Mémoire sur la vie de M. Pascal

Mémoire sur la Vie de M. Pascal
Texte établi par Léon Brunschvicg et Pierre BoutrouxHachette (I. Biographies. — Pascal jusqu'à son arrivée à Paris (1647)p. 123-136).




V

BLAISE PASCAL


II

Mémoire sur la vie de M. Pascal écrit par Mademoiselle Marguerite
Perier, sa nièce.
Recueil du P. Adry, Bibliothèque Mazarine, n° 4552[illisible]



MEMOIRE SUR LA VIE DE M. PASCAL,
ÉCRIT PAR
MADEMOISELLE MARGUERITE PERIER, SA NIÈCE.


[1]Lorsque M. Pascal eut un an[2], il luy arriva une chose très extraordinaire. Sa mère estoit, quoy que très jeune, très pieuse et très charitable ; elle avoit grand nombre de pauvres familles à qui elle donnoit chacune une petite somme par mois, et entre les pauvres femmes à qui elle faisoit ainsy la charité, il y en avoit une qui avoit la réputation d’estre sorcière : tout le monde le luy disoit ; mais sa mère, qui n’estoit point de ces femmes crédules et qui avoit beaucoup d’esprit, se mocquoit de ces avis, et continuoit toûjours à luy faire l’aumosne. Dans ce temps-là il arriva que cet enfant tomba dans une langueur semblable à ce que l’on appelle à Paris tomber en chartre[3]; mais cette langueur estoit accompagnée de deux circonstances qui ne sont point ordinaires : l’une qu’il ne pouvoit souffrir de voir de l’eau sans tomber dans des transports d’emportemens très grands ; et l’autre bien plus estonnante, c’est qu’il ne pouvoit souffrir de voir son père et sa mère proches l’un de l’autre : il souffroit les caresses de l’un et de l’autre en particulier avec plaisir ; mais aussitôt qu’ils s’approchoient, il crioit, se debattoit avec une violence excessive ; tout cela dura plus d’un an durant lequel le mal s’augmentoit ; il tomba dans une telle extrémité qu’on le regardoit comme prest à mourir.
Tout le monde disoit dans ce tems là à son père et à sa mère, que c’estoit assurément un sort que cette sorcière luy avoit jette ; ils s’en mocquoient l’un et l’autre, regardant ces discours comme des imaginations qu’on a quand on voit des choses extraordinaires, et n’y faisant aucune attention, laissant toujours à cette femme une entrée libre dans leur maison, où elle recevoit la charité.
Enfin mon grand père, importuné de tout ce qu’on luy disoit là-dessus, fit un jour entrer cette femme dans son cabinet, croyant que la manière dont il luy parleroit luy donneroit lieu de faire cesser tous les bruits ; mais il fut très estonné lorsqu’apres les premières paroles qu’il luy dit, auxquelles elle respondit seulement et assez doucement que cela n’estoit point et qu’on ne disoit cela d’elle que par envie à cause des charitez qu’elle recevoit, il voulut luy faire peur, et, feignant d’estre assuré qu’elle avoit ensorcelé son enfant, il la menaça de la faire pendre si elle ne lui avoüoit la vérité ; alors elle fut effrayée, et se mettant à genoux, elle lui promit de luy dire tout, s’il luy promettoit de luy sauver la vie. Sur cela, mon grand père, fort surpris, luy demanda ce qu’elle avoit fait et ce qui l’avoit obligée à le faire. Elle luy dit que l’ayant prié de solliciter pour elle, il le luy avoit refusé, parce qu’il croyoit que son procez n'estoit pas bon, et qu'en vengeance, elle avoit jetté un sort sur son enfant qu'elle voyoit qu'il aymoit tendrement, et qu'elle estoit bien faschée de le luy dire, mais que le sort estoit à la mort. Mon grand pere affligé luy dit: « Quoy ! il faut donc que mon enfant meure !» Elle luy dit qu'il y avoit du remède, mais qu'il falloit que quelqu'un mourut pour luy, et transporter le sort. Mon grand pere luy dit : « Ho ! j'aime mieux que mon fils meure, que de faire mourir une autre personne. » Elle luy dit : « on peut mettre le sort sur une beste. » Mon grand pere luy offrit un cheval : elle luy dit que, sans faire de si grands frais, un chat lui suffisoit. Il luy en fit donner un ; elle l'emporta et en descendant elle trouva deux capucins qui montoient pour consoler ma grand'mere de l'extrémité de la maladie de cet enfant. Ces pères luy dirent qu'elle vouloit encore faire quelque sortilège de ce chat : elle le prit et le jeta par une fenestre, d'où il ne tomba que de la hauteur de six pieds et tomba mort ; elle en redemanda un autre que mon grand pere luy fit donner. La grande tendresse qu'il avoit pour cet enfant fit qu'il ne fit pas d'attention que tout cela ne valoit rien, puisqu'il falloit, pour transporter ce sort, faire une nouvelle invocation au Diable ; jamais cette pensée ne luy vint dans l'esprit, elle ne luy vint que longtemps aprez, et il se repentit d'avoir donné lieu à cela.
Le soir la femme vint et dit à mon grand pere qu'elle avoit besoin d'avoir un enfant qui n'eut pas sept ans, et qui, avant le lever du soleil, cueillit neuf feuilles de trois sortes d'herbes : c'est-à-dire trois de chaque sorte. Mon grand pere le dit à son apothicaire, qui dit qu'il y meneroit lui mesme sa fille, ce qu'il fit le lendemain matin. Les trois sortes d'herbes estant cueillies, la femme fit un cataplasme qu'elle porta à sept heures du matin à mon grand pere, et luy dit qu'il falloit le mettre sur le ventre de l'enfant. Mon grand pere le fit mettre; et à midy, revenant du palais, il trouva toute la maison en larmes, et on luy dit que l'enfant estoit mort ; il monta, vit sa femme dans les larmes, et l'enfant dans le berceau, mort, à ce qu'il paroissoit. Il s'en alla, et en sortant de la chambre il rencontra sur le degré la femme qui avoit porté le cataplasme, et attribuant la mort de cet enfant à ce remede, il luy donna un soufflet si fort qu'il luy fit sauter le degré. Cette femme se releva et luy dit qu'elle voyoit bien qu'il estoit en colere, parce qu'il croyoit que son enfant estait mort ; mais qu'elle avoit oublié de luy dire le matin qu'il devoit paroistre mort jusqu'à minuit, et qu'on le laissat dans son berceau jusqu'à cette heure là et qu'alors il reviendroit.
Mon grand père rentra et dit qu'il vouloit absolument qu'on le gardat sans l'ensevelir. Cependant l'enfant paroissoit mort; il n'avoit ni pouls, ni voix, ni sentiment; il devenoit froid, et avoit toutes les marques de la mort ; on se moquoit de la credulité de mon grand père, qui n'avoit pas accoutumé de croire à ces sortes de gens là.
On le garda donc ainsy, mon grand pere et ma grand mere toujours presens ne voulant s'en fier à personne ; ils entendirent sonner toutes les heures, et minuit aussy sans que l'enfant revint. Enfin entre minuit et une heure, plus prez d'une heure que de minuit, l'enfant commença à bâiller ; cela surprit extraordinairement : on le prit, on le rechauffa, on luy donna du vin avec du sucre ; il l'avala; ensuite la nourrice lui présenta le teston, qu'il prit sans donner neantmoins des marques de connoissance et sans ouvrir les yeux ; cela dura jusqu'à six heures du matin qu'il commença à ouvrir les yeux et à connoistre quelqu'un. Alors, voyant son pere et sa mere l'un prez de l'autre, il se mit à crier comme il avoit accoutumé ; cela fit voir qu'il n'estoit pas encores gueri, mais on fut au moins consolé de ce qu'il n'estoit pas mort, et environ six à sept jours aprez il commença à souffrir la vue de l'eau. Mon grand père arrivant de la[4] messe, le trouva qui se divertissoit à verser de l'eau d'un verre dans un autre dans les bras de sa mère ; il voulut alors s'approcher ; mais l'enfant ne le put souffrir, et peu de jours aprez il le souffrit, et en trois semaines de temps cet enfant fut entierement guéri et remis dans son embompoint et depuis il n'eut jamais aucun mal.
Pendant que mon grand pere estoit encore à Rouen, M. Pascal, mon oncle, qui vivoit dans cette grande pieté qu'il avoit luy mesme imprimée à toute la famille, tomba dans un estat fort extraordinaire, qui estoit causé par la grande application qu'il avoit donnée aux sciences ; car les esprits estant montez trop fortement au cerveau, il se trouva dans une espèce de paralysie depuis la ceinture en bas, en sorte qu'il fut reduit à ne marcher qu'avec des potences ; ses jambes et ses pieds devinrent froids comme du marbre, et on estoit obligé de luy mettre tous les jours des chaussons trempez dans de l'eau-de-vie pour tascher de faire revenir la chaleur aux pieds. Cet estat où les médecins le virent les obligea de luy defendre toute sorte d'application ; mais cet esprit si vif et si agissant ne pouvoit pas demeurer oisif. Quand il ne fut plus occupé ni de sciences ni de choses de piété qui portent avec elle leur application, il luy fallut quelque plaisir ; il fut contraint de revoir le monde, de jouër et de se divertir. Dans le commencement cela estoit modéré ; mais insensiblement le goust en vint, il se mit dans le monde, sans vice neantmoins ni déreglement, mais dans l'inutilité, le plaisir et l'amusement. Mon grand pere mourut; il continua à se mettre dans le monde avec mesme plus de facilité estant maistre de son bien : et alors aprez s'y estre un peu enfoncé, il prit la resolution de suivre le train commun du monde, c'est-à-dire de prendre une charge et se marier[5]; et prenant ses mesures pour l'un et pour l'autre, il en conferoit avec ma tante, qui estoit alors religieuse, qui gemissoit de voir celuy qui lui avoit fait connoistre le néant du monde s'y plonger de luy-mesme par de nouveaux engagemens. Elle l'exhortoit souvent à y renoncer ; mais l'heure n'estoit pas encore venue, il l'ecoutoit et ne laissoit pas de pousser toujours ses desseins. Enfin Dieu permit qu'un jour de la Conception de la sainte Vierge, il allat voir ma tante, et demeurât au parloir avec elle durant qu'on disoit nones avant le sermon. Lorsqu'il fut achevé de sonner, elle le quitta et luy de son costé entra dans l'église pour entendre le sermon, sans sçavoir que c'estoit là où Dieu l'attendoit. Il trouva le prédicateur en chaire[6], ainsy il vit bien que ma tante ne pouvoit pas luy avoir parlé ; le sermon fut au sujet de la conception de la sainte Vierge, sur le commencement de la vie des chrestiens, et sur l'importance de les rendre saints, en ne s'engageant pas, comme font presque tous les gens du monde, par l'habitude, par la coutume et par des raisons de bienseance toutes humaines, dans des charges et dans des mariages ; il montra comment il falloit consulter Dieu avant que de s'y engager, et bien examiner si on pouvoit faire son salut et si on n'y trouveroit point d'obstacles[7]. Comme c'estoit là precisément son estat et sa disposition, et que le prédicateur prescha avec beaucoup de vehemence et de solidité, il fut vivement touché, et croyant que tout cela avoit esté dit pour luy, il le prit de mesme. Ma tante alluma autant qu'elle put ce nouveau feu, et mon oncle se détermina peu de jours aprez à rompre entierement avec le monde ; et pour cela il alla passer quelque temps à la campagne pour se depayser, et rompre le cours du grand nombre de visites qu'il faisoit et qu'il recevoit ; cela luy réussit, car depuis cela il n'a vu aucun de ses amis qu'il ne visitoit que par rapport au monde.

Dans sa retraitte, il gagna à Dieu M. le duc de Roannez avec qui il estoit lié d'une amitié tres estroite, fondée sur ce que M. de Roannez ayant un esprit tres eclairé et capable des plus grandes sciences, avoit beaucoup gousté l’esprit de M. Pascal, et s’estoit attaché à luy[8]. M. Pascal ayant donc quitté le monde, et ayant resolu de ne plus s’occuper que des choses de Dieu, il fit comprendre à M. de Roannez l’importance d’en faire de mesme, et luy parla là dessus avec tant de force qu’il le persuada si bien et si fortement que M. de Roannez gousta tout aussy vivement tout ce qu’il luy dit sur ce sujet, comme il avoit gousté ses raisonnements pour les choses de science, qui faisoient auparavant leur plaisir et le sujet de toutes leurs conversations. Estant donc ainsy touché de Dieu par le ministere de M. Pascal, il commença à faire des reflexions sur le neant du monde, il prit un peu de temps pour penser à ce que Dieu demandoit de luy ; enfin il prit la resolution de ne plus jamais songer au monde, de s’en retirer aussy tost qu’il pourroit, et de rendre le gouvernement de Poitou qu’il avoit des qu’il pourroit en avoir l’agrément du roy. Huit jours aprez qu’il eut pris sa resolution là dessus, et qu’il en eut conféré avec mon oncle qu’il avoit mesme pris chez luy pour quelque temps pour l’ayder à se déterminer, il arriva que M. le comte d’Harcourt, son grand oncle[9], luy vint dire un jour qu’on luy avoit proposé un mariage pour luy, qui estoit Mademoiselle de [Mesmes][10], qui est aujourd’huy Madame de Vivonne[11], qui estoit le plus grand party du royaume pour le bien, la naissance, et la personne. Il fut surpris de cette proposition, car il y avoit plus de quatre ans qu’il avoit dans l’esprit que lorsqu’il seroit dans l’age de se marier, il tascheroit d’avoir cette demoiselle là ; cependant il n’hésita point de la refuser, croyant qu’il devoit à Dieu cette marque de fidelité de ne luy point manquer dans cette resolution qu’il venoit de luy inspirer de quitter le monde ; il respondit donc sur le champ à M. le comte d’Harcourt qu’il estoit très obligé aux personnes qui songeoient à luy, mais qu’il ne vouloit pas se marier encore. M. le comte d’Harcourt s’emporta beaucoup, et luy dit qu’il estoit fou, et qu’il seroit bien heureux si après avoir recherché une demoiselle de qualité, bien faite et bien raisonnable et la plus riche héritière du royaume, on la luy donnoit ; et qu’au jour d’huy c’estoit les parents mesme de la demoiselle qui le demandoient et qui le recherchoient, et que luy vouloit encore y penser ! M. de Roannez enfin luy déclara qu’il ne vouloit point se marier. Il s’emporta encore d’avantage et le traita mal, et enfin on commença à attribuer cela à mon oncle dans sa famille, en sorte qu’il y estoit regardé avec horreur, et qu’une fois une femme qui servoit de concierge l’alla chercher à sa chambre pour le poignarder, et heureusement elle ne le trouva pas. Depuis cela mon oncle demeura dans une retraitte et une séparation entière du monde dans laquelle il a fini ses jours, sans jamais s’y estre remis ; au contraire il rompoit de plus en plus avec tous ses amis, n'en voyant plus aucun de ceux du monde.
Il s'engagea durant sa retraitte par un ordre de la providence à travailler contre les athées ; et voicy comment on a recueilly ce qu'on en a donné au public. M. Pascal avoit accoutumé, quand il travailloit, de former dans sa teste tout ce qu'il vouloit escrire sans presque en faire de projet sur le papier ; et il avoit pour cela une qualité extraordinaire, qui est qu'il n'oublioit jamais rien, et il disoit luy mesme qu'il n'avoit jamais rien oublié de ce qu'il avoit voulu retenir. Ainsy il gardoit dans sa memoire les idées de tout ce qu'il projettoit d'escrire, jusqu'à ce que cela fut dans sa perfection, et alors il l'escrivoit. C'estoit son usage ; mais pour cela il falloit un grand effort d'imagination, et quand il fut tombé dans ses grandes infirmitez, cinq ans avant sa mort, il n'avoit pas assez de force pour garder ainsi dans sa memoire tout ce qu'il meditoit sur chaque chose. Pour donc se soulager, il escrivoit ce qui luy venoit à mesure que les choses se presentoient à luy, afin de s'en servir ensuite pour travailler comme il faisoit auparavant de ce qu'il imprimoit dans sa memoire ; et ce sont ces morceaux escrits ainsi piece à piece, qu'on a trouvez après sa mort, qu'on a donnez et que le public a reçus avec tant d'agrement.
Pendant que M. Pascal travailloit contre les athées, il arriva qu'il lui vint un très grand mal de dents. Un soir M. le duc de Roannez le quitta dans des douleurs tres violentes ; il se mit au lit, et son mal ne faisant qu'augmenter, il s'avisa, pour se soulager, de s'appliquer à quelque chose qui put luy faire oublier son mal. Pour cela, il pensa à la proposition de la Roulette faite autresfois par le P. Mersenne, que personne n'avoit jamais pu trouver et à laquelle il ne s'estoit jamais amusé. Il y pensa si bien qu'il en trouva la solution et toutes les démonstrations. Cette application serieuse destourna son mal de dents, et quand il cessa d'y penser il se sentit gueri de son mal.
M. de Roannez, estant venu le voir le matin et le trouvant sans mal, luy demanda ce qui l'avoit guéri. Il luy dit que c'estoit la Roulette, qu'il avoit cherchée et trouvée. M. de Roannez, surpris de cet effet et de la chose mesme, car il en sçavoit la difficulté, luy demanda ce qu'il avoit dessein de faire de cela. Mon oncle luy dit que la solution de ce probleme luy avoit servi de remède, et qu'il n'en attendoit pas autre chose. M. de Roannez luy dit qu'il y avoit bien un meilleur usage à en faire; que dans le dessein où il estoit de combattre les athées, il falloit leur montrer qu'il en savoit plus qu'eux tous en ce qui regarde la géométrie et ce qui est sujet à demonstration; et qu'ainsy, s'il se soumettoit à ce qui regarde la foy, c'est qu'il savoit jusques où devoient porter les demonstrations; et sur cela il luy conseilla de consigner 60 pistoles, et de faire une espece de defi à tous les mathématiciens habiles qu'il connoissoit et de proposer le prix pour celuy qui trouveroit la solution du probleme. M. Pascal le creut et consigna les 60 pistoles entre les mains de M..., nomma des examinateurs pour juger des ouvrages qui viendroient de toute l'Europe, et fixa le terme à 18 mois, au bout desquels personne n'ayant trouvé la solution suivant le jugement des examinateurs, M. Pascal retira ses 60 pistoles et les employa à faire imprimer son ouvrage, dont il ne fit tirer que 120 exemplaires.

[12]Aprez la mort de M. Pascal, l'ayant fait ouvrir, on trouva l'estomac et le foye fletris, et les intestins gangrenés, sans qu'on put juger précisement si ç'avoit esté la cause des douleurs de colique ou si c'en avoit esté l'effet. Mais ce qu'il y eut de plus particulier, fut à l'ouverture de la teste dont le crâne se trouva sans aucune suture que la ...[13], ce qui apparemment avait causé les grands maux de teste auxquels il avoit esté sujet pendant sa vie. Il est vray qu'il avoit eu autrefois la suture qu'on appelle fontale ; mais ayant demeuré ouverte fort longtemps pendant son enfance, comme il arrive souvent en cet age, et n'ayant pu se refermer, il s'estoit formé un calus qui l'avoit entièrement couverte, et qui estoit si considérable, qu'on le sentoit aysement au doigt. Pour la suture coronale, il n'y en avoit aucun vestige. Les medecins observèrent qu'il y avoit une prodigieuse abondance de cervelle, dont la substance estoit si solide et si condensée, que cela leur fit juger que c'estoit la raison pour laquelle, la suture fontale n'ayant pu se refermer, la nature y avoit pourvu par ce calus. Mais ce que l'on remarqua de plus considérable, et à quoy on attribua particulièrement sa mort et les derniers accidents qui l'accompagnèrent, fut qu'il y avoit au dedans du crâne, vis-à-vis les ventricules du cerveau, deux impressions, comme du doigt dans de la cire, qui estoient pleines d'un sang caillé et corrompu qui avoit commencé de gangrener la dure mere.

  1. Le Premier Recueil Guerrier contient (p. DCXVII) une variante anonyme de cet incident, d’après un récit que Madame Perier aurait fait le 14 août 1661 au Menil, maison de campagne près de Clermont appartenant à M. de la Blatterie. On en trouver le texte dans les Lettres, Opuscules et Mémoires de madame Perier et de Jacqueline, sœur de Pascal, et de Marguerite Perier, sa nièce, publiés par P. Faugère, 1845, p. 471-473.
  2. Le récit anonyme dit : « Il n’avoit encore que deux ans. »
  3. La Mothe-le-Vayer, dans son Hexameron rustique, explique ainsi, dit M. Adam (Education de Pascal, 1888, p. 35, note 2) cette expression : « Les enfants, tombez en atrophies que nous disons estre en chartre, se portent aux Chartreux tous les vendredis de l’année. » (De l’intercession de quelques saints particuliers).
  4. Première lecture : ville.
  5. « Il renonça même à un mariage très avantageux qu'il étoit sur le point de conclure. » (Racine, Abrégé de l'Histoire de Port-Royal, apud Œuvres, éd. P. Mesnard, t. IV, 1865, p. 460).
  6. M. Singlin. — Le Sermon que Pascal entendit ce jour-là, 8 décembre 1654, a été publié au 4e volume des Instructions chrestiennes sur les mystères de Nostre Seigneur Jesus-Christ et sur les Principales Pestes de l'Année (Premier volume de la seconde partie). Paris, chez la Veuve de Charles Savreux, 1671, p. 82 sqq. Vide infra, t. IV, p. 7.
  7. Ibid., p. 87 : « Car si vous considérez les engagemens où se trouvent la plus part des hommes, et les engagemens qui forment tout l'estat et toute l'occupation de leur vie, et d'où dépend pour l'ordinaire ou leur salut, ou leur damnation éternelle, combien en trouverez-vous peu, qui puissent dire véritablement : Je me suis engagé dans cet estat, parce que j'ay écoûté la voix de Dieu, qui m'y a porté ?... Combien peu s'en trouvera-t-il de cette sorte ? Et combien s'en trouvera-t-il au contraire, qui vous diront, s'ils veulent dire la vérité : Je me suis engagé dans le mariage, parce que j'ay escouté la voix non de Dieu, mais de l'avarice, qui m'a dit que le party que l'on me presentoit estoit avantageux, pour establir ma maison, et ma fortune dans le monde. Je me suis engagé dans cette charge, parce que j'ay escouté la voix de l'ambition, qui m'a dit que c'estoit là le moyen de me rendre grand et considérable dans le monde. »
  8. Vide infra, t. III, p. 107 sqq.
  9. Le comte d’Harcourt, né en 1601, mort en 1666, gouverneur d’Anjou, était le second fils de Charles de Lorraine, duc d’Elbeuf. Voir son Historiette dans Tallemant des Reaux, 254, Ed. Monmerqué, Paris, t. V, 1856, p. 9. Jusqu’en juillet 1662, il fut le partisan dévoué, le recors, comme disaient les Frondeurs, du cardinal Mazarin. C’est lui qui commandait les troupes royales envoyées dans le Poitou pour combattre Condé et la Rochefoucauld, à la fin de 1651, au moment où le duc de Roannez prit possession de son gouvernement (Chéruel, Histoire de France sous le ministère de Mazarin, 1882, t. I, p. 16 et 42 sqq.).
  10. Nous rectifions l’orthographe des Copies, qui donnent Menus.
  11. Le duc de Vivonne (1636-1688), frère de Madame de Montespan, et qui fut général des galères du Roi, épousa, en septembre 1655, Antoinette-Louise, fille du président Henri de Mesmes (mort en 1650) « très riche héritière, et dont l’esprit était digne de s’allier à celui des Mortemart. » (Eug. Asse, dans la Nouvelle Bibliographie universelle,t. XLVI, p. 332 ; cf. Jovy, Pascal inédit, p. 435).
  12. Ms. de la Bibliothèque Nationale f. fr. 13913, p. 292. « Ceci, dit le P. Guerrier, ne se trouve pas imprimé dans la Vie de M. Pascal, mais seulement dans le Ms. de Mlle Perier. » — Cela signifie, sans doute, que ce fragment a été pris dans les Souvenirs écrits par Marguerite, et non dans une rédaction, à nous inconnue de la Vie de Pascal par sa sœur.
  13. Une lacune, que le P. Guerrier remplace par cette note : « Peut-être la Lambdoïde ou la Sagitalle. »