Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/Travaux postérieurs sur la métamorphose des plantes

TRAVAUX POSTÉRIEURS
SUR

LA MÉTAMORPHOSE

DES PLANTES.

(1820.)

La doctrine de la métamorphose n’ayant pas été traitée à fond dans un ouvrage spécial, mais seulement présentée comme un modèle, comme un mètre auquel on pourrait comparer les êtres organisés afin de les apprécier, il était indispensable, afin de pénétrer plus profondément la nature intime des végétaux, de me faire une idée nette des différentes formes qu’ils présentent, et de la manière dont ces formes individuelles se développent. Mon intention était de donner suite à mon travail, et d’appliquer à des faits particuliers les principes généraux que j’ai émis précédemment. J’avais réuni un grand nombre de ces exemples de formations, de transformations et de déformations qui sont si fréquents dans la nature. Je fis dessiner et graver les cas les plus instructifs. C’est ainsi que je me préparais à publier une suite à mon mémoire, en ayant soin de noter, en marge de chacun de ses paragraphes, les observations les plus probantes.

Batsch avait attiré mon attention sur les rapports des familles entre elles. L’édition de Jussieu donnée par Ustéri, me fut on ne peut plus utile. Je négligeai les Acotylédones, et ne m’en occupai que lorsqu’ils présentaient une forme bien caractérisée. Je compris bientôt que l’examen des Monocotylédones me mènerait plus vite à une solution désirable, parce qu’ils semblent, en vertu de la simplicité de leur organisation, dévoiler à nos regards les secrets de la nature, sans démentir leur affinité avec les Cryptogames d’un côté, et les Phanérogames de l’autre.

Une vie animée, d’autres occupations, des distractions nombreuses et des goûts variés me détournèrent de ce projet ; je me contentai d’élaborer en moi-même et de m’approprier ce que j’avais appris. Je suivais avec intérêt la nature dans ses caprices sans mettre personne dans la confidence de mes idées. Les beaux travaux de M. de Humboldt, les ouvrages complets que chaque nation produisait à l’envi, faisaient naître en moi mainte réflexion. Un moment mon activité fut près de se réveiller ; mais lorsque je voulus réaliser mes rêves, les cuivres ne se trouvèrent plus, et je ne me sentis pas le courage de faire faire d’autres planches. Cependant mes idées avaient agi sur de jeunes imaginations, elles s’y étaient développées plus vite et mieux que je ne l’aurais espéré ; et j’acceptai bientôt toutes les excuses qui favorisaient ma paresse.

Lorsque après tant d’années je considère ce qui me reste de tous ces travaux, en plantes, en parties de plantes desséchées, en dessins, gravures, notes marginales à mon premier opuscule, collections, extraits de livres et de critiques, ouvrages imprimés, etc., je ne puis me dissimuler que, dans ma position, avec ma manière de penser et d’agir, je n’aurais jamais atteint le but que je m’étais proposé. Car cette entreprise n’eût été rien moins que de matérialiser aux yeux du corps, par mille exemples isolés, en suivant un ordre systématique et successif, cette idée que j’avais formulée en général, pour la présenter, à l’aide de mots, aux yeux de l’intelligence. De cette idée, encore en germe, se serait élevé, grand et majestueux, l’arbre de la science végétale qui couvre le monde de son ombre immense.

Je ne saurais m’affliger en aucune façon de ce que je n’ai pas accompli cette tâche, car depuis cette époque la science a fait un pas immense, et les hommes capables ont beaucoup plus de ressources à leur disposition pour lui faire faire de nouveaux progrès. Combien nos dessinateurs, nos peintres, nos graveurs ne sont-ils pas remarquables même comme botanistes ! Celui, en effet, qui s’efforce de représenter, de reproduire un objet, est forcé de le comprendre, de s’en pénétrer ; sans cela son image ne donnerait qu’une idée de l’apparence extérieure de l’objet, et non pas de l’objet lui-même. Si l’on veut que le pinceau, le crayon ou le burin exprimant toutes les transitions délicates, toutes les métamorphoses successives, il faut que l’artiste voie avec les yeux de l’esprit, dans un organe de transition, celui qui va lui succéder et qui doit le suivre nécessairement, il faut que dans un organe anormal il sache toujours apercevoir l’état régulier[1].

Je conçois donc l’espoir, peut-être bientôt réalisé, qu’un homme fort, hardi et judicieux, placé dans le centre de cet ensemble, coordonnera les travaux, déterminera la valeur des observations, et accomplira d’une manière satisfaisante une œuvre auparavant impossible.

Pour ne point nuire à la bonne cause, comme on l’a fait jusqu’ici, on prendrait comme point de départ la métamorphose normale et physiologique ; ensuite on passerait à l’exposition des déformations pathologiques, résultat des errements de la nature ; on mettrait ainsi un terme à cette méthode vicieuse et rétrograde, qui ne parle de métamorphose que lorsqu’il s’agit de formes irrégulières et de monstruosités. Sous ce dernier point de vue, l’ouvrage de Jaeger sur la déformation des végétaux est un progrès réel dans le sens de mes idées. Cet observateur exact et consciencieux aurait accompli nos vœux en créant l’œuvre dont nous parlons, s’il avait suivi le développement normal des plantes, comme il a étudié leurs évolutions anormales.

Je joins ici quelques notes que je fis en lisant, pour la première fois, son ouvrage.

Dans le règne végétal, on regarde avec raison comme étant à l’état sain et purement physiologique tout ce qui est réellement normal ; mais tout ce qui est anormal ne doit pas être considéré par cela même comme pathologique. C’est tout au plus si ce mot s’applique à ce qui est véritablement monstrueux. De même, il est beaucoup de cas dans lesquels on parle de défaut, mot qui veut dire qu’il manque quelque chose ; mais il peut aussi y avoir hypertrophie, c’est-à-dire développement sans balancement des organes. On devrait aussi employer avec la plus grande circonspection les mots de développement irrégulier (Missentwickelung), déformation (Missbildung), difformité (Verkruepelung), atrophie (Verkuemmerung), parce que, dans le règne végétal, la nature peut agir avec la plus grande licence, sans toutefois s’écarter de certaines règles fondamentales.

L’état normal existe lorsque les innombrables créations isolées de la nature obéissent à une loi générale qui détermine leurs conditions d’existence et fixe leur usage. Mais ses productions sont anormales, lorsque les créations isolées l’emportent, et se développent d’une manière arbitraire et fortuite en apparence. Comme ces deux états ont beaucoup d’affinité entre eux, et que le normal et l’anormal vivent de la même vie, il en résulte des formations et des transformations alternatives, une oscillation entre le normal et l’anormal, qui est telle, que la règle sera prise pour l’exception et vice versa.

La forme d’une partie du végétal peut être effacée ou détruite sans que nous appelions cela une déformation. La rose double n’est pas monstrueuse, mais seulement anormale, une rose prolifère est déformée, parce que la corolle rosacée n’existe plus, et qu’elle a franchi ses limites régulières pour se prolonger à l’infini.

Toutes les fleurs doubles sont anormales, et c’est un fait à noter que toutes ces fleurs nous paraissent plus belles et exhalent une odeur plus forte et plus suave. La nature dépasse les limites qu’elle s’est elle-même imposées, mais elle atteint un autre genre de perfection, et nous faisons sagement de nous abstenir des locutions négatives. Les anciens disaient τέρας, prodigium, monstrum, un prodige, un augure digne de toute notre attention. Dans ce sens, Linnée avait imaginé fort heureusement le mot peloria.

Je voudrais qu’on se pénétrât bien de cette vérité, qu’il est impossible d’arriver à une intuition complète, si l’on ne considère pas le normal et l’anormal comme agissant ensemble, et réagissant en même temps l’un sur l’autre. Je vais en donner quelques exemples particuliers.

Lorsque Jaeger parle (p. 7) des déformations de la racine, il nous rappelle involontairement la métamorphose normale de cette partie dont l’identité avec le tronc et les branches est évidente. Dans les travaux nécessaires pour tracer une route sur une colline couverte de hêtres, on mit à nu les vieilles racines de ces arbres : à peine eurent-elles vu la lumière, à peine eurent-elles éprouvé l’influence vivifiante de l’air atmosphérique, qu’elles se couvrirent de feuilles et se transformèrent en un vert buisson. C’était un phénomène remarquable, dont on observe tous les jours des exemples. Les jardiniers sont sans cesse occupés à détruire les rejetons que les racines qui s’étendent sous terre poussent de tous côtés, en même temps qu’ils les utilisent assez souvent pour multiplier certaines espèces.

Si nous examinons les changements de forme de la racine, nous verrons qu’au lieu d’être ramifiée, elle se gonfle quelquefois, et prend la forme d’une carotte ou d’un tubercule[2]. Ceux-ci sont des racines tuméfiées formant un tout absolu et portant des germes nombreux à leur surface (33). Telles sont les pommes de terre, dont les modes variés de multiplication tiennent à l’identité de toutes les parties ; les tiges et les branches poussent des racines lorsqu’on les met en terre, et la plante peut ainsi se propager à l’infini. Nous avons observé un cas de ce genre fort intéressant. Un pied de pomme de terre avait poussé au milieu d’autres légumes, ses branches se couchèrent sur le sol, et restèrent ainsi abritées par les feuilles dans une atmosphère humide. En automne, les tiges se renflèrent et formèrent de petites pommes de terre allongées, au sommet desquelles on observait une couronne de feuilles.

Le chou-rave nous présente de même une tige, renflée, organe préparatoire sur lequel la fleur se développe immédiatement ; et dans l’ananas, la tige est un organe achevé, fructifère.

Sous l’influence d’une nourriture plus abondante, une plante acaule devient caulescente. Au milieu des pierres, sur des rochers calcaires exposés au soleil, la Carlina justifie complètement son épithète acaulis ; sur un sol moins compact, elle commence à s’élever ; et dans une bonne terre on ne la reconnaît plus, tant sa tige est haute : on la nomme alors Carlina acaulis, caulescens. C’est ainsi que la nature nous force de varier nos dénominations, et de les plier à ses libres allures. Il faut aussi reconnaître, à l’honneur de la botanique, que sa terminologie se prête à toutes les exigences de détail, dont les derniers numéros du Botanical Magazine de Curtis nous offrent des exemples frappants.


Lorsque la tige se divise, lorsque le nombre de ses angles se multiplie, lorsqu’elle s’élargit, se fascie en un mot (Jaeger, p. 9–20), on peut affirmer que ces trois phénomènes prouvent que, dans les productions organiques, plusieurs parties analogues peuvent se développer parallèlement les unes à côté des autres : elles indiquent une multiplicité dans l’unité.

Chaque feuille, chaque bourgeon a le droit de devenir un arbre ; la force prédominante de la tige ou du tronc les retient seule. On ne se rappelle jamais assez que toute organisation renferme plus d’un élément vital ; si nous examinons la tige, nous voyons qu’elle est ordinairement ronde, et elle doit être considérée comme telle en procédant de dedans en dehors. C’est parce qu’elle est ronde, qu’elle tient écartées, dans son unité, les unités des feuilles et des bourgeons, et les laisse monter dans un ordre déterminé et avec un développement successif jusqu’à l’état de fleur et de fruit. Si une telle entélechie végétale[3] est arrêtée ou détruite, le milieu perd sa force prédominante, la périphérie se rapproche du centre, et chaque organe isolé exerce ses droits individuels.

Ce phénomène s’observe souvent sur la plante nommée Couronne impériale (Fritillaria imperialis) : sa tige aplatie, très élargie, semble composée de tubes minces rapprochés en faisceaux. Des arbres, les frênes en particulier, le présentent quelquefois, mais leurs branches ne s’aplatissent pas complétement ; le rameau paraît cunéiforme, et c’est sur son côté tranchant que la configuration normale disparaît, tandis que la lignification continue toujours supérieurement sur la partie la plus large. La partie inférieure, qui est plus étroite, s’atrophie, se contracte, reste en arrière ; la face supérieure au contraire pousse des rameaux parfaits, mais finit par se courber, parce qu’elle est unie à ces parties atrophiées. Il en résulte une configuration analogue à celle d’une crosse d’évêque, modèle fécond en applications artistiques.

Cet aplatissement est aussi très remarquable en cela que nous pouvons l’appeler une véritable prolepsis ; car nous y voyons une force hâtive qui pousse et produit prématurément des bourgeons, des fleurs et des fruits. Sur la tige fasciée de l’Impériale et de l’Aconit, on voit beaucoup plus de fleurs que la tige ordinaire n’en eût produit. La crosse qui termine la branche fasciée du frêne est couverte d’un nombre immense de bourgeons qui ne se développent pas et persistent après s’être desséchés, comme les débris d’une végétation avortée.

Cet état est pour ainsi dire normal dans la Celosia argentea ; un grand nombre de fleurs se développent sur la crête de coq qui termine la plante ; la plupart sont stériles ; cependant, quelques unes, celles en particulier qui sont rapprochées de la tige, produisent des graines et transmettent les propriétés du sujet. En général, on voit que la monstruosité tend à revenir à l’état normal ; que la nature n’a point de règle qui n’ait ses exceptions, ni d’exceptions qui ne puissent être ramenées à quelque règle.


Si l’on voulait toujours considérer la division des feuilles, (Jaeger, p. 30) comme une monstruosité, on se ferait une idée très incomplète de ce phénomène. Quand des feuilles se divisent, ou plutôt quand elles se diversifient, c’est qu’elles s’élèvent à un état plus parfait en ce sens, que chaque feuille tend à devenir une branche, et chaque branche un arbre. Toutes les classes, tous les ordres, toutes les feuilles, ont le droit de chercher à s’élever ainsi.

On trouve dans les fougères des feuilles admirablement découpées. Avec quelle puissance le palmier se dégage de la loi des feuilles simples commune aux Monocotylédones ! Quel amateur de plantes ignore le développement du dattier, qu’on peut très bien faire germer même dans notre climat ? Sa première feuille est aussi simple que celle du maïs, puis elle se sépare en deux parties ; et ce qui prouve qu’il ne se fait pas ici une simple déchirure, c’est qu’on trouve à la base de l’incision une petite suture végétale pour coudre les deux parties et les réunir en une seule. La séparation ultérieure a lieu en ce que la nervure moyenne se pousse en avant, d’où résulte un rameau pinnatifide.

Dans le jardin botanique de Padoue, j’ai suivi tout le développement du palmier à éventail (Chamærops humilis) jusqu’à la formation de la fleur, et il est évident qu’il a lieu sous l’influence et en vertu des lois préexistantes, d’une métamorphose normale et successive, sans point d’arrêt, sans trouble et sans fausse direction. Il faut surtout bien remarquer la suture qui réunit toutes ces feuilles lanciformes, divergentes, et donne à l’ensemble, en les fixant sur un pédoncule commun, l’apparence d’un éventail. On devrait reproduire tous ces phénomènes par la gravure. Les feuilles ramiformes de Légumineuses sont surtout remarquables ; leur développement, leur irritabilité, annoncent les vertus qui résident dans la racine, l’écorce, le tronc, les fleurs, le péricarpe, les graines, et se manifestent par l’énergie de leurs propriétés médicales.

Cette division des feuilles est soumise à des lois qu’il est facile de faire comprendre par des figures, mais qu’il serait difficile d’exprimer par des paroles. La feuille simple se fend des deux côtés du pédoncule de manière à devenir tripartite ; le lobe moyen se divise de nouveau en deux, d’où résulte encore un limbe tripartite, et la feuille devient enfin une feuille digitée à cinq folioles ; on observe en même temps que les deux folioles les plus inférieures ont une tendance à se fendre le long de leur bord inférieur, ce qui ne tarde pas à s’effectuer, et nous avons ainsi une feuille digitée à sept divisions. Le bord supérieur des feuilles inférieures finit lui-même par se fendre et se séparer, d’où une feuille à neuf divisions, et ainsi de suite.

Ce phénomène est frappant dans l’Ægopodium podagraria, sur lequel on peut se procurer facilement une collection complète de ces divisions successives, qui, toutefois, sont beaucoup plus communes dans les endroits humides et ombragés que dans les lieux secs et exposés au soleil.

Le phénomène contraire à la division se manifeste de la manière la plus merveilleuse sur plusieurs espèces d’Acacia originaires de la Nouvelle-Hollande. Au moment de sa germination, la plante se présente avec des feuilles pennées ; mais peu à peu les feuilles deviennent simples et lanciformes, parce que le pétiole s’élargit, et finit par absorber les parties pennées qui persistaient encore au commencement. Ceci nous prouve que la nature a une marche tantôt progressive, tantôt rétrograde.

Sur une plante remarquable, du reste, sous plusieurs points de vue, le Bryophyllum calycinum, j’ai vu, au bout de six mois, des feuilles trilobées ; en hiver, viennent des feuilles simples qui vont jusqu’à la neuvième paire ; puis, au milieu de l’été, lorsque la plante a un an, les feuilles qui repoussent sont de nouveau trilobées. Il serait curieux de voir ce qui arrive ensuite aux feuilles subséquentes, qui quelquefois sont quinquelobées.

Nous rangeons, par hasard ou à dessein, au nombre des végétations anormales, les plantes étiolées. Lorsque, privées de la lumière qui leur est nécessaire, elles germent dans l’obscurité, alors elles se comportent comme des racines souterraines ou comme des stolons qui rampent à la surface du sol. Elles restent toujours blanches, s’allongent sans cesse comme les racines, et portent des bourgeons qui sont incapables de s’élever par la métamorphose à un degré de développement plus élevé. Les grands végétaux sont arrêtés ainsi dans leur croissance. Il y aurait beaucoup de faits particuliers de ce genre à signaler.

On étiole souvent les feuilles à dessein pour les faire blanchir en les liant en faisceau, et l’intérieur, soustrait à l’action de la lumière et de l’air, revêt des qualités particulières.

La nervure moyenne et ses divisions augmentent de volume, la feuille reste plus petite parce que les intervalles des nervures ne se remplissent pas. Voilà pour la forme : quant à la couleur, la feuille devient blanche parce qu’elle n’est pas soumise à l’action de la lumière ; sa saveur est douce, parce que le développement de la matière verte ou chlorophylle est lié à la production d’un principe amer ; la fibre reste tendre, et tout tend à faire de la feuille, ainsi modifiée, une substance alimentaire.

Les plantes germent souvent dans les caves. Le chou-rave pousse des tiges molles et incolores portant un petit nombre de feuilles aiguës ; leur goût se rapproche de celui de l’asperge.

En Espagne, on étiole les feuilles des palmiers en les liant en faisceaux. Les pousses intérieures continuent à croître, mais elles restent blanches, et sont réservées pour les hauts dignitaires du clergé. Le dimanche des Rameaux, le pape et les cardinaux en tiennent à la main lorsqu’ils se rendent à la chapelle Sixtine.


Emboitement des fruits (Jaeger, p. 218 et 221). Dans l’automne de 1817, on remarqua, sur des têtes de pavots doubles défleuries, de petites fleurs de pavot dont chacune contenait une fleur encore plus petite, mais accomplie dans toutes ses parties. Le stigmate de la fleur intérieure était quelquefois au niveau de celui de la fleur extérieure ; d’autres fois, au contraire, il se rapprochait du réceptacle. On a conservé les graines de ces plantes, mais on ne s’est pas encore assuré si cette monstruosité peut se transmettre par voie de génération.


En 1817, on trouva dans le champ d’Adam Lorenz, cultivateur à Niederhausen sur la Nahe, près de Creuznach, un épi de blé merveilleux qui portait de chaque côté dix épis plus petits[4]. On nous en a communiqué un dessin.


Je pourrais rapporter ici encore beaucoup de remarques que j’ai faites sur l’ouvrage de Jaeger, mais tous ces exemples seraient isolés, amorphes, incomplets ; je me contenterai donc de désigner l’homme qui a déjà prouvé qu’il était en état de résoudre tous ces problèmes et de montrer le chemin qui doit nous conduire au but, et nous éviter les tâtonnements d’une observation consciencieuse mais privée de guide. Il n’est point de naturaliste allemand qui n’ait déjà nommé, sans hésiter, l’honorable président de l’Académie des Curieux de la nature, Nées d’Esenbeck. Le premier, il a apprécié des phénomènes presque invisibles, qu’une sagacité comme la sienne pouvait seule reconnaître ; il a montré qu’il existait deux modes de vitalité engendrés l’un par l’autre, et fait voir par des exemples pris dans des genres fort éloignés comment il fallait procéder dans la distinction des espèces qui se développent successivement l’une de l’autre. Son génie, ses connaissances, son talent, sa position scientifique, tout l’appelle au grand rôle de législateur.

Qu’il célèbre avec nous le triomphe de la métamorphose, qu’il prouve que le tout se divise et se transforme en familles, les familles en genres, les genres en espèces, celles-ci en variétés, jusqu’à ce que nous arrivions enfin à l’individu. Ce travail de la nature va à l’infini ; mais tout ce qu’elle a créé ne s’est point maintenu, puisque nous possédons des restes irrécusables d’êtres organisés qui n’ont pas pu se propager par voie de génération. Les plantes qui se développent de graines sont différentes entre elles, les rapports de leurs parties ne sont pas les mêmes, ainsi que l’ont constaté des observateurs attentifs auxquels de nouvelles découvertes sont encore réservées.

Combien ne faut-il pas être pénétré de l’importance de ces considérations lorsqu’on veut s’occuper des limites des familles naturelles, car là se trouve le point de contact de la forme normale et de la monstruosité. Qui pourrait nous critiquer si nous prétendons que les Orchidées sont des Liliacées monstrueuses ?


  1. Voy. planche III.
  2. Voy. Pl. III.
  3. Ἐντελέχεια est un mot employé par Aristote ; il veut dire le résultat d’une action, une action en tant qu’elle est achevée : l’expression de Goethe est presque synonyme d’action vitale, c’est l’action vitale exerçant son pouvoir.
  4. Cette variété que l’on peut propager a été désignée sous le nom de Triticum hibernum compositum.