dans les observations qui précèdent, nous penserions avoir définitivement restitué le Discours à son véritable auteur*, si nous ne trouvions dans le P. Bouhours le témoignage suivant, qui nous parait propre à laisser encore quel- I. Voye?., ci-dessus, la note 2 de la page 35 1, •2. C’est en 1691 que Villacerf succéda dans cette charge à Louvois j qui avait succédé lui-même, en i6S3, au grand Colbert. . Dans l’article précédent [Chapelle fJean de la)], Moréii intitule à tort cet ouvrage « Histoire des campagnes de !Xordlingue et de Frihourg. » — Réimprimé plusieurs fois, notamment dans le Recueil de pièces choisies publié par la Monnoye en 17 14 [1 vol. in- 12), cet ouvrage a reparu dans la Collec- tion des jietits classiques, formée par les soins de Cli. Nodier (Paris, Delangle, 1826). Dans sa Xotice, supposant à tort que la Relation avait été publiée au moment même des faits qu’elle raconte (l643 et 1644), ÎNodier donne de grands éloges à la Chapelle; il le loue particulièrement d’avoir si bien écrit dix ou. douze ans avant Pascal; or la Relation n’a paru qu’eu 1673 (Paris, in-12), c’est-à-dire quinze ans et plus après les Provinciales. . Walckenaer n’a pas été seul à exprimer des doutes au sujet du Discours attribué à Segrais. Sur l’exemplaire de l’édition de i665 qui est à la biblio- thèque de l’Arsenal, et qui vient du collège des Jésuites, on lit au revers du feuillet de garde, en tête du volume, la note suivante, qu’on nous dit être de la main du génovéfain Barthélémy IVIercier, abbé de Saint-Léger, bililiothéDISCOURS SUR LES MAXIMES. 3j5 ques doutes. On lit dans les Entretiens (TAiiste et (TEttgcnc (3° édition, 1671, p. 184 et l85) : a Le Discours qui a été mis à la tête de ces Réflexions est de la main d’un grand maître, qui sait le monde aussi bien que la langue, et qui n’a pas moins d’honnêteté que d’cspi it. » Ce mot de grand maître convient-il bien à notre la Chapelle ? Il s’appliquerait mieux , on ne saurait le nier, à Segrais, que désignerait assez bien aussi le reste de cette phrase laudative. Mais, d’un autre côté, on peut se demander si Bouhours lui-même était dans le secret, et s’il ne parle pas par simple conjecture, ou plutôt sur le bruit déjà répandu au sujet de ce Discours; on peut aussi faire remarquer que les pompeuses aj>pellations, comme celle de grand maître, se décernaient et s’é- changeaient assez volontiers, même dès le dix-septième siècle, entre les écrivains du second ou du troisième ordre; que la Chapelle, futur inspecteur des beaux- arts, était déjà peut-être en crédit; qu’enfin, ami ou protégé d’un illustre jé- suite, le P. Rapin, il était naturel qu’il fût bien traité par le P. Bouhours, autre jésuite. Quoi qu’il en soit, nous donnons cet écrit tel que la Rochefoucauld l’avait une première fois agréé , c’est-à-dire en nous conformant au texte de l’édition de i665. Celle de 1693 en diffère par des modifications assez nom- breuses et des retranchements de citations ; nous indiquons ces différences dans les notes ’ . Monsieur , Je ne saurois vous dire au vrai si les Réflexions morales sont de M. *** *, quoiqu’elles soient écrites d’une manière qui semble appro- cher de la sienne; mais en ces occasions-là, je me défie presque toujours de l’opinion publique, et c’est assez qu’elle lui en ait fait un présent, pour me donner une juste raison de n’en rien croire. Caire de Sainte-Geneviève : i< On seroit assez tenté de croire que le Discours sur les Réflexions est de Segrais, car il abonde en citations latines et ita- liennes : c’étoit la mode alors ; le Segraisiana indique que c’étoit aussi le goût de Segrais. Mais comme on cite ici un peu les saints Pères, j’inclinerois à croire que ce Discours est d’Esprit ou de Gomberville, ou plus proba- blement encore do Chevreau, n . L’édition d’Amsterdam, de 1705, a reproduit ce Discours, en suivant, à quelques variantes près, le texte de i6r)3, mais en y rétai)lissant, d’après celui de i665, les citations envers qui, en i6c)3, avaient été supprimées. Malgré ces additions, elle conserve, ce dont le sens s’arrange comme il peut, les phrases que l’édition de 1693 avait substituées aux citations. Le morceau a été réim- primé, conformément (très-peu s’ni faut) au texte de l7o5, dans le recueil d’Amelot de la Houssaye (1714, etc.), et dans l’édition collective d’Amelot et de l’abbé de la Roche (1777). Duplcssis le donne également, mais comme nous, d’après le texte de i665; il ne marque pas les variantes de l’édition de 1693. . L’édition de 1705 donne en toutes kttres : « de Monsieur de la Roche- foucauld ; )i celle d’Amelot de la Houssaye : « de M*** (le duc de la Roche- foucauld). » — A la quatrième ligne du second alinéa, qui suit, ces deux éditions se contentent de l’initiale M’**. 356 APPENDICE. Voilà, de bonne foi, tout ce que je puis vous répondre’ sur la pre- mière chose que vous me demande-/, ; et pour l’autre, si vous n’aviez Lien du pouvoir snr moi, vous n’en auriez guère pins de contente- ment ; car un homme prévenu, au point que je le suis, d’estime pour cet ouvrage, n’a pas toute la liberté qu’il faut pour en bien juger ^. Néan- moins, puisque vous me l’ordonne/,, je vous en dirai mon avis, sans vouloir mériger autrement en faiseur de dissertations, et sansv mêler en aucune façon l’intérêt de celui que l’on croit avoir fait cet écrit*. Il est aisé de voir d’abord qu’il n’étoit pas destiné pour paroître au jour, mais seulement pour la satisfaction d’une personne qui, à mon avis, n’aspire pas à la gloire d’être auteur , et si, par hasard *, c’étoit M. ***, je puis vous dire que sa réputation est établie dans le monde par tant de meilleurs titres, qu’il n’auroit pas moins de chagrin’* de savoir que ces Réflexions sont devenues publiques, qu’il en eut lorsque les Mémoires qu’on lui attribue furent imprimés ®. Mais vous savez, Monsieur, l’empressement qu’il y a dans le siècle pour publier toutes les nouveautés, et s’il y a moyen de l’empêcher’ quand on le voudroit, surtout celles qui courent sous des noms qui les rendent recommandables. Il n’y a rien de plus vrai, Monsieur; les noms font valoir les choses auprès de ceux qui n’en sauroient connoître le véritable prix : celui des Réflexions * est connu de peu de gens, quoique plusieurs se soient mêlés d’en dire leur avis^. Pour moi, p ne me pique pas d’être assez délicat et assez habile pour en . Dans l’édition de 1693 : « .... d’une manière qui senible/o/V approcher de la sienne ; mais il ne faut pas croire légèrement les bruits qui se refon- dent dans le monde ; le temps découvrira la iérite. Ces! tout ce que je puis vous répondre.... » . « si vous n’aviez bien du pouvoir sur moi, je ne vous en écrirais pas si librement mon avis; car il y u des gens prévenus contre cet ouvrage, et je le suis peut-être trop en sa faveur. » (Edition de 1693.) . « Néanmoins, puisque vous me l’ordonnez, je vous dirai ce que j’en pense, sans vouloir m’criger en faiseur de dissertations, et wt-’/He sans y mêler en aucune façon l’intérêt de celui que l’on soupçonne (/’avoir fait cet ouvrage. » (Ibidem.) . « .... paroitre au jour : c’est une personne de qualité qui l’a fait, mais qui Ti’a écrit que pmr soi-même, et qui n’aspire pas à la gloire d’être auteur. Si, par hasard.. . » (Ibidem.) — Voyez plus loin, dans les Jugements des con- temporains sur les Maximes, p. 3g 1-393, V Article du Journal des Savants. . " je puis vous dire que son esprit, son rang et son mérite le mettent fort aii-d-ssus des hommes ordinaires, et que sa réputation est établie dans le monde par tant de meilleurs titres, qu’il n’a pas besoin de comi oser des livres pour se Jiiire connoître; enfin, si c’est lui, je crois qu’il n’aura ])as moins de chagrin.... «> (Edition de 1693.) . Voyez, au tome II, la S’i tice des Mémoires. . <c l’empressement qu’il y a, d.ms le temps oii nous sommes, a ])ublier toutes les nouveautés, et s’il est posiible de l’empêcher. » (Edition de iGgS.) S. L’édition de 1693 ajoute ici : a dont il s’agit. » . Voyez plus loin les Jugements des contem/.orains sur les Maximes. DISCOURS SUR LES MAXIMES. 35; bien juger ; je rlis habile et Jélicat ’, pnrce que je tieus qu’il faut être pour cela l’un et l’autre; et quand je me pourrois flatter de l’être, je m’imagine que j’y trouverois peu de choses à changer. J’y rencontre partout de la force et de la pénélralion*, des pensées élevées ’ et bardies, le tour de l’expression noble, et accompagné d’un certain air de qualité, qui n’appartient pas* à tous ceux qui se mêlent d’écrire. Je demeure d’accord qu’on n’y trouvera pas tout l’ordre ni tout l’art que l’on y pourroit souhaiter, et qu’un savant qui auroit un plus grand loisir^ y auroit pu mettre plus d’arrangement; mais un homme qui n’écrit que pour soi et pour délasser son esprit, qui écrit les choses à mesure qu’elles lui viennent dans la pensée, n’affecte pas tant de suivre les règles que celui qui écrit de profession, qui s’en fait une affaire’^, et qui songe à s’en faire honneur. Ce désordre néanmoins a ses grâces’, et des grâces que l’art ne peut imiter. Je ne sais pas si vous êtes de mon goût, mais quand les savants^ m’en devroient vouloir du mal, je ne puis m’empècher de dire que je pré- férerai toute ma vie la manière d’écrire négligée d’un courtisan qui a de l’esprit à la régularité yênée d’un docteur qui n’a jamais rien vu que ses livres. « Plus ce qu’il dit et ce qu’il écrit paroit aisé, et dans un certain air d’un bomme qui se néglige^, plus cette négligence, qui cache l’art sous une expression simple et naturelle"*, lui donne d’agrément. » C’est de Tacite que je tiens ceci; je vous mets à la marge (corf: au has de la page) " le passage latin, que vous lirez si . oc .... et assez haljile pour en faire la critique et pour jr remarquer des défauts ;]c à?,iA>e et àéWcM. •» [Édition de &<^’i.) . a que j’y trouverois peu de clioses à augmenter ou à diminuer. En effet, il j a partout de la force et de la pénétration. » {Ihi.lem.) . Duus les impressions de i66f) B, C et D : « des pensées relevées. » ! K .... un tour d’expression noble et grawt, accompagné d’un certain air de qualité à dire les choses, qui ne s’acquiert point p:ir l’étude, et qui n’ap- partient pas....» [Édition de iGgl.) —Y oyez, i,hiiom.,es l’ensees de Mme de Schoiiiberg, etc. . ...... tout l’ordre ni toute la justesse que l’on pourroit souhaiter dans un ouvrage d’une longue méditation, et qu’un savant qui jouirait d’un grand loisir.... » (Édition de 1693.) . L’édition de iCjgS n’a pas ce membre de pl)r.ise. . « Ce désordre, tel qu’il est, a ses grâces. » (Édition de 1698 ) . « .... les doctes écrivains. » [Ibidem.) — Crs mots ; les doctes écrivains, les savants, et plus loin docteur, sont-ils bien d’un auteur de profession et accrédité comme Segrais, qui n’avait pas d’ailleurs, que je saclie, l’habitude de s’excuser d’écrire ? Ne conviennent-ils pas mieux à la Cliapelle, moitié écri- vain, moitié homme du monde, ou du moins ayant la prétention de l’être? On pourrait faire la même observation sur maint autre mot ou passage de ce Discours. . « .... paroit éloigné de toute affectation, et dans un certain air simple d un homme qui se néglige. » [Edition de 1693.) . a sous une expression /«fi/e et natuielle. » [Ibidem.) . Dicta fictaque ejus, quanto solutiora et quamdam sui negligentiam 358 APPENDICE. vous ei) avez envie , et j’en userai de même de tous ceux dont je me souviendrai ’, n’étant pas assuré si vous aimez cette langue, qui n’entre guère dans le commerce du grand monde*, quoique je sache que vous l’entendez parfaitement. N’est-ii pas vrai, Monsieur, que cette justesse’, recherchée avec troj) d’étude, a toujours un je ne sais quoi de contraint qui donne du dégoût, et qu’on ne trouve jamais* dans les ouvrages de ces gens esclaves des règles ces beautés où l’art se déguise sous les apparences du naturel, ce don d’écrire facilement et noblement"*, enfin ce que le Tasse a dit du palais d’ Armide ? Stimi [si misto il culto è col neglelto). Sol naturali gli nrnamenti e i sili. Di n/ituia arte par, che per diletto L’imitatrice sua scherzando imiti^. oilà comme un poêle françois l’a pensé après lui : L’artifice n’a point de part Dans cette aclmiral)le structure; prxferenlia ^ tanto gratius in speciem simpUcitatis accipiebantur. (Tacite, Annales, livie XVI, chapitie xviii.) — Ce texte, ainsi que celui des autres citations latines, est imprimé à la marge dans les éditions de l665 et de lôgî.
. L’édition de iGgS a suj)primé ce membre de phrase : a et j’en userai, etc. »
. a .... du beau monde. >• (Edition de lôgS.) . Dans l’édition de ifigS, le commencement de ce passage est ainsi déve- loppé : « C^est d^un des plus beaux espiits de Paiitiquite d^nt parle cet auteur; aussi, dans le petit nomhre des favoris du Prince, il Jut choisi pour être comme Varbitre de la politesse et des plaisirs de sa cour. Les ouvrages qui nous restent de lui, et qui ne sont que des fragments, Jont voir comhien l’air aisé^ naturel, et comme négligé, en parlant et en écrivant, a de grâces et d/agréments, au lieu que cette justesse.... » — Tacite parle de C. Petronius, que plusieurs commentateurs ont identifié, comme le fait cette variante de l’édition de ifigS, avec le fameux Titus Petronius Arljiter, auteur du Satiricon. Burnouf, dans une note du tome III de sa traduction (p. 55g), dit à propos de ce passage des Annales : a. On peut voir dans ^Histoire de la littérature romaine, de Scliœll, tome II , et daus celle de Baelir, § 2^5 et suivants, les diverses conjectures des savants. Ceux qui soutiennent l’identité ont pour eux les mots de Tacite : elegantix arbiter, s’il est vrai que Pétrone ait dû son surnom à ce qu’il était chez le Prince l’arbitre des plai.~irs et du goût. » - " .... a toujours ye ne sais quoi de contraint, de froid, de sec, de lan- guissant, et qu’on ne trouve jamais » (Edition de lôgB.) . « ces beautés vives, Jortes, sublimes , ce don d’écrire facilement et no- blement. » (Ibidem.) — L’édition de i6()3 arrête la phrase a noblemeut, supprime les deux citations qui suivent, et passe à : «Voila ce que je pense de l’ouvrage — » . Ces vers, pour lesquels l’édition de i665 nous renvoie, en marge, au XVIP cliaiit de la Jerus ilem délivrée, se trouvent au chant XVI de ce poème, strophe X, dans la description des jardins d’.^rmide. Le vrai texte du second vers est : Sol naturali e gli ornamenti e i siti. DISCOURS SUR LES MAXIMES. ibcj Lii nature, en formant, tous les traits au Iiasanl, Sait si l)ica imiter la justesse de l’art, Que l’œil, trompé d’une douce imposture. Croit que c’est l’art qui suit l’ordre de la nature ’. Yoilà ce que je pense de l’ouvrage en général; mais je vois bien que ce n’est pas assez pour vous satisfaire, et que vous voulez que je réponde plus précisément aux difficultés que vous me dites * que l’on vous a faites. Il nie semble que la première est celle-ci : que les Tîéflexions délruisent toutes les vertus. On peut dire à cela que l’inten- tion de celui qui les a écrites paroît "’ fort éloignée de les vouloir détruire : il prétend seulement faire voir qu’il n’y en a presque point de pures dans le monde, et que, dans la jilupart de nos actions, il y a un mélange d’erreur et de vérité, de perfection et d’imperfection, de vice et de vertu ; il regarde le cœur de l’iioinmc corrom])u, attaqué de l’orgueil et de l’amour-propre^, et environné de mauvais exem- ples, comme le commandant d’une ville assiégée à qui l’argent a manqué : il fait de la monnoie de cuir et de carton ; cette monnoie a la figure de la bonne, on la débite ])our le même prix, mais ce n’est que la misère et le besoin qui lui donnent cours parmi les assiégés. De même, la plupart des actions des hommes que le monde prend pour des vertus n’en ont bien souvent que l’image et la ressem- blance ; elles ne laissent pas néanmoins d’avoir leur mérite et d’être dignes, en quelque sorte, de notre estime, étant très-difficile d’en avoir humainement de meilleures*. Mais quand il seroit vrai qu’il croiroit qu’il n’y en auroit aucune de véritable " dans l’homme, en le considérant dans un état purement naturel", il ne seroit pas le T. Nous avons vainement clierché l’auteur de ces vers assez l)ien tournés, et qui rendent assez exactement la pensée, sinon les mots du Tasse. Seraient-ils de l’auteur même du Discours? On pourrait le croire, s’ils n’étaient suj)- primés dans l’édition de 1691. En tout cas, voici la traduction littérale du ])as- sage italien : <( Vous diriez, tant la reclierclie se mêle à un certain air négligé, que les ornements et les jxiints de vue sont tout à fait naturels. C’est comme un art de la nature que son imitatrice a reproduit en se jouant. » . L’édition de i6i)3 retranche yu:; i’ous /ne dites. . a que l’intention de rauteur paroît » [Édition, de iGgl.) . « attaqué de l’orgueil, Jff/Hi7 ywr l’amonr-propre » {[l>ide/n.) . On lit à la marge des éditions de iG65 et de iGgj : Epictet. apuil An ia- niirti, c’est-à-dire : « Epictète dans les dissertations d’Arr.en. » Nous n’y avons pas trouvé cette comparaison. . « étant très-difficile, selon l’/io/nme, d"en avoir de meilleures. » [Edi- tion de 169’i.) . a Mais quand il seroit vrai que Vauteui- des Réjlexions croiroit qu’il n’y auroit aucune vertu véritable » {Ibidem.) — Pour ajouter par avance un poids, assez léger peut-être, à la conjecture exprimée dans la note a de la page 366, nous ferons remarquer que cette accumulation de verbes au condi- tionnel est fort usitée en Touraine. . L’édition de Duplessis a omis ce membre de plirase. 36o APPENDICE. premier qui auroit eu cette opinion ’. Si je ne craignois pas de mVri- ger trop en docteur, je vous citerois bien des auteurs ’^j et même des Pères de l’Eglise’ et de grands saints, qui ont pensé que l’amour- propre et l’orgueil étoicnt l’àme des plus belles actions des païens ; je vous ferois voir que quelques-uns d’entre eux n’ont pas même par- donné à la cliasteté de I^ucrèce*, que tout le monde .ivoit crue ver- tueuse *, jusqu’à ce qu’ils eussent découvert la fausseté de cette vertu, qui avoit produit la liberté de Rome, et ^ qui s’étoit attiré l’admiration de tant de siècles. Pensez-vous, Monsieur, que Sénèq-ie, qui faisoit aller son sage de pair avec les Dieux", fût véritablement sage lui-même, et qu’il fiit bien persuadé de ce qu’il vouloit per- suader aux autres? Son orgueil n’a pu l’empècber de dire quelquefois qu’on n^ avait point vu dans le monde d^ exemple de l’idée qii’ il proposait ^ quil était impossible de trouver une vertu si achevée parmi les /tommes^ et que le plus parfait dentre eux était celui qui avoit le moins de dé fauts^. Il demeure d’accord que lon peut reprocher à Socrate d’avoir eu quel- . L’édition de 1693 donne, sous la forme interrog;^tl^e : « seroit-// le premier qui auroit eu cette opinion ? r, . a .... àv faire ici le docteur, je vous citerois des auteurs graves, u [Edition de )6g3.) — A propos Ae faire ici le docteur^ voyez la note 8 de la page 357. . On l’a vu plus haut, p. 27 [Frèfice de la i éditioiù, la Rochefoucauld se réclamait également des Pères de l’Église. . « .... n’ont pas même excepté de ce nombre la chasteté de Lucrèce, n (Édition de 1693.) . « .... avoit crue vérilahlement vertueuse. » {Ibidem.’) — Il y a cru, sans accord, dans les éditions de i665 et de l6g3, conformément au principe établi par le P. Bouhours dans ses Remarques nouvelles (p. 320, 2° édition), à savoir que, quand on «ijoute quehjue chose après le participe , il a redevient indéclinable, étant suffisamment soutenu par ce qui suit. » . Voyez l’opinion de saint Augustin sur ce célèbre suicide, au cha- pitre XIX de la Cite de Dieu : il ne^(>it en Lucrèce qu’ <( une femme trop avide de gloire, » inulier laudis avida nimium. — Aux yeux de Saint-Évremond, qui n’était ni un grand saint ni un Père de l’Eglise, c’est « une prude farouche à elle-même, qui ne peut se pardonner le crime d’un autre. >> [Réflexions sur les divers génies du feufile romain, chapitre l.) . L’édition de 169! supprime les mots : « qui avoit produit la liberté de Rome, et. » Celles de 1705 et d’Amelot de la Houssaye les maintiennent. . Jovein plus non passe quant bonuin virurn..,. Deus non vincit sapientem felicitate, etiani si vincit xtate. « Jupiter n’a pas plus de puissance que l’homme de bien.... Dieu ne l’emporte pas sur le sage en félicité, bien qu’il l’emporte en durée. » (Sénèque, épure lxxiu.) — Les éditions de i665 et de I (393 marquent, par erreur, epître Lxxxiir, au lieu de épître Lxxui. — Voyez plus loin, p. 382. . Ubi enim istuin invenies quem tôt sxculis quserimus (sapientem) ? Pro optimo est minime malus. « Où trouverez-vous ce sage que nous cherchons dans tant de siècles? Le meilleur, c’est le moins imparfait, d (Sénèque, de la Tranquillité de l’âme^ chapitre vu.) — Meré (maxime 9) dit absolument de même : « Tous les hommes sont imparfaits, et le plus accompli, c’est celui qui a le moins de défaut [sic), » DISCOURS SUR LES MAXIMES. 36i quc^ amitiés suspectes; à Platon et Aristote , d’avoir été amres; à Épl-ure prodigue’ et voluptueux; mais il s’écrie en même temps que nous serions trop heureux^ d’être parvenus à savoir imiter leurs vicesK Ce philosophe ai.rolt eu raison d’en dire autant des siens ; car on ne séroit pas trop malheureux de pouvoir jouir, comme il a fait, de toute sorte de biens, d’honneurs et de plaisirs, en affectant de les mé- priser- de se voir le maître de l’Empire et de l’Empereur, et l’amant de rimpcratrlce en même temps; d’avoir de superbes palais, des jardins délicieux, et de prêcher*, aussi à son aise qu’il faisoit, la modération et la pauvreté, au milieu de l’abondance et des richesses . Pensez-vous, Monsieur, que ce stoïcien, qui contrefaisoit si bien le maître de ses passions, eut d’autres vertus’ que celle de bien ca- cher ses vices, et qu’en se faisant couper les veines, il ne se repentit pas plus d’une fois d’avoir laissé à son disciple le pouvoir de le faire mourir"? Regardez un j.eu de près ce f.ux brave: vous verrez qu’eu faisant de beaux raisonnements sur l’immortalité de l’àme, il cherche à s’étourdir sur la crainte de la mort; il ramasse toutes ses forces pour faire bonne mine»; il se mord la langue de peur de dire que I « à Épicure, qu’il était prodigue.... » [Édition de 1693 ) - Objicite Platoni" quod petient pecununn, AristoteU quod acceperit , Ep,curo quod coLmiJrit; S-.crati Alc,/dade,n et Ph^drum ohjectate. .< Reprocl.ez a Pbton d’avoir demandé de l’argent, à Aristote d’en avo.r reçu a EFçure de ravoir dépensé en prodigne ; reprochez h 5.cr«^. son A cdnade et son Phed.e. - Sénéque de la Vie heureuse, chapitre xxvii.) Dans le texte de Seneque , d y a mihi ipsi, au lieu de Socruti : c’est Socrate qui parle o „ ai.e nous serions heureux. » {Edawn de ibyi.) ’ O’vos usu maxime feUces, quum primum vohzs imUan vitui nostra eon- Jrit! « Oh! cpiedans la pratique vous ser.ez encore trop Heureux de pcfuvoir seulement imiter nos vices! >, {Sénèque, de la Fie heureuse, cha- pitre xxvii: c’est la suite immédiate de la citation précédente ) n « d’honneurs, de plaisirs, en affectant de les mepnser. / est doux démoraliser, et de se voir en même temps le maître de t-^Pj- «;f«l em- pereur, et l’amant Javori de Tlmpératrice ; d’avoir de^ supe. bas palais, des jardins délicieux, de prêcher enjln.... .. [LdiHon de 1690.) ^ 5. L’édition de 1693 ajoute ici : « H l’avoue lui-même, en Vf’f"-J’":, à qui ses trésors et sa J-andeur eommençoient à donner de ^ "’"^"S’ fj_ Anbarrasse de telle sir te dans ses excuses, que ’^'^ ^P’^'Z "fJ^.^Z pêcher de s^en moquer dans la réponse qu^il luijait. r, (Voyez Tacite, Annales, livre XIV, cliapitres liu-lvi.) . a .... qui contrefaisoit fir//i.fi. » [Edition de Ib93.) " « (Vautre vertu. » (Ibidem.) S. Sênèeam adoriuntur, tanquam ingentes et /'-’^-f- ";°;^:;’ Zn’, opes adhuc au^eret, quodque studia civium m se verteret , ’"" 7’"" /’^ "t Imœnitate et%ilkàum Ignificentia quasi pnncipem -fJ’-^’^'f’^J^dttiJ’^ accusent Sénéque d’entasser sans cesse des trésors ^"- ,^f ^^^ ,J/;^%",Xe d’un particulier, d’attirer à soi la faveur publique, et de ^^"’"^/^ J^^"^^^ sorte, surpasser le Prince par la beauté de ses jardins et la magTuixcence de villas. » (Tacite, Annales, livre XIV, chapitre LU.) q. Rapprochez des maximes 11, 46 et D04. 362 APPENDICE. la douleur est un mal ; il prétend que la raison peut rendre l’homme impassible’, et au lieu d’abaisser son orgueil, il le relève au-dessus de la divinité. Il nous auroit bien plus obligés de nous avouer fran- chement les foiblesses et la corruption du cœur humain , que de prendre tant de peine à nous tromper. L’auteur des Réflexions n’en fait pas de même : il expose au jour toutes les misères de l’homme, mais c’est de l’homme abandonné à sa conduite qu’il parle, et non pas du chrétien ; il fait voir que, malgré tous les efforts de sa rai- son*, l’orgueil et l’amour-propre ne laissent pas de se cacher dans les replis de son cœur ’, d’y vivre et d’y conserver assez de force pour répandre leur venin, sans qu’il s’en aperçoive*, dans la plupart de ses mouvements. La seconde difficulté que l’on vous a faite, et qui a beaucoup de rapport à la première, est que les Réflexions passent dans le monde pour des subtilités d^un censeur qui prend en mamaisc part les actions les plus indifférentes ^, plutôt que pour des vérités solides. Vous me dites que quelques-uns de vos amis vous ont assuré de bonne foi qu’ils savoient, par leur propre expérience, que l’on fait quelquefois le bien sans avoir d’autre vue que celle du bien, et souvent même sans en avoir aucune, ni pour le bien, ni pour le mal, mais par une droiture naturelle du cœur qui le porle^,sans y penser, vers ce qui est bon. Je voudrols qu’il me fût permis de croire ces gens-là sur leur parole, et qu’il fût vrai que la nature humaine n’eût que des mouvements raisonnables, et que toutes nos actions fussent naturel- lement vertueuses’; mais, Monsieur, comment accorderons-nous le témoignage de vos amis avec les sentiments des mêmes ® Pères de l’Eglise, qui ont assuré que toutes nos vertus, sans le secours de la foi^
. (Poteram respondere quod Epicuriis ait :) sapientem, si in Phalaridis tauro
peruratur^ exclamaturunt : << Dulce est, et ad me nihil attinel. » « (/e pourrais répondre ce que dit Epicure : ) Le sage, s’il est brûlé daus le taureau de Phala- ris, s’écriera : « Je suis bien, cela ne me touche point. » (Sénèque, épitre lxvi.) — On lit à la marge, dans les éditions de i665 et de 1695, cette exclamation d’Epicure, et à la suite : Epie, apud Senec. Dans son édition, Duplessis a cru à tort que la première abré^ation signifiait Epictète. . « .... qu’il parle, et non pas de V homme éclairé par les lumières du chris- tianisme, et soutenu de la grâce de Dieu; il fait voir que, malgré les efforts de la raison » [Edition de iGgS.) — Rapprochez de la Préface de la 5’ édi- tion, ci-dessus, p. 3o. . <c dans les replis du cœur humain. » {^Edition de lÔgS.) . Le texte de 169’i n’a pas cette incise. . L’édition de 1693 termine la phrase à indifférentes. . a .... qui se porte, » dans l’impression de i665 C. . « .... sur leiu- ]>arole, qu’il fût vrai que la nature humaine eut par elle- même des mouvements parfaits, et que toutes nos inclinations fussent natu- rellement vertueuses. » [Edition de i6ci3.) . L’édition de 1693 supprime ici le mot mêmes, et le met ensuite après vertus : a ejue toutes nos venus mcme. » DISCOURS SUR LES MAXIMES. 363 li’étoicnt que des imperfections * ; que notre fo/ontc ctoil née aveugle; que ses désirs étaient at-éugies^, sa conduite encore plus aveuiile^ , et ^uil ne fallait pas s"" étonner sî^ parmi tant d’aveuglement, P homme était dans un égarement continuel*} Ils en ont parlé encore plus forte- ment, car ils ont dit qu’en cet état, la prudence de l’homme ne pénétrait dans l’avenir et n ordonnait rien que par rapport à l’orgueil; que sa tem- pérance ne modérait aucun excès que celui que Porgueil avait condamné ; que sa constance ne se soutenait dans les malheurs qu autant quelle était soutenue par l’orgueil^; et e^i/in que toutes ses vertus, avec cet éclat extérieur de mérite qui les faisait admirer^ n avaient pour but que cette admiration, Camaur d’une vaine gloire et l’intérêt de l’orgueil^ , On trouveroit un nombre presque infini d’autorités sur cette opinion; mais si je m’engageois à vous les citer régulièrement, j’en aurois un peu plus de peine, et vous n’en auriez pas plus de plaisir*. Je pense donc que le meilleur, pour vous et pour moi, sera de vous en faire voir l’abrégé dans six vers d’un excellent poète de notre temps : Si le jour de la foi a’éclaire la raison, IVotre goût dépravé tourne tout en poison; Toujours de notre orgueil la subtile imposture Au bien qu’il semble aimer fait changer de nature; I. « .... sans le secours de la grâce, n’étoient que des vices déguisés. » {Édition de iBgS.) — Voyez la nuix-iine-epigraplie. 1. L’édition de iGgi n’a ])as ce memlire de phrase. . « que sa conduite e/o;7 encore plus aveugle. » {^Edition de lôoS.) . Il serait facile, a^ec quelques recherches, de retrouver ces diverses pro- positions à peu près textuellement dans les écrits des Pères, particulièrement dans ceux de saint Augustin. Voici de ce dernier quelques passages qui coutienneut les idées principales ici exprimées et d’où les autres découlent : Xe’no hetie ove- ratur^ niai fi îles pnecesserit. (Saint Augustin, Sermons au peuple, vni, <i ii.) c< Personne ne fait le bien, à moins q»8 la foi n’ait précédé.» — Totus mundus cœcus est,... Onines csecos nasci fecit, qui primuni hominem decepit. (Ibidem, cxxxv, § I.) « Tout le monde est aveugle.... Celui quia trom^.é le premier homme a fait que tous naissent aveugles. » — Dbi deest agnitio œternx et incoinmuta- bilis veritatis, Jalsa viitus est , etiarn in optiinis moribus. [OEuvres de saint Augustin, tome X, colonne 2574, D, édition des Bénédictins.) a Où manque la connaissance de l’éternelle et immuable vérité, toute vertu est fausse, même avec les meilleures mœurs. » — Quicuinque philosophoruni Christum, Dei vir- tutem et Dei sapientiam, nesciet unt , Iti nullani verni/i virtutem, nec ullani veram sapientiam hnbere potuerunt. [Ibidem, colonne 2389, D.) a Tous les philosuphes qui ont ignoré le Christ, la vraie vertu de Dieu, la vraie sagesse de Dieu, n’ont pu avoir aucune vraie vertu, aucune vraie sagesse. » . << Ils en ont p;irlé ailleurs plus fortement. » [Edition de 1693.) . Rapprochez de la maxime 24. . « .... que cette admiration, que l’amour d’une vaine gloire, et que des sentiments (/’orgueil, )i [Edition de i6g3.) . « .... mais si je les voulais citer régulièrement, je m’engagerais peut- être à des choses qui ne seraient pas de votre goût. » (Ibidem.) 364 APPENDICE. Et dans le pmpre amour cii.nf l’homme est revêtu, Il se rend criminel, même par sa vertu. (Brébeuf, Entretiens solitaires*.) S’il faut néanmoins demeurer d’accord que vos amis ont le don de cette foi vive qui redresse toutes les mauvaises inclinations de l’ainour-propre, si Dieu leur fait des grâces extraordinaires , s’il h s sanctifie dès ce monde, je souscris de bon cœur à leur canonisation’^, et je leur déclare que les fie flexions morales ne les regardent point. Il n’y a pas apparence que^ celui qui les a écrites en veuille* à la vertu des saints; il ne s’adresse, comme je vous ai dit, qu’à l’homme corrompu : il soutient qu’il fait presque toujours du mal quand son amour-propre le flatte qu’il fait le bien^, et qu’il se trompe souvent lorsqu’il veut juger de lui-même^, parce que la nature ne se déclare pas en lui sincèrement des motifs qui le font agir. Dans cet état malheureux’, ou l’orgueil est l’âme de tous ses mouvements, les saints mêmes sont les premiers à lui déclarer la guerre, et le traitent plus mal, sans comparaison, que ne fait l’auteur des Réflexions^. S’il vous prend quelquejoi.renviede voir lespassagesque j’ai trouvés dans leurs écrits sur ce sujet^, vous serez aussi persuadé que je le suis de cette vérité; mais je vous supplie de vous contenter à présent de ces vers, qui vous expliqueront une partie de ce qu’ils en ont pensé : Le désir des honneurs, des Inens et des délices. Produit seul ses vertus, comme il produit ses vices, I. Nous reproduisons l’indication marginale de l’édition de i665, mais nous avons inutilement cherché cis vers, ainsi que ceus qui commencent au bas de cette page, dans les Entretiens solitaires de Brébeuf. Nous ne les avons trouvés- ni dans l’édition originale de 1660, ni dans celles de 1666, de 1669, de 1670. — Voyez plus loin V Ainow-propre, ode de la Motte. . L’édition de 1693 supprime tout ce passage, depuis : « Je pense donc que le meilleur.... » {14’^ ligne de la page précédente), par conséquent la citation de Brébeuf, et donne à la place : Heureux, et trois fois Jieureux les hommes doués de cette foi i’ive et soutenus de cette s:râcc divine qui redressent toutes les mauvaises inclinations de l’amour-propre ! Si Dieu fait à vos amis ces dons extraordinaires, s’il les sanctifie dès ce monde, je souscris de bon cœur à leur sanctification, t . a et je les assure que les Réflexions morales.... En effet, il n’y a pas «^’apparence que » [Édition de 1693.) . Dans le texte de i665 A : en veule. . oc .... comme je vous /’ai dit qu’il fait presque toujours mal.... le flatte qu’il fait bien. » [Edition de 1693.) . « .... de soi-même. » [Ihiilem.) . a .... parce que la nature agit en lui par des ressorts cachés qu^il ne connaît point. En cet état malheureux.... » [Il/idem.) . « .... les saints mêmes sont les premiers à se plaindre de la nature corrom- pue, et en parlent avec plus de mépris que ne fait l’auteur des Réjlexions. » [Ibidem.) . Voyez la noie 4 de la page précédente. DISCOURS SUR LES MAXIMES. 365 Et l’aveugle intcrôt qui W’gnc dans son cœur Va d’objet en objet, et d’erreur en erreur; Le nombre de ses maux s’accroît par leur remède; Au mal qui se guérit un autre mal succède ; Au gré de ce tyran dont l’emj)ire est caclié, Uu péché se détruit j)ar un autre péclié. (BRÉnEUF, Entreliens solitaires^ .) Montagne*, que j’ai quelque scrupule de vous citer après des Pères de l’Eglise, dit assez heureusement ’, sur ce même sujet : que son âme a deux pisages (iijfércnts ; quelle a beau se replier sur elle-même^ elle n’aperçoit jamais que celui que l’amour- propre a déguisé*^ pendant que Fautre se découvre par ceux qui n^ont point de part à ce déguisement^. Si j’osois enchérir sur une métaphore si hardie, je dirois que l’âme de l’homme corrompu est faite comme ces médailles qui représentent la figure d’un saint et celle d’un démon dans une seule face, et par les mêmes traits : il n’y a que la diverse situation de ceux qui la regardent qui change l’ohjet ; l’un voit le saint, et l’autre voit le démon. Ces comparaisons nous font assez comprendre que, quand i’amour-propre a séduit le cœur, l’orgueil aveugle tellement la rai- son, et répand tant d’obscurité dans toutes ses connnissances, qu’elle ne peut juger du moindre de nos mouvements, ni former d’elle-même aucun discours assuré pour notre conduite. Les hommes^ dit Horace, sont sur la terre comme une troupe de ioyageurs que la nuit a surpris en passant dans une forêt : ils marchent sur la foi d’un guide qui les égare aussitôt^ ou par malice^ ou par ignorance ; chacun d’eux se met en peine de retrouver le chemin; ils prennent tous diverses routes, et chacun croit suivre la bonne ; plus il le croit, et plus il s’en écarte^. Mais quoique leurs égarements soient différents, ils n’ont pourtant qu une même cause: . « .... les passages que j’ai trouvés dans leurs écrits sur ce sujet, vous serez entièrement j-ersuadé de cette vérité; mais ces vassales sont trop longs, et en trop grand nombre , poui- les tramcrire ici. » (Edition de ifig’:^.) — A la suite sont supprimés les vers que l’édition de i6G5 donne pour un second extrait des Entretiens solitaires de Brébeuf. . Le nom de Montaigne est ainsi écrit dans les éditions de l665 et de lôgS, comme il se prononce. . « .... dit à sa manière et assez heureusement. » [Edition de iGqS.) . Œ .... que le visage que l’ainnur-propre a déguisé. » [Ibidem.) . Nous n’avons pas trouvé ce passage dans Montaigne ; mais nous y avons rencontré ces idées anAogues[Essais, livre TI, chapitre i, tome II, j). 7) : « Cette variation et contradiction qui se veoid en nt)us si souple, a faict que aulcuns nous songent deux âmes.... le donne h mon ame tantost un visage, tantost un aultre, selon le costé oîi ie la couche. » G. a d’un guide qui les égare; l’un va à droite. Vautre va à gauche; ils prennent tous diverses routes...; plus il le croit, plus il s’en écarte. 3> [Édition de i6y3.) 366 APPENDICE. cest le guide qui les a trompés, et l’obscurité de la nuit qui les empêche’ de se redresser. Peut-on mieux dépeindre l’aveuglement et les in- quiétudes de l’homme abandonné à sa propre conduite, qui n’écoute que les conseils de son orgueil, qui croit aller naturellement droit au bien, et qui s’imagine toujours que le dernier* qu’il recherche est le meilleur? N’est-il pas vrai que, dans le temi)s qu’il se flatte de faire des actions vertueuses, c’est alors que l’égarement de son cœur est plus dangereux? Il y a un si grand nombre de roues qui com- posent le mouvement de cet horloge*, et le principe en est si caché, qu’encore que nous voyions* ce que marque la montre, nous ne sa- vons pas quel est le ressort qui conduit l’aiguille sur toutes les heures du cadran, La troisième difficulté que j’ai à résoudre est que beaucoup de per- sonnes trouvent de ^obscurité dans le sens et dans l’expression de ces Réflexions^. L’obscurité, comme vous savez, Monsieur, ne vient pas toujours de la faute de celui qui écrit. Les Réflexions, ou si vous . oc .... c’est le guide qui les a ti-ompés, et la nuit qui les empêche.... n (^Édition de 1693.) — Voici le texte d’Horace (livre II, satire lU, vers 48-5 r) ; on verra combien le traducteur l’a paraphrasé : f^elut sihis, ubi passim Palantes error certo de trnmite [lellit, Ille siiiistrorsum, hic Jextiorsam abit : unus utrique Errer, sed variis illudit yartibus. . . . . Dans l’édition de 1693 : « que le dernier objet, -o . «.... le mouvement de celte machine. » [Edition de 1693.) —Le P. Chi- flet [Essajr d une parfaite grammaire. S’ édition, 1673, p. 281) range horloge parmi les substantifs masculins à terminaison féminine. Ménage [Obsertations, ■2° édition, 1675, p. i5t et iSa) n’est pas du même avis : « Les Normands, dit-il, le font masculin...; et c’est aussi de ce genre que le font les Gascons et les Provençaux [a). Il est féminin. » — Richelet (1680) et Furetière (1690) sont du même avis que Ménage. . a .... qu’encore que nous voyons, » dans l’édition de 1693 et dans 11 contrefaçon de iGG5 D. . Voyez, plus loin, Pensées de Mme de Schomberg, etc. , p. 376. (a) On pourrait ajouter qu’il en était et qu’il en est encore de même dans plusieurs autres provinces, dans les campagnes surtout, notamment en Lorraine, en Picardie et en Touraiue. Peut-être, si nous ne contestions pas le Discours à Segrais, serait-ce le cas de rajipeler qu’il était Normand. Quant à la Chapelle, était-il de Normandie, de Gascogne, de Provence, de Lorraine, de Picardie ou de Touraine ? Nous ne pouvons le dire, car nous n’avons aucune indication sur son lieu de naissance. Nous inclinerions à croire qu’il était de cette dernière pro- vince, comme son patron et ami le P. Rapin. Toutefois, nous devons ajouter que nous avons consulté sur ce point un liomme docte en toutes choses, et particulièrement instruit de tout ce qui concerne la Touraine, M. J. Tasclie- reau, administrateur-directeur de la Bililiothèque impériale; il n’a rien ti’ouvé dans ses précieux cartons qui eût trait à un la Chapelle écrivain tourangeau. — Voyez, ci-dessus, la note 7 de la page SSg. DISCOURS SUR LES MAXIMES. 36; voulez, les Maximes et les Sentences, comme le mcnrie a nommé ’ celles-ci, doivent être écrites dans un slyle serré’ qui ne permet pas de donner aux choses toute la clarté qui seroit à désirer ; ce sont les premiers traits du tableau: les yeux habiles y remarquent bien toute la finesse de l’art ’ et la beauté de la pensée du peintre ; mais cette beauté n’est pas faite pour tout le monde, et quoique ces traits ne soient point remplis de couleurs, ils n’en sont pas moins des coups de maître. Il faut donc se donner le loisir de pénétrer le sens et la force des paroles ; il faut que l’esprit j)arcoure toute l’étendue de leur signification avant que de se reposer, pour en former le juge- ment*. La quatrième difficulté est, ce me semble, que les Maximes ** sont presque partout trop générales ; on vous a dit qu’/7 est injuste d’étendre sur tout le genre humain des défauts qui ne se trouvent qu’en quelques hommes^. Je sais, outre ce que vous me mandez des différents senti- ments que vous en avez entendus’, ce que l’on oppose d’ordinaire à ceux qui découvrent et qui condamnent les vices : on appelle leur cen- sure le portrait du peintre " ; on dit qu’ils sont comme les malades de la jaunisse, qu’ils voient tout en jaune ^, parce qu’ils le sont eux-mêmes. Mais s’il étoit vrai que, pour censurer la corruption du cœur en général, il fallût la ressentir en particulier plus qu’un autre, il faudroit aussi de- meurer d’accord queces philosophes’", dont Diogcne de Laerce" nous rapporte les sentences, étoient les hommes les plus corrompus de leur siècle; il faudrait faire le procès à la mémoire de Caton, et croire que c’ étoit le plus méchant homme de la République ’*, parce qu’il censuroit les vices de Rome. Si cela est, Monsieur, je ne pense pas que l’auteur des Réflexions , quel qu’il puisse être, trouve rien à redire au chagrin de ceux qui le condamneront, quand, à la religion près, on ne le croira pas plus homme de bien, ni plus sage que Caton. Je dirai encore, pour ce qui regarde les termes que l’on trouve trop . Daus l’édition de i665 : nommées, avec accord irrégulier. — Au sujet du titre des Maximes, voyez, plus haut, la note 2 de la page 25. . « doivent être toujours écrites cTwxi style serré. » [Edition de 1693.) . « y remarquent rt/iemen< la finesse de l’art. » {Ibidem.) . «■ avant que </’en former le jugement. » [Ibidem.^ . ’< .... que ces Maximes, d [Ibidem.) . 1 .... qui ne se trouvent qu’en quchjue homme, » dans l’impression de i665 C. . « .... des différents sentiments que vos amis enont eus. » [Edition de 1693.) . Voyez, plus loin, la Lettre de la princesse de Guymené, V Article du Journal des Savants, et la Lettre du chevalier de Meré. g. « .... qu’ils yb/j( comme les malades de la jaunisse, qu’ils voient tout jaune, n [Edition de 1693.) . « .... que ces sages de la Grèce. » [Ibidem.) . Diogène de Laerte, dans ses Fies des philosophes. . « de la république romaine. » {^Édition de 1693.) 368 APPENDICE. généraux, qu’il est difficile de les restreindre dans les sentences, sans leur ôter tout le sel et toute la force; il me semble, outre cela, que l’usage nous fait voir que, sous des expressions générales, l’esprit ne laisse pas de sous-entcndre de lui-même des restrictions. Par exemple, quand on dit : « Tout Paris fut au-devant du Roi ; toute la cour est dans la joie, » ces façons de parler ne signifient néan- moins’ que la plus grande partie. Si vous croyez que ces raisons ne suffisent pas pour fermer la bouche aux critiques, ajoutons-y que quand on se scandalise si aisément des termes d’une censure géné- rale, c’est à cause qu’elle nous pique trop vivement dans l’endroit le ])lus sensible du cœur*. Néanmoins, il est certain que nous connoissons, vous et moi, bien des gens qui ne se scandalisent pas de celle des Réflexions-^ j’entends de ceux qui ont Ihypocrlsie eu aversion, et qui avouent de bonne foi ce qu’ils sentent en eux-mêmes et ce qu’ils remarquent dans les autres. Mais peu de gens sont capables d’y penser, ou s’en veulent donner la peine, et si, par hasard, ils y pensent, ce n’est jamais sans se flatter. Souvenez-vous, s’il vous plait, de la manière dont notre ami Guarini * traite ces gens-là : Huomo sono, e mi preggio d’esser humano; E teco, che set kunnio, E cV altro esser non puoi. Corne huomo par In di cosa humana, E se di cotai nome J’orse ti sdegni, Giiarda, garzon supcrbo, Che, ncl dishumanarti. Non divenghi una fiera, anzi ch’ un dio^. Voilà, Monsieur, comme il faut parler de l’orgueil de la nature . L’édition de 1693 suppri^ne néanmoins. . <c c’est peut-être a cause qu’elle nous pique trop vivement et qu’elle sadresse trop àrwus. » {Edition de 1693.) — Voyez les maximes Si’ et Sl^. . a .... qui ne se s&indalisent pas des Rejlexions . » {E lition de 1693.) . Edifion de 1703 : « de la manière dont le poète Guarîn. » — On trouve la même variante dans l’éditiim d’Amelot de la Houssaye, mais avec Guarini, au lieu de Guarin. Le texte de 1703 donne ensuite les vers italiens tels qu’ils ont été imprimés en i(i65; celui d’Amelot les a corrigés, comme nous le faisons nous-mème dans la note suivante. . On lit à la marge, dans l’édition de i665, d’abord cette indication : Guarini, Pastor fldo, act. I, scena i (vers 208-214) ; puis: Homo sum,; humani nihil a me alienum puto. (Térence, Heautontimoruinenos, acte T, scène i, vers 77.) Nous avons reproduit la citation de Guarini telle qu’elle se lit dans l’édition DISCOURS SUR LES MAXIMES. 369 humaine; et au lieu de se fâcher’ contre le miroir qui nous fait voir nos défauts, au lieu de savoir mauvais gré à ceux qui nous les dé- couvrent, ne vaudroit-il pas mieux nous servir des lumières qu’ils nous donnent pour connoître l’amour-propre et l’orgueil", et pour nous garantir des surprises continuelles qu’ils font à notre raison ? Peut-on jamais donner assez, d’aversion’ pour ces deux vices, qui furent les causes funestes de la révolte de notre premier père, ni trop décrier ces sources malheureuses de toutes nos misères^? Que les autres prennent donc comme ils voudront les Réflexions morales : pour moi, je les considère comme peinture’* ingénieuse de toutes les singeries du faux sage. Il me semble que, dans chaque trait, i’amour de la vérité lui ôte le masque et le montre tel au il est. Je les regarde ^ comme des leçons d’un maître qui entend jiarfaite- nient l’art de connoître les honmies, qui démêle admirablement bien tous les rôles * qu’ils jouent dans le monde, et qui, non-seulement nous fait prendre garde aux différents caractères des personnages du de i665, et sans changer ni la coupe des vers ni la vieille orthographe. L’au- teur du Discours citait sans doute de mémoire : au moins n’avons -nous trouvé dans aucune édition, soit ancienne, soit moderne, les variantes qu’il a intro- duites dans ce ])assage; partout ces vers sont donnés de la manière suivante^ sans autres différences que celles que le temps a amenées dans l’orthographe : Uomo sonOy e mi pregio D’esser^ u/nano; e teco, che sci uomo O che piii tosto esser dovresti, parla Di cosu untaiia; e se di cotai nome Forse ti sdegni, guarda Cite nel disumanurti Non divenghi una Jera^ anzi che un dio. a. Je suis homme, je suis fier de l’être, et je parle d’une chose humaine à toi qui es homme aussi, ou qu plutôt devrais l’être. Que si tu dédaignes un tel titre, prends garde, en reniant Thunianite, de devenir une hiute, au lieu d’un dieu. » — L’édition de 16^3 supprime l.i citation de Guarini, et la rem- place ainsi par la traduc tion libre, ou plutôt par l’appropriation au sujet, du vers de Térence : a Souvenez-vous, s’il vous plaît, du mot de Térence : Je suis Iiomnie, et je ne prétends pas être exempt des défauts qui sont attachés à la nature liumaine. » . « Voila, Monsieur, comme il faut parler; et au lieu de se fâcher.... » [Édition de ïGgS.) . « .... pour connoître notre amour-propre et notre orgueil. » [Ibidem.) . « assez, d’horreur. » [Ibidem.) . ■< Peut-on trop décrier ces sources malheureuses de toutes les misères du genre humain? » [Ibidem.) . « .... comme K«e ])einture. » [Ibidem.) . Allusion a la planche gravée qui se trouve en tête des quatre premières éditions : voyez, plus loin, la note (5 de la page 3.So. . « Je regarde enfin ces maximes. » [Edition de 1693.) . a Uias les personnages, » [Ibidem.) La Rochefoucauld. 1 24 370 APPENDICE. théâtre, mais encore qui nous fait voir’, en levant nn coin du rideau, que cet amant et ce roi de la comédie sont les mêmes acteurs qui font le docteur et le bouffon dans la farce. Je vous avoue que je n’ai rien lu de notre temps qui m’ait donné plus de mépris pour l’homme, et plus de honte de ma propre vanité. Je pense toujours trouver, à l’ouverture du livre, quelque ressemblance aux mouve- ments secrets de mon cœur; je me tàte moi-même pour examiner s’il dit vrai , et je trouve qu’il le dit presque toujours, et de moi et des autres, plus qu’on ne voudroit^. D’abord, j’en ai quelque dépit; je rougis quelquefois de voir qu’il ait deviné^, mais je sens bien, à force de le lire, que si je n’apprends à devenir plus sage, j’apprends au moins* à connoître que je ne le suis pas; j’apprends enfin, par l’opinion qu’il me donne de moi-même, à ne me répandre pas sottement dans l’admiration de toutes ces vertus dont l’éclat nous saute aux yeux". Les hypocrites® passent mal leur temps à la lecture d’un livre comme celui-là ; défie/.-vous donc, Monsieur, de ceux qui vous en diront du mal, et soyez assuré qu’ils n’en disent que parce qu’ils sont au désespoir de voir révéler des mystères qu’ils voudroient pouvoir cacher toute leur vie aux autres et à eux- mêmes. En ne voulant vous faire qu’une lettre*, je me suis engagé insen- siblement à vous écrire un grand discours : appelez-le comme vous voudrez, ou discours, ou Lttre, il ne m’importe^, pourvu que vous en soyez content, et que "• vous me fassiez l’honneur de me croire, Monsieur, Votre , etc. . « .... aux différents caractères des acteurs qui paraissent sur le théâtre, mais encore nous fait voir. » (Edition de lôgS.) . a .,.. plus qu’on ne voudroit, et souvent plus que je ne Pavois pensé, v (Ibidem.) . Voyez la maxime 632. . « .... j’a])prends du moins. » [Edition de i6g3.) . a .... dont l’éclat nous éblouit. » [Ibidem.) . Aines hj-pocrites, l’édition de 1693 ajoute : il est vrai, . Voyez les maximes 5i7 et 324. . Voyez ci-dessus, p. 35 1, note i. ç). a .... il n’importe. » [Edition de 1693.) , a ,... pourvu que vous vous soyez détrompé de la mauvaise opinion que Vcn vous avait donnée des Reflexions, et que..,. » [Ibidem.) JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 371
JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS SUR LES MAXIMES DE LA ROCHEFOUCAULD. Sous le titre de Jugements des contemporains sur les Maximes de la Roche- foucauld, nous avons réuni seize pièces diverses, parmi icsquelles il en est dont les auteurs sont malheureusement demeurés inconnus’. Quatre seulement avaient paru dans quelques éditions de la Rochefoucauld-^; le reste n’a été donné qu’à titre de citations , souvent partielles, par V. Cousin^, dont nous avons eu plus d’une fois à rectifier le texte. Presque tous ces morceaux ont une source commune, les Portefeuilles de f allant, médecin et secrétaire de Mme de Sablé [Manuscrits de la Bibliothèque impériale). Les numéros i, ii, vi, vu, viii, ix , x et xiu sont extraits du second volume de ce recueil; le numéro v du cinquième, et le numéro m du septième; quant au nuniLTo iv, nous l’avons cherché en vain, au moment de l’impression, dans le recueil de Vallant (voyez plus loin la note 5 de la page 374). Le numéro xi est tiré des Papiers de Conrart, i3’^ volume, in-i" [Manuscrits de la bibliothèque de l’ Arsenal) ; le numéro xn est pris dans les Mémoires imprimés de Daniel Huet, évèque d’Avranches, et le numéro xiv dans le recueil, également imprimé, des Lettres du chevalier de Meré. Nous n’avons pas à indiquer la provenance des deux fables de la Fontaine que l’on trouvera sous les numéros xv et xvi. Le principal intérêt de ces Jugements’ ^ c’est qu’ils sont, pour ainsi dire.
. Ce sont celles que l’on trouvera sous les numéros vil, vni, ix et x.
. Les numéros xi, xv et xvi, dans l’édition de Brotier, et dans celle de Duplessis, qui donne en outre le numéro xiv. . Madame de Sablé, iS.ÏQ, chapitre m, p. i5o-i73 et p. 178-1S0. — Les numéros iv et v ont été publiés, dès 1821, par J. Delort, dans son livre inti- tulé Mes voyages aux environs de Paris, et reproduits par M. Edouard Fournier au tome X de ses Fariétes historiques et littéraires, p. 120- 123 (Paris, Pa- gnerre, i86j, in-12). . Les numéros xiv, xv et xvi ne sont pas, à proprement parler, des Jugements sur les Maximes ; mab ce sont encore, à un certain point de vue, 372 APPENDICE. préventifs, sauf le m", que nous reproduisons à un autre égard, et le xn’, qui ne fut probablement écrit, et assurément publié, que longtemps après la mort de Li Rocliefoucauld ’ . Avant de livrer son œuvre à l’appréciation publique, l’auteur des Maximes voulut recueillir dans son entourage un certain nombre d’appréciations particulières, et l’on sait avec quel zèle Mme de Sablé s’y employa^. Jusqu’à quel point, dans la première édition de son livre, qui sui- vit d’assez près ’, a-t-il tenu compte des objections faites ? C’est ce que les curieux pourront voir, grâce aux Jugements que nous réunissons aujourd’hui, et aux premières leçons du manuscrit , que nous avons fidèlement recueillies au bas du texte des Maximes, pour faciliter la comparaison entre la pensée première et la pensée définitive de l’auteur. LA PRINCESSE DE GUYMENÉ A MADAME DE SABLÉ, SLR LES MAXIMES DE M. DE LA ROCHEFOUCAULD [l663]*. .... Je n’ai encore vu que les premières maximes, à cause que j’avois hier mal à la tète ; mais ce que j’en ai vu me paroît plus fondé sur l’humeur de l’auteur que sur la vérité, car il ne croit point de libéralité sans intérêt^, ni de pitié^; c’est qu’il juge tout le monde par lui-même. Pour le plus grand nombre, il a raison ; mais assurément il y a des gens qui ne désirent autre chose que de faire du bien.... des appréciations du livre de la Piocbefoucauld, et c’est à ce titre que nous leur avons donné place dans cet A[>pendice. . Voyez plus loin, p. Sgo, note i. . Voyez lu Notice bios;raphique. . La plupart de ces pièces ne sont pas datées, mais elles se rapportent évi- demment aux années i663 et 1664; c’était le temps où l’auteur faisait lire et juger ses Maximes encore manuscrites, avec défense expresse d’en jn-endre copie. On l’a vu plus haut (p. 3.Ï2), bien que le livre n’ait paru qu’au mois de février i665, il était imprimé dès le 27 octobre 1664- . Extrait du tome II des Poi tejeuilles de ^’allant, folios 182 et i83. — Aune de Rohan, morte k’ 14 mars |6S5, était fille unique de Pierre de Ro- han, prince de Giiymené. Elle avait épousé, en 161 7, son cousin germain, L(mis Vit de Rohan, prince de Guymeué, duc de Montbazon, pair et grand veneur de France, mort le 19 février 1667, à l’âge de soixante-huit ans. . Vovcz la maxime 263. . Voyez la maxime 264. . Mme de Sablé dit la même chose : voyez ci-dessus, p. 141, note 2. — Voyez encore le Discours sur les Maximes, p. 867; le Projet dirticle pour le Journal des Savants, p. 892 ; et la Lettre du chevalier de Meré, p. 896. JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. ^fi II MADAME DE LIANCOURT A MADAME DE SABLÉ [l6G)]’. Je n’avois qu’une partie d’un petit cahier des maximes que vous savez, quand j’eus l’honneur de vous voir, et il déhutoit si cruelle- ment contre les vertus, qu’il me scandalisa, aussi bien que beaucoup d’autres; mais depuis j’ai tout lu, et je fais amende honorable à votre jugement, car je vois bien qu’il y a dans cet écrit de fort jolies choses, et même, je crois, de bonnes, pourvu qu’on ôte l’équivoque qui fait confondre les vraies vei tus avec les fausses. Un de mes amis* a changé quelques mots en plusieurs articles, qui raccommodent, je crois, ce qu’il y avoit de mal; je vous les irai lire^ un de ces jours, si vous avez loisir de me donner audience*. I. Extrait du tome II des Portefeuilles de Voilant^ folio rg3. — En citant cette lettre [Madame de Sable^ i^.9, cliaj)itie in, p. i5S et lïy), V. Cou- sin y joint les réflexions suivantes : << La duchesse de Liancouit, Jeanne de Schomberg, qui jouissait d’une assez grande réputation d’esprit et de vertu, célèbre aussi par son goût pour les beaux bâtiments et les lieaux jardins, et qui a créé la magnifique résidence de Liancourt, janséniste éclairée, auteur d’un excellent traité d’éducation, et dont la fille {f^ . Cousin se trompe; il au- rait dil dire a la petite-Jille ») épousa le fils de la Rocliefouc in!d, fut cho- quée, et, comme elle le dit, scandalisée à la première lecture; ])uis elle se radoucit, peut-être un peu par politique, par condescendance pour Mme de Sablé et la Rochefoucauld, et grâce à une distinction qui ôte, en effet, le scandale, mais aussi tout le piquant des Maximes Mme de Liancourt n’avait pas vu que cette équivoque, qu’elle relève avec raison dans le livre des Maximes, est le livre tout entier; quelques mots ajoutés ne justifieraient- le système qu’en le renversant. » — J’ajoute que pourtant c’est ce qu’a fait la Rocliefoucauld lui-même, dans les diverses éditions de son livre; avec les correctifs quelquefois, souvent, peut-être, etc., etc., il a atténué, autant qu’il l’a pu, les ternifs, trop absolus d’abord, de bon nombre de ses pensées. . Cet ami-là pourrait bien être la dmliesse de Liancourt elle-même . V. Cousin donne à tort : « je vous les lirai, « et à la ligne suivante : a. si vous avez /e loisir. » . Il était quelquefois fort difficile de joindre Mme de Sablé ; elle poussait le soin de sa santé jusqu’à la manie, et se faisait impitoyablement ye/’OTt;/- pen- dant des sf maines entières, par les temps de fièvres, ou même desimpies rhumes. — La Rochefoucauld et Mme Je l.i Fayette, entre autres, s’en jilaignent plus d’une fois dans leurs lettres, a Feu Mme de Sable, » disait dans ce cas-là le spirituel abbé de la Victoire. — Voyez V. Cousin, Madame de Sablé, p. 102; et Port-Rnjal de AI. Sainte-Beuve, livre II, chapitre xui, et livre V, chapitre x. 374 APPENDICE. III MADEMOISELLE DE VERTUS A MADAME DE SABLÉ [l663]’. .... Que me dites-vous de ces Maslmes qu’on a montrées à M. le comte de Saint-Paul*? Je ne sais ce que c’est ^, m;iis il me semble qu’il ne faudroit point trop le laisser entretenir parce M. de Neuré*; car c’est une personne qui apparemment n’est pas contente de Mme de Longueville, et qui a Lien envie, à ce qu’on m’a dit, de ren- trer dans cette maison. Si vous disiez à M. le comte de Saint-Paul qu’il ne faut pas qu’il s’amuse à les lire? Il a une grande déférence pour vous, et ainsi cela lui deviendroit suspect. IV MADAME DE LA FAYETTE A MADAME DE SABLÉ [l663]*. Je viens d’arriver à Fresnes, où j’ai été deux jours en solitude . Extrait du tome VII des Poi tefeuiUt’s de J’aUnnt , fi)Ii<) 12 1. — ÎS’ous donnons un extrait de cette lettre ])arce qu’ell • montie ju’-qu’a quel point, dans l’entourage de Mme de Longueville, on redoutait, pour le jeune comte de Saint-P.iul, la lecture des Maximes. Elle n’est ])as datée, mais comme, dans un passage qui n’a pas traita notre sujet, il est fait mention de la mort récente de la comtesse de Maure, amie de Mme de Salilé, cette lettre est évidemment de i663. — Mlle de Vertus (r.athcrine-Francoise de Bretagne) étiit sœur de la duchesse de Montbazon. Elle mourut à soixante-quinze ans, le 21 no- vembre 1692. Elle s’était convertie peu de temps avjnt Mme de Longueville, qu’elle entraîna vers Port-Royal, et dont elle devint bientôt, comme le dit M. Sainte-Beuve [Port-Royal , tome IV, p. 497)j l’amie intime et le plus actif aide de camp, pour toutes les affaires domestiques et autre f. On en voit la preuve dans cette lettre même, qui fut peut-être écrite à l’instigation de Mme de Longueville. . Charles-Paris d’Orléans, comte de Saint-Paul ou de Saint-Pol, puis duc de Longueville, né en pleine Fronde, le 29 janvier 1649, à l’hôtel de ville de Paris (d’où son second prénom), tué au passage du Rhin en 1672. De noto- riété ])ublique, il était fils de la Rochefoucauld. Voez la Notice /lio^raphique. . Bien que la Rochefoucauld l’eût beaucoup connue autrefois, et qu’il en eût même couru quelques mauvais bruits (voyez Port-Royal de M. Sainte- Beuve, tome IV, p. 494 et 496^ il n’est j)as probable, en effet, que Mlle de Vertus ait eu communication des Maximes en manuscrit. Elle était pour cela trop engagée avec !Mme de Longueville. . Mathurin de IVeuré, mathé/uaticien, astronome, ami de Gassendi, et précepteur des fils de Mme de Longueville. Moréfi nous apprend qn’il s’était brouillé :ivec la duchesse, et qu’il avait comjiosé contre elle un libelle, qu’elle eut à peine le temps de faire saisir avant l’impression. . Nous ne donnons de cette curieuse lettre et de la suivante que ce qui a trait à la E.ocljefoucauld. — Comme nous l’avons dit à la page S;! , nous ne savons où est maintenant l’original du numéro iv; mais nous avons, pour réJUGEiMENTS DES COPsTE^l FORAINS. 3:5 avec Mme du Plessis’..,. Nous y avons lu les Maximes de M. de la Rochefoucauld. Ha! Madame, quelle corniption il faut avoir dans l’esprit et dans le cœur, pour être capable d’imaginer tout cela*! J’en suis si épouvantée, que je vous assure que, si les plaisanteries étoient des choses sérieuses, de telles maximes gàteroient plus ses affaires que tous les potages qu’il mangea l’autre jour chez vous. V MADAME DE LA FAYETTE A MADAME DE SABLÉ [l6C3]. Vous me donneriez le plus grand chagrin du monde, si vous ne me montriez pas vos Maximes^ ; Mme du Plessis m’a donné une curio- sité étrange de les voir, et c’est justement parce qu’elles sont hon- nêtes et raisonnables que j’en ai envie, et qu’elles me persuaderont que toutes les personnes de bon sens ne sont pas si persuadées de la corruption générale que l’est M. de la Rochefoucauld VI PENSÉES DE MADAME DE SCHOMBERG SUR LES MAXIMES DE M. DE LA ROCHEFOLCAOLD [1664]^. Je crus hier, tout le jour, vous pouvoir renvoyer vos maximes, pondre de son autlienticité, la double caution de M. Edouard Fournier et de De- !ort, qui tous les deux l’ont pul)lié d’après la pièce autogra])lie. . Isalielle de Choiseul-Praslin, femme de Henri du Plessis-Guénégaud, an- cien trésorier de l’Epargne. Le château de Fresnes, près de Aleaux, ap])artint plus tard aux Daguesseau. Fresnes et l’iiùtel deNevers,que Mme du Plessis ha- bitait à Paris, étaient assidûment fréquentés par les beaux esprits du temps. . Si cette lettre n’avait échappé à V. Cousin, quel parti n’en eût-il pas tiré contre la Rocliefoucauld ! . Extrait du tome V des Portefeuilles de Fallant, folios 288 et 2S9. — Les Maximes de Mme de Sablé demeurèrent longtemps manuscrites, car elles ne parurent qu’après la mort de la marquise, en li’)"]^, sous ce titre : Maximes de Madame la marquise de Sablé, et Pensées diverses de M. L. D. (M. l’abbé •d’Ailly). — La presque similitude de nom les a fait attribuer souvent à Mme de la Sablière, qui, d’ailleurs, en avait composé d’autres, sons le titre de Maximes chrétiennes . . Extrait du tome II des Portefeuilles de f allant, folios 178 et 17g. — Nous conservons le titre que donne Vallant à cette pièce, adressée, sous forme de lettre, par Mme de Schomberg à Mme de Sablé. Comme elle eut un succès aussi grand que mérité, on en fit de nombreuses copies; il s’en trouve jusqu’à six dans le seul recueil de Vallant. Il y en a une, corrigée de la main de Vallant lui-même, sous la dictée de Mme de Sablé, sans nul doute, car ce secrétaire- médecin ne se fût point permis semblable liberté avec la prose de la duchesse 376 APPENDICE. mais il me fut impossible d’en trouver le temps Je voulois vous écrire, et m’étendre sur leur sujet: je ne puis pas pourtant vous en dire mon sentiment en détail’. Tout ce qu’il m’en paroît, en général est qu’il y a en cet ouvrage beaucoup d’esprit, peu de bonté, et force vérités que j’aurois ignorées toute ma vie, si l’on ne m’en avoit fait apercevoir. Je ne suis pas encore’ parvenue à cette babileté d’esprit où l’on ne connoît, dans le monde, ni bonneur, ni bonté, ni ])robité ; je croyois qu’il y en ])ouvoit avoir; cependant, après la lecture de cet écrit, l’on demeure persun dé qu’il n’y a ni vice ni vertu à rien’", et que l’on fait nécessairement toutes les actions de la vie. S’il est ainsi que nous ne nous puissions empêcber de faire tout ce que nous desirons, nous sommes excusables, et vous jugez de là consbien ces maximes sont dangereuses. Je trouve encore que cela n’est pas bien écrit en françois, c’est-à-dire que ce sont des phrases et des manières de parler qui sont plutôt d’un homme de la cour que d’un auteur*. Cela ne me déplaît pas, et ce que je vous en puis dire de plus vrai est que je les entends toutes, comme si je les avois faites, quoique bien des gens y trouvent de l’obscurité en certains endroits ^. Il y en a qui me charment, comme : Vesprit est toujours la dupe du cœur^ ; de ScLomberg. V. Cousin [Madame de Sablé, chapitre in, p. i65) pense que la marquise avait voulu en ôter tout ce qui pouvait déplaire à la Rochefoucauld ; l’observation, si elle est fondée, ne s’appliquerait qu’à une partie des correc- tions, car beaucoup d’entre elles ne sont que de simples retouches de style, faites peut-être par Mme de Schomljcrg elle-même, et que, dans ce cas, Mme de Sablé aurait fait simplement transcrire. Quoi qu’il en soit, nous donnons cette lettre dans son état primitif, et nous notons en leur lieu les principales sup- pressions ou corrections. — On sait que la duchesse de Schomberg était cette belle Marie de Hautefort que Louis XIII avait aimée plaloniquement^ et que la Rochefouc.iuld, au temps de sa jeunesse, aurait voulu aimer d’une autre açon, si l’on en croit V. Cousin [Madar/ie de Hautefort, p. 29 et 3o; et Ma- dame de Sablé, p. i6o). . Celte phrase est supprimée dans la cojiie corrigée. . La copie corrigée supprime encore. . Copie corrigée : « jet suis comme persuadée ( ’ n’y en a point. » Après cette correction , qui ôte à la pensée son air de généralité, en la réduisant à une appréciation individuelle, la phrase s’arrête, et l’on passe à : ce que je lous eu puis dire de plus vrai (voyez sept lignes jtius loin) . Le passage sup- primé pouvait, en effet, être désagréable à la Rochefoucauld. . Une autre copie donne un bel es/irit, au lieu d’H« auteur. — Dans tous les cas, ce reproche des contemporains est pour la postérité un éloge de plus. — Voyez plus loin, p. 378, note 5, où Mme de Schomberg revient sur cette idée; voyez aussi plus haut, p. 357 et note 4- . Dans la copie corrigée, ce dernier membre de phrase est suj)primé. — En effet, Mme de Sévigné, entre autres [Lettre du 20 janvier 1672, tome II, p. 472), bien qu’elle admirât beaucoup les Maximes, <c avoue, à sa honte, qu’il y en a plusieuis qu’elle n’entend pas. » De même Mme de Rohan , abbesse de Malnoue, ne les comprenait pas toutes (voyez plus loin, p. 387 et 388). — Voyez aussi, plus haut, le Discours sur les Maximes, p. 366. . Voyez plus haut, p. 48, note 4, et la maxime 102. JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 377 je ne sais si vous l’entendez comme moi ; mais je l’enlends, ce me semble, bien joliment ’, et voici comment : c’est que l’esprit croit toujours, par son habileté et par ses raisonnements, faire faire au cœur ce qu’il veut; mais il se trompe, il eu est la dupe : c’est tou- jours le cœur qui fait agir l’esprit ; l’on suit tous ses mouvements, malgré que l’on eu ait*, et l’on les suit même sans croire les suivre. Cela se connoît mieux en galanterie qu’aux autres actions, et je me souviens de certains vers sur ce sujet qui ne sont’ pas mal à propos . La raison sans cesse raisonne Et jamais n’a guéri personne, Et le dépit le plus souvent Rend plus amoureux que devant ’. Il V en a encore une qui me paroît bien véritable, et à quoi le monde ne pense pas, parce qu’on ne voit autre chose que des gens qui blâment le goût des autres ’^ : c’est celle qui dit que la fclicité est dans le goût, et non pas dans les choses ; c’est pour avoir ce qu’on aime qu’on est heureux, et non pas ce que les autres trouvent aimable ®. Mais ce qui m’a été tout nouveau et que j’admire, est que la paresse, toute languissante quelle est, détruit toutes les passions . Il est vrai, et l’on a bien fouillé dans l’âme pour y trouver un sentiment si caché, mais si véritable, que je crois que nulle de ces mo.jimes ne l’est davan- tage, et je suis ravie de savoir que c’est à la paresse à qui l’on a l’obligation de la destruction de toutes les passions. Je crois qu’à présent on doit l’estimer* comme la seide vertu qu’il v a dans le monde, puisque c’est elle qui déracine tous les vices ; comme j’ai toujours eu beaucoup de respect pour elle*, je suis fort aise qu’elle ait uu si grand mérite. Que dites-vous aussi, Madame, de ce que chacun se faii un extérieur . Mme de Sablé répond à Mme de Scliomberg : « L’explication que vous donnez à cette maxime que l’esprit est toujours la dupe du cœnr^ est plus que joliment entendue; mais ce joUment-Xa. est fort joliment dit, et vous avez admiral)leraent achevé la maximr’. Il est vrai que l’amour la lait mieux entendre que les autres passions ; mais cela n’empèclie pas qu’il ne soit vrai que l’esprit est partout la dupe du cœur. » . Copie corrigée : « maigre qu^on en ait. n . Substitué à seront de la rédaction primitive. . V. Cousin [Madame de Subie, note de la page i63) demande de qui sont ces jolis vers. Nous l’avons vainement cherché. . La Copie corrigée supprime ces deux derniers membres de phrase : a et à quoi le monde, etc. » . C’est la maxime 48, avec quelques légères différences dans le texie qu’en donne Mme de Scliomberg. . Voyez la maxime 266 et la note. . Copie corrigée : « Je pense qu’on doit l’estimer présentement -n . Copie corrigée : « comme je lui ai porté toujours beaucoup de res- pect. » 37» APPENDICE. et une mine qu’il met en la place de ce que Fon veut ’ paraître , au lieu de ce que Von est * ? Il y a longtemps que je l’ai pensé, et que j’ai dit que tout le monde étoit en mascarade, et mieux déguisé que l’on ne l’est à celle du Louvre’, car l’on n’y reconnoît personne. Enfin que tout soit à se disposer honnête, et non pas l’être*, cela est pour- tant bien étrange". Je ne sais si cela réussira imprimé comme en manuscrit; mais si j’étois du conseil de l’auteur, je ne mettrois point au jour** ces mys- tères, qui ôteront à tout jamais la confiance qu’on pourroit prendre en lui : il en sait tant là-dessus et il paroît si fin, qu’il ne peut plus mettre en usage’ cette souveraine habileté qui est de ne paroître point en avoir*. Je vous dis à bâtonrompu^ tout ce qui me reste dans l’esprit de cette lecture ; je ne pense qu’à vous obéir ’" ponctuellement, et en le faisant, je crois ne pouvoir failhr, quelque sottise que je puisse dire. Je n’ai point pris de copie, je vous en donne ma parole, ni n’en ai parlé à personne ". I. Dans la copie corrigée : « qu’iZ veut; » et à la fin de la citation : « qu’j7 est. » •1. C’est la pensée, sinon le texte, de la maxime 256. . La copie corri{;ée arrête ici la phrase, et supprime le reste de l’alinéa. . Copie corrigée : « Enfin que tout soit arte di parer onesta , et non pas l’être. » — Voyez, la maxime 6o5 et la note. Du reste, dès la seconde édi- tion, l’auteur a su|)])rimé cette maxime. . Une autre copie ajoute ici : « Voici de ces phrases nouvelles : La nature fait le mérite et la J’urtune le met en œuvre [maxime i53). Ces modes-là de parler me plaisent, parce que cela distingue bien un honnête homme, qui écrit pour son plaisir et comme il parle, d’avec les gens qui en font métier (voyez plus haut, p. 876 et note 4); mais je ne sais si cela réussira imprimé.... » . Copie corrigée : « je serais d’avis qu’il ne mît point au jour.... » — Deux autres copies donnent : « je ne voudrois peint qu’il mît au jour » — a Je ne semis //as d’avis qu’il mît au jour.... » . Copie corrigée : << il montre d’en savoir tant là-dessus, qu’il ne saurait plus mettre en usage » . Maxime 243. — Mme de Sablé répondant à Mme de Scliomberg : « Ce que vous dites, que l’auteur ne pourra mettre en usage sa finesse, est fort bien pensé — En vérité, vous êtes une habile personne. » . Il y a ainsi le singulier dans le manuscrit. . Une autre copie (folio 18/)) ajoute ici: « Si vous les gardez, je les lirai avec vous, et Je vous en dirai mieux mon avis que je ne Jais à cette heure, oii Je n’ai pas le temps de J’ai re une réflexion qui vaille; je ne pense qu’à vous obi ir » II. La c’ipie corrigée supiirime cette dernière phrase; une autre copie (folio i85) la maintient, et y ajoute : a Je vous prie aussi de ne dire a qui que ce soit ce que Je pense. J’espère d’avoir l’honneur de vous voir demain. » VII JUGEMENT SUR LES MAXIMES DK M. DK LA ROCHEFOUCAULD [r66/,]^ Je vous ai beaucoup d’obligation d’avoir fait un jugement de moi si avantageux que de croire que j’étois capable de dire mon sentiment de l’écrit que vous m’avez envoyé. Je vous proteste, Madame, avec toute la sincéiité de mon cœur, quoique l’auteur de l’écrit n’en croie point de véritable, que j’en suis incapable, et que je n’entends rien en ces choses si subtiles et si délicates ; mais puisque vous commandez, il faut obéir. Je vous dirai donc, IMadame, après avoir l)ien consi- déré cet écrit, que ce n’est qu’une collection de plusieurs livres d’où l’on a clioisi les sentences, les pointes et les choses qui avoient ])lus de rapport au dessein de celui qui a prétendu en faire un ouvrage considérable. J’ai l’esprit si rempli des idées de maçonnerie, que je m’imagine que tout ce que je vois en a la ressemblance et que cet ou- vrage s’y peut comparer. Je sais bien que vous direz que je ne suis qu’un maçon ou un charpentier en cette matière, mais vous m’avoue- rez aussi qu’il est composé de différents matériaux- ; on y remarque de belles pierres, j’en demeure d’accord ; mais on ne sauroit discon- venir qu’il ne s’y trouve aussi du moellon et beaucoup de plâtras, qui sont si mal joints ensemble qu’il est impossible qu’ils puissent faire corps ni liaison, et, par conséquent, que l’ouvrage puisse sub- sister*. Après la raillerie, il est bon d’entrer un peu dans le sérieux, et de vous dire que les auteurs des livres desquels on a colligé ces sen- tences, ces pointes et ces périodes, les avoient mieux placées; car si l’on voyoit ce qui étoit devant et après, assurément on en seroit })lus édifié ou moins scandalisé. Il y a beaucoup de simples dont le suc est poison, qui ne sont point dangereux lorsqu’on n’en a rien extrait et que la plante est en son entier. Ce n’est pas que cet écrit ne soit bon en de bonnes mains, comme les vôtres, qui savent tirer le bien du . Extrait du tome II des Portefeuilles de f^iillanl, folio 170. — Le titre est de la main de Vallant. L’auteur de cette pièce est inconnu, mais elle fut certainement communiquée à la Rocliefoucauld, car l’adresse de renvoi (à Ma- dame lu Marquise de Sable) est écrite [)ar lui. . La lettre originale, dont l’ortliograjibe d’ailleurs est singulièrement dé- fectueuse, donne inatereaux. . V. Cousin supprime cette phrase et les deux précédentes (depuis : Je vous dirai donc. Madame ), ne les trouvant pas, dt-i, Jbrt plaisantes. (Ma- dame de Sable, p. i55.) — Il a raison, sans aucun doute, mais notre tâche d’édi- teur ne nous permet pas même licence. 38o APPENDICE. mal même ; mais aussi on peut dire qu’entre les mains de personnes libertines ’ ou qui auroicnt de la pente aux o|)iniGns nouvelles*, que* cet érrit les pourroit confirmer dans leur erreur, et leur faire croire qu’il n’y a point du tout de vertu, et que c’est folie de prétendre de devenir vertueux, et jeter ainsi le monde dans l’indifférence et dans l’oisiveté, qui est la mère de tous les vices. J’en parlai hier à un homme de mes amis, qui me dit qu’il avoit vu cet écrit, et qu’à son avis, il découvroit les parties honteuses de la vie civile et de la société humaine, sur lesquelles il falloit tirer le rideau : ce que je fais, de peur que cela fasse mal aux yeux délicats, comme les vôtres, qui ne sauroient rien souffrir d’impur et de déshonnête. VIII JUGEMENT DES MylXIMES DE M. DE LA EOCnEFOUCAVLD [1664]. J’appellerois volontiers l’auteur de ces Maximes un orateur élo- quent et un philosophe plus critique que savant; aussi n’a-t-il* autre principe de ses sentiments que la fécondité de son imagination. Il affecte dans ses divisions et dans ses définitions, subtilement, mais sans fondement inventées, de passer pour un Sénèque®, ne prenant pas garde néanmoins que celui-ci, dans sa morale, tout païen qu’il
. On sait que, dans la langue du dix-septième siècle, le mot libertin signi-
fiait à peu près ce qu’on entend aujourd’hui par libre penseur. . « Probablement, fait remarquer V. Cousin, l’opinion des sceptiques et des épicuriens, de Lamothe le Yayer, Gassendi, lîeinier, etc. » — Voyez plus loin, p. 384. . Cette conjonction inutilement répétée est bien dans le texte. . Extrait du tome II des Portefeuilles de VuUant, folio 16G. — Ce mor- ceau n’est pas signé; notre titre est celui que Valtant lui donne. V. Cousin n’en a pris que des fragments [Madame de Sable, p. l54)- . La pièce originale donne n’a-il (voyez la note 2 de la page suivante). . La Rochefoucauld ajjectait^ au contraire, de réfuter Sénèque, et même de lui arracher le masque. On voit en tête de ses quatre premières éditions une planche, gravée par Etienne Picart, où V Amour de la l’erité (la Roche- foucauld), sous la figure d’un enfant au regard et au sourire malicieux, arrache à un buste de Sénèque son masque, sa couronne de laurier, et dit, en le mon- trant du doigt : Quid vetat.^ c’est-à-dire en français : Pourquoi pas. Le sujet et la devise remettent en mémoire ces deux passages d’Horace : .... Dicere ver uni Quid vetat.^ (Livre I, satire i, vers 24 et aS.) .... Illi detrahere ausim Hserentem capiti coronam. (Livre I, satirex, vers 4Set49.) « Pourquoi ne pas dire le vrai ? — J’oserai ai-racher la couronne qui lui ceint le front. » — Rapprochez de la maxime 589 ; voyez aussi p. 869 et note 6. JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 38i ■étoit, ne s’est jamais jeté dans cette extrémité que de confondre toutes les -verius des sages de son temps, ni de les faire passer pour des vices; il a cru qu’il y en avolt de tempérants et de dissolus, de bons et de mauvais, d’humbles et de superbes, et il n’a jamais dit qu’on pût, sous une véritable humilité, cacher une superl)e inso- lente : elles sont trop antipathiques pour pouvoir habiter la même demeure ’. Je lui donnerois néanmoins cette louange que de savoir puissamment invectiver, et d’avoir parfaitement bien rencontré où il s’est agi de mériter le titre de satirique. C’est à contre-cœur que je loue de la sorte son ouvrage tout à fait spirituel, et peut-être pourra- t-on * dire que je tombe dans le même défaut dont je l’accuse ; mais certes, considérant que par ces Maximes il n’y a aucune vertu chré- tienne, si solide qu’elle soit, qui ne puisse être censurée, content du désavantage d’en être dépourvu, j’aime mieux ne passer pas pour complaisant, en approuvant sa doctrine, que d’être dans un perpé- tuel danger de déclamer contre les belles qualités, ni médire des plus vertueux, IX LETTRE ADRESSÉE A MADAME LA DUCHESSE DE SCHOMBERG, SUR LES MAXIMES DE M. DE LA ROCHEFOUCAULD [1664]’. A considérer superficiellement l’écrit que vous m’avez envoyé , il semble tout à fait malin, et il ressemble fort à la production d’un esprit fier, orgueilleux, satirique, dédaigneux, ennemi déclaré du bien, sous quelque visage qu’il paroisse, partisan très-passionné du mal, auquel il attribue tout, qui querelle et qui choque toutes les vertus, et qui doit enfin passer pour le destructeur de la morale, et pour l’empoisonneur de toutes les bonnes actions, qu’il veut absolu- ment qui passent pour autant de vices déguisés^. Mais, quand on le . Dans !a lettre autographe, ce mot est écrit demure. . Dans le manuscrit : pourra-on (voyez la note 5 de la page précédente), . Extrait du tome II des Portefeuilles de Vallant, folio 164. — L’auteur de cette Lettre nous est également inconnu ; mais le fond des idées donnerait lieu de croire que c’était une personne qui partageait les idées de Port-Royal, et un homme, en tout cas, de quelque importance, car outre la pièce originale, Mme de Sahlé voulut avoir une copie, qui se troue dans le même portefeuille de Vallant, — V, Cousin a donné cette pièce [Madame de Sahlé, p, iSo-lSa), en supprimant volontairement un passage, que nous indiquerons, sans parler de plusieurs autres omissions de détail qu’il est inutile de signaler. . <■ Ces petites incorrections, dit V. Cousin, qui de la conversation passent dans le style, trahissent un homme qui n’est pas un auteur, » — Le tour auquel cette observation s’applique [qui après <{ue’) n’était pas encore, en ce 382 APPENDICE. lit avec un peu de cet esprit pénétrant qui va bientôt jusqu’au fond des choses, pour y trouver le fin, le délicat et le solide, ou est con- traint d’avouer ce que je vous déclare, qu’il n’y a rien de plus fort de plus véritable, de plus philosophe, ni même de plus chrétien parce que, dans la vérité, c’est une morale très-délicate, qui exprime d’une manière peu connue aux anciens philosophes et aux nouveaux pédants’ la nature des passions qui se traestissent dans nous si sou- vent en vertus. C’est la découverte du foible de la sagesse humaine, et de la raison, et de ce qu’on appelle force d’esj)rit; c’est une satire très-forte et très-ingénieuse de la corruption de la nature par le péché originel, de l’aniour-propre et de l’orgueil, et de la malignité de l’esprit humain qui corrompt tout, quand il agit de soi-même, sans l’esprit de Dieu. C’est une agréable description de ce qui se fait par les plus honnêtes gens, quand ils n’ont point d’autre con- duite que celle de la lumière naturelle, et de la raison sans la grâce. C’est une école de l’humilité chrétienne, où nous pouvons apprendre les défauts de ce que l’on appelle si mal à propos nos vertus j c’est un parfaitement beau commentaire du texte de saint Augustin qui dit que toutes Its vertus des infidèles sont des vices ^; c’est un anti-Sé- nèque, qui abat l’orgueil du faux sage , que ce superbe philosophe élève à l’égal de Jupiter*; c’est un soleil qui fait fondre la neige qui couvre la laideur de ces rochers infructueux de la seule vertu mo- rale; c’est un fonds très-fertile d’une infinité de belles vérités qu’on a le plaisir de découvrir en fouissant un peu par la méditation^. Enfin, pour dire nettement mon sentiment, quoiqu’il y ait partout des paradoxes, ces paradoxes sont pourtant très-véritables, pourvu qu’on demeure toujours dans les termes de la vertu morale et de la raison naturelle, sans la grâce. Il n’y en a point que je ne soutienne, et il y en a même plusieurs qui s’accordent parfaitement avec les sentences de VEcctésiastique°, qui contient la morale du Saint-Esprit. temps-là, regardé généralement comme une incorrection. On en peut voir de nombreux exemples dans le Lexique de Mme de Sevigne , tome I, p. xxiii et ixiv.
. <( Style de gentilhomme, » fait observer V. Cousin à propos du mot
pédants; c’est peut-être conclure un peu vite sur un seul mot, bien que l’ensemlile de la lettre se prête à cette conjecture. . Voyez plus liaut, p. 363 et note 4- . Voyez ci-dessus, p. 36o et note 8. . C’est la fin de cette phrase, à jiartir de : c’est un soleil, que V. Cousin a supprimée. Assurément ce pathos était ])eu regrettable en lui-même; nous le rétablissons toutefois par respect pour l’exactitude. . L’auteur de la lettre a sans doute vouhi dire i’Ecclésiasle. C’est dans ce dernier livre, et non dans celui de l’Ecclésiastique, que se lisent plusieurs sentences sur la corruption de Diomme qui viendraient a l’appui des Maximes de la Rochefoucauld. Par exemple : J’on est liomo jus tus in terra, qui Jaciat bonuin (chapitre vu, verset 21), a il n’est pas sur la terre d’homme juste qui Enfin, je n’y trouve rien à reprendre que ce qu’il dit q’x'on ne loue jamais que pour être loue* , car je oiis jure que je ne prétends nulles louanges de celles que je suis obligé de lui donner; et dans l’humeur où je suis, je lui en donnerois bien d’autres ; niais il y a là-bas un fort honnête homme qui m’attend dans son carrosse pour rue mener faire l’essai de notre chocolaté*. Vous y avez quelque intérêt, et moi aussi, parce que vous êtes de moitié avec Mme la princesse de Guymené, pour m’en faire ma provision.
X
LfTTRE A MADAME LA MARQUISE DE SABLÉ, SUR LES MAXIMES DE M. DE LA ROCHEFOUCAULD [1664]^. Je vous suis infiniment obligé, Madame, de m’avoir donné la pièce que je vous renvoie, et encore que je n’aie eu que le loisir de la par- courir dans le peu de temps que vous m’avez prescrit pour la lire, je n’ai pas laissé d’en retirer lieaucoup de plaisir et de profit, et une estime si particulière pour l’auteur et pour son ouvrage, qu’en vérité je ne suis pas capable de vous la bien exprimer. L’on voit bien que ce faiseur de maximes n’est pas un homme nourri dans la province, ni dans l’Université; c’est un homme de qualité qui connoît parfaitement la cour et le monde, qui en a goûté autrefois toutes les douceurs, qui en a aussi senti souvent les amertumes, et qui s’est donné le loisir d’en étudier et d’en pénétrer tous les détours et toutes les finesses. Mais outre cela, comme la nature lui a donné cette étendue d’esprit, cette profondeur et ce discernement, joint à la droiture, à la délicatesse et à ce beati tour dont il parle en quelques endroits de cet écrit*, il ne faut pas s’étonner s’il a pro-
fasse le bien; » Corda Jîliorum liominuni iiuylentur tnalitia (chapitre IX, ver-
set 3), « les cœurs des enfants des liommes sont remplis de malice; v Pecttnin:
obediunt omnia (cliapitre x, verset 19:, << tout oliéit à l’argent (à l’intérêt^. »
. Maxime 146.
. C’est en effet ainsi que le mot s’est écrit d’al)ord ; Richelet {1680) et
Furetière (1690) n’ont que cette fornic-là ; l’Académie (i(iç)4) a chocolat et
chocolaté. V. Cousin donne choculal.
. Extrait du tome II àes Portefeuilles de Vallant ^ folio ’)i. — Sur la
lettre originale, la date a été grattée, mais le cliiffre 1664 est demeuré li-
sible. — C’est encore une pièce que V. Cousin ne donne que partiellement
{JSIaiUnne de SahU, p. i f)2-i 54) , avec d’assez nombreuses inexactitudes, dont
nous ne relèverons que les principales. — Dans cette lettre, plus encore que
dans la précédente, on reconnaîtra les idées et la forme jansénistes. On peut,
croyons-nous, l’attribuer sans témérité à quelque docteur de Port-Royal.
. Voyez ci-dessus (p. 74, notes 3 et 4) l^s variantes des maximes 99 et 384 APPENDICE.
nonce si judicieusement sur des matières qu’il avoit si parfaitement
connues.
Pour ce qui est de l’ouvrage, c’est, à mon sens, la plus belle et la
plus utile pliilosophie qui se fit jamais; c’est l’abrégé de tout ce qu’il
y a de sage et de bon ’ dans toutes les anciennes et nouvelles sectes
des pbilosopbes, et quiconque saura bien cet écrit n’a plus besoin de
lire Senèque, ni Epictète, ni Montaigne, ni Charron, ni tout ce qu’on
a ramassé, depuis peu, de la morale des sceptiques et des épicuriens*.
On apprend véritablement à se connoître dans ces livres, mais c’est
pour en devenir plus superbe et plus amateur de soi-tnème; celui-ci
nous fait connoître, mais c’est pour nous mépriser et pour nous
humilier; c’est pour nous donner de la défiance, et nous mettre sur
nos gardes contre nous-mêmes et contre toutes les choses qui nous
touchent et nous environnent ; c’est pour nous donner du dégoût de
toutes les choses du monde, et nous en détacher, nous tourner du
côté de Dieu^, qui seul est bon, juste, immuable, et digne d’être
aimé, honoré, et servi. On pourroit dire que le chrétien commence
où votre philosophe finit ■*, et l’on ne pourroit faire une instruction
plus propre à un catéchumène, pour convertir à Dieu son esprit et
sa volonté; et cela me fait souvenir d’une excellente comparaison,
que j’ai autrefois lue dans une épitrc de Sénèque^ : C’est une chose
bien étrange, dit-il, de considérer un enfant, pendant les neuf mois
qu’il demeure dans le ventre de sa mère, avant que de venir au
monde : il a des yeux, et ne voit point ; il a des oreilles, et il n’en-
tend point ; il ne sait ce qu’il doit devenir ; il n’a aucune connois-
sance de la vie en laquelle il doit entrer. Que si cet enfant pouvoit
raisonner, n’est-il pas vrai qu’il jugeroit bien que toutes ces facultés
et tous ces organes ne lui sont pas donnés en vain par la nature? que
puisqu’il a une bouche, il ne doit pas prendre la nourriture comme
une plante? que puisqu’il a des pieds, des mains et des bras, il n’est
, qui dans la i "^ édition (i665) portent les numéros log et IIO; dès
la 2^(1666), la Rochefoucauld, en les modifiant, a fait disjjaraître le mot tour.
. Ou avait d’abord écrit : de sage et de bon sens; puis on a effacé sens, pour
y substituer goust , qu’on a ensuite également effacé. . Cousin n’a pas tenu compte de la seconde correction, et donne : « de sage et de bon goût. » . Voyez ci-dessus, p. 38o, note 2. . V. Cousin donne a tort : « .... et en nous en détachant, nous tourner du côté du bien. » Il omet par suite et logiquement les deux adjectifs bon, juste, qui en effet ne sauraient être employés pour qualifier ie mot bien, . tt que les chrétiens commencent oii otre philosophie unit. » (V. Cousin.) . A partir de cette phrase, V. Cousin supprime deux pages du manuscrit, jusqu’à : a quand il n’y auroit que son écrit au monde » (p. 386, ligne 9). . Cette comparaison de l’enfant dans le sein de sa mère revient plusieurs fois dans les Epîtres de Sénèque. Mais ce passage nous renvoie sans doute à la ccii’^, à la fin de laquelle l’idée est développée longuement et de la façon la plus brilljBte. JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 385 pas dans l’existence des choses pour être toujours en la forme d’une boule, parmi des ordures, dans une prison étroite et ténébreuse? et, de ces réflexions, il viendroit assurément à la connoissance de la vie qu’il doit mener sur la terre. Il en est de même, dit Sénèque, de l’état des hommes qui sont en cette vie présente, à l’égard de la future : ils ressemblent, pour la plupart, à ces enfants foiljles et im- puissants dont nous venons de parler ; ils vivent sans réflexion ; ils se laissent conduire à la coutume; ils s’abandonnent à leurs passions: mais s’ils prenoient garde qu’ils ont une âme vaste et noble qui s’élève au-dessus de la matière; qu’ils ont des puissances qui ne peuvent être remplies ni rassasiées par la possession d’aucune créature ; qu’ils ont des désirs qui ne peuvent être limités ni par les lieux, ni par les temps, et qu’enfin ils ne ressentent ici que des misères, au lieu de la félicité à laquelle ils aspirent naturellement, ils concluroient sans doute qu’il y doit avoir un autre monde que celui-ci, et que Dieu ne les a mis sur la terre que pour y mé- riter le ciel. Mais je n’ai jamais mieux vu la force de ces raisonnements qu’après la lecture de l’écrit de votre ami, et il me semble que j’étois non- seulement changé, mais encore transfiguré, pour me servir du terme de ce philosophe romain’. Je n’aurois rien à souhaiter en cet écrit, sinon qu’après avoir si bien découvert l’inutilité et la fausseté des vertus humaines et philosophiques, il reconnût qu’il n’y en a point de véritables que les chrétiennes et les surnaturelles : non pas que je veuille dire qu’il n’y a point de fausses vertus parmi les chrétiens, ou que ceux qui en ont de véritables les aient parfaites et sans mélange de vanité ou d’intérêt ; je ne sais que trop, par expérience, la malignité et les ruses de la nature corrompue; je sais que son venin serc|iand par- tout, et qu’encore qu’elle ne règne et ne domine pas dans les âmes soli- dement dévotes, elle ne laisse pas d’y vivre, d’y demeurer, et se re- muer et se débattre souvent, pour se remettre au-dessus de la raison et de la grâce. Mais il faut demeurer d’accord qu’un homme, vivant selon les règles de l’Evangile, peut être dit véritablement vertueux, parce qu’il ne vit pas selon les maximes de cette nature dépravée et qu’il n’est point esclave de sa cupidité, mais qu’il vit selon les lois de l’esprit et de la raison, et que s’il commet quelquefois des fautes, en faisant même le bien, comme il ne se peut faire autrement, il en tire des motifs et des occasions continuelles de mépris de soi-même d’humilité, et de soumission à la justice et à la providence de Dieu;
. La vi"^ épître de Sénèque commence ainsi : Iiitelligo, Lucili, non emen-
dari me tantum^ sed transjlgurari. «Je comprends, Lucilius, que je ne suis pas seulement corrigé, mais transfiguré. » Le mot est employé d’une manière analogue veis le milieu de Vepitre xciv. La R OCHFFOrCAULD. 386 APPENDICE. et c’est ce qui fait voir la nécessité de la pénitence chrétienne, qui a été une vertu inconnue à la philosophie. Mais peut-être que votre ami, Madame, a des raisons de ne point passer les bornes de la sagesse humaine, et comme il a l’esprit fort délicat, il pourra même croire qu’il y a de l’orgueil ou de l’intérêt secret en mon avis, et quelque protestation que je lui puisse faire du contraire, il n’est pas obligé de me croire. Il vaut donc mieux. Ma- dame, que vous ne lui en parliez point du tout, s’il vous plaît, et que vous lui disiez seulement que, quand il n’y auroit que son écrit au monde avec l’Evangile’, je voudrois être chrétien. L’un m’ap- prendroit à connoître mes misères, et l’autre à implorer mon libéra- teur*; ce sont les deux premiers degrés de la vie spirituelle, et quand on les franchit comme il faut, on n’en demeure pas là ordinaire- ment; les bonnes œuvres suivent et l’on fait profit de tout, des pé- chés même et des fautes qu’on a commises, qu’on commet, et des ignorances, erreurs et foiblesses, naturelles et involontaires, aux- quelles sont sujets tous les hommes de ce monde, et même ceux qui sont le plus établis dans les vertus essentielles. Que si cette pièce ne s’imprime pas, je vous prie très-humble ment ^ Madame, de m’en faire avoir une copie. . a que cet écrit au monde et l’Evangile. » (V. Cousin.) — Voyez la note 5 de la page 384. . V. Cousin supprime le reste de l’alinéa. JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 38- XI MADAME DE ROHAN, ABBESSE DE MALNOUE , A MONSIEUR LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD [1674]*. Je VOUS renvoie vos 3Iaximes, Monsieur, en vous rendant ’^ mille et mille grâces très-humbles. Je ne les louerai point comme elles mé- ritent d’être louées, parce que je les trouve trop au-dessus de mes louanges. Elles ont un sens si juste et si délicat, quoiqu’il soit quel- quefois un peu détourné ’, qu’il ne faudroit pas moins de délicatesse pour vous dire ce qu’on en pense *, qu’il vous en a fallu pour les faire. Vous avez une lumière si vive pour pénétrer le cœur de tous les hommes qu’il semble qu’il n’appartienne qu’à vous de donner un jugement équi- table sur le mérite ou le démérite de tous ses mouvements, avec cette différence pourtant, qu’il me semble, Monsieur, que vous avez encore mieux pénétré celui des hommes que celui des femmes ; car je ne puis ^, malgré la déférence que j’ai pour vos lumières, m’empècher de m’opposer un peu à ce que vous dites, que leur tempérament fait toute leur vertu®, puisqu’il faudroit conclure de là que leur raison leur seroit entièrement inutile. Et quand même il seroit vrai qu’elles eussent quelquefois les passions plus vives que les hommes, l’expé- rience fait assez voir qu’elles savent les surmonter contre leur tempé- . Extrait du tome XIII, in-4", des Papiers de Conrart, p. ii83 et sui- vantes. — L’:ibl)é Brotier a pulilié le premier cette pièce (1789, p. 191-196), sous le titre de Lettre d’une dame au duc de la Rochejbucault ; Duplessis (1853, p. 291-294) et V. Cousin [Miidaine de Sablé, p. 168-172) l’ont re- produite après lui. Brotier n'indique pas d't>ù il l’a tirée; il ajoute seulement (p. 260) qu’il la croit de Mme de Rn/ian , abbesse de Malnoue. Ce qu’il croyait, nous en sommes sûr aujourd’hui , car c’est sous le nom de Mme de Piolian que se trouve cette remarquable lettre, co|)iée de la main même de Conrart, dans le précieux recueil de la bibliothèque de l’Arsenal. Nous avons suivi le texte de cette copie , en notant les leçons différentes de Brotier, de Duplessis et deV. Cousin. — Pour la date, voyez la note 6 de la page suivante. — Marie-Eléonore de Rolian, al)l)esse de la Trinité de Caen, puis de Malnoue, près de Paris, était fille de la célèbre ducliesse de Montbazon, sœur consanguine de la non moins célèbre duchesse de Clievreuse, et nièce de Mlle de Vertus (voyez p. 374, note l). Elle a laissé divers ouvrages de piété, et son Portrait écrit par elle-même, pour le recueil de Mademoiselle de Montpensier. Elle mourut à Paris, dans la communauté bénédictine du Cherche-Midi, le 8 avril 1681, à l’âge de cinquante-trois ans. . Brotier, Duplessis et V. Cousin : a en vous en rendant. » . Voyez p. 366, et p. 376, note 5. - a .... tout ce que je pense. » [Édition de Duplessis.) . a .... car je ne ^nis pas. » [Éditions de Brotier et de Duplessis,) . Maxime 346. 388 APPENDICE. rament, de sorte que, quand nous consentirons que vous mettiez de l’égalité entre les deux sexes, nous ne vous ferons pas d’injustice pour nous faire grâce. Il est même bien plus ordinaire aux femmes de s’opposera leur tempérament qu’aux hommes, lorsqu’elles l’ont mau- vais, parce que la bienséance et la honte les y forceroient ’, quand même leur vertu et leur raison ne les y obligeroient pas. Voici* les trois de vos Maximes (pie j’aime le mieux et qui m’ont le plus charmée : c II ne faudroit point être jaloux quand on nous donne sujet de l’être : il n’y a que les personnes qui évitent de donner de la jalousie qui soient dignes qu’on en ait pour elles ’. » « La fortune fait paroître nos vertus et nos vices comme la lumière fait paroître les objets^. » a La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité *. » Je vous avoue, Monsieur, que, quoique vos Maximes soient très- belles, ces trois-là me paroissent incomparables , et qu’on ne sait à qui donner le prix, ou au sens ou à l’expression. Mais comme vous m’avez engagée à vous parler franchement, trouvez bon que je vous dise que je n’entends pas bien votre première maxime ^, où vous dites : a L’accent du pays où on est né demeure dans l’esprit et dans le cœur comme dans le langage, n Je crois que cela est fort bien et fort juste; mais je ne connols point ces accents qui demeurent dans F esprit et dans le cœur. Je crois que c’est ma faute de ne les entendre ni de ne les pas sentir, et cette maxime me fait connoître ce que vous dites dans la quatrième, que les occasions nous font connaître aux autres et à nous-mêmes ^ . Cette autre maxime, où vous dites que Von perd quelquefois des per- sonnes qu’on regrette plus qu’on nen est affligé, et d’autres dont on est affligé quelque temps et qu on ne regrette guère ®, n’est pas à mon usage ; . Dans la maxime 220, la Rochefoucauld convient lui-même que la honte fait souvent la vertu desjernmes. . yoilà, dans le texte de V. Cousin. . C’est à peu près la maxime Sog. — 4- Maxime 38o. — 5. Maxime 38l. . C’est la maxi/iie 342; mais c’était, en effet, la première de quarante- quatre pensées dont la Rochefoucauld avait envoyé la copie à Mme de Rohan. Dans le Manuscrit de Conrart, cette copie est jointe à la lettre de l’Alibesse. Elles appartiennent toutes à la quatrième édition, qui a paru en 16-5, mais dont V Achevé cViiuprimer porte la date du 17 décembre 1674. Il y a donc toute apparence que la lettre de l’abbesse de Malnoue est du courant de l’an- née i674’ . « .... mais je ne connois point les accents qui demeurent dans le cœur et dans l’esprit. » (^Éditions de Brotier et de Duplessis.) — Voyez plus haut, p. l65, note I. . Maxime 345. g. Sauf quelque temps, qui est ajouté, c’est la maxime 355. JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 389 car la mesure de ma douleur seroit toujours la mesure de mon re- gret, et j’ai grand’peine à comprendre que je puisse séparer ces deux choses, parce que ce qui auroit mérité’ mon attachement mériteroit également et mon regret, et mes larmes, et ma douleur. La maxime sur l’humilité ^ me paroît encore parfaitement belle, mais j’ai été bien surprise de trouver là riiuinilité. Je vous avoue que je l’y attendois si peu^, qu’encore qu’elle soit si fort de ma connois- sance depuis longtemps, j’ai eu toutes les peines du monde à la reconnoître au milieu de tout ce qui la précède et (jui la suit. C’est assurément pour faire pratiquer cette vertu aux personnes de notre sexe que vous faites des maximes où leur amour-propre est si peu flatté. J’en serois bien humiliée en mon particulier, si je ne me disois à moi-même ce que je vous ai déjà dit dans ce billet, que vous jugez encore mieux du cœur des hommes que de celui des dames, et que peut-être vous ne savez pas vous-même le véritable motif qui vous les fait moins estimer. Si vous en aviez toujours rencontré dont le tempérament eût été soumis à la vertu, et les sens moins forts que la raison *, vous penseriez mieux que vous ne faites d’un certain nombre qui se distingue toujours de la multitude, et il me semble que Mme de la Fayette et moi méritons ^ bien que vous a^ez un peu meilleure opinion du sexe en général. Vous ne ferez que nous rendre ce que nous faisons en votre faveur, puisque, malgré les défauts d’un million d’hommes, nous rendons justice à votre mérite particulier, et que vous seul nous faites croire ^ tout ce qu’on peut dire d’avan- tageux ^ pour votre sexe ^. . << parce que qui aurnit mérité » [Edition de Duplessis.) . Maxime 358. . « .... que je /«’y attendois si peu. » [Edition de Duplessis.) . V. Cousin [Madame de Sable, p. i(jS) fait observer que l’Abbesse pa- raît ici poursuivre les hostilités de sa mère (Mme de Montbazon) contre la duchesse de Longueville. . Dans le texte de Duplessis : méritions. f). « — vous seul vous nous faites croire. » [Editions de Brotier et de Du- plessis.’) . Dans le texte de Brotier, de Duplessis et de V. Cousin : « .... tout ce qu’on peut dire de plus avantageux. » . On trouvera dans les Lettres (année 1674) la réj)onse de la Roc-licfou- cauld à Mme de Rohan. Sgo APPENDICE. XII OPINION DE DANIEL HUET SUK LES MAXIMES^. In lis sententus quas pcrvulgavit (^Roccafucaldius) sub Axiomatum no- mme, pertlnentque ad mores hominum, nihil est quod valde laudem : non en’im ex nativo hom’inum ’ingénia etmor’ibus integris, sed ex naturœ de- pravatione et animi liumani corriiptela pethse sunt : ut quod generali vo- cabulo appcllai-it Axiomata, quasi onini hom’uium generi œque conveniant, rectius itla improborum liominum vitiis dicenda sint convenire^ . . Extrait de l’ouvrage intitulé : Pet, Dan. Huetii, episcopi abrincensis, Commentarius de rébus ad eum pertinentibus , Amstelodami, apud H. du Sauzet, M.DCC.XFIII, p. 3i6. — La vie de Pierre-Daniel Huet est assez connue; nous rappellerons seulement qu’il est né à Caen en i63o, et qu’il arriva rapidement à la célébrité parmi les lettrés et les savants du siècle. Sous-précepteur du Dauphin en 1670, il est reçu bientôt après membre de l’Académie française. Evéque nommé de Soissons en i685, il ne prend pas possession de son siège, et permute en 1689 avec l’évêque d’Avranches; au bout de dix ans, ses infirmités l’obligent à se démettre de l’épiscopat, et il se retire dans la maison professe des Jésuites de Paris, oîi il meurt le 26 jan- vier 1721, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Il a laissé de nombreux ouvrages, qu’on ne lit plus guère, mais qui ont été pendant longtemps fort estimés. . « Dans ses Maximes, où il (.V. de la Rochefoucauld) a peint les mœurs des hommes, je ne trouve pas grand’ chose à louer sans réserve; car ce n’est pas aux bonnes mœurs, mais aux mœurs corrompues, qu’il en a emprunté le sujet: de sorte que ce qu’il a appelé du nom général de Maximes, comme si elles étaient également a|)plicables à tous les liommes, ne convient, à vrai dire, qu’aux hommes vicieux. » [Mémoires de Daniel Huet, évêque d Avranches , traduits pour la première J’ois du latin en Jrancais , par Ch. Nisard, Paris, Ha- chette, i853, p. 195.) JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 391 XIII ARTICLE DU JOURNAL DES SArjNTS, SUR LES MAXIMES DE LA ROCHEFOUCAULD (l665)*. PROJET d’article. article imprimé (9 mars iG65). C’est un traité des mouvements’* Une personne de grande qua- du coeur de l’homme, qu’on peut lité et de grand mérite passe pour dire lui avoir été comme incon- être auteur de cei3Iaximes; mais, nus jusques à cette heure’. Un quelques lumières et quelque dis- seigneur, aussi grand en esprit cernement quil ait fait paraître qu’en naissauce,en est l’auteur^ ; dans cet ouvrage^ il n’a pas empé- mais ni sa grandeur ni son esprit" clié que fon n’en ait fait des ju- n’ont pu empêcher ®({u’on n’en ait gements bien différents. fait desjugements bien différents. Les uns croient que c’est ou- trager les hommes que d’en faire . Extrait du tome II des Portefeuilles de Fallant, folios 148 et 160. — Cet ax"ticle, véritable réclame, comme nous dirions aujourd’hui, est de Mme de Sablé (voyez la Notice biographique) , Le brouillon, écrit de la main de Vallant (folio 14S)) sous la dictée de la marquise, est intitulé : Ce que M<idame a en- voyéà M. de la Rochefoucauld pour le Journal des Savants, le ^ février i6G5. Il y en a plus loin (folio 160) une mise au net, qu’on pourrait ci’oire datée du 28 février, le chiffre i , sous la plume de Vallant, ressemblant fort au chiffre 2. Une autre copie avec corrections se trouve au tome V, folio 369 ; elle a pour titre : Sur le livre de M. de la Rochefoucauld , pour mettre dans le Journal des Savants. — Nous donnons le Projet darticle selon la mise au net, mais nous ajoutons dans les notes les premières leçons du brouillon. — Petitot (^Notice sur la Rochefoucauld, en tête des Mémoires) et M. Sainte-Beuve (Portraits de femmes, M. de la Rochefoucauld, 1 5 janvier 1S40) ont publié le Projet d’article ;Y. Cousin y a depuis ajouté V Ai ticle imprimé [Madame de Sable, 1854 et iSSg). Il se trouve à la page 116 du Journal des Savants (9 mars i665), Sous ce titre : « Réflexions ou Sentences et Maximes mo- rales, à Paris, chez Claude Barbin, au Palais. » — Nous avons mis en ita- lique les passag’BS de V Article imprimé qui diffèrent du Projet d’article; ce sont probablement les retouches mêmes de la Rochefoucauld. . V. Cousin donne à tort : du mouvement. . Dans le brouillon, Mme de Sablé avait d’abord écrit : « qu’on peut dire avoir été comme inconnus jusques à cette heure au même cœur qui les produit; » puis, après avoir effacé ces six derniers mots et y avoir substitué, au-dessus de la ligne, lui, elle les a rétablis, tout en laissant ce mot lui. Sans doute, après réflexion, elle est revenue, lors de la mise au net, à sa première correction. . Voyez plus haut, p. 3.Ï6, note 4. . Brouillon : « ni son esprit ni sa grandeur. » . Au brouillon il y avait d’abord : « n’ont pas empêché, » qui a été corrigé en ; a n’ont pu empêcher. » 392 APPENDICE. PROJET d’article. une si terrible peinture’, et que l’auteur n’en a pu prendre l’ori- ginal qu’en lui-même*; ils disent qu’il est dangereux de mettre de telles pensées au jour, et qu’ayant si bien montré qu’on ne fait ja- mais de bonnes actions* que par de mauvais principes, on ne se mettra plus en peine de chercher la vertu*, puisqu’il est impossible de l’avoir , si ce n’est en idée^. Les autres, au contraire, trou- vent ce traité fort utile, parce qu’il découvre les fausses idées que les hommes ont d’eux-mêmes, et leur fait voir ’ que, sans la reli- gion, ils sont incapables de faire aucun bien ; qu’il est bon de se ARTICLE IMPRIME. Von peut dire néanmoins que ce traité est fort utile, parce qu’il découvre aux hommes les fausses idées qu’ils ont d’eux-mêmes ; qu’il leur fait voir que , sans le christianisme, ils sont incapables de faire aucun bien qui ne soit . Dans le brouillon, on avait d’abord toIs outrager, puis on l’a effacé pour écrire, dans l’interligne : troji offenser, qu’on a ensuite eflacé également, pour rétablir au-dessus outrager. — Autre version de la copie, dans le tome V de Val- lant : a. Les uns croient que c’est injustement qu’on fait une si terrible peinture des hommes. >> . Voj-ez plus haut le Discours sur les Maximes, p. 867, la Lettre de la prin- cesse de Guymené, p. 872, et, plus loin, la Lettre du chevalier de Meré, p. Sgô. . Brouillon : « les bonnes actions. » — V. Cousin, à tort : <c les belles ac- tions. » . Brouillon : « .... par de mauvais principes, il semblera qu’il serait inutile (autres corrections sur le brouillon : la plupart du monde croira qu’il est inutile d’entreprendre de pratiquer la vertu; — on se persuadera qu’il est inutile de chercher la vertu), n — Le mot chercher, qui dans la mise au net a remplacé pratiquer, est, dans le brouillon, écrit d’une encre plus hlanche, au- dessus de ce dernier mot, et nous paraît être de la main de la Rochefoucauld. . Brouillon : a puisqu’il est comme impossible d’en avoir.» . Dans la mise au net, la phrase s’arrête ici ; le brouillon continue ainsi : a que c’est enfin renverser la morale (devant morale, il y a philosophie , effacé) de faire voir que outes les vertus qu’elle nous enseigne ne sont que des chi- mères, puisqu’elles n’ont que de mauvaises fins. » — Brouillon du tome V : « .... que t()utes les vertus qu’elle nous enseigne n’ont que de mauvaises fins, et qu’elles ne sont par conséquent que des chimères. » — L’alinéa tout en- tier a été supprimé par la Rochefoucauld; c’était l’endroit sensible dont il est question dans la lettre suivante. . Dans le brouillon , la première rédaction était : <r trouvent ces maximes fort utiles, parce qu’elles découvrent aux hommes les fausses idées qu’ils ont d’eux-mêmes, et leurybn^ voir; » mais on a substitué traite à maximes et fait, au brouillon même, les autres changements que ce premier rendait nécessaires. JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 893 PROJET D ARTICLE. connoître ’ tel qu’on est, quand il n’y auroit que cet avantage de n’être point trompé dans la con- noissance qu’on peut avoir de soi-même *. Quoi qu’il en soit, il y a tant d’esprit dans cet ouvrage, et une si grande pénétration pour con- noître le véritable état de l’hom- me, à ne regarder que sa nature’, que toutes les personnes de bon sens y trouveront une infinité de choses qu’ils^ auroient peut- être ignorées toute leurvie^, si cet auteur ne les avoit tirées du chaos du cœur de l’homme’, pour les mettre dans un jour où quasi tout le monde peut les voir et les comprendre sans peine. arth:le imprime. mêlé (t imperfection, et que rien nest plus avantageux que de se connoître tel que l’on est * en effet, afin de n’être plus trompé ^ar la fausse connoissance que /’on a toujours de soi-même. Il y a tant d’esprit dans cet ou- vrage, et une si grande pénétra- tion pour démêler la variété^ des sentiments du cœur de l’homme, que toutes les personnes judi- cieuses y trouveront une infinité de choses fort utiles, (qu’elles au- roient peut-être ignorées toute leur vie, si Tauteur des Maximes ne les avoit tirées du chaos , pour les mettre dans un jour où quasi tout le monde les peut voir et les peut comprendre sans peine. . Brouillon : « qu’il est toujours bon de se connoître. k — Brouillon du tome V : a qu’il est utile de se connoître. » . Brouillon : « quand même il n’y uuvoit point d’autre avantage que celui de n’être point trompé dans la connoissance qu’on a de soi-même, et que cela sujfit pour pardonner à l’auteur de nous avoir montré la nature corrompue, » . Dans le texte de V. Cousin : « que la nature. » . Brouillon ; a toutes les personnes y ur/Ù7Vii.yw. » L’article imprimé, c’est- à-dire la Rochefoucauld, a repris cet adjectif. . Au dix-septième siècle, on mettait souvent, comme ici, le masculin après le mot personne (voyez ci-dessus, p. Sgi , la première phrase de la a"^ colonne) ; on verra toutefois qu’ici le féminin a été rétaljli, dans l’article imprimé, sans doute par la Rochefoucauld lui-même. . Dans le brouillon on avait mis d’abord : « une infinité de choses fort utiles dont peut-être n’ont-ils jamais ouï parler, et qu’ils auroient ignorées sans doute toute leur vie; » puis on avait effacé les mots en italique jusqu’à et inclusivement; sans doute avait été ajouté au-dessus de la ligne, puis effacé éga- lement et remplacé par peut-être. . Brouillon : a. du chaos de la nature. » . V. Cousin donne à tort : « tel qu’on est; » et , à la ligne suivante, pas, an lieu de plus. . V. Cousin donne, également à tort, vérité, au lieu de variété. 394 APPENDICE. LETTRE d’envoi DE MADAME DE SABLÉ A LA BOCHEFOUCAULD*. Je VOUS envoie ce que j’ai pu tirer de ma tête pour mettre dans le Journal^. J’y ai mis cet endroit qui vous est si sensible’, afin que cela vous fasse surmonter la mauvaise honte qui vous fit donner au public la Préface^ sans y rien retrancher, et je n’ai pas craint de le mettre, parce que je suis assurée que vous ne le ferez pas imprimer, quand même le reste" vous plairoit. Je vous assure aussi que je vous serai plus obligée d’en user" comme d’une chose qui seroit à vous’, en le corrigeant ou en le jetant au feu^, que si vous lui faisiez un honneur qu’il ne mérite pas. Nous autres, grands auteurs, sommes trop riches pour craindre de perdre^ de nos productions. Mandez- moi ce qu’il vous semble*" de ce dictum. Le i8’ février i665. . Nous donnons cette lettre comme faisant partie intégrante de la pièce qui précède. Elle est également de la main de Vallant, avec ce titre : Lettre de Madame a HI. de la Rochefoucauld, en lui envoyant cet écrit pour le Journal des Savants. Ici encore, à côté de la copie définitive, nous avons un brouillon, dont nous relèverons les premières leçons. M. Sainte-Beuve n’a cité que partiellement, mais exactement, cette lettre ; V. Cousin fa donnée tout entière, mais en mêlant le brouillon avec la mise au net. . Brouillon et texte de V. Cousin : «t dans le Journal des Savants. » . Premières leçons du brouillon : « cet endroit qui ^o!/r vous est le plus sensible; » — « cet endroit seul par oii Von vous peut condamner. » — Se- conde leçon, suivie à peu près par V. Cousin : « cet endroit <^i pour vous est le plus sensible. » . Brouillon et texte de V. Cousin : a. qui tous fit mettre la Préface. » — Comme le fait observer V. Cousin, il s’agit sans doute du Discours sur les Maximes, attribué à Segrais (voyez plus haut, p. 355 et suivantes). — Le brouillon portait d’abord : « qui vous J’ait mettre la Préface ; » la correction fit indique qu’au 18 février i665 (date de cette lettre) ce Discours et, par conséquent, les Maximes venaient seulement de paraître. En effet, ce n’est qu’au commencement de février i665 que la Rochefoucauld se décida à livrer son œuvre au public, bien que l’impression du volume, commencée depuis un an, fût achevée depuis trois mois et plus (27 octobre 1664), sauf peut-être les cartons qu’il y introduisit au dernier moment (voyez la Notice bibliographique) . . Brouillon : « la Préface sans y rien retrancher; car je suis assurée que vous n^y laisserez pas cet endroit-là, quand même le reste.... » Au-dessus des mots en italique, on a ajouté, dans le brouillon, ces mots du texte définitif: « ne le ferez pas imprimer. » . Brouillon : « plus obligée si vous en usez, n . On a vu plus haut que la Rochefoucauld a profité de la permission en supprimant Vendroit sensible. . Brouillon et texte de V. Cousin : a pour le corriger ou pour le jeter au feu. » . " .... nouj sommes trop riches pour craindre de rîVn perdre.» (V. Cousin.) . Brouillon : « mandez-moi seulement ce qu’il vous semble. » JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 39> XIV LETTRE DU CHEVALIER DE MERE A MADAME LA DUCHESSE DE ****. Vous voulez que je vous écrive, Madame, et vous me l’avez com- mandé de si boiuie grâce et si galamment, que je n’ai pu vous le I . Cette pièce a été signalée à l’attention du public lettré par M. Sainte- Beuve [Derniers Portraits littéritires , Paris, Didier, iSSa, iu-12, p. 116), qui l’apprécie en ces termes, aussi justes que délicats : « Elle nous rend la conversation d’un des hommes qui causaient le mieux, avec le plus de dou- ceur et d’insinuation, de ce la llocliefoucauld qui n’avait de chagrin que ses Maximes, mais qui, dans le commerce de la vie, savait si bien recouvrir son secret d’une envcl(j])pe flatteuse. La lettre du clievalier nous le montre devi- sant et moralisant dans l’intimité; si fidèle qu’ait voulu être le secrétaire, on sent, à le lire, qu’il n’a pu tout rendre, et l’on découvre bien, par-ci par-là, quelque solution de continuité dans ce qu’il rapporte. Il J" a, dit la Roche- foucauld (voyez la 4° des Réflexions diverses, p. 294, note 5), des tons, des airs et des manières , qui font tout ce qu’il y a d’agréahle ou de desagréable, de délicat ou de choquant dans la conversation ; mais quoique tout cela s’éva- nouisse dès qu’on écrit, on croit saisir dans le mouvement prolongé du dis- cours quelque chose même de ces tons qui faisaient de ce penseur amer un si doux causeur, et qui attachaient en l’écoutant. Cette page du chevalier devrait s’ajouter, dans les éditions de la Rochefoucauld, à la suite des Réflexions diverses, dont elle semble une application vivante. » Duplessis a suivi le pre- mier cette indiciition de M. Sainte-Beuve; nous la suivons à noire tour, après avoir corrigé et complété le texte de cette pièce sur l’édition originale {Lettres de M. le chevalier de M., Paris, D. Thierry et Cl. Barbin, 16S2, in-12, tome I, p. 83-91). C’est également sur l’indic.itioa de M. Sainte-Beuve [Portraits de femmes , M. de la Rochefoucauld, Paris, 1862, p. 271, i"’ note) que nous donnons, ci-après, deuxj’ables de la Fontaine, une ode adiessée à la Roche- foucauld par Mme des Houlières, Vode de la Motte sur l’Amour-proiire, et la réplique en vers du marquis de Saint-Aulaire. — Georges Gombauld de Plassac, chevalier de Meré , né, selon Moréii, vers la fin du seizième siècle, ou au commencement du dix-sei)tième, mort en i685, dans un âge fort avancé, était cadet d’une ancienne maison du Poitou. Après quelques ciimpagnes sur mer, il s’adonna aux lettres et au monde, où il lit fort bonne figure, et tint école de bon air et de bon s^oût. Pascal le consultait sur des questions scientifiques; Balzac et Ménage recherchaient son entretien ou sa correspondance, et il était en commerce assidu avec le maréchal de Clérembaut, le duc de la Rochefou- cauld, Ninon de l’Enclos, Mme de Sablé, Mme de Maintenon et la duchesse de Lesdiguières. Quant à Mme de Sevigné, elle paraît l’avoir eu en assez mé- diocre estime, au moins comme écrivain; dans sa Lettre du 24 novembre 1679 (tome VI, p. 96 et 97), elle lui reproche son chien de style. Il est vrai qu’il s’était permis défaire une critique ridicule, en collet monté, d’un esi/rit libre, badin et charmant comme f^oiture . Ses ouvrages ont été parfois confondus avec ceux de S(jn frère aîné, qu’on appelait plus particulièrement M. de Plassac de Meré, écrivain lui-même, et plus précieux encore que le chevalier. Les principaux écrits de ce dernier sont ses Maximes, Sentences et Reflexions morales et politiques (16S7), que nous avons souvent citées dans le courant de ce volume, ses Lettres (1682), et les Conversations du M. D. C. et du G. D. M. [du maréchal de Clérembaut et du chevalier de Meré, 1669). — On ne sait ni la date de la lettre que nous donnons, ni le nom de la personne à qui elle était adressée; on peut croire que c’était à la duchesse de Lesdiguières. 396 APPENDICE. refuser ; mais ce qui m’a engagé à vous le promettre me devroit em- pêcher de vous le tenir ; car je vois par là que vous êtes si délicate en agrément qu’il faut qu’une chose, pour être à votre goût, soit excel- lente et d’un prix bien rare. Aussi, Madame, je ne vous écris pas tant par l’espérance de vous plaire que par la crainte de vous déso- béir ’, et peut-être qu’il seroit encore de plus mauvais air de vous manquer de paiole que de ne vous rien dire d’agréable. Quoi qu’il eu soit, vous me donnez le moyen de me sauver de l’un et de l’autre, en m’ordonuant de vous rapporter la conversation que j’eus avant- hier avec M. de la Rochefoucauld ; car il parla presque toujours, et vous savez comme il s’en acquitte ^. Nous étions dans un coin de chambre, tète à tête, à nous entretenir sincèrement de tout ce qui nous venoit dans l’esprit. Nous lisions de temps en temps quelques rondeaux , où l’adresse et la délicatesse s’étoient épuisées, tu Mon Dieu! me dit-il, que le monde juge mal de ces sortes de beautés! et ne m’avouerez-vous pas que nous sommes dans un temps où l’on ne se doit pas trop mêler d’écrire? » Je lui répondis que j’en demeurois d’accord, et que je ne voyois point d’autre raison de cette injustice, si ce n’est que la plupart de ces juges n’ont ni goût ni esprit, a Ce n’est pas tant cela, ce me semble, reprit-il, que je ne sais quoi d’en- vieux et de malin qui fait mal prendre ce qu’on écrit de meilleur. — Ne vous l’imaginez pas, je vous prie, lui repartis-je, et soyez as- suré qu’il est impossible de connoître le prix d’une chose excellente sans l’aimer, ni sans être favorable à celui qui l’a faite. Et comment peut-on mieux témoigner qu’on est stupide et sans goût, que d’être insensible aux charmes de l’esprit? — J’ai remarqué, reprit-il, les défauts de l’esprit et du cœur de la plupart du monde, et ceux qui ne me connoissent que par là pensent que j’ai tous ces défauts, comme si j’avois fait mon portrait^. C’est une chose étrange que mes actions et mon procédé ne les en désabusent pas. — Vous me faites souvenir, lui dis-je, de cet admirable génie qui laissa tant de beaux ouvrages^, . Le passage qui précède, depuis : « mais ce qui m’a engagé à vous le promettre, » avait été supprimé par Duplessis; nous le rétablissons d’après l’édition originale. . « Je n’ai jamais vu, dit Mme de Sévigné en parlant de la Rocliefoucauld (Lettres, tome VI, p. 232), un homme plus aimable dans l’envie qu’il a de dire des choses agréables. » — Rapprochez de hi maxime loo. . Voyez, ci-dessus, le Discours sur les Maximes, p. 36" ; la Lettre de la princesse de Guymené, p. 372; et le Projet d’article pour le Journal des Sa- vants , par Mme de Sablé, p. 392. — Ce passage indiquerait que cette con- versation est postérieure, au moins, à la i" édition des Naximes (i665). . Epicure. Ce philosophe a été un des plus féconds écrivains de l’anti- quité. Le nombre des volumes qu’il avait composés ne s’élevait pas à moins de trois cents, d’après le témoignage de Diogène de Laèrte, qui énumère ses prin- cipaux ouvrages. On sait qu’il n’en est à peu près rien parvenu jusqu’à nous. — Comme Saint-Evremond et tant d’autres hommes du monde d’alors, le cheJUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 397 tant de chefs-d’œuvre d’esprit et d’invention , comme une vive lu- mière dont les uns furent éclairés et la plupart éblouis. Mais, parce qu’il étoit persuadé qu’on n’est heureux que par le plaisir, ni mal- heureux que par la douleur, ce qui me semble, à le bien examiner, plus clair que le jour, on l’a regardé comme l’auteur delà plus infâme «t de la plus honteuse débauche, si bien que la pureté de ses mœurs ne le put exempter de cette horrible calomnie. — Je serois assez de son avis, me dit-il, et je crois qu’on pourroit faire une maxime, que la vertu mal entendue n’est guère moins incommode que le vice bien ménagé ’. — Ha! Monsieur, m’écriai-je, il s’en faut bien garder ; ces termes sont si scandaleux, qu’ils feroient condamner la chose du monde la plus honnête et la plus sainte. — Aussi n’usé-je de ces mots, me dit-il, que pour m’accommoder au langage de certaines gens qui donnent souvent le nom de vice à la vertu, et celui de vertu au vice ; et parce que tout le montle veut être heureux, et que c’est le but où tendent toutes les actions de la vie, j’admire que ce qu’ils appellent vice soit ordinairement doux et commode, et que la vertu mal entendue soit âpre et pesante. Je ne m’étonne pas que ce grand homme ait eu tant d’ennemis ; la véritable vertu se confie en elle- même ; elle se montre sans artifice et d’un air simple et naturel, comme celle de Socrate ; mais les faux honnêtes gens, aussi bien que les faux dévots, ne cherchent que l’apparence^, et je crois que, dans la morale, Sénèque étoit un hypocrite et qu’Eplcure étoit un saint. Je ne vois rien de si beau que la noblesse du cœur et la hau- teur de l’esprit; c’est de là que procède la parfaite honnêteté, que je mets au-dessus de tout, et qui me semble à préférer, pour l’heur de la vie, à la possession d’un royaume. Ainsi j’aime la vraie vertu comme je hais le vrai vice ; mais, selon mon sens, pour être effecti- vement vertueux, au moins pour l’être de bonne grâce, il faut savoir pratiquer les bienséances, juger sainement de tout, et donner l’avan- tage aux excellentes choses par-dessus celles qui ne sont que mé- diocres. La règle, à mon gré, la plus certaine pour ne pas douter si une chose est en perfection, c’est d’observer si elle sied bien à toute sorte d’égards ’, et rien ne me paroît de si mauvaise grâce que d’être un sot ou une sotte, et de se laisser empiéter aux préventions. valier de Meré suivait la voie d’Epicure, rouverte au dix-septième siècle par Gassendi, Bernicr, Hénault, la Mothe le Vayer, etc. — Voyez, plus loin, VOde de Miik; des Houlières.
. Après ménage, Duplessis ajoute à tort ti’est agréable, que ne donne pas
l’édition originelle. — La Piocliefoucauld n’a pas exjjiimé la première propo- sition de la riiaxiine <lont le chevalier lui attribue l’intention; mais il a rendu la seconde, sous diverses formes, Aans s,qs, niaximes 90, i55, 25 1, 273, 354 ^- 468. . Rapprochez de la maxime 202. . Voyez la maxime O26, et la i^ des Réjlexions diverses. 398 APPENDICE. Nous devons quelque chose aux coutumes des lieux où nous vivons, pour ne pas choquer la révérence publique, quoique ces coutumes soient mauvaises; mais nous ne leur devons que de l’apparence : il faut les en payer et se bien garder de les approuver dans son cœur, de peur d’offenser la raison universelle , qui les condamne. Et puis, comme une vérité ne va jamais seule, il arrive aussi qu’une erreur en attire beaucoup d’autres’. Sur ce principe qu’on doit souhaiter d’être heureux, les honneurs, la beauté, la valeur, l’esprit, les ri- chesses, et la vertu même, tout cela n’est à désirer que pour se rendre la vie agréable*. 11 est à remarquer qu’on ne voit rien de pur ni de sincère, qu’il y sl du bien et du mal en toutes les choses de la vie’, qu’il faut les prendre et les dispenser à notre usage*, que le bonheur de l’un seroit souvent le malheur de l’autre, et que la vertu fuit l’excès comme le défaut. Peut-être qu’Aristide et Socrate n’étoient que trop vertueux, et qu’Alcibiade et Phcdon ne l’étoient pas assez; mais je ne sais si, pour vivre content et comme un honnête homme du monde , il ne vaudroit pas mieux être Alcibiade et Phédon qu’Aristide ou Socrate. Quantité de choses sont nécessaires pour être heureux, mais une seule suffit pour être à plaindre; et ce sont les plaisirs de l’esprit et du corps qui rendent la vie douce et plai- sante, comme les douleurs de l’un et de l’autre la font trouver dure et fâcheuse. Le plus heureux homme du monde n’a jamais tous ces plaisirs à souhait. Les plus grands de l’esprit, autant que j’en puis juger, c’est la véritable gloire et les belles connoissances, et je prends garde que ces gens-là ne les ont que bien peu, qui s’attachent beau- coup aux plaisirs du corps. Je trouve aussi que ces plaisirs sensuels sont grossiers, sujets au dégoût, et pas trop à rechercher, à moins que ceux de l’esprit ne s’y mêlent. Le plus sensible est celui de l’amour; mais il passe bien vite si l’esprit n’est de la partie. Et comme les plaisirs de l’esprit surpassent de bien loin ceux du corps, il me semble aussi que les extrêmes douleurs corporelles sont beaucoup plus in- supportables que celles de l’esprit . Je vois de plus que ce qui sert d’un côté nuit d’un autre; que le plaisir fait souvent naître la dou- leur, comme la douleur cause le plaisir®, et que notre félicité dépend assez de la fortune, et plus encore de notre conduite ’. « I. Voyez la maxime 23o, et la 7 des Réflexions diverses. a. Rapprochez de la maxime 2l3. . Voyez la maxime 32. — 4- Voyez la maxime 892. . Faut-il rappeler que la Rochefoucauld souffrait cruellement de la goutte, dont il est mort ? — Voyez, ci-après, VOde de Mme des Houlières. . Rapprochez de la maxime 5 19. . Les maximes de fauteur (passim JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. 3gg Je l’écoutois doucement, quand ou nous vint interrompre, etj’étois presque d’accord de ce (sic) tout ce qu’il disoit. Si vous me voulez croire, Madame, vous goûterez les raisons d’un si parfaitement hon- nête homme, et vous ne serez pas la dupe de la fausse honnêteté. XV FABLE DE LV FONTAINE. L’HOMME ET SOJ IMAGEK POUR M. L. D. D. L. R.’* Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde. Il accusoit toujours les miroirs d’être faux. Vivant plus que content dans son erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux Présentoit partout à ses yeux Les conseillers muets dont se servent nos dames : Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands, Miroirs aux poches des galants. Miroirs aux ceintures des femmes ^. Que fait notre Narcisse^ ? Il se va confiner Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer, N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure j Mais un canal, formé par une source pure. Se trouve en ces lieux écartés ; Il s’y voit, il se fâche, et ses yeux irrités Pensent apercevoir une chimère vaine. Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau; Mais quoi? le canal est si beau, Qu’il ne le quitte qu’avec peine. On voit bien où je veux venir. Je parle à tous, et cette erreur extrême I. Livre I, fable xi. . . , , ■2. Telle est la seconde ligne de titre dans toutes les éditions qui ont ete pu- bliées du vivant de la Fontaine, et d..nt la première est de 1668. Ces initiales et le dernier vers de U/able désignaient assez clairement l’auteur des Maximes. . Voyez ta Place royale de Corneille, acte II, scène n, après le vers 377. . Voyez, plus loin, la Réponse a l’ Amour-propre, par le marquis de Saint- Aulaire, p. 4 ’2. 4oo APPENDICE. Est un mal que chacun se plaît d’entretenir. Notre âme, c’est cet liomme amoureux de lui-même; Tant de miroirs, ce sont les sottises d’autrui, Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes; Et quant au canal, c’est celui Que cliacun sait : le livre des Maximes. XVI AUTRE FABLE DE LA FONTAIXE*. [ LES LAPiyS. ] DISCOURS A BIOKSIEUR LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD*. Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte L’homme agit, et qu’il se comporte En mille occasions comme les animaux : Le roi de ces gens-là n’a pas moins de défauts Que ses sujets, et la Nature A mis dans chaque créature Quelque grain d’une masse oii puisent les esprits; J’entends les esprits corps et pétris de matière. Je vais prouver ce que je dis. A l’heure de l’affût, soit lorsque la lumière Précipite ses traits dans l’humide séjour, Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière. Et que, n’étant plus nuit, il n’est pas encor jour, Au bord de quelque bois, snr un arbre je grimpe. Et nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe Je foudroie à discrétion Un lapin qui n’y pensoit guère. Je vois fuir aussitôt toute la nation Des lapins, qui, sur la bruyère. L’œil éveilléj l’oreille au guet. . Livre X, fable xiv, dans l’édition originale (1679); dans les éditions mo- dernes, c’est la fable xv, parce qu’on a marqué du chiffre I le Discours à Mme de la Sablière, qui, dans la première impression, n’est pas numéroté. . C’est le seul titre de la fable dans la première édition; plus tard, les éditeurs l’ont intitulée les Lapins. Le fabuliste lui-même nous apprend dans le dernier vers que c’est la Rochefoucauld qui lui a donné ce sujet (voyez plus haut, p. 309 et note 3). JUGEMENTS DES CONTEMPORAINS. /,oi S’égayoient, et de thym j);irfumoient leur banquet. Le bruit du coup fait que la bande S’en va cherclier sa sûreté Dans la souterraine eité; Mais le danger s’oul)lie, et cette peur si grande S’évanouit bientôt : je revois les lapins, Plus gais qu’auparavant, revenir sous mes mains. Ne reconnoît-on pas en cela les humains? Dispersés par quelque orage, A peine ils touchent le port, Qu’ils vont hasarder encor Même vent, même naufrage. Vrais lapins, on les revoit Sous les mai)is de la fortune. Joignons à cet exemple une cliose commune : Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit Qui n’est pas de leur détroit ’, Je laisse à penser quelle fête ! Les chiens du lieu n’ayants en tête Qu’un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents, Vous accompagnent ces passants Jusqu’aux confins du territoire. Un intérêt de biens, de grandeur et de gloire Aux gouverneurs d’États, à certains courtisans, A gens de tous métiers, en fait tout autant faire. On nous voit tous, pour l’ordinaire. Piller le survenant, nous jeter sur sa peau. La coquette et l’auteur sont de ce caractère : Malheur à l’écrivain nouveau ! Le moins de gens qu’on peut à l’entour du gâteau , C’est le droit du jeu, c’est l’affaire. Cent exemples pourroient appuyer mon discours; Mais les ouvrages les plus courts Sont toujours les meilleurs. En cela j’ai pour guides "• Tous les maîtres de l’art, et tiens qu’il faut laisser Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser : Ainsi ce discours doit cesser. Vous qui m’avez donné ce qu’il a de solide, Et dont la modestie égale la grandeur. Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur La louange la plus permise, La plus juste et la mieux acquise ;
. C’est-à-dire, ressort, district. Le mot, dans ce sens, a vieilli.
. Le participe est ainsi au pluriel dans l’édition originale. . Tout en faisant rimer ce mot avec solide, la Fontaine l’a mis au pluriel, comme le veut d’ailleurs le sens.
f^A RoCHEFOUCI.VL’T.n. I UfiVous enfin dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages ’
Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages.
Comme un nom qui, des ans et des peuples connu,
Fait honneur à la France en grands noms plus féconde
Qu’aucun climat de l’univers ;
Permettez-moi, du moins, d’apprendre à tout le monde
Que vous m’avez donné le sujet de ces vers.
ODE DE MADAME DES HOULIÉilES ’.
A M. L. D. D. L. R.
Quel spectacle offre à ma vue
L’état où vous paroissez !
Ah ! que mon âme est émue,
Et que vous m’attendrissez !
Mais d’où vient ce dur silence ?
Pourquoi porter la constance
Jusqu’à ne point soupirer ?
Victime d’un fol usage,
Vous croyez que le vrai sage
Doit souffrir sans murmurer ’ ?
On règne sur la nature
Avec assez de succès,
Quand on fait que le murmure
Ne va point jusqu’à l’excès.
Je ris de ce fier stoique
Qui dans les tourments se pique
D’avoir un visage égal ;
Qui, tandis qu il en soupire,
A l’audace de nous dire :
« La douleur n’est point un mal. »
1. Voyez la fable précédente, dédiée comme celle-ci a la Rochefoucauld.
2. Extrait du recueil de Poésies de Mme Deshoulières , Paris, Veuve de S. Mabre-Cramoisy , 1688, p. 197 et suivautes. Cette pièce et les deux qui la suivent sont encore moins que les ui:méros xiv-xvi (voyez ci-dessus, p. 371. note 4) des Jw^ements sur les Maximes; nous les donnons toutefois comme une annexe naturelle à ce qui précèd»;. — A.ntoinette du Ligier de la Garde, femme de Guillaume seigneur des Houlières, née en i6’j.S, morte en 1694. s’est essayée dans presque tous les genres poétiques, depuis la chanson jusqu’à la tragédie; mais on ne se souvient plus guère que d’un petit nombre de ses érrlogues et de ses idylles, d’une surtout, les /’ers allégoriques à ses enfants, datés de janvier i(h)j: << Dans ces prés fleuris, etc. »
3. Cette ode fut sans doute adressée à la Rochefoucauld à l’occasion d’un de ces terribles accès de goutte dont il souffrait si cruellement, et dont Mme de Sévigné parle souvent.
Je sens que de la machine
Les invisibles ressorts.
Bien que l’âme soit divine,
L’unissent avec le corps.
A-t-elle quelque amertume ?
Le corps s’abat, se consume.
Et partage son ennui ;
Aux douleurs est-il en proie ?
L’âme ne sent plus de joie
Et s’affoiblit avec lui ’.
Tels, dans les transports qu’inspire
Cette agréable saison
Où le cœur à son empire
Assujettit la raison ;
Tels, dis-je, dans la jeunesse,
Pleins d’une vive tendresse
On voit deux parfaits amants
Que la sympathie assemble
Faire et partager ensemble
Leurs plaisirs et leurs tourments.
Damon, dans tout ce qu’on nomme
Vulgairement un malheur,
On s’abuse ; il n’est pour l’homme
De vrai mal que la douleur’.
L’exil, l’obscure naissance,
La servile dépendance.
Le mépris, l’oppression,
La pauvreté, qu’on déteste,
Le trépas, et tout le reste ,
Sont des maux d’opinion.
Dans l’heureux siècle où sans guide
On laissoit aller les mœurs.
L’homme n’étoit point avide
De richesses ni d’honneurs;
Il vivoit de fruits sauvages,
Dormoit sous les frais ombrages,
Buvoit dans un clair ruisseau ;
Sans bien, sans rang, sans envie,
Comme il entroit à la vie.
Il entroit dans le tombeau.
1. Voyez ci-dessus, p. SgS, la Lettre du chevalier de Mère,
2. Mme des Hou’ières appartenait à la secte des esprits jbrts et de» épicuriens^ dont la tradition, comme le fait remarquer M. Sainte-Beuve, ywf ininterrompue au dix-septième siècle (Purt-Royul, tuiae III, p. ’?-jZ)’ 4o/4 APPENDICE. r.e penchant pour le» délices, Qui nous suit jusqu’au cercueil. Est, ainsi que tous les vices, L’ouvrage de notre orgueil. Dans une douce retraite, Qu’avec plaisir il s’est faite. Le sage est heureux sans bien : De quoi pourroit-il se plaindre, Lui qui ne voit rien à craindre Et qui ne désire rien? Que sur lui la foudre gronde; Que les fougueux aquilons, Sous sa nef, ourent de l’onde Les gouffres les plus profonds; Qu’un tranchant acier s’apprête A faire tomber sa tète, Bien ne le peut émouvoii- ; Il est toujours impassible. Sous quelque forme terrible Que la mort se fasse voir’. Mais qu’intrépide, il affronte Tant qu’il voudra cet instant Qui n’est rien, et qu’à leur honte Tous les hommes craignent tant : Une douleur, qui ne cède Au temps non plus qu’au remède. Triomphe de son repos; Il soupire en ce rencontre ^, Et malgré sa force il montre L’homme à travers le héros’. Vous qui marchez sur ses traces. Vous que les cieux ennemis A de si longues disgrâces Ont injustement soumis. Quittez ces dures contraintes ; Adoucissez par des plaintes De vos maux la cruauté : . Cette strophe remet en mémoire les célèbres vers d’Horace (livre III, r:dem), dont elle est une imitation d’ailleurs assez faible : Justum ac tenacein pioposili viriim, etc. . Le genre de ce mot, dans le sens d’occasion^ conjoncture, a été longtemps indécis. Vaugelas et Ménage veulent qu’il soit toujours féminin ; Furetière (1690) ne l’admet au masculin qu’en style de bl.ison. . Voyez la nwxivie 7.XAPPENDICE. 4o5 Songe/, qu’insensible aux vôtres. On vous croira pour le» autres Peu de sensibilité. Pour le divorce qu’amènent Ces contrastes douloureux Où les éléments reprennent Tout ce qu’on a reçu d’eux ’, Réservez ce front tranquille : C’est là qu’il est inutile De se plaindre de ses maux ; C’est là que l’orgueil succomlie, C’est là que le masque tombe Qui eouvroit tous nos défauts. Oui, soyez alors plus ferme Que ces vulgaires humains Qui, près de leur dernier terme. De vaines terreurs sont pleins; En sage que rien n’offense, Livrez-vous sans résistance A d’inévitables traits, Et d’une démarche égale Passez cette onde fafcile Qu’on ne repasse jamais. Tout ce qu’on a vu de sages Aux plus renommés climats Ont cherché, dans tous les âge». Ce que c’est que le trépas; En vain ces esprits sublimes Sondent de profonds abîmes Pour nous en entretenir: Pas un seul, dans leur grand nombie, N’a pu percer la nuit sombre Qui nous caclie l’avenir. Plein d’une austère sagesse. L’un’ fait de savants efforts Pour établir que sans cesse Les âmes changent de corps ; L’autre, osant donner atteinte I . Ces quatre vers assez obscurs sont pour signifier la nwrt, et la mort telle que l’entendait Épicure, dont on retrouve encore un précepte, ou un encou- ragement, dans la strophe suivante. •2. Pythagore. . Mme des Houlières veut sans doute parler d’Epicure; mais l’opinLU qu’elle lui attribue avait été, avant lui, celle de Démocrite. « Déuaocrite et Epi4o6 APPENDICE. A la salutaire cr.iintp Qu’on a du divin courroux. Nous assure que la vie De rien ne sera suivie. Et que tout meurt avec nous. Le plus fort de ces grands maîtres’ Se sert de tout son esprit A soutenir que des êtres La seule forme périt. Que le corps se décompose, Qu’il se fait de chaque cho<;e Des arrangements divers , Et que toujours la matière , Infinie, active, entière, Circule dans l’univers. D’autres croyent qu’au Tartare Et qu’aux Cliamps-Elyséens Un juste arrêt nous prépare De grands maux ou de grands biens; Mais quand notre âme éclairée Ne seroit pas assurée Que c’est là le bon parti, L’amour-propre feroit suivre Une loi qui nous délivre Du sort d’être anéanti. D’autres.... Mais à quoi m’engage ’ Le soin de vous consoler? Il est un certain langage Que je ne dois point parler. Par une aveugle manie, cate, dit Plutarqoe, croient que l’âme est corruptible et qu’elle périt avec le corps. » {Des Opinions Jes philosophes, livre IV, chapitre vu.) . Cette strophe, comme la précédente, manque de netteté et de précision. S’agit-il d’un pLilosoplie moderne, de Spinoza, par exemple? On pourrait le croire, car, deux strophes plus haut, Mme des Houlières parle des philo- sophes de tous les âges, et Bayle la r.ittachc, ]>ar son maître Hénault, à la secte déjà fort suivie, même dès le dix-sej)tième siècle, du célèbre pan- théiste (voyez le Dictionnaire de Bayle, articles Hénanlt et Spinoza). Si, au contraire, il s’agit d’un ancien, à qui rapporter l’allusion, de Démocrite ou d’Epicure? Mme des Houlières, dans ce c.is, parlerait encore d’une doctrine qui leur éfctit coramime, car le second avait adopté, eu très-grande partie, la théorie atomistique du premier. Ce verbe au présent: « se sert de tout son esprit, » ne convieut pas bien à des philosophes dont nous n’avons jilus les écrits. N’étaient les mots : « Le plus fort de ces grands maîtres, » on pense- rait plutôt à Lucrèce, qui, dans son poème de Rerum natura, nous expose avec tant de vigueur et parfois d’éclat ces anciens systèmes de philosophie et de physique. APPENDICE. /,o7 On borne notre génie ’ A suivre un triste devoir; On veut qu’aux erreurs sujettes, La ISature nous ait faites Pour plaire, et non pour savoir. Finissons donc un ouvrage Ecrit pour vous seulement, Pour vous, Damon, de notre âge La gloire et l’étounement; Pour vous sur qui l’éloquence A répandu, dès l’enfance, Les trésors à pleines mains : Pour vous de qui la sagesse Passe celle dont la Grèce Donna l’exemple aux Romains. XVII I l’amour- puorRE. ODE V .MO]VSEIG^EUR l’kVËQUE DE SOISSOSii ’ par Houdcir de la Motte (1709)’. Démêlons tous les stratagèmes De l’instinct qui nous guide tous: Mortels, nous nous aimons nous-mêmes. Et nous n’aimons rien que pour nous*. De quelque vertu (ju’on se pique. Ce n’est qu’un voile chimérique Dont l’amour-propre nous séduit ^;
. Le génip des femmes.
. Faljio BrÛi.art de SilIerY, évèqiie d’Avraiiclies, puis de Soissons, meml.rt- de l’Académie française, né le 25 octobre 1055, mort le 20 novembre 1714. Sa mère était Marie-Catherine de la Rochefoucauld, sœur du moraliste, dont il était ainsi neveu dinct. F.st-ce pour cela f|nc’ la Motte lui dédia cette pièce, qui n’est qu’une sorte de résumé tn vr-r’- (!es Mttxmes? . Oiles de M. de la Motte^ seconde édition augmentée de moitié, à Paris, G. du Puis, 1709, p. ’29.0 et suivantes. — Antoine Hoiiriai de la Moite, né a Paris en lôy-^i, mort en 1731, mt-nibre de l’Académie française, a laissé des opéras, des comédies, des tragédies, des odt*s, des fal)lcs, des églogues, et des chansons anacrrontiques, outre d’assez, nombreux ouvrages en j)rose, qui trai- tent ])our 1.1 j)lupart de questions littéraires. Il prit une part fort active à la Querelle des Anciens et des ISloiternes. . Voyez les maximes 81, 23G, 5G3, et la 1^ des Héjlexions dii’erses. . Maxime 12. 4o8 APPENDICE. Je le sers en voulant m’en plaindre; C’est lui qui m’engage à le peindre, Et contre lui-même il m’instruit. Que nos amis, que nos maltresses. Objets apparents de nos vœux. Ne pensent pas que nos tendresses Ni que nos vrais soins soient pour eux ’. jVos plaisirs font notre constance ; Pourquoi de leur rcronnoissance Exigeons-nous l’injuste honneur? Que doivent-ils à notre ivresse? Leur bonheur ne nous intéresse Qu’autant qu’il est notre bonheur. Que nos vertus sont près du vice ! L’intérêt seul peut nous mouvoir ’ ; L’homme, par goût de la justice, Rarement s’immole au devoir. Souvent la clémence est adresse^; La modération, paresse ^ ; L’équité, peur des châtiments^. Cent vertus que l’erreur couronne. Sont de vains noms que l’orgueil donne A ses adroits déguisements. Non qu’en naissant l’homme ne sente Diverses inclinations, , Source unique, source constante De ses diverses actions : L’un naît ami de la malice ; L’autre d’un hasard plus j)ropice Tient un cœur sage et généreux ; Mais sa sagesse fortuite N’est (pi’une vertu sans mérite. Un amour-propre plus heureux. Quelquefois au feu qui la charme Résiste une jeune beauté, Et contre elle-même elle s’arme D’une pénible fermeté ’. Hélas ! cette contrainte extrême La prive du vice qu’elle aime, . Maximes 8i, 83, 23(5, 374 et 5oo. . Maximes 187, 253 et 3o5. — 3. Maxime i5. 4. Maxime 17. — 5. Maximes 78, 678 et 58o. . Maxime-épigraphe et maxime i. . Maximes 20 5 et 220. APPENDICE. 409 Pour fuir la honte qu’elle hait ; Sa sévérité n’est que faste. Et l’honneur de passer pour oiiaste La résout à l’être en effet ’ . Sagesse pareille au courage De nos plus superbes héros : L’univerSj qui les envisage , Leur fait immoler leur repos ; Qu’un miiinent leur cœur magnanime Perde ces témoins, dont l’estime Les soutcnoit dans le danger, Je crains qu’alors il ne rachète Par une lâcheté secrète Des jours qu’il n’osoit ménager -. Vous, rares au siècle où nous sommes. Grands que vos bienfaits font nommer L’amour, les délices des hommes, Vous flattez-vous de les aimer ? Des heureux qu’il vous plaJt de faiie Vous attendez votre salaire : Vous voulez régner sur les cœurs ; Votre avare magnificence , Par les faveuis qu’elle dispense , S’achète des admirateuis ^. Ainsi votre intérêt sait prendre Un dehors sensible, empressé ; Mais nous, ne croyons pas leur rendre Un amour désintéressé. Malgré leur attente déçue. L’orgueil , d’une grâce reçue Ne soutient qu’à regret le faix ; Et par la plus tendre apparence Notre ingrate reconnoissauce En veut à de nouveaux bienfaits ’. En vain ce sévère stoïque, Sous mille défauts abattu, Se vante d’une âme héroïque Toute vouée à la vertu : Ce n’est point la vertu qu’il aime ; Mais son cœur, ivre de lui-même, Voudroit usurper les autels ; Et par sa sagesse frivole I. Maxime i. — 2. Maximes 21 3, 21 5 et 221. i. Maxime 2 i6. — 4. Maximes 85, 223 et 298. 4io APPENDICE. Il ne veut que parer l’idole Qu’il offre au culte des mortels. Jusqu’où l’amour-propre s’égare ! Souvent, aveugle en son dessein. Il nous arme d’un fer barbare Qu’il tourne contre notre sein’. Caton, d’une âme j)Ius égale, Sous l’heureux vainqueur de Pliarsale Eût souffert que Rome pliât; Mais incapable de se rendre, Il n’eut pas la force d’attendrf Un pardon qui i’immiliât. Quel est donc le fruit que j’espère En traçant ces exemples vains? L’orgueil sera-t-il moins le père Des fausses vertus des humains? Non, nul art ne s’en rend le maître : C’est notre mobile, notre être ; Tous nos désirs lui sont soumis’; Aitaclu;/,, s’il se peut, au crime L'applaudi>sement et l’estime, La vertu n’aura plus d’amis. Toi, qui dois aux vertus fardées Livrer des combats assidus. Docte BrÛlvrt, dans ces idées Ne crois pas les saints confondus: Je conuois la source éternelle D’où coule une vertu réelle. Et j’en respecte en toi l’effet; Mais j’ai peint de notre àuie impure- Ce qu’elle tient de la nature. Et non ce que la Grâce en fait ■*. . Maxime 5o4 • — 2. Maxime 35. . La Rochefoucauld liit la même chose dans la préface delà 5’ édition, fi-dessus, p, 3o. — Voyez aussi le Discours sur les Maximes, p. 362 et note 2. APPENDICE. 4ij XIX RÉPO.SK A l.JMOVn.PHOPHE , ODE DE M. DE LA MOTTE*, par le marquis de Saint-Aulaire *. J’entends murmurer la Nature : « Quoi? dit-elle, un ingrat, comblé de mes bienfaits. S’en sert à dilfamcr dans sa nuire peinture Mes ouvrages les plus parfaits ! Des forêts un hôte sauvage D’un ennemi trop foible épargnera le sang! Un habitant des airs déchirera son flanc, Qu’à ses nourrissons il partage’^ ! Dans sa cruelle attente un grand peuple déçu Aura vu d’un lion la famélique rage Céder au souvenir d’un service reçu ’ ! Nuit et jour une tourterelle Plaindra de sa moitié l’absence ou le trépas. Et l’homme seul ne sera pas Tendre, reconnoissaat, magnanime, fidèle ! » Mortels favorisés des jjIus riches trésors I. En insérant cette réponse de Saint-Aulaire à la Motte, les rédacteurs des Mémoires de Trévoux (juin 1709, 2" partie, p. 974 et suivantes) la font précéder des réflexions suivantes : « Nous mettons rarement des vers dans notre Journal ,- mais oeiix-ci sont assurément de notre ressort. La question importante agitée entre M. le marquis de Saint-Aulaire et M. de la Motte appartient à la pliilosopliie et à l’histoire plus qu’à la poésie. La manière dont M. de Saint-Aulairo la traite la relève encore. Il a trouvé dans son cœur de quoi se convaincre de la fausseté du système de l’amour-propre dominant, et dans son csjirit de quoi en convaincre tout le monde. Los grands Jiornmes qu’il venge n’auroicnt pas choisi un autre défenseur, s’il leur eût été libre d’eu choisir un. » — François-Joseph de Beaupoil, marquis de Saint-Aulaire, mort à Paris, le 17 décembre 1742; dans sa quatre-viugt-dix-huitième année, fut nommé membre de l’Académie française en 170^; il avait composé ui; assez grand nombre de veis, surtout j)ourla petite cour de la duchesse du Maine, à Sceaux ; mais il y en a peu d’imprimés, et l’auteur lui-même ne prit jamais le soin de le> recueillir. . Nous écrivons ce nom comme l’écrivait l’auteur lui-même. La famille signe maintenant Sain’e-Aulaire. . Le pélican. — Pour la croyance fabuleuse auquel ce passage fait allusion, et ce qui a pu y donner lieu, voyez le Dictionnaire unii’ersel d’histoire iia- turefle de Cli. d’Orbigny. tome IX, p. 553. . Le lion d’Androclès. 4ia APPENDICE. De cette mère qu’on offense. Abandonnez-vous sa défense Commise à mes foII)les efforts? Venez à mon secours, 6 Vertus immortelles, Amours des illustres humains. Venez me tenir lieu des savantes pucelles’. Quoi? n’<"tes-vous comme elles ()ue des noms inventés, que des fantômes vains? Découvrez les secrets mystères Dont un cœur attendri du sort des malheureux. Dont un vainqueur modeste, un ami généreux. Vous font seules <lépositiiircs. Que mille nobles faits dérobés aux regards Par la modestie alarmée Soient rendus à la Renommée ! Que vos adorateurs lèvent vos étendards; Qu’on sache que de leurs hommages Le seul objet n’est pas la gloire qui vous suit. Qu’ils sont, loin du faste et du bruit. Contents de vos seuls témoignages ! Que des enfants de Mars, des soutiens de Thémis Tant de cœurs qui vous sont soumis S’empressent à venger vos beautés méprisées ! Descendons aux Champs-Elysées Chercher vos fidèles amis Au delà de cette onde noire ! Je vois déjà Plutarque et Laèrce ’ irrités Revendiquer l’honneur, défendre la mémoire Des grands hommes qu’ils ont vantés. J’entends, sous ces feuillages sombres, Contre les modernes humains Des sages Grecs, des fiers Romains Murmurer les illustres ombres. « Ah ! disent ces héros, quelle postérité Succède aux fondateurs de nos superbes temples ! Est-ce ainsi qu’elle a profité De nos conseils, de nos exemples? Hé quoi! ses plus rares esprits Ne connoissent en eux que foiblesse et que ice. Et selon leurs nouveaux écrits , Chacun de nous fut un Narcisse ■’ De l’amour de lui-même imiquement épris !
. Les Muses.
. Diogène de Laërte, auteur des Fies des philosophes. . Voyez plus haut, p. 3c)9, la fable de la Fontaine laûtnlèe C Homme et svrt Image. APPENDICE. 4i3 Ah ! si notre seule espérance Ktoit l’honneur de plaire à ces hommes nouveaux. De nos soins et de nos travaux Quelle seroit la récompense Alceste, à ce bruit odieux, Fait revoir ce deuil plein de charmes Qui fléchit autrefois la rigueur de ces lieux’ : L’injure qu’on fait à ses larmes En arrache encore à ses yeux. Du roi des Cariens la veuve - désolée Soupire au pied du mausolée, oc N’airaé-je point PoUux? — N’aimé-je point Castor? » Disent avec transport les fameux Tj’ndarides ’. D’Andromaque les yeux humides 5e tournent tendrement sur ceux de son Hector ’. a Je n’aime donc point ma patrie ! » Dit Codrus travesti sous l’habit d’un soldat. A Curtius l’intérêt de l’État Fut-il moins cher que celui de sa vie? Vous en fûtes témoin, redoutable Minos, Quand, pour ses citoyens victime volontaire, Dans un chemin tracé par vos dieux infernaux, Il osa d’un coursier presser la marche fière Jusqu’au pied de vos tribunaux *■. Et vous, ô Régulus, orateur héroïque, Est-ce votre intérêt qui dictoit le discours Dont l’éloquence obtint que votre République A sa gloire immolât vos jours’? Pline de son héros modeste* Ne peut voir avilir les sincères vertus; J’entends gronder Caton, je vois frémir Brutus, Et Pylade embrasser Oreste. >> Ainsi, quand d’un trouble nouveau . Alceste, femme d’Admète, roi de Thessalie, l’héroïne d’une des plus touchantes tragédies d’Euripide. Elle se dévoua à la mort pour sauver son époux, et fut ensuite ramenée des enfers par Hercule. . Artémise, veuve du roi de Carie, Mausole, d’où vient le nom de mauso- lée, au vers suivant. . Castor et PoUux eux-mêmes. . Voyez la fin du livre VI de l’Iliade d’Homère. . Codrus, dernier roi d’Athènes, ayant appris de l’oracle que, dans la guerre des Ioniens contre les Athéniens, la victoire demeurerait à celui des deux peuples dont le chef serait tué, se dévoua volontairement, en se jetant dans la mêlée, a travesti sous l’habit d’un soldat. » . On sait que ce jeune Romain, pour combler un gouffre qui s’était ouvert au milieu du Forum, s’y précipita à cheval et tout armé. . Voyez le traité des Devoirs de Cicéron, livre III, chapitre xxvii. . Ceci répond particulièrement à la septième strophe de la Motte. Le « héros 4i4 APPENDICE. La sage iibcille inquiétée Avertit sa troupe écartée Dans les prés voisins du hameau. De la répulilique légère Le tumultueux mouvement Et le confus bourdonnement Marquent sa crainte ou sa coltie. Mais qu’on écoute; c’est Mines; Je reconnois son air terrible : c Quel attentat, dit-il, a pu de ces Léros Troubler la demeure paisible ? Respecte-t-ou si peu leur gloire et leur repo» ? Rassurez- vous, Mânes illustres; En vain on vous dispute un rang Acquis par vos travaux, payé de votre sang Révéré depuis tant de lustres : Quand les foibles mortels entendent raconter De vos faits l’étonnante liistoire, La peine qu’ils ont à la croire Vient de leur peine à l’imiter. Et le comble de votre gloire Est qu’ils en paroissent douter. Des vertus la troupe céleste Est l’unique présent qui soit digue des Dieux ; Sans elle, aux mortels odieux La lumière seroit funeste. Qu’elles ne craignent rien de cet aimable auteur Qui semble les bannir de la nature humaine ; L’enthousiasme de sa veine Est désavoué de son cœur; Nous l’avons appris de lui-même. Ne snivoient-elles pas l’appareil de son deuil. Lorsque de ce guerrier ’ qu’il aime De tant de rares fleurs il orna le cercueil ? modeste » de Pline, c’est l’empereur Trajan , dont il a exalté les vertus dans un pompeux discours. Voyez ce qui est dit de la modestie de ce prince au chapitre iv de ce Panégyrique. I. « M. de Roquelaure, » disent en note les jIémoires de Trévoux; on trouve en effet, au tome I des OEuvres de la Motte (p. 376-3Sù), une ode intitulée : VOnihre du marquis de Roquelaure. Le titre de marquis indique assez qu’il ne s’agit pas du dernier duc de Roquelaure (Gaston-Jean-Baptiste- Antoine) , qui ne mourut d’ailleurs qu’en 1782, sept ans après la Motte lui- même, mais probablement de son oncXe Jean- Louis comte de Beauraont, puis marquis de Roquelaure, lorsque Gaston, son ueveu, devint duc. Le P. Anselme et Moréri ne sont pas clairs en ce qui concerne la généalogie des derniers E.oquelaure; il est vrai qu’il était assez difficile de s’y reconnaître, car le premier maréchal de ce nom, père de Jean-Louis dont nous parlons, avait laissé dix-huit enfants, dont neuf fils. APPENDICE. 4i5 Quand un auditeur qui le loue D’un modeste incdinat voit colorer sa joue, Y voit-il l’iimour-propre, y connoit-il l’orgueil? Ah ! mortel, si ta seule affaire Eàt de t’aimer et de te plaire, A remplir bien ou mal cet injuste devoir Tu ne peux mériter ni peine, ni salaire; Et de mon triliunal trop doux ou trop sévère Il faut abandonner l’inutile pouvoir.
- ↑ Ou cette Lettre, comme l’appellent la Rochefoucauld (voyez la préface de la première édition, ci-dessus, p. 26), et l’auteur lui-même (à la fin de ce Discours). Le tour d’ailleurs et la forme du morceau, surtout au commencement et à la fin, sont bien d’une lettre.
- ↑ À la fin de sa note, dont nous ne donnons ici qu’une partie, Walckenaer, rencontrant le nom de J. Esprit dans le récit de Gueret, revient ainsi sur cette
- ↑ Claude Barbin.
- ↑ Voyez, ci-dessus, la 3e note de la page 29 et la 1re note de la page 30.
- ↑ La plupart de ces citations sont d’ailleurs inexactes, comme on le verra dans les notes.
- ↑ Voyez, à la fin de l’édition de 1665, l’Extrait du privilège du Roi.
- ↑ Pour tout ce qui concerne Segrais, on peut consulter une consciencieuse étude sur sa Vie et ses Œuvres, par M. Bredif, un volume in-8o, Paris, Auguste Durand, 1863.
- ↑ Cette lettre, de la main de la Rochefoucauld, fait partie de la belle collection de M. Chambry, qui a bien voulu m’en donner communication avec sa bonne grâce habituelle.
- ↑ Au tome II de la présente édition.
- ↑ La date de l’année n’est pas marquée sur l’autographe, mais si la lettre se rapporte, comme il ne nous paraît pas possible d’en douter, à la suppression du Discours, elle est évidemment de 1666, année de la seconde édition des Maximes.
- ↑ Rapin (René), jésuite, né à Tours en 1621, mort à Paris le 27 octobre 1687. Il a excellé dans la poésie latine, et son poëme des Jardins a passé longtemps pour un chef-d’œuvre digue du siècle d’Auguste. « Il avoit, dit Moréri, d’excellentes qualités, un génie heureux, nu très-bon sens une probité exacte, et un cœur droit et sincère. Il étoit naturellement honnête, et il s’étoit encore poli dans le commerce des grands, qui l’ont honoré de leur amitié. » Moréri ajoute qu’il étoit extrêmement officieux ; nous voyons ici que la Rochefoucauld, entre autres, avait profité de cette aimable disposition.
- ↑ Voyez, ci-après, les Jugements des contemporains sur les Maximes.
date : « Les Maximes de l’abbé J. Esprit ayant paru en 1669, c’est vers ce temps que fut composé cet écrit de Gueret. » Il y a là une double erreur. Le livre de J. Esprit n’a paru qu’en 1678, la même année que l’édition définitive des Maximes de la Rochefoucauld, et que les Maximes de Mme de Sablé ; puis, en 1669, l’un des deux la Chapelle, né, comme on le verra plus loin, en 1655, ne pouvait encore, si précoce qu’on le suppose, mériter, à l’âge de quatorze ans, le titre de bel esprit que Gueret lui décerne.