Œuvres de Albert Glatigny/Chanson (Les Vignes folles)

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 31-32).



Chanson.



Veux-tu, mon cœur, parler de cette aimée
Qui m’enchanta pendant une saison ?
— Ah ! par un autre elle est ainsi nommée,
Chante plutôt la nouvelle chanson.

Chante plutôt la nouvelle maîtresse
Aux rires frais, aux yeux souvent baisés.
— Cette chanson est un cri de détresse,
C’est le regret de mes espoirs brisés !

— L’espoir toujours refleurit dans nos âmes.
Laisse au passé tous les baisers perdus,
D’autres encor sur les lèvres des femmes
Tiendront longtemps tes désirs suspendus.

— Non, non ! je veux voir si les vieilles roses
Ont bien laissé perdre tous leurs parfums.
— Seuls les vieillards ont droit, têtes moroses,
De se cloîtrer parmi les jours défunts :

Car devant eux toute porte est fermée,
La terre manque à leur pas incertain :
Laisse-les donc contempler la fumée
Insaisissable et vaine du matin.



Viens-t’en chercher la belle aux cheveux fauves,
Dont le beau corps bondira sous tes doigts ;
Viens-t’en chercher dans les chaudes alcôves
Les mots charmants que l’on dit à mi-voix.

Mais si déjà, fuyant l’heure présente
Et les plaisirs nouveaux que je t’offrais,
Tu veux laisser ton âme languissante
Marcher en pleurs dans le champ des cyprès,

Lorsque viendra l’instant mélancolique
Où l’on se doit souvenir, tu riauras
Plus rien de neuf sous ton regard oblique,
Plus de fantôme a qui tendre les bras !

Donc, vers l’enfant dont la bouche t’appelle
Cours à grands pas, cours et même au hasard,
Pour profiter de l’heure où aube est belle,
Pour mieux encor te souvenir plus tard.

— Oui, tu dis vrai, mais la chère amoureuse
De l’an passé m’attire sur ses pas,
Et je revois sa poitrine, où je creuse
Un nid profond, pour ne m y endormir pas !



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