Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Correspondance/Lettre XIX

Œuvres de Descartes, Texte établi par Charles Adam et Paul TanneryLéopold CerfTome I : Correspondance, avril 1622 - février 1638 (p. 124-127).
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XIX.
Descartes a Mersenne.
[4 mars 1630.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 110 milieu, p. 520-521.

La fin de la lettre précédente est nettement marquée sur l’exemplaire de l’Institut ( « Icy finit la lettre manuscrite que j’ay » ), tandis que le texte de Clerselier continue pendant sept pages (520-526). La formule au bas de la page 521 indique la fin d’une lettre (le présent fragment) ; et la suite, le début d’une autre (ci-après lettre XX), dont, comme on le verra, la date semble pouvoir être fixée avec précision au 18 mars 1630, tandis que ce même début indique clairement que Descartes avait écrit à Mersenne quinze jours auparavant, soit le 4 mars. Le présent fragment doit représenter cette dernière lettre, et il est possible qu’il n’y manque qu’un début contenant des remercîments pour l’envoi des observations de Gassend sur les taches du soleil, début que Descartes n’aura pas écrit en minute. La brièveté de la lettre s’explique par cette circonstance qu’une solution de problèmes proposés par Mydorge y était jointe (c’était probablement la pièce 4 de la collection Lahire), et que, d’un autre côté, Descartes répondait (évidemment à la hâte) à une lettre reçue le jour même. (Voir le commencement de la lettre XX.)

Vous ne me dites pas de quel coſté ſont les poles de cette bande, où ſe remarquent les taches du Soleil[1], encore que ie ne doute point qu’ils ne correſpondent aucunement à ceux du monde, & leur 5 ecliptique à la noſtre.

Pour les Problemes de M. Myd(orge), ie vous en enuoye la ſolution, que i’ay ſeparée de cette lettre, afin que vous la puiſſiez monſtrer comme elle eſt. Mais ie voudrois bien que vous vouluſſiez prendre la 10 peine de luy demander auparauant, s’il croit que ie ne les puiſſe ſoudre ; & s’il témoigne en douter, ou qu’il diſe que non, alors ie ſeray bien aiſe que vous luy monſtriez ce billet comme l’ayant receu de ces quartiers, dans la lettre de quelqu’vn de vos amis, & 15 que vous iugez qu’il eſt de mon écriture : car ie ne me ſoucie pas tant qu’on ſoupçonne où ie ſuis, pouruû qu’on ne ſçache point l’endroit aſſeurément ; & peut-eſtre dans vn mois ou deux quitteray-ie tout à fait ce païs[2]. Mais fi M. Mydorge témoigne qu’il ne 20 doute point que ie ne puiſſe ſoudre ſes Problémes, ie vous prie de ne luy point monſtrer ce que i’en ay écrit, ny à aucun autre.

Des enfans, eſtans nourris enſemble, n’apprendront point à parler tous ſeuls, ſinon peut-eſtre quelques mots qu’ils inuenteront, mais qui ne ſeront ny meilleurs ny plus propres que les noſtres ; au contraire, les noſtres, ayant eſté ainſi inuentez au commencement, ont eſté depuis & ſont tous les | iours corrigez & adoucis par l’vſage, qui fait plus en ſemblables 5 choſes, que ne ſçauroit faire l’entendement d’vn bon eſprit.

2. Ce qui fait que vous voyez deux chandelles eſtant couché, c’eſt que les axes viſuels ne s’aſſemblent pas où eſt la chandelle. Si vous en voyez 10 dauantage, c’eſt éblouïſſement de la veuë.

3. Ie vous auois deſia écrit[3] que c’eſt autre choſe, de dire qu’vne conſonance eſt plus douce qu’vne autre, & autre choſe de dire qu’elle eſt plus agreable. Car tout le monde ſçait que le miel eſt plus doux que 15 les oliues, & toutesfois force gens aimeront mieux manger des oliues que du miel. Ainſi tout le monde ſçait que la quinte eſt plus douce que la quarte, celle-cy que la tierce majeure, & la tierce majeure que la mineure ; & toutesfois il y a des endroits où la 20 tierce mineure plaira plus que la quinte, meſme où vne diſſonance ſe trouuera plus agreable qu’vne conſonance.

4. Ie ne connois point de qualitez aux conſonances qui répondent aux paſſions. 25

5. Vous m’empeſchez autant de me demander de combien vne conſonance eſt plus agreable qu’vne autre, que ſi vous me demandiez de combien les fruits me fſnt plus agreables à manger que les poiſſons. 30

6. Pour les compoſitions des raiſons, nommez-les comme il vous plaira, mais vous voyez clairement ſur voſtre monocorde, comment vne dixiéme[4] majeure ſe peut diuiſer en vne octaue[5] & vne tierce 5 majeure.

Pour les neiges, il a vn peu neigé icy au meſme temps que vous marquez, & fait vn peu froid quatre ou cinq iours, mais non pas beaucoup. Mais tout le reſte de cet hyuer, il a fait ſi chaud en ce païs, qu’on 10 n’y a vû ny glace ny neige, & i’auois deſia penſé vous l’écrire, pour me plaindre de ce que ie n’y auois ſceu faire aucune remarque, touchant mes Meteores. Au reſte, ſi M. Gaſſendy a quelques autres remarques touchant la neige, que ce que i’ay vu dans Kepler, 15 & remarqué encore cét hyuer, de Niue ſexangula & Grandine acuminata[6], ie ſeray bien-aiſe de l’apprendre ; car ie veux expliquer les Meteores le plus exactement que ie pourray. Ie vous prie de me conſeruer en vos bonnes graces.

Mersenne avait sans doute signalé à Descartes l’observation par laquelle Gassend termine son Examen Philosophiæ Roberti Fluddi, adressé au Minime, de Charleville, le 4 février 1629. « Scilicet cùm iam nobis Cœlum suas illas aureas stellas inuideat, aer ipse niualeis suas adeo copiose elargitur, vt etiam supersint, quas ipse accipias. Sexangulam seu, vt sic loquar, sexradialem intelligo niuem, quæ vt nuper nobis apparuit, sic depingenda tibi iam est. Cum diuerteremus Sedani, die Ianuarii 29, ea cœpit sub horam à meridie tertiam affatim decidere. Forma erat stellæ cum sex radiis… Absolvebam Karopoli ad Mosam in itinere pridie nonas Februarias, Anno Christianæ eræ vulgaris M.DC.XXIX » (Gassendi Opera, Lyon, i658, t. III, p. 266 ; cf. t. IV, p. 102-103).

  1. Voir Lettre XVII, p. 113, l. 2.
  2. Voir ci-après Lettre XX, p. 130, l. 1. Descartes projetait un voyage en Angleterre.
  3. Lettre XVII, p. 108, l. 16.
  4. Dixiéme] 1. Clers.
  5. Octaue] 8. Clers.
  6. Titre d’un ouvrage de Kepler, publié en 1611.