Œuvres de Florian/Fables/5/Le Crocodile et l’Esturgeon
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- Sur la rive du Nil un jour deux beaux enfants.
- S’amusaient à faire sur l’onde,
- Avec des cailloux plats, ronds, légers et tranchants,
- Les plus beaux ricochets du monde.
- Un crocodile affreux arrive entre deux eaux,
- S’élance tout à coup, happe l’un des marmots,
- Qui crie et disparaît dans sa gueule profonde.
- L’autre fuit, en pleurant son pauvre compagnon.
- Un honnête et digne esturgeon ,
- Témoin de cette tragédie,
- S’éloigne avec horreur, se cache au font des flots ;
- Mais bientôt il entend le coupable amphibie
- Gémir et pousser des sanglots :
- Le monstre a des remords, dit-il : ô providence,
- Tu venges souvent l’innocence ;
- Pourquoi ne la sauves-tu pas ?
- Ce scélérat du moins pleure ses attentats ;
- L’instant est propice, je pense,
- Pour lui prêcher la pénitence :
- Je m’en vais lui parler. Plein de compassion,
- Notre saint homme d’esturgeon
- Vers le crocodile s’avance :
- Pleurez, lui cria-t-il, pleurez votre forfait ;
- Livrez votre âme impitoyable
- Au remords, qui des dieux est le dernier bienfait,
- Le seul médiateur entre eux et le coupable.
- Malheureux, manger un enfant !
- Mon cœur en a frémi ; j’entends gémir le vôtre...
- Oui, répond l’assassin, je pleure en ce moment
- De regret d’avoir manqué l’autre.
- Tel est le remords du méchant.