Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Correspondance/Lettre XLIII

Texte établi par Charles Adam et Paul TanneryLéopold Cerf (Tome I : Correspondance, avril 1622 - février 1638p. 249-252).
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XLIII.
Descartes a Mersenne.
[Amsterdam, 10 mai 1632.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 67, p. 328-330.

Cette lettre, dont la date manque dans Clerselier, est, d’après les premières lignes, écrite huit jours après une autre, qui ne peut être que la précédente, où il est parlé de même : 1° du changement d’adresse de Descartes, que nécessite son déplacement projeté (pour Deventer) ; 2° de l’observation du parhélie de Rome (20 janvier 1630), que Gassend avait reçue de Scheiner ; 3° de livres envoyés par Mersenne à Descartes.

Mon Reuerend Pere,

Il y a huit iours que ie vous donnay la peine de faire tenir vne lettre pour moy en Poitou ; mais comme ie me haſtay en l’écriuant, ſuiuant ma negligence ordinaire, qui me fait | touſiours différer iuſques à l’heure que le Meſſager eſt preſt de partir, ie m’oubliay d’y mettre l’addreſſe par où on me pourroit faire réponſe, ce qui me contraint de vous importuner 5 derechef d’y en faire tenir vne.

Si l’obſeruation du phainomene de Rome que vous me mandez auoir, & qui eſt écrite de la main de Scheiner, eſt plus ample que ce que vous m’en auez autresfois enuoyé, vous m’obligerez ſi vous prenez 10 la peine de m’en enuoyer vne copie[1].

Si vous ſçauez quelque autheur qui ait particulierement recueilly les diuerſes obſeruations qui ont eſté faites des Cometes, vous m’obligerez auſſi de m’en auertir ; car depuis deux ou trois mois, ie me ſuis engagé 15 fort auant dans le Ciel ; & aprés m’eſtre ſatisfait touchant ſa nature & celle des Aſtres que nous y voyons, & pluſieurs autres choſes que ie n’euſſe pas ſeulement oſé eſperer il y a quelques années, ie ſuis deuenu ſi hardy, que i’oſe maintenant chercher la cauſe de la 20 ſituation de chaque Eſtoile fixe. Car encore qu’elles paroiſſent fort irregulièrement éparſes çà & là dans le Ciel, ie ne doute point toutefois qu’il n’y ait vn ordre naturel entr’elles, lequel eſt régulier & determine ; & la connoiſſance de cet ordre eſt la clef & le 25 fondement de la plus haute & plus parfaite ſcience, que les hommes puiſſent auoir, touchant les choſes materielles ; d’autant que par ſon moyen on pourroit connoiſtre à priori toutes les diuerſes formes & eſſences des cors terreſtres, au lieu que, ſans elle, il 30 nous faut contenter de les deuiner à poſteriori, & par leurs effets. Or ie ne trouue rien qui me puſt tant aider pour paruenir à la connoiſſance de cét ordre, que l’obſeruation de pluſieurs Cometes ; & comme vous 5 ſçauez que ie nay point de liures, & encore que i’en euſſe, que ie plaindrois fort le temps que i’emploirois à les lire, ie ſerois bien aiſe d’en trouuer quelqu’vn qui euſt recueilly, tout enſemble, ce que ie ne ſçaurois ſans beaucoup de peine tirer des autheurs 10 particuliers, dont chacun n’a écrit que d’vne Comete ou deux ſeulement[2].

Vous m’auez autresfois mandé que vous connoiſſiez des gens qui ſe plaiſoient à trauailler pour l’auancement des | Sciences, iuſques à vouloir meſme faire 15 toutes ſortes d’experiences à leurs dépens[3]. Si quelqu’vn de cette humeur vouloit entreprendre d’écrire l’hiſtoire des apparences celeſtes, ſelon la methode de Verulamius[4], & que, ſans y mettre aucunes raiſons ny hypotheſes, il nous décriuiſt exactement le Ciel, tel 20 qu’il paroiſt maintenant, quelle ſituation a chaque Eſtoile fixe au reſpect de ſes voiſines, quelle difference, ou de groſſeur, ou de couleur ou de clarté, ou d’eſtre plus ou moins étincelantes, &c. ; item, ſi cela répond à ce que les anciens aſtronomes en ont écrit, 25 & quelle difference il s’y trouue (car ie ne doute point que les Eſtoiles ne changent touſiours quelque peu entr’elles de ſituation, quoy qu’on les eſtime fixes) ; après cela qu’il y adjouſtaſt les obſeruations des Cometes, mettant vne petite table du cours de chacune, ainſi que Tycho a fait de trois ou quatre 5 qu’il a obſeruées[5] ; & enfin les variations de l’ecliptique & des apogées des Planetes : ce ſeroit vn ouurage qui ſeroit plus vtile au public qu’il ne ſemble peut eſtre d’abord, & qui me ſoulageroit de beaucoup de peine. Mais ie n’eſpere pas qu’on le faſſe, non plus 10 que ie n’eſpere pas auſſi de trouuer ce que ie cherche à preſent touchant les Aſtres. Ue croy que c’eſt vne Science qui paſſe la portée de l’eſprit humain ; & toutesfois ie ſuis ſi peu ſage, que ie ne ſçaurois m’empeſcher d’y reſver, encore que ie iuge que cela ne, 15 ſeruira qu’à me faire perdre du temps, ainſi qu’il a deſia fait depuis deux mois, que ie n’ay rien du tout auancé en mon Traitté ; mais ie ne laiſſeray pas de l’acheuer auant le terme que ie vous ay mandé.

Ie me ſuis amuſé à vous écrire tout cecy ſans 20 beſoin, & ſeulement afin de remplir ma lettre, & ne vous point enuoyer de papier vuide. Mandez moy ſi M. de Beaune fait imprimer quelque choſe. I’euſle eſté bien aiſe de voir la duplication du cube de Meſſieurs M(ydorge) & H(ardy)[6] auec les liures que vous m’auez 25 enuoyez, & il me ſemble que vous m’auiez mandé qu’elle y ſeroit ; mais ie ne l’y ay point trouuée. Ie ſuis,

Mon R. P.
  1. P. 245, l. 21.
  2. Descartes citera plus tard, Principes, III, art. 128 : Lotharii Sarsii Libra astronomica ac philosophica qua Galilæi opiniones de cometis… examinantur (Perusiæ, in-4o, 1619).
  3. P. 195, l. 28.
  4. Sur « l’histoire des phénomènes », partie importante de la méthode baconienne, voir, à la suite du Novum Organum, Parasceve ad Historiam Naturalem et Experimentalem.
  5. Liber de cometa, 1603.
  6. P. 175, l. 4.