Œuvres de Albert Glatigny/Nuit d’été

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 18-20).

Nuit d’été.


À Philoxène Boyer.



Nuit d’été ! Nuit d’été ! — La forêt des Ardennes
Va resplendir de feux ; des visions soudaines
Ont éclairé les pas de la Rosalinda,
Le cygne avec amour s’approche de Léda,
Et là-bas voyez-vous ces formes incertaines
Qui s’éloignent sans bruit des murs sacrés d’Athènes ?
     Holà ! Démétrius ! — Lysandre ! — Me voici !
Titania la blonde et Farfadet aussi.
C’est la nuit des amours qui s’égarent en route ;
Bottom, ivre de joie et de bonheur, écoute
La reine qui lui dit : — Mon beau fils ! cher mignon !
— Obéron rit tout bas. — Au lieu d’un champignon,
C’est un sonnet galant qui vient au pied du hêtre.
Tous ces gens sont heureux. — À l’aurore peut-être
Tout s’évanouira : Bottom désenchanté
Verra sa tête d’âne, et le père irrité
Mènera nos amants devant le duc Thésée.
Mais qu’importe ? la fleur frémit dans la rosée,
Et la nuit sera longue et bonne pour l’amour.
Donc, aimez à plein cœur, il n’est pas encor jour !
     Nuit d’été ! Nuit d’été ! — La chaleur endormie
Nous guette sourdement ainsi qu’une ennemie


Qui se masque et de loin nous décoche ses traits ;
Le soleil a brûlé la cime des forêts :
Nuit d’été ! Nuit d’été ! tu pèses sur mon âme
Comme sur l’estomac un cauchemar infâme !
     Cybèle a secoué ses blonds cheveux d’épis,
Et tous les vers luisants, dans la mousse tapis,
Promènent lentement leurs robes de lumière ;
La flûte a soupiré, la robuste fermière
Danse avec ses garçons, hâlés par l’air des champs !
     Nuit d’été ! Nuit d’été ! — Des souffles desséchants
Ont jauni les roseaux dans la source limpide
Où venait s’abreuver le cerf au pied rapide ;
Sur l’haleine du soir passe un vol de démons,
Et l’haleine du soir embrase mes poumons !
     Nuit d’été ! Nuit d’été ! — La cuve sera pleine,
Et nous pourrons rougir la face de Silène !
Ægypans et Sylvains, chantez le dieu Liber,
Le dieu fort, le dieu jeune, à qui le cep est cher,
Le noble Lyœus, que la femme jalouse !
     La pâquerette était morte dans la pelouse,
Elle attendait en vain la fraîcheur de la nuit.
Le temps est lourd et chaud, et la fraîcheur s’enfuit !
     Nuit d’été ! Nuit d’été ! — De lumineux sillages
Illuminent le dôme assombri des feuillages ;
Un immense soupir s’élève des gazons
Et monte en saluant les vastes horizons :
Plainte d’amour, chanson joyeuse d’une fée,
Par tous les rossignols du bois presque étouffée.
     Nuit d’été ! Nuit d’été ! — Le silence absolu,


Et la terre fumante : encor s’il avait plu !
     Amour, écho du cœur ! baisers, écho des lèvres !
La vierge, interrogeant le secret de ses fièvres,
Lève ses grands regards par r extase éblouis
Vers les astres sans nombre au ciel épanouis ;
Sa chevelure blonde a des reflets d’étoiles ;
Doux avenir, sa main va déchirer tes voiles !
     Un jeune homme l’a vue, un cavalier hautain,
Et sur ses traits la rose a caché le satin :
Nappes d’azur, et toi, blanche lune au front pâle,
Escarboucles ; rubis des cieux, neigeuse opale,
Quel est ce beau jeune homme ? Est-ce l’époux rêvé ?
Parlez-en à son cœur parmi vous soulevé.
     Dans cet air dévorant pour rafraîchir mon âme,
Si je voyais couler une larme de femme !
Non, je suis seul ; la nuit m’écrase comme un plomb !
À monter sur son char que le soleil est long !
Il vous soulage seul, angoisses infinies,
Lui seul vient terminer mes noires insomnies ;
Sur ses rayons sanglants je veux voir emporté
Jusqu’à ton souvenir, Nuit d’été ! Nuit d’été !



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