Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 61-64).
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Repos.



…les plus doux instants pour deux amants heureux,
Ce sont les entretiens d’une nuit d’insomnie,
Pendant l’enivrement qui succède au plaisir.

Alfred de Musset.




Oui, ton corps qui palpite entre mes bras, ta bouche,
Rose sanglante où j’ai dégusté mes poisons,
Dont les charmes puissants rendent le cœur farouche,
Ta crinière pareille aux ardentes toisons

Qui font courir du feu sur les épaules nues
Des déesses ; tes yeux mourant de volupté,
Creux et sombres, brûlés de flammes inconnues,
Et qui semblent un ciel par les dieux déserté ;

Tout cela, c’est a moi, fille a la belle croupe,
Tigresse dont j’ai pu compter les râlements !
À moi, comme le vin qui brille dans la coupe,
Et dont j’épuiserai l’or et les diamants.

Je l’ai comme l’on a toute chose qu’on paie,
Je suis maître et seigneur de cette noble chair
Qui s’est vendue à moi pour un peu de monnaie,
En me disant : Je t’aime ! — un soir neigeux d’hiver.



Mais comme je sais bien, sous la vaine grimace
De cet amour menteur et contrefait, trouver
La haine qui grandit furieuse et s’amasse
Dans ton sein, que parfois l’horreur fait soulever !

Tu crois que je n’ai pas, lorsque sur ta poitrine
Tes baisers tri écrasaient et que nous confondions
Nos sens dans une extase effrayante et divine,
Senti monter à moi tes malédictions !

Oh ! comme tu souffrais en cachant cet orage,
Dont les bouillonnements faisaient rompre ton cœur !
Moi, je buvais les pleurs savoureux de ta rage,
Et je te caressais, comme un cruel vainqueur !

Comme un cruel vainqueur qu’une furie anime,
Et qui fouette, en hurlant de plaisir, le troupeau
Des captifs, comme un chat dont la patte s’escrime
À flatter en traînant ses ongles dans la peau.

Et lorsque, succombant au lourd sommeil, ma tête
Verra fuir la couleur confuse et le dessin
Des objets, il faudra que ta gorge soit prête
À faire à l’ennemie un moelleux coussin.

Car, tu ne le sais pas, esclave méprisée,
Je me venge sur toi des maux que j’ai soufferts
Quand celle que j’aimais, faisant une risée
De l’amour, se livra pour des bijoux offerts.



Comme toi, maintenant, la vile créature
Se tord sous les baisers d’un acheteur qui vient
Donner à son désir cette riche pâture
D’un corps que tout le monde en le payant obtient

Voilà pourquoi je veux, vivante marchandise,
Épier le secret de tes mornes ennuis,
Et je veux que ton cœur exaspéré me dise
Les horribles dégoûts des amoureuses nuits !

Ne crois pas qu’enfermant tes yeux maudits, tu puisses
Saisir, pour un instant, le vague souvenir
De ce temps où, marchant à travers les délices,
Comme un immense amour tu voyais l’avenir.

Non ! les jours ne sont plus où, de voluptés ivre,
Le bel adolescent te serrait dans ses bras
En disant : — Si tu veux, ô toi qui me fais vivre !
Ô mon âme ! une étoile à tes pieds, tu l’auras !

Et sa voix implorait les suaves caresses
Qu’un maître impérieux te réclame aujourd’hui.
À peine s’il osait, toucher les blondes tresses
Que ton amant du jour fait rouler devant lui.

Ce n’est plus l’amoureux des premières années,
Dont les regards voilés de pleurs disaient les vœux ;
Les roses d’autrefois sont à présent fanées ;
Il priait doucement, et moi je dis : Je veux !



Allons, maîtresse ! allons, dis-moi : Je t’aime ! et sache
Que je te hais ! mon âme est pleine de mépris ;
Tu me fais honte ; allons ! fille de joie, attache
Tes deux bras frissonnants à mon col, et souris !

Souris, pour que je voie à quel degré la femme
Pousse la lâcheté ; souris ! que mon dédain
Puisse, enfin, largement s’échapper de mon âme
Comme un trait acéré qu’on retire du sein !

Car je veux te cracher ma rancœur à la face,
Anéantir le rêve où parfois tu te plus,
Et surtout insulter, sur ton corps qui se glace,
Cet amour méprisable auquel je ne crois plus !