Œuvres de François Fabié - Tome 3/Jamais plus

Œuvres de François Fabié
Alphonse Lemerre, éditeur (Poésies 1905-1918 : Ronces et Lierres. Les Paysans et la Guerrep. 123-125).


Jamais plus, au matin, ses yeux ne s’ouvriront
Pour saluer le jour, l’espérance et la joie ;
Notre baiser en vain cherchera son beau front,
           Ses lourds cheveux, ses cils de soie ;
Et sans la ramener tous les soirs tomberont.

Plus rien d’Elle, jamais : ni sa voix tendre et chaude,
Ni son rire, — un bruit frais de source dans les bois, —
Ni son geste animant le clavier sous ses doigts ;
Pas même une vapeur fugitive qui rôde
Dans le miroir désert qui la vit tant de fois !…





En vain nous retournons, comme en pèlerinage,
Vers les villes qu’elle habita, frappant au seuil
De tous ceux qui jadis lui faisaient tendre accueil
          Nuls yeux n’ont gardé son image,
Et rien d’Elle ne lui survit que notre deuil.

Et si, las de poursuivre une ombre décevante,
Nous rentrons sous le toit qui la vit tant souffrir
Un an. désespérer dix longs mois, et mourir,
Nous retrouvons autour, impassible et vivante,
La Nature où tout va renaître et refleurir.

Les fleurs de l’herbe haute émergent et sourient
À l’aube, à la rosée, à l’azur, au soleil ;
L’abeille accourt les saluer dès son réveil ;
Les pins et les cyprès géants chantent ou prient :
Et seule notre enfant dort son pesant sommeil.

Son sommeil ! Est-il vrai ? Seigneur, Seigneur, dort-elle
Seulement, sans douleurs, sans regrets d’ici-bas,
Elle qui depuis tant de nuits ne dormait pas,
          Quand soudain l’effleura de l’aile
La Berceuse dont nul n’entend venir les pas ?

Dors-tu, ma douce enfant, d’un sommeil sans nul songe
Dont même notre appel ne peut rompre le cours,
Et qui ne finira qu’avec la fin des jours ?
Dors-tu paisiblement, loin de l’humain mensonge
Qui fait si bref le rêve et les réveils si lourds ?

Ou bien si le Néant, mer vaste, morne et grise
Où tombent, nous dit-on, sans arrêt, les humains,
Comme flocons de neige aux mares des chemins,
          Papillon meurtri, t’a reprise,
Abolissant pour toi hiers et lendemains ?

Ou bien encore… — Ah I Dieu, l’effroyable mystère !
L’horrible mur où l’on meurtrit ses poings en vain
Comme dans un cachot des enfants ayant faim…
Ne rien savoir et ne rien pouvoir — que se taire,
Ou pleurer, ou prier, ou maudire sans fin !