Œuvres de Albert Glatigny/Prologue

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 229-231).

I

Prologue.


Plus tard, vieux rossignol sans gosier, vieux poète
Noyé dans un habit d’académicien,
J’irai, lugubre à voir, triste et hochant la tête,
Rabâchant vaguement quelque propos ancien.

En ce temps-là j’aurai, sur bien des tombes closes,
Prononcé de pompeux discours très-applaudis,
Et je rebuterai, par mes dehors moroses,
Les poètes nouveaux, ces merles étourdis.

Je crîrai : « Laissez-moi tranquille avec vos odes !
À mon âge on relit les livres déjà lus ;
Puis mon corps n’est pas fait à vos nouvelles modes,
Ô jeunes gens, soyez sobres, je ne bois plus ! »

Quelquefois, par les soirs d’été, quand la caresse
De la brise fer a tressaillir les grands bots,
La Muse, surmontant l’angoisse qui l’oppresse,
Viendra me dire ; « Ami ! que devient donc ta voix ?

Chante encor, comme au temps de nos vertes années,
Le monde attend de toi de nouvelles chansons.
Vois ! les voûtes du ciel brillent illuminées,
Et la rose a frémi d’amour sous les buissons. »

Et je lui répondrai : « M’amie, au clair de lune,
On se peut enrhumer facilement. Le soir
Était déjà malsain, quand ma tête était brune,
Puis en plein air, d’ailleurs, on n’aurait qu’à nous voir !

— Attendons à demain, soupirera la Muse,
Le clair soleil de juin, joyeux et réveillant
Les oiseaux dans la masse animée et confuse
Des branches, planera dans l’espace brillant

— Je ne pourrai chanter demain non plus, m’amie.
Le soleil est mauvais pour mon front découvert ;
Il échauffe par trop ma cervelle endormie,
Et blesse l’œil malgré ce noble abat-jour vert.

— Hélas ! » fera la Muse, et, de ses mains ridées,
Elle essuîra les pleurs qui mouilleront ses yeux.
Alors, réunissant quelques pauvres idées,
Je lui dirai : « Voyons ! pourtant je suis bien vieux ! »

Ô spectacle touchant ! sur la lyre faussée,
Haletant, et penchant tous deux nos fronts jaunis.
Nous recommencerons, sans craindre la risée,
La chanson de Monsieur et madame Denis.

Et toi, Public, troupeau bêlant que rien n’arrête,
À qui la jeune Muse en vain ouvre les bras,
Comme je ne serai plus qu’une vieille bête,
Tu seras à genoux et tu tri m’applaudiras !