Œuvres de François Fabié - Tome 3/Adieu
Adieu !… C’est le mot qui délie
Et c’est aussi le mot qui rompt ;
Il est cruel, terrible et prompt,
Ou trempé de mélancolie.
Adieu !… Que ce soit dans les pleurs
Ou dans quelque pâle sourire,
À chaque pas il faut le dire,
Ce petit mot gros de douleurs…
L’enfant comme un pinson gazouille.
Le père part : « Mignon, adieu ! »
Et, sans savoir pourquoi, l’œil bleu
Du bambin se trouble et se mouille.
Il a dix ans… « Vite, au chef-lieu,
Dit le père, vite à l’école ! »
La pauvre mère se désole :
« Travaille bien, mon fils. Adieu ! »
On a seize ans ; une cousine
Vous a mis l’âme tout en feu :
Elle en épouse un autre ! Adieu !
Et la douleur vous assassine…
Vingt ans… Soldat ! Guerre, morbleu !
L’odeur de la poudre vous grise ;
Et cependant le cœur se brise
Lorsque au village on dit adieu.
On se marie, on devient père.
Dans son petit lit rose ou bleu
Le nouveau-né se meurt… Adieu !
Et l’on crie et l’on désespère…
Puis votre mère va vers Dieu ;
Douce et grave comme une sainte,
De sa chère voix presque éteinte
Que vous dit-elle encore ? — Adieu !
Votre père, que l’âge dompte,
Ira la rejoindre sous peu :
Encore un déchirant adieu…
Bientôt vous en perdrez le compte.
Vos amis meurent en tout lieu,
Et chaque jour il vous arrive
Quelque lamentable missive :
Un tel est mort : nouvel adieu !…
Pourtant il vous restait encore
Une enfant — un coin de ciel bleu.
Votre couchant est un adieu,
Mais sa jeunesse est une aurore.
Or un mal sourd à petit feu
A consumé l’enfant superbe ;
Toute votre race est sous l’herbe ;
Et c’est l’irréparable adieu…