Œuvres de Albert Glatigny/Le Donec gratus… de la rue Monsieur-le-Prince

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Le DONEC GRATUS…
De la rue Monsieur-le-Prince.



I



Je me souviens d’une époque
Où nous nous aimions au mieux ;
Chaque fais que je révoque,
Des pleurs me viennent aux yeux.

Nous dépensions à main pleine
Nos trésors inépuisés ;
Ton souffle était mon haleine,
Je vivais dans tes baisers.

Tes propos d’écervelée
Se mêlaient à mes chansons,
Et nous donnions leur volée
Aux rires, de cent façons.

Avec des airs de princesse
Tu m’arrêtais quelquefois,
Et moi, j’admirais sans cesse
L’ongle rosé de tes doigts.

II



Un jour, une cabotine
Laissa, comme je passais,
L’empreinte de sa bottine
Sur le sable, et, tu le sais,

Toi dont toujours les pieds roses
Ont frémi sous mes baisers,
J’adore, entre toutes choses,
Les petits pieds bien chaussés.

Un jeune clerc de notaire
Vint, cravate blanche au cou.
La cravate et son mystère
Ont failli me rendre fou l

Tu suivis le beau légiste,
Moi, Dorine au fin corset :
L’Amour était l’aubergiste
Chez qui le vent nous poussait,


III


Comme par un jour de pluie,
Voilà que, seul à présent,
Je bâille et que je m’ennuie,
Malade, le front pesant.



Dona Sol s’est égarée
Au bras de je ne sais qui ;
On croit ravoir rencontrée,
L’autre soir, chez Markowski.

Ton amant et ses cravates
N’ont pas duré le printemps ;
À l’ennui vous arrivâtes,
Comme nous, en peu d’instants.

C’est ià toute notre histoire,
Lugubre jusqu’à la mort,
Et qui chanterait victoire
Aurait vraiment bien grand tort.


IV


Ainsi que moi, tu regrettes
La saison des jours heureux
Où nous portions des aigrettes
Sur nos deux fronts d’amoureux.

Quand ta gorge bien-aimée
Palpitait contre mon sein,
J’aimais ta lèvre pâmée,
Pareille au sang du raisin.



Ta chevelure soyeuse
Se déroulait doucement ;
Tu m’enveloppais, joyeuse,
Dans cet or pur et charmant.


V


Pourquoi remonter les fleuves
Qu’hier on a descendus ?
Pourquoi fuir les routes neuves
Pour tant de sentiers perdus ?

C’est que le fleuve aux eaux vives
Avait de charmants îlots,
Des îlots aux vertes rives,
Endormis dans le repos.

Dans les sentiers de la veille,
Abandonnés aujourd’hui,
Un frais souvenir s’éveille
Du bonheur qui nous a lui.


VI


Si nous nous aimions encore,
Si nous revenions au nid
Où nous chantions, dès l’aurore,
Des refrains à l’infini ?…



Si ta paresseuse tête
Me renvoyait ces parfums
Qui mettaient mon âme en fête
En ce temps des jours défunts t

Si ta lèvre, peu farouche,
Qui s’enivre de langueur,
Cherchait encor sur ma bouche
L’ombreux chemin de mon court. »


VII

 

Veux-tu nous aimer, Lydie ?
y ai congédié Chloé :
Hélas de la comédie
Le dernier acte est joué.

Léandres et Sganar elles
Chez eux s’en vont souper tous ;
On a soufflé les chandelles ;
Tout est dit : retirons-nous.

Que de son côté, Mignonne,
Chacun s’en aille en rêvant.
La pièce est courte mais bonne,
Nous y penserons souvent.