Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Correspondance/Lettre XII
Parmy tant de rencontres que ma mauuaiſe fortune oppoſe à toute heure à mes deſſeins, ie ne ſçaurois receuoir vne plus grande conſolation que les témoignages que vous me donnez de la continuation de voſtre bien-veillance, que ie cheris au delà de tout ce 5 qui ſe peut dire. Ie feray tout mon poſſible pour m’en ſeruir vtilement, & taſcheray de me tirer d’où ie ſuis, s’il m’eſt poſſible, pour pouuoir vacquer plus commodément à preparer ce qui eſt neceſſaire pour le trauail des verres, ſuiuant vos bonnes inſtructions, que ie penſe entendre aſſez bien.
Et puisqu’il vous plaiſt m’ordonner de vous en
5 écrire, comme ſi i’eſtois en eſtat de vous inſtruire de
nouueau, ie vous diray donc qu’il me ſouuient tres-bien
de la conſtruction de
la machine que vous m’auez
cy-deuant décrite, laquelle
10 conſiſte en trois pieces principales : ſçauoir l’axe A B, qui tournoit en rond ; la
piece C D, qui ſe mouuoit
au trauers de l’axe A B ; et
15 le cylindre E F, qui couloit
entre les deux planches
G H & I K, & deuoit tailler
le verre auec l’vne de ses
extremitez E ou F. A preſent 20 vous deſirez que cette
machine ferue ſeulement pour tailler des lames d’acier
de la figure qu’eſt P N O M, pour ſeruir comme le fer
d’vn rabot, en ſorte que P N O, qui doit eſtre la partie
tranchante, ſoit taillée ſelon la ligne qu’on deſire. Vous
25 voulez qu’on retienne de la machine precedente l’axe
A B & la piece| C D, & que cette piece demeure ferme
auec l’axe A B, en ſorte qu’il n’y ait que le mouuement
circulaire en toute la machine, & qu’on ne ſe ſerue
plus du cylindre E F ; d’autant que lors qu’on tourne
30 l’axe A B, la partie de C D qui ſe rencontre entre les
deux planches, à ſçauoir L, y décrit exactement voſtre ligne ; et appliquant la lame NM ferme entre les deux
planches, contre la partie L de la pièce C D, elle prend
la figure que cette partie L luy donne ; c’eſt pourquoy
cette partie L doit auoir la forme, & doit eftre de
matiere propre pour limer & vſer la lame P N O de la 5
figure qu’on deſire ; et quand cette lame eſt ainſi limée
& vſée, il faut appliquer vn autre bout à l’endroit L,
qui puiſſe en adoucir & aiguiſer vniment le tranchant.
Il me ſemble que ces lames peuuent eſtre taillées
par les deux bouts, pour ſeruir aux 10
deux lignes neceſſaires ; mais ie croy
qu’il faut deux differentes machines
en grandeur, & que le coſté M de la
premiere lame peut ſeruir à tailler
les roües pour faire le concaue des 15
verres, & le coſté P N O le conuexe.
Ie trouue vne difficulté en cét endroit, ſur ce que vous
deſirez que la piece C D demeure ferme à l’axe A B,
& qu’il n’y ait que le mouuement circulaire en toute la
machine, & que vous dites en fuitte, que la partie de 20
la pièce C D, qui ſe rencontre entre les deux planches
G H et I K, à l’endroit L, donnera la figure hyperbolique
requiſe à la lame N M, eſtant appliquée fermement
entre les deux planches. Car vous
ne dites pas qu’il ſoit beſoin que 25
la pièce C D ſoit prolongée vers
a D[1], & qu’elle paſſe au delà de
l’épaiſſeur des deux planches, qui
pour cét effet doiuent eſtre refenduës plus que de
l’épaiſſeur de la piece C D, & à peu prés de la 30 grandeur de la | ligne qui ſe trace ſur la lame P N O, ainſi
qu’il eſt marqué dans cette figure. Car ſi la piece C D
n’a le mouuement libre au trauers de l’axe A B, il ne ſe
peut faire qu’en tournant l’axe A B, cette piece ne
5 hauſſe & ne baiſſe, comme le cylindre de la premiere
machine la contraignoit de faire ; et tournant ainſi
circulairement, eſtant attachée fermement à l’axe A B,
elle ne ſçauroit toucher ſur le plan des planches qu’en
vn point au milieu, à l’endroit de l’axe de la ligne
10 requiſe, au point N, à moins qu’on ne hauſſaſt la lame
N M pardeſſus les planches & le point L. Mais ſi vne b
fois toutes choſes ſont bien diſpoſées pour pouuoir
tailler les lames N M ſuiuant la ligne hyperbolique
concaue PNO, ainſi qu’il eſt repreſenté dans la ſeconde
15 lame, en ſorte qu’elles puiſſent ſeruir à faire prendre à la roüe Q la meſme ligne hyperbolique conuexe, ie ne
doute point qu’en changeant ſeulement la diſpoſition
de la pièce C D, & la faiſant pancher, par exemple, de
droite à gauche, au lieu qu’elle eſtoit auparauant panchée de gauche à droite, ie ne doute point, dis-ie,
qu’en faiſant mouuoir la machine comme auparauant,
on ne puiſſe tailler, à l’autre extrémité des lames N M,
d’autres lignes hyperboliques conuexes, ſemblables à
la ligne hyperbolique concaue P N O, qui pourront
25 ſeruir à donner à d’autres roües Q la forme hyperbolique concaue. Car entre les lignes P N O, qui ſe
peuuent faire ſur les lames d’acier N M, à l’oppoſite
l’vne de l’autre, celles qui ſont propres à tailler le
concaue des roües Q, n’ont en ſoy que la ligne du
30 conuexe ; et celles qui peuuent tailler le conuexe des
roües, n’ont en ſoy que la ligne du concaue. Ie remarque encore, que ſuiuant voſtre inſtruction les roües
qui ſeruent à tailler les verres concaues doiuent eſtre
plus petites que les autres ; mais il me ſemble que
cela ſeroit inutile à voſtre deſſein, & qu’il faudroit differentes machines, ſelon les differentes grandeurs, 5
pour tracer les deux lignes neceſſaires.
c Il me ſemble auſſi qu’il n’eſt pas neceſſaire de faire deux planches ; il ſera plus facile d’ajuſter à vne seule les lames |N M, ſuiuant la ligne VX, que ſi elles eſtoient couuertes d’vne autre planche ; et ces lames ſe peuuent 10 plus aiſément affermir par des vis, ou autres inuentions qui me font aſſez communes à inuenter, que par des planches.
Ie remarque encore, touchant les deux figures de la
roüe Q que vous 15 m’auez enuoyées, qu’il ne
faut pas dans la premiere figure que la
lame N M ſoit repreſentée couchée comme 20
elle eſt ſur le plat ; car
vous auez repreſenté
cette roüe dans cette
premiere figure pour eſtre veuë en ſa largeur, & non
pas en ſon épaiſſeur ; c’eſt pourquoy il faut ſeulement 25
preſenter à la veuë l’épaiſſeur de la lame N M, & non
pas le plat ou ſa largeur. Mais dans la ſeconde figure
il eſt neceſſaire de faire paroiſtre la largeur de la lame,
parce que la roue y paroiſt en ſon épaiſſeur.
d Ie trouue en ſuitte vne autre difficulté, ſçauoir, que 30 pour donner vn tranchant vny à la lame N M, vous voulez qu’on faſſe d’autres pieces ſemblables à C D en longueur & épaiſſeur, mais taillées diuerſement, pour ébaucher & acheuer la ligne neceſſaire. Ie trouue tres-difficile de les pouuoir faire tellement ſemblables 5 qu’elles puiſſent conuenir l’vne à la place de l’autre, pour les attacher à l’axe A B, ſans prendre vne nouuelle inclination, ſi l’on ne trouue moyen de le pouuoir faire, & de rectifier ce qui pourroit l’empeſcher : et meſme par la friction qui ſe fait de ces choſes, où le 10 dur frotte contre le moins dur, il ſe fait voye entre deux par la limaille qui en ſort, ce qui empeſche que l’inclination requiſe ſe puiſſe conſeruer, ſi l’on n’approche ſans ceſſe ces choſes|l’vne contre l’autre, à proportion de la reſiſtance du fort contre le foible.
15 D’ailleurs au lieu des petites limes d’acier qu’il faut appliquer au point L de la piece C D, il eſt neceſſaire d’y appliquer des pierres à éguiſer pour donner le dernier tranchant aux lames N M. Or ces pierres doiuent eſtre douces, & partant elles diminuent facilement, 20 & s’vſent à l’ouurage, en rencontrant des choſes plus dures qu’elles, comme ſont ces lames N M. Car bien que ces lames doiuent eſtre trempées après auoir receu leur premiere figure par ces petites limes, elles ne ſont pas neantmoins en eſtat de coupper ; car apres 25 la trempe, le feu ayant émouſſé le vif-arreſte du tranchant, il eſt neceſſaire de leur en donner vn nouueau par le moyen des pierres à éguiſer.
Ie vous ſupplie, Monſieur, de me donner voſtre auis ſur ce qui ſe peut faire pour rectifier les inconueniens 30 que i’apprehende en ces applications.
Apres, vous ſouhaitteriez que l’on choiſiſt quelque
matiere douce qui fuſt propre à manger & polir le
verre, comme ſont certaines pierres ſemblables à de
l’ardoize, dont on ſe ſert à faire vn tranchant fort delicat, & vous voudriez qu’on en fiſt la roüe Q, comme
les roües des émouleurs de couteaux, et qu’appliquant 5, contre, vne ou pluſieurs lames d’acier ſemblables à N M, on luy donnaſt tout autour exactement
ſelon ſon épaiſſeur la figure de la ligne P N O, en tournant la roüe Q ſur fon centre, comme il eſt marqué
dans vos deux figures, 10
qui les font voir de
deux diuers ens. Et
cette roüe ainſi taillée,
vous voudriez qu’on
appliquaſt contre le 15
verre R mis fur le tour
ordinaire S, & qu’il
tournait ſur ſon centre, pendant qu’en meſme temps la roüe Q tourneroit auſſi ſur le ſien ; et cela eſtant, cette roüe caueroit le 20 verre ſelon la ligne P N O tres-exactement, par le
moyen de ces deux mouuemens differens, & mangeroit le centre du verre auſſi bien que les extremitez.
Et afin que cette roüe, qui doit eſtre de matiere douce, | puſt conſeruer son exacte figure, vous voudriez 25 auſſi qu’en meſme temps qu’elle tourneroit pour tailler le verre, la lame N M (vne ou pluſieurs) demeurſt touſiours ferme contre elle, pour l’entretenir dans ſa figure. Vous dites auſſi que le diametre de la roüe Q ne doit point exceder certaine proportion (laquelle 30 vous me faites eſperer), mais qu’encore qu’il ſoit plus petit, il n’importe. Enfin vous dites qu’il faut auſſi obſeruer que la ligne N M, qui fait le milieu de la lame P N O M, doit eſtre exactement parallele à l’axe A B de la première machine, & que la ligne perpendiculaire 5 qui tomberoit de l’axe A B ſur les planches G H & I K, tombe iuſtement ſur cette ligne M N. De plus, aux e dernieres figures, il faut que la meſme ligne N M prolongée paſſe iuſtement par le centre de la roüe Q & ſe rencontre faire vne ligne droite auec l’axe R S, ſur 10 lequel tourne le verre.
Or, Monſieur, puiſque vous me donnez la liberté de vous propoſer mes difficultez pour bien entendre voſtre deſſein, & pour m’inſtruire, vous me permettrez de vous dire mon opinion ſur tout ce que deſſus, 15 afin que vous iugiez ſi ie le comprens ; ie vous prie meſme de m’excuſer, ſi ie ne m’explique pas aſſez nettement, le dis donc que i’eſtime auoir clairement compris l’inuention de vos machines, comme auſſi celle de la roüe Q, & la differente façon dont ſe 20 meuuent la roüe & le verre qui eſt attaché au tour R S, pour empeſcher qu’il n’arriue le défaut ordinaire du point en relief, qui ſe fait dans le centre des verres, en tournant l’axe du modele ſur l’axe du verre, à cauſe que ſur ce centre il n’y a point de mouuement qui 25 puiſſe agir, & qui le puiſſe manger | & vſer, comme ſe mangent & s’vſent les autres parties qui s’en éloignent. Toutes ces inuentions que vous me donnez ne peuuent venir que de vous. Ie dis ſeulement qu’il y a telle matere que vous auez crû pouuoir ſeruir à vos 30 ouurages, qui n’eſt pas propre à vſer & manger parfaitement le verre.
Premierement, pour la matiere de la roüe Q, il n’y a aucune ſorte de pierre, quand ce ſeroit meſme du diaman, qui puiſſe manger le verre, ſans mettre entr’elle & le verre vne matiere qui mange & qui ſe broye entre deux, comme le grez ou l’aimery, leſquelles choſes 5 mangeroient bien plus de la roüe que du verre, comme eſtant plus tendre, & à chaque verre l’on vſeroit vne roüe entiere ; et quelque dureté que la trempe euſt donnée aux lames N M qui ſeroient appliquées contre la roüe, elles s’vſeroient encore dauantage, 10 puiſque le verre eſt plus dur que tout cela. Et de plus, ces lames N M ne ſçauroient frayer tant ſoit peu contre aucune ſorte de pierre à éguiſer, ſi douce qu’elle fuſt, que cette pierre par ſon mouuement ne mange prompttement le tranchant de la figure qui luy auroit eſté 15 donnée, & ainſi ce ſeroit la roüe qui donneroit la figure au fer, au lieu qu’il faut tout le contraire.
Ie me perſuade auſſi que la roüe Q, diminuant en ſa circonference à meſure qu’elle s’vſeroit (bien qu’elle puiſſe conſeruer la figure neceſſaire en ſon épaiſſeur) 20 creuſeroit diuerfement les verres, les ſeconds plus que les premiers, & ainſi de fuitte, puiſque les cercles prés de leurs centres ſont moindres & plus voûtez f que ceux qui en ſont plus éloignez. Ie ne ſçay pas ſi en cela il pourroit y auoir du défaut pour l’effet des 25 verres, puiſque vous m’auez dit qu’il n’importe pas pour la petiteſſe de la roüe ; mais pour la grandeur il y doit auoir, dites-vous, vne proportion que vous me faites eſperer de me donner.
Nonobſtant tout cela, il me ſemble qu’on peut reparer 30
vne partie de ces difficultez par les moyens dont ie
voudrois me ſeruir, que ie ſoûmets à voſtre cenſure. Ie
dis donc en premier lieu, que la maniere de ſe ſeruir
de la ſeconde machine, pour donner la ligne qu’on
deſire aux lames N M, eſt | tres-excellemment inuentée,
5 pourueu qu’on trouue moyen de rectifier ce qui deperit
de la matiere par la friction du mouuement, ſoit qu’on
s’en ſerue pour tailler les lames, ou pour tailler la
roüe Q, que ie voudrois faire de laton ou de fer, afin
qu’elle puſt conſeruer plus long-temps la figure que la
10 lame N M luy auroit donnée ; et quand ſa figure ſeroit
gaſtée, on la pourroit reparer auec la meſme lame ou
vne autre ſemblable. Mais cette roüe Q, de laton ou de
fer, doit eſtre poſée & auoir ſon mouuement au deſſus
du verre, lequel doit auoir le ſien par deſſous ; et ie
15 le donneray auſſi facilement de cette ſorte, que s’il
eſtoit de coſté, par vne façon que i’ay penſé ſe pouuoir
executer, & faire que la roue & le verre tourneront
diuerſement & également à la fois par
le mouuement du pied, ſans qu’il ſoit
20 beſoin d’aucune roüe dentelée, ny de g
pignon, qui font vn mouuement tremblant, à cauſe des dents de la roüe qui s’engrennent dans celles du pignon.
Or il eſt neceſſaire que le verre ſoit
25 ainſi poſé, afin que les matieres qu’on met entre deux
pour l’vſer, & que l’on arrouſe d’eau ou d’huile, ne
ſoient pas ſi-toſt emportées par le mouuement de la
roüe, & ſe conſeruent plus longuement dans le creux
du verre, que s’il eſtoit poſé de coſté contre la roüe Q.
30 De plus, ie preparerois les verres par quelqu’autre voye commune pour leur donner à peu prés la ligne qu’ils doiuent auoir, ſans me ſeruir de la roue ny du tour que pour leur donner la derniere & exade figure. Car ie trouue aſſez d’affaires à bien tailler les lames N M, qui ſe peuuent dejetter ou courber à la trempe ; outre que ie croy eſtre tres-neceſſaire de faire que le 5 plan P N O ſoit bien droit ſur le tranchant, autrement il arriueroit des fautes dans la ligne.
Il me ſouuient auſſi que vous ne m’auez iamais dit qu’il fuſt neceſſaire de faire de grands concaues, mais pluſtoſt qu’il les faut petits. Cela eſtant, ie ne trouue 10 point de diffi culté à faire la roüe (pour petite qu’elle ſoit) auec ſon axe tout d’vne pièce, pour luy donner vn mouuement aſſuré. Ce qui ne ſe pourroit faire ſi la roüe eſtoit de pierre, à cauſe que la roüe & l’axe ne pourroient eſtre que de deux pieces. 15
Ie n’ay pas compris que les figures des roües Q,
quoy que diſpoſées de deux diuers ſens, fuſſent faites
pour tailler les verres conuexes ; car ie croy que pour
cela elles doiuent eſtre taillées & creuſées en forme
de poulie, comme eſt la figure cy-jointe. Et les lames 20
N M, qui les doiuent creuſer, doiuent eſtre preſentées
à la lime L D du coſté de H I, pour
receuoir d’elle leur ligne ou leur
figure ; et la lime L D doit eſtre
panchée de G vers I. Et cette forte 25
de roüe ne ſçauroit vſer le verre
conuexe en meſme temps que l’autre vſe le concaue ; car il ne fraye
contre, que comme vne ligne trauerſante le diametre
du verre ſeulement. Neantmoins elle mangera 30 touſiours mieux le point qui ſe fait au milieu, en
tournant l’axe du verre contre celuy du modele concaue,
comme i’ay dit cy-deuant, ce qui ſeruira à diſpoſer le
verre à reparer le défaut de la roüe. Mais il ſe peut h
faire, ſi le verre conuexe eſt
d’vne grande eſtenduë, que
l’vſage de la roüe ſera inutile ; car comme le frayement eſt plus grand vers ce qui eſt loin du centre, que
10 vers ce qui en eſt prés, la
matiere que l’on met entre deux pour vſer, eſt traiſnée plus long-temps par le cercle a a que par b b, &
mange par conſequent plus en faiſant vn grand tour
qu’en faiſant vn petit, & ainſi le verre & le modele ſe
15 mangent, & perdent leur figure n’eſtant pas en vn
meſme tour vſez également. Il eſt encore à remarquer,
que la matiere qu’on met entre deux pour vſer le verre,
eſt em|portée incontinent par le mouuement de la
roue, & y demeure moins qu’en l’autre roue.
20 Ie vous propoſe toutes mes difficultez, afin de me
pouuoir inſtruire, & qu’il vous plaiſe m’en éclaircir
& me mander par meſme moyen, ſi les i
verres eſtant faits, & mis dans des eſſais, il eſt neceſſaire que toutes leurs 25 parties demeurent découuertes, ſans
amoindrir leur figure par vne carte
miſe au deuant, auec vn trou moindre
que le diametre des verres ; parce que m’étant voulu
ſeruir des petits verres conuexes que vous auez veus,
30 pour mettre à vne lunette à puce, i’ay trouué qu’elle
fait mieux n’y laiſſant qu’vn petit eſpace découuert
au milieu, & que les objets ſe voyent plus diſtinctement.
Toutes ces difficultez ne m’eſtonnent pas beaucoup, car auec voſtre aſſiſtance i’eſpere les ſurmonter, & faire voir que ie ſçauray mieux faire que dire. 5
Il me reſte encore vn doute que ie ne ſçaurois laiſſer en arriere, touchant la manière requiſe pour trouuer la ligne neceſſaire par les triangles & mon cadran, k qui eſt de ſçauoir ſi deux triangles de verre d’vn meſme diaphane eſtant differens, & faiſant par conſequent 10 differentes refractions ſur la ligne diuiſée qui arreſte le rayon audit cadran, on traçoit deux modeles conformes aux différentes lignes des refractions, ſçauoir, dis-ie, ſi l’effet des deux verres peut eſtre ſemblable, comme pour brûler en vn point déterminé ſuiuant 15 vos regles.
Vous m’auez enſeigné que les triangles peuuent eſtre conſtruits de tel angle que l’on veut à diſcretion ; ie ne ſçaurois en faire l’épreuue, car les triangles que i’ay à preſent font tous ſemblables ; ie vous ſupplie de 20 me reſoudre ce point. Ie ſçay bien auſſi que vous m’auez dit que tous les petits verres concaues peuuent ſeruir à tout grand verre conuexe. I’ay perdu vn morceau de papier ſur lequel vous|m’auiez tracé la façon de décrire la ligne requiſe auec le compas ordinaire, 25 en cherchant pluſieurs points par où elle doit paſſer.
Monſieur Mydorge propofe vn moyen qu’il a de tracer la ligne neceſſaire pour brûler à vn point qu’il determinera à tout verre donné, ſans rien perdre de ſon diametre ny de ſon épaiſſeur au milieu, & dit que 30 luy ſeul en a trouué l’inuention. Ie ſçay que ce ſecret ne vous eſt pas inconnu, & que ledit ſieur n’en ſçait que ce que vous luy en auez appris. Si vous iugiez que ie peuſſe le comprendre, vous m’obligeriez grandement de me le communiquer à voſtre commodité. 5 Mais il adjoûte qu’on luy fourniſſe vn homme qui ſçache tailler le verre exactement. I’eſtime cette derniere condition autant difficile que tout le reſte, s’il ne fait forger de nouueaux ouuriers faits exprés & de commande, n’eſtimant pas qu’il en trouue à ſa mode 10 pour le preſent. Il m’eſtime ſi peu, qu’il ne croit pas que i’aye aſſez d’eſprit pour entendre & entreprendre de moindres choſes, puis qu’il le dit en ma preſence. I’auoüe mon inſuffiſance, qui doit eſtre excuſée, n’ayant iamais elle inſtruit en quoy que ce ſoit que 15 par vous, Monſieur, à qui ie veux deuoir toutes choſes. Ce mépris neantmoins ne ſçauroit tellement me rebuter, que ie ne ſente aſſez d’inclination en moy pour goûter & comprendre les veritables connoiſſances des ſciences qui me pourroient eſtre communiquées 20 par des perſonnes de voſtre merite, tant i’ay d’ambition de me faire connoiſtre par quelque choſe au delà du commun ; ce qui me donne quelque ſorte de courage pour chercher les moyens de ſurmonter beaucoup de difficultez qui ſe rencontrent dans les operations 25 des ouurages exquis. Ne faites pas, s’il vous plaiſt, pareil iugement de moy qu’en fait Monſieur Mydorge ; i’eſpere tant de voſtre affection, que vous voudrez bien auoir le contentement de ſçauoir que vous m’aurez donné tout ce que ie poſſederay ; et ſi ma 30 mauuaiſe fortune m’oſte les moyens d’en vſer vtilement, elle ne m’oſtera pas l’affection que i’ay de reconnoiſtre par mes tres humbles ſeruices les | infinies obligations que ie vous ay, & d’auoüer par tout cette verité. Ie ſuis…
L’exemplaire de l’Institut porte en marge l’annotation finale : « Il faut insérer a la fin de cette lettre un grand fragment que j’ay écrit dans la page 203 de mes collections. » Baillet (t. I, p. 185) dit également : « Voyez la seconde partie de cette lettre [du 26 octobre] que M. Clerselier n’a pas fait imprimer, et qui est restée manuscrite » en marge du texte suivant : « Il luy [Ferrier à Descartes] témoigna vouloir incessamment se mettre en état de travailler sur ses instructions tant pour les modèles et les machines qu’il luy avoit décrites, que pour la taille des verres dont il luy avoit prescrit la manière. »
Plus loin (t. I, p. 193) Baillet, parlant de la mort du cardinal de Bérulle ajoute encore : « Voiez la lettre MS. de Ferrier à Descartes du 26 octobre 1629 » en regard de son récit : « Ce saint homme tomba saisi du mal à l’autel disant la messe le 2 jour d’Octobre 1629 dans l’hôtel du Bouchage, et fut porté sur un lit dressé à la hâte, où il expira sur l’heure âgé seulement de 55 ans. » Après avoir rappelé, entre autres choses, les efforts de Bérulle pour rétablir l’union entre la Reine-mère Marie de Médicis et le Roi Louis XIII, Baillet continue (t. I, p. 194) : « Cet empressèment qu’il avoit fait paroître pour la paix de la famille royale n’avoit pas été fort agréable au Cardinal de Richelieu, qui pour le lui faire connoître avoit trouvé moien de lui procurer quelque petit chagrin à la Cour. En effet, le Cardinal de Bérulle (selon le récit que le sieur Ferrier en fit à Descartes),
« étant à Fontainebleau deux ou trois jours avant 5 ſa mort, & ayant remarqué que le Roy ne l’avoit pas vû de bon œil, s’en étoit revenu sur l’heure à Paris avec un ſaiſiſſement, auquel on attribua l’accident de sa mort. »
Inutile d’ajouter que Baillet s’élève avec vivacité contre ces bruits.
3-4 grandement] beaucoup Inst.
- ↑ DJB Clers.