Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/La Description du corps humain

Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery
Œuvres de Descartes, Texte établi par Charles Adam et Paul TanneryLéopold Cerf (p. 217-290).

Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/251 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/253 que nous mettrons en haut des pages, pour cette seconde partie, réservant pour la première : Deſcription du Corps humain.

Dans quel état se trouvait le MS. de ce Traité ? Descartes « luy-meſme auoit deſia commencé à le diſtinguer par parties & par articles », dit Clerselier dans sa Préface de 1664 (p. 28 non paginée). « Et cela », continue l’éditeur, « m’a donné la penſée d’acheuer ce qu’il auoit commencé. » Ces articles sont au nombre de 74, dans l’édition de Clerselier. On vient de voir que Descartes ne les avait pas ainsi numérotés jusqu’au bout ; mais où s’était-il arrêté, et à partir de quel numéro avons-nous les divisions de Clerselier, et non plus de Descartes ? c’est ce qu’il est impossible de déterminer. Aussi donnerons-nous l’indication de ces 74 articles, en faisant toutes nos réserves. — De plus, le commencement du Traité, dont nous avons retrouvé une copie MS. (t. X, p. 13-14), donne bien les mots : « Pr Art. » et « 2 Artic. », mais sans donner de titre ni à l’un ni à l’autre. On peut en conclure que les titres, qui se trouvent tout au long dans l’édition de 1664, ne sont pas de Descartes : c’est Clerselier qui les aura ajoutés, comme il dit qu’il l’a fait aussi pour le Traité de l’Homme. Nous rejetterons donc encore tous ces titres à la suite du présent Traité, ne nous croyant pas en droit de les insérer dans le texte du philosophe, ni même de les juxtaposer au fur et à mesure des articles. Toutefois, comme Descartes avait divisé ce Traité « par parties », assure Clerselier, nous conserverons au moins cette division : soit cinq parties, dont la 1er n’est qu’une Préface, la 2e et la 3{{}} traitent Du mouvement du Cœur & du ſang, puis De la nutrition, et les deux dernières, 4e et 5e, De la formation de l’animal.

Quelle est maintenant la date de ce Traité ? On peut la déterminer avec une certaine approximation.

D’abord Descartes, à plusieurs reprises (pp. 133, 140, 159, édit. Clerselier), renvoie à ses Principes ; et il dit bien Principes en français, et non pas Principia Philoſophiæ, ce qui donne à penser que la traduction a paru déjà, et que le Traité est postérieur à 1647, et non pas seulement à 1644.

De plus, dans une lettre à la princesse Elisabeth, du 25 janvier 1648, Descartes déclare « qu’il a maintenant un écrit entre les mains », dont il donne même l’objet, sinon le titre : « c’eſt la deſcription des fonctions de l’animal & de l’homme ». (Tome V, p. 112, l. 12-15.) Cela répond exactement aux trois premières parties que nous avons vues. Mais Descartes ajoute cette phrase significative : « Et meſme ie me ſuis auanturé (mais depuis huit ou dix iours ſeulement) d’y vouloir expliquer la façon dont ſe forme l’animal dés le commencement de ſon origine. » (Ibid., l. 19-22.) Et voilà qui désigne clairement la « digression » de notre Traité, sur la « formation de l’Animal », et nous en donne même la date à quelques jours près. Enfin Descartes termine par une phrase que nous retrouvons presque mot pour mot dans le Traité (p. 161, édit. Clerselier) : « Ie dis l’animal en general ; car, pour l’homme en particulier, » ie ne l’oſerois entreprendre, faute d’auoir aſſez d’expériences pour cet effet. » (Tome V, p. 112, l. 22-25.)

Ce texte décisif se trouve confirmé par deux autres, de la même année 1648. Le premier est tiré de l’entretien si intéressant de Descartes et de Burman, à la date du 16 avril 1648. Il y est question d’un Traité de l’Animal, auquel Descartes a travaillé « cet hiver ». Suivent quelques détails caractéristiques : le philosophe voulait d’abord expliquer seulement les fonctions de l’animal ; mais il vit qu’il ne pouvait absolument pas le faire, sans expliquer la formation de l’animal à partir de l’œuf, ab ovo. (Tome V, p. 170-171.) En effet. Descartes, dans son Traité, après avoir parlé du mouvement du cœur & du ſang, puis de la nutrition, traite de la formation de l’animal. Enfin, dans une lettre postérieure, de la fin de 1648, ou du commencement de 1649, il expose, à peu près dans les mêmes termes, son double dessein : deſcription de l’animal, premier dessein, d’ailleurs abandonné « parce qu’il en a maintenant un meilleur, qui est, au lieu de traiter des fonctions de l’animal », de trouver « les cauſes de ſa formation ». Et il ne désespère pas d’en venir à bout, « pourueu qu’il ait du loiſîr & la commodité de faire quelques expériences ». (Tome V, p. 260-261.)

Nous pouvons donc fixer, en toute certitude, la date du présent Traité à l’année 1648. (Peut-être était-il commencé déjà en 1647.) Et nous ne l’appellerons pas, « Second Traité », comme fait Clerselier, qui appelait aussi le Traité de l’Homme « Premier Traité ». Les deux sont indépendants l’un de l’autre, et se trouvent séparés, on le voit, par un assez long intervalle.

C. A.

Nancy, 17 Juillet 1907.



Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/257 pour retarder le cours de la vieilleſſe, ſi on s’eſtoit

aſſez étudié à connoiſtre la nature de noſtre corps, & qu’on | n’euſt point attribué à l’ame les fonctions qui ne dépendent que de luy, & de la diſpoſiion de ſes organes. 5

ii. Mais pource que nous auons tous éprouué, dés noſtre enfance, que pluſieurs de ſes mouuemens obeïſſoient à la volonté, qui eſt une des puiſſances de l’ame, cela nous a diſpoſez à croire que l’ame eſt le principe de tous. A quoy auſſi a beaucoup contribué 10 l’ignorance de l’Anatomie & des Mechaniques : car ne conſiderans rien que l’exterieur du corps humain, nous n’auons point imaginé qu’il euſt en ſoy aſſez d’organes, ou de reſſors, pour ſe mouuoir de ſoy-meſme, en autant de diuerſes façons que nous voyons qu’il ſe 15 meut. Et cette erreur a eſté confirmée[1], de ce que nous auons iugé que les corps morts auoient les meſmes organes que les viuans, ſans qu’il leur manquaft autre chofe que l’ame, & que toutesfois il n’y auoit en eux aucun mouuement. 20

iii. Au lieu que, lors que nous taſchons à connoiſtre plus diſtindemcnt noſtre nature, nous pouuons voir que noſtre ame, en tant qu’elle eſt vne ſubſtance diſtincte du corps, ne nous eſt connüe que par cela ſeul qu’elle penſe, c’eſt à dire, qu’elle entend, qu’elle 25 veut, qu’elle imagine, qu’elle ſe reſſouuient, & qu’elle ſent, pource que toutes ces fonctions font des eſpeces de penſées. Et que, puiſque les autres fonctions que quelques-vns luy attribuent, comme de mouuoir le cœur & les arteres, de digérer les viandes dans 30 l’eſtomac, & ſemblables, qui ne contiennent en elles aucune penſée, ne font que des mouuemens corporels, & qu’il eſt plus ordinaire qu’vn corps ſoit meu par vn autre corps, que non pas | qu’il ſoit meu par vne ame, nous 5 auons moins de raiſon de les attribuer a elle qu’à luy.

Nous pouuons voir auſſi que, lors que quelques iv. parties de noſtre corps font offenſées, par exemple, quand vn nerf eſt piqué, cela fait qu’elles n’obeïſſent plus à noſtre volonté, ainſi qu’elles auoient de coutume, 10 & meſme que ſouuent elles ont des mouuemens de conuulſion, qui luy ſont contraires. Ce qui monſtre que l’ame ne peut exciter aucun mouuement dans le corps, ſi ce n’eſt que tous les organes corporels, qui ſont requis à ce mouuement, ſoient bien diſpoſez ; 15 mais que, tout au contraire, lors que le corps a tous ſes organes diſpoſez à quelque mouuement, il n’a pas beſoin de l’ame pour le produire ; & que, par conſequent, tous les mouuemens que nous n’experimentons point dépendre de noſtre penſée, ne doiuent pas eſtre {{{1}}}attribuez à lame, mais à la feule difpolition des organes ; & que mefme les mouuemens, qu on nomme volontaires, procèdent principalement de cette difpofition des organes, puis qu’ils ne peuuent eftre excitez fans elle, quelque volonté que nous en ayons, bien 25 que ce foit l’ame qui les détermine.

Et encore que tous ces mouuemens ceft ! ent dans le v. corps, lors qu’il meurt, & que lame le quitte, on ne doit pas inférer de là, que c’eft elle qui les produit ; mais feulement, que c’eft vne mefme caufe, qui fait

3o que le corps n’eft plus propre à les produire, & qui fait auffi que lame s’abfente de luy Œuvres, Vl. 2q

Il eſt vray qu’on peut auoir de la difficulté à croire, que la ſeule diſpoſition des organes ſoit ſuffiſante pour | produire en nous tous les mouuemens qui ne ſe determinent point par noſtre penſée ; c’eſt pourquoy ic taſcheray icy de le prouuer, & d’expliquer tellement 5 toute la machine de noſtre corps, que nous n’aurons pas plus de ſujet de penſer que c’eſt noſtre ame qui excite en luy les mouuemens que nous n’experimentons point eſtre conduits par noſtre volonté, que nous en auons de iuger qu’il y a vne ame dans vne horloge, 10 qui fait qu’elle monſtre les heures.

vi. Il n’y a perſonne qui n’ait deſia quelque connoiſſance des diuerſes parties du corps humain, c’eſt à dire, qui ne ſçache qu’il eſt compoſé d’vn très grand nombre d’os, de muſcles, de nerfs, de venes, d’artères, 15 & auec cela d’vn cœur, d’vn cerueau, d’vn foye, d’vn poumon, d’vn eftomac ; & mefme, qui n’ait veu quelquefois ouurir diuerfes beftes, où il a pu confiderer la figure & la fituation de leurs parties intérieures, qui font à peu prés en elles comme en nous. Il ne fera pas 20 befoin qu’on ait rien apris de plus de l’Anatomie, afin d’entendre cet écrit, à caufe que i’auray foin d’y expliquer tout ce qu’il en faut fçauoir de plus particulier, a mefure que i’auray occafion d’en parler.

VII. Et afin qu’on ait d’abord vne générale notion de 25 toute la machine que i’ay à décrire : le diray icy que c’eft la chaleur quelle a dans le cœur, qui eft comme

le grand reflbrt, & le principe de tous les mouuemens qui (ont en elle ; & que les venes font des tuyaux, qui conduifent le fang de toutes les parties du corps vers 3o ce cœur, où il fert de nourriture à la chaleur qui y eft, comme auſſi l’eſtomac & les boyaux ſont vn autre plus grand | tuyau, parſemé de pluſieurs petits trous, par où le ſuc des viandes coule dans les venes, qui le portent droit au cœur. Et les artères ſont encore 5 d’autres tuyaux, par où le ſang, échauffé & raréfié dans le cœur, paſſe de là dans toutes les autres parties du corps, auſquelles il porte la chaleur, & de la matière pour les nourrir. Et enfin les parties de ce ſang les plus agitées & les plus viues, eſtant portées au 10 cerueau par les arteres qui viennent du cœur le plus en ligne droite de toutes, compoſent comme vn air, ou vn vent tres ſubtil, qu’on nomme les Eſprits animaux ; leſquels, dilatans le cerueau, le rendent propre à receuoir les impreſſions des objets exterieurs, & auſſi 15 celles de l’ame, c’eſt à dire, à eſtre l’organe, ou le ſiege, du Sens commun, de l’Imagination, &. de la Memoire. Puis ce meſme air, ou ces meſmes eſprits coulent du cerueau par les nerfs dans tous les muſcles, au moyen de quoy ils diſpoſent ces nerfs à ſeruir d’organes 20 aux ſens extérieurs ; & enſlans diuerſement les muſcles, donnent le mouuement à tous les membres.

Voila, ſommairement, toutes les choſes que i’ay icy à décrire, afin que, connoiſſant diſtinctement ce qu’il y a en chacune de nos actions qui ne dépend que du 25 corps, & ce qu’il y a qui dépend de l’ame, nous puiſſions mieux nous ſeruir, tant de luy que d’elle, &

guerir ou preuenir leurs maladies.
[SECONDE PARTIE.
Du mouuement du Cœur & du ſang.]

viii. | On ne peut douter qu’il n’y ait de la chaleur dans le cœur, car on la peut ſentir meſme de la main, quand on ouure le corps de quelque animal viuant. Et il n’eſt 5 pas beſoin d’imaginer que cette chaleur ſoit d’autre nature, qu’eſt generalement toute celle qui eſt cauſée par le mélange de quelque liqueur, ou de quelque leuain, qui fait que le corps où elle eſt ſe dilate.

ix. Mais, pource que la dilatation du ſang que cauſe 10 cette chaleur, eſt le premier & le principal reſſort de toute noſtre machine, le voudrois que ceux qui n’ont iamais étudié l’Anatomie, priſſent la peine de voir le cœur de quelque animal terreſtre, aſſez gros (car ils ſont tous à peu prés ſemblables à celuy de l’homme), 15 & qu’ayant premierement coupé la pointe de ce cœur, ils priſſent garde qu’il y a au dedans comme deux cauernes, ou concauitez, qui peuuent contenir beaucoup de ſang. Après cela, s’ils mettent les doigts dans ces concauitez, pour y chercher, vers la baze du cœur 20 les ouuertures par où elles peuuent receuoir du ſang, ou bien ſe décharger de celuy qu’elles contiennent ils en trouueront deux fort grandes en chacune : à ſçauoir, dans la cauité droite, il y a vne ouuerture qui conduira le doigt dans la vene caue, & vne autre qui 25 le conduira dans la vene arterieuſe. Puis, s’ils coupent la chair du cœur le long de cette cauité, iuſques à ces deux ouuertures, ils | trouueront trois petites peaux (nommées communement les valvules) à l’entrée de la vene caue, qui ſont tellement diſpoſées, que lors que le cœur eſt allongé, & deſenflé (comme il eſt touſiours 5 dans les animaux qui ſont morts), elles n’empeſchent aucunement que le ſang de cette vene ne deſcende dans cette cauité ; mais que, ſi le cœur vient à s’enfler, & à ſe racourcir, eſlant contraint à cela par l’abondance & la dilatation du ſang qu’il contient, ces 10 trois peaux ſe doiuent rehauſſer, & fermer tellement l’entrée de la vene caue, qu’il ne puiſſe plus deſcendre de ſang par elle dans le cœur.

On trouuera auſſi trois petites peaux, ou valvules, à l’entrée de la vene arterieuſe, qui font tout autrement 15 diſpoſées que celles de la vene caue, en forte qu’elles empeſchent que le ſang que contient cette vene arterieuſe ne puiſſe deſcendre dans le cœur ; mais que, s’il y en a dans la cauité droite du cœur, qui tende à en ſortir, elles ne l’en empeſchent aucunement. 20

En meſnme façon, ſi on met le doigt dans la cauité gauche, on y trouuera deux ouuertures vers ſa baze, qui conduiſent, l’vne dans l’artere veneuſe, & l’autre dans la grande artèere. Et en ouurant toute cette cauité, 25 on verra deux valvules à l’entrée de l’artere veneuſe, qui ſont entierement ſemblables à celles de la vene caue, & ſont diſpoſées en meſme façon ; ſans qu’il y ait autre difference, ſinon que l’artere veneuſe, eſtant preſſée d’vn coſté par la grande artere, & de l’autre 30 par la vene arterieuſe, a ſon ouuerture oblongue : ce qui fait que deux telles petites peaux ſuffiſent pour la fermer, au lieu qu’il en faut trois, pour fermer l’entrée de la vene caue.

| On verra auſſi trois autres valvules a l’entrée de la grande artere, qui ne different en rien de celles qui ſont à l’entrée de la vene arterieuſe ; en forte qu’elles 5 n’empeſchent point que le ſang, qui eſt dans la cauité gauche du cœur, ne monte dans cette grande artere, mais elles l’empeſchent de redcſcendre de cette artere dans le cœur.

Et on pourra remarquer que ces deux vaiſſeaux, à 10 ſçauoir, la vene arterieuſe & la grande artere, ſont compoſez de peaux beaucoup plus dures, & plus épaiſſes, que ne ſont la vene caue & l’artere veneuſe. Ce qui monſtre que ces deux-cy ont tout vn autre vſage que les deux autres ; & que celle qu’on nomme 15 l’artere veneuſe, eſt veritablement vne vene, comme au contraire celle qu’on nomme la vene arterieuſe, eſt vne artereErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Mais ce qui eſt cauſe que les anciens ont nommé artere, celle qu’ils deuoient nommer vne

a. Descartes avait fait la même remarque déjà dans son Diſcours de la Methode (t. VI, p. 47, l. 13 et 21), et cette remarque n’était point passée inaperçue. Témoin Jean Pecquet, Diſſertatio Anatomica de Circulatione Sanguinis & Chyli Motu, cap. III, fin. : « … Quandoquidem ad geminas Pulmonum Venas ſermo devoluius eſt, ineptis (meo quidem judicio) Anatomici vocabulis utramque diſſinxeunt. Nam quidni cum ſubtiliſſimo Carteſio, Arteriam plane vocitavero, quà ſe dexter in Pulmonem Cordis Ventriculus exonerat, dum eam & t lunicif dcnlitas, iï » Valvularum figura, « S ; extipientis à Corde San^iiinem oflicium ùifundibuli, ca-teris omnino per Corpus.Artenis allimilant ; Kt cur ci, per » quam purpuram in Cor revumit Pulmo, Venofx— conlcrani Arterine » titulum, dum « S tunicat & Valvularum & officii leltimonia eandem adcruni Venam flFe ? l’tcunquc lanicn audiant, fcito niihi pcrindc l’ore, » dum noicantur; Icd evidens hac in re Verit.v. Harpocraii liiarc non >i debiiit. " (Pai ; e 62-63, pet. in-12, Hardci vici, apud.loannem Tollium. Juxta exemptai— l’an/tls imp’rcff’tin ! Anno M DC LI) vene, & qu’ils ont nommé vene, celle qui eſt vne artere, c’eſt qu’ils ont crû que toutes les venes venoient de la cauité droite du cœur, & toutes les arteres de la gauche.

5 Enfin on pourra remarquer que ces deux parties du cœur, qu’on nomme les oreilles, ne ſont autre choſe que les extremitez de la vene caue & de l’artere veneuſe, qui ſe ſont élargies & repliées en cet endroit-là, pour la raiſon que ie diray cy-aprés.

10 Lors qu’on aura ainſi veu l’anatomie du cœur, ſi x. l’on conſidere qu’il a touſiours en ſoy plus de chaleur, pendant que l’animal vit, que n’en a aucune autre partie du corps, & que le ſang eſt de telle nature, que lors qu’il eſt vn peu plus échauffé que de coutume, il 15 ſe dilate fort|promptement, on ne pourra douter que le mouuement du cœur, & en ſuitte le poulx, ou le battement des arteres, ne ſe faſſe en la façon que ie va décrire.

Au moment que le cœur eſt allongé & deſenflé, il 20 n’y a point de ſang en ſes deux concauitez, excepté ſeulement quelque petit reſte de celuy qui s’y eſt raréfié auparauant ; c’eft pourquoy il y en entre deux groſſes gouttes, vne qui tombe de la vene caue dans ſa cauité droite, & l’autre qui tombe de la vene, nommée 25 l’artere veneuſe, dans la gauche ; & le peu de ſang raréfié qui reſtoit dans ſes concauitez, ſe mêlant incontinent auec celuy qui entre de nouueau, eſt comme vne eſpece de leuain, qui fait qu’il ſe réchauffe & ſe dilate tout a coup ; au moyen dequoy le cœur 30 s’enfle, & ſe durcit, & ſe racourcit quelque peu ; & les petites peaux qui font aux entrées de la vene caue & de l’artere veneuſe ſe ſouleuent, & les ferment en telle ſorte, qu’il ne peut deſcendre dauantage de ſang de ces deux venes dans le cœur, & que le ſang qui ſe dilate dans le cœur ne peut remonter vers ces deux venes ; mais il monte facilement de la cauité droite 5 dans l’artere, nommée la vene arterieuſe, & de la gauche dans la grande artere, ſans que les petites peaux qui ſont à leurs entrées l’en empeſchent.

Et pource que ce ſang raréfié requiert beaucoup plus de place qu’il n’y en a dans les concauitez du 10 cœur, il entre auec effort dans ces deux arteres, faiſant par ce moyen qu’elles s’enflent & ſe ſouleuent au meſme temps que le cœur ; & ceſt ce mouuement, tant du cœur que des artères, qu’on nomme le poulx. 15

|Incontinent après que le ſang ainſi rarefié a pris ſon cours dans les arteres, le cœur ſe deſenſle, & deuient mol, & ſe ralonge, à cauſe qu’il ne demeure que peu de ſang dans ſes concauitez ; & les arteres ſe deſenſlent auſſi, partie à cauſe que l’air de dehors, qui 20 approche bien plus de leurs branches que du cœur, fait que le ſang qu’elles contiennent ſe refroidit, & ſe condenſe ; partie auſſi, à cauſe qu’il ſort continuellement autant de ſang à peu prés hors d’elles, qu’il y en entre. Et bien que, lors qu’il ne monte plus de ſang 25 du cœur vers les arteres, il ſemble que celuy qu’elles contiennent doiue redeſcendre vers le cœur ; toutesfois il ne peut aucunement entrer dans ſes concauitez, pource que les petites peaux qui font aux entrées de ces arteres l’en empeſchent. Mais il y en entre d’autre 30 de la vene caue & de l’artere veneuſe, qui, s’y dilatant en meſme façon que le precedent, fait mouuoir derechef le cœur & les arteres ; & ainſi leur battement dure touſiours, pendant que l’animal eſt en vie.

Pour ce qui eſt des parties qu’on nomme les oreilles xi. 5 du Cœur, elles ont vn mouuement different du ſien, mais qui le ſuit de fort prés ; car, ſi toſt que le cœur eſt deſenflé, il tombe deux groſſes gouttes de ſang dans ſes concauitez, l’vne de ſon oreille droitte, qui eſt l’extremité de la vene caue, l’autre de ſon oreille 10 gauche, qui eſt l’extremité de l’artere veneuſe : au moyen dequoy les oreilles fſe deſenflent. Et le cœur & les arteres qui s’enflent incontinent aprés, empeſchent vn peu, par leur mouuement, que le ſang, qui eſt dans les branches de la vene caue & de l’artere 15 veneuſe, ne vienne remplir | ces oreilles ; de façon qu’elles ne commencent à s’enfler, que lors que le cœur commence à ſe deſenfler ; & au lieu que le cœur s’enfle tout à coup, & aprés ſe deſenfle peu à peu, les oreilles ſe deſenflent plus promptement qu’elles ne 20 s’enflent. Au reſte, d’autant que le mouuement par lequel elles s’enflent ainſi, & ſe deſenflent, leur eſt particulier, & ne s’étend point au reſte de la vene caue & de l’artere veneuſe, dont elles font les extremitez, cela eſt cauſe qu’elles font plus larges, & autrement 25 repliées, & compoſées de peaux plus épaiſſes & plus charnües, que le reſte de ces deux venes.

Mais afin que tout cecy s’entende mieux, il faut xii. icy plus particulierement conſiderer la fabrique des quatres vaiſſeaux qui répondent au cœur. Et 30 premierement, touchant la vene caue, il faut remarquer qu’elle s’étend dans toutes les parties du corps, excepté dans le poumon, en ſorte que toutes les autres venes ne ſont que ſes branches ; car meſme la vene Porte, qui ſe répand par tout dans la rate & dans les inteſtins, ſe ioint à elle par des tuyaux ſi manifeſtes dans le foye, qu’on la peut mettre de ce nombre. 5 Ainſi l’on doit conſiderer toutes ces venes comme vn ſeul vaiſſeau, qui ſe nomme la vene caue à l’endroit où il eſt le plus large, & qui contient touſiours la plus grande partie du ſang qui eft dans le corps, lequel ſang il conduit naturellement dans le cœur ; en ſorte 10 que, s’il n’en contenoit que trois gouttes, elles quitteroient les autres parties, & iroient ſe rendre vers l’oreille droite du cœur. Dont la raiſon eſt, que la vene caue eſt plus large en cet endroit-là qu’en tous les autres, & qu’elle va de là en s’étreciſſant peu à 15 |peu iuſques aux extremitez de ſes branches ; & que la peau dont ſes branches ſont compoſées, ſe pouuant étendre plus ou moins ſelon la quantité du ſang qu’elles contiennent, ſe reſſerre touſiours quelque peu de ſoy-meſme, au moyen de quoy elle chaſſe ce ſang 20 vers le cœur ; & enfin, qu’il y a des valvules en pluſieurs endroits de ſes branches, qui ſont tellement diſpoſées, qu’elles ferment entièrement leur canal, pour empeſcher que le ſang ne coule vers leurs extremitez, & ainſi ne s’éloigne du cœur, lors qu’il arriue 25 que ſa peſanteur ou quelqu’autre cauſe le pouſſe vers là ; mais qu’elles ne l’empeſchent aucunement de couler de leurs extremitez vers le cœur. En ſuitte de quoy, l’on doit iuger que toutes leurs fibres font auſſi tellement diſpoſées, qu’elles laiſſent couler le ſang 30 plus aiſement en ce ſens-là, qu’au ſens contraire.

Touchant la vene arterieuſe & l’artere vencuſe, il xiii. faut remarquer que ce ſont auſſi deux vaiſſeaux qui ſont fort larges, à l’endroit où ils ſe ioignent au cœur ; mais qu’ils ſe diuiſent fort proche de là en diuerſes 5 branches, leſquelles derechef ſe diuiſent aprés en d’autres plus petites ; & qu’elles vont toutes en être-ciſſant, a meſure qu’elles s’éloignent du cœur ; & que chaque branche de l’vn de ces deux vaiſſeaux accompagne touſiours quelqu’vne des branches de l’autre, 10 & auſſi quelqu’vne d’vn troiſiéme vaiſſeau, dont l’entrée eſt ce qu’on nomme le goſier ou le ſifflet ; & que les branches de ces trois vaiſſeaux ne vont point ailleurs que dans le poumon, lequel n’eſt ; compoſé que d’elles ſeules, qui ſont tellement mêlées enſemble, 15 qu’on ne ſçauroit deſigner aucune partie de ſa chair, aſſez groſſe pour eſtre veüe, en la|quelle chacun de ces trois vaiſſeaux n’ait quelqu’vne de ſes branches.

Il faut auſſi remarquer, que ces trois vaiſſeaux ont entr’eux de la difference, en ce que celuy dont 20 l’entrée eſt le ſifflet, ne contient iamais autre choſe que l’air de la reſpiration, & qu’il eſt compoſé de petits cartilages, & de peaux beaucoup plus dures que celles qui compoſent les deux autres ; comme auſſi celuy qu’on nomme la vene arterieuſe, eſt compoſé de peaux 25 notablement plus dures & plus épaiſſes, que celles de l’artere veneuſe, leſquelles ſont molles & déliées, tout de meſme que celles de la vene caue. Ce qui monſtre que, bien que ces deux vaiſſeaux ne reçoiuent en eux que du ſang, il y a toutesfois de la diſſerence, 30 en ce que le ſang qui eſt dans l’artere veneuſe ; n’y eſt pas tant agité, ny pouſſé auec tant de force, que celuy qui eſt dans la vene arterieuſe. Car, comme on voit que les mains des artiſans deuiennent dures, à force de manier leurs outils, ainſi la cauſe de la dureté des peaux & des cartilages qui compoſent le goſier, eſt la force & l’agitation de l’air qui paſſe par dedans, 5 lors qu’on reſpire. Et ſi le ſang n’eſtoit point plus agité, quand il entre dans la vene arterieuſe, que quand il entre dans l’artere veneuſe, celle-là n’auroit point ſes peaux plus épaiſſes ny plus dures, que celle-cy. 10

xiv. Mais i’ay deſia expliqué comment le ſang entre auec effort dans la vene arterieuſe, à meſure qu’il eſt échauffé & rarefié dans la cauité droite du cœur. Il reſte ſeulement icy à dire que, lors que ce ſang eſt diſperſé dans toutes les petites branches de cette 15 vene arterieuſe, il y eſt refroidy & condenſé par l’air de la reſpiration ; à | cauſe que les petites branches du vaiſſeau qui contient cet air, ſont mêlées parmy elles en tous les endroits du poulmon ; & le nouueau ſang qui vient de la cauité droite du cœur dans cette 20 meſme vene arterieuſe, y entrant auec quelque force, chaſſe celuy qui commence à ſe condenſer, & le fait paſſer des extremitez de ſes branches dans les branches de l’artere veneuſe, d’où il coule tres facilement vers la cauité gauche du cœur. 25

Et le principal vſage du poulmon conſiſte en cela ſeul que, par le moyen de l’air de la reſpiration, il épaiſſit & tempère le ſang qui vient de la cauité droite du cœur, auant qu’il entre dans la gauche ; ſans quoy il ſeroit trop rare & trop ſubtil, pour ſeruir d’aliment 30 au feu qu’il y entretient. Son autre vſage eſt de contenir l’air qui ſert à produire la voix. Auſſi voyons-nous que les poiſſons, & quelques autres animaux qui n’ont qu’vne ſeule cauité dans le cœur, ſont tous ſans poulmon, & en ſuitte de cela qu’ils font muets, en 5 ſorte qu’il n’y en a aucun qui puiſſe crier. Mais ils ſont auſſi tous d’vn temperament beaucoup plus froid, que les animaux qui ont deux concauitez dans le cœur : pource que le ſang de ceux-cy, ayant deſia eſté vne fois eſchaufé & raréfié dans la cauité droite, 10 retombe peu aprés dans la gauche, où il excite vn feu plus vif & plus ardent, que s’il y venoit immediatement de la vene caue. Et encore que ce ſang ſe refroidiſſe & ſe condenſe dans le poulmon, toutesfois à cauſe qu’il y demeure peu de temps, & qu’il ne s’y 15 mêle auec aucune matiere plus groſſiere, il retient plus de facilité à ſe dilater & ſe rechaufer, qu’il n’en auoit auant que d’eſtre entré dans le cœur. Comme on voit, par ex|perience, que les huiles qu’on fait paſſer pluſieurs fois par l’alembic, ſont plus aiſées à 20 diſtiler la ſeconde fois, que la premiere.

Et la figure du cœur ſert à prouuer que le ſang s’échauffe dauantage, & ſe dilate auec plus de force, dans ſa cauité gauche que dans ſa droite ; car on voit qu’elle eſt beaucoup plus grande & plus ronde, & que 25 la chair qui l’enuironne eſt plus épaiſſe, & que toutesfois il ne paſſe, par cette cauité, que le meſme ſang qui paſſe par l’autre, &ſ qui s’eſt diminué par la nourriture qu’il a fournie au poulmon.

Les ouuertures des vaiſſeaux du cœur ſeruent auſſi xv. 30 à prouuer, que la reſpiration eſt neceſſaire pour condenſer le ſang qui eſt dans le poulmon ; car on voit que Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/272 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/273 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/274 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/275 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/276 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/277 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/278 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/279 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/280 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/281 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/282 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/283 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/284 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/285 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/286 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/287 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/288 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/289 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/290 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/291 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/292 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/293 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/294 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/295 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/296 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/297 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/298 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/299 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/300 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/301 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/302 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/303 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/304 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/305 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/306 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/307 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/308 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/309 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/310 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/311 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/312 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/313 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/314 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/315 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/316 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/317 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/318 Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XI.djvu/319 qui a rendu cette peau aſſez dure, c’eſt que d’vn coſté pluſieurs des parties du ſang qui ſe dilatoit dans le cœur, ont penetré tout au trauers de ſa chair, & ſe ſont aſſemblées entre luy & le pericarde, ſans pouuoir paſſer plus outre, à cauſe que de l’autre coſté il eſt 5 ſorty auſſi pluſieurs vapeurs du ſang contenu dans les poulmons, à meſure qu’ils ont commencé à croiſtre, leſquelles ſe ſont aſſemblées entre le meſme pericarde & les coſtes ; & ainſi ces vapeurs le preſſant de part & d’autre, ont rendu ſes fibres aſſez dures, & ſont cauſe 10 qu’il y a touſiours quelque eſpace, entre luy & le cœur, qui n’eſt remply que de ces vapeurs ; vne partie deſquelles y eſt condenſée en forme d’eau, & l’autre y demeure en forme d’air.

Icy finit le Manuſcrit de Monſieur Deſcartes.
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  1. Voir, pour tout ce début. t. X, p. 13. l. 1 à p. 14. l. 10.