Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/Observations sur la résolution en poussière, en vapeur et en eau

OBSERVATIONS
SUR

LA RÉSOLUTION EN POUSSIÈRE, EN VAPEUR ET EN EAU.

(1820.)

Nous ne serons pas éloigné de la vérité, si nous considérons mentalement ces trois phénomènes, qui souvent sont analogues, concomitants et simultanés, comme les symptômes d’une organisation qui marche sans cesse, et puise la vie dans la vie ou dans la destruction. Je vais exposer en peu de mots le résultat de mes remarques et de mes réflexions sur ce sujet.

Il y a environ seize ans, le professeur Schelver, qui administrait l’Institut botanique du grand-duc de Saxe-Weimar sous ma direction, me fit confidence, dans les allées d’un jardin où je me promène encore souvent, qu’il avait eu depuis long-temps des doutes sur la doctrine qui attribue deux sexes aux végétaux comme aux animaux, et qu’il était maintenant tout-à-fait convaincu de sa fausseté.

J’avais adopté dans mes études botaniques le dogme de la sexualité comme un article de foi, et je fus un peu surpris en entendant énoncer une proposition toute contraire. Cependant je ne pouvais accuser cette opinion d’être une hérésie manifeste, parce que son auteur me faisait comprendre de la manière la plus ingénieuse que la doctrine de la résolution en poussière était la conséquence de ma chère théorie de la métamorphose.

Les doutes qu’on avait élevés de temps à autre contre le dogme de la sexualité des végétaux me revinrent à l’esprit, et tout ce que j’avais pensé moi-même sur ce sujet me frappa plus vivement ; certains points de vue sous lesquels on peut envisager la nature me parurent plus féconds, plus clairs, et en harmonie parfaite avec cette idée nouvelle. Comme je cherchais à appliquer la théorie de la métamorphose aux phénomènes les plus opposés en apparence, je me complus dans cette doctrine, quoiqu’il me fût difficile de me dégager tout-à-fait de l’ancienne.

Si l’on se rappelle l’état dans lequel était alors la botanique, on ne m’en voudra pas d’avoir prié instamment Schelver de ne pas faire connaître ses idées. Il était facile de prévoir qu’elles seraient fort mal reçues, qu’on le traiterait avec peu de courtoisie, et que la doctrine de la métamorphose, qui n’avait point encore été adoptée, serait bannie pour long-temps du domaine de la science. Notre position personnelle dans l’Académie était un motif de plus pour garder le silence, et encore aujourd’hui je lui sais gré d’avoir partagé mes convictions, et de n’avoir rien laissé transpirer de sa manière de voir tant qu’il demeura parmi nous.

Cependant le temps marchait, la science changeait de face, une idée nouvelle succédait à l’autre, on commençait à émettre des propositions plus hardies, et lorsque Schelver produisit au grand jour son étrange assertion, il était à prévoir que cette doctrine serait encore quelque temps lettres closes pour le monde savant. Il eut de nombreux adversaires, et fut repoussé avec protêt du temple de la science. Il en fut de même de sa défense, qu’il ne put s’empêcher de publier.

Lui et son idée furent mis de côté et condamnés à l’oubli ; mais notre époque présente ceci de caractéristique qu’une semence jetée dans le monde prend toujours racine quelque part ; on est toujours disposé à tout admettre, et le vrai et le faux germent et croissent péle-mêle.

Henschel a donné un corps à cette théorie qui auparavant était purement abstraite ; elle demande sérieusement à prendre rang dans la science, quoiqu’il soit assez difficile de lui assigner une place. On s’est ému en sa faveur ; les critiques, au lieu de gourmander l’auteur au nom des anciennes idées, s’avouent convertis, et le temps nous apprendra ce qu’il adviendra de cette idée.

Comme il y a maintenant des ultras dans tous les partis, parmi les libéraux comme parmi les royalistes, on peut dire que Schelver était un ultra dans la doctrine de la métamorphose ; il rompit la dernière digue qui la tenait encore captive dans ses anciennes limites.

On ne saurait, dans tous les cas, effacer sa Dissertation et sa Défense de l’histoire de la botanique ; il y soutient une théorie ingénieuse, et qui, par cela même, mérite d’être prise en considération.

En général, on devrait s’habituer, dans les sciences, à entrer dans les vues des autres. Ce m’était chose facile à moi, auteur dramatique, mais c’est une rude tâche pour des esprits dogmatiques.

Schelver prend pour point de départ l’idée la plus complète de la métamorphose normale et régulière en vertu de laquelle la plante, fixée au sol et tendant vers le ciel et vers la lumière, s’élève sans cesse sur elle-même dans son développement graduel, et répand autour d’elle la dernière semence, produit de sa propre vitalité. Le dogme de la sexualité implique, au contraire, nécessairement l’idée d’un élément étranger qui agit avec et à côté de la fleur pour amener un résultat définitif.

Schelver suit le développement tranquille et successif de la métamorphose, qui va en se perfectionnant sans cesse, laissant peu à peu derrière elle tout ce qui est grossier, commun et matériel, pour arriver à un degré d’organisation plus parfait, plus noble et plus spiritualisé. Pourquoi cette dernière résolution en poussière ne serait-elle pas un affranchissement de la matière, afin que les forces latentes de l’intérieur puissent manifester leur force innée par une reproduction indéfinie ?

Qu’on se rappelle le palmier qui donne le sagou (Sagus farinifera). Pendant que l’arbre s’apprête à fleurir, le stipe se remplit d’une farine, pulvérulente, aliment excellent qu’on peut extraire en abattant l’arbre ; mais dès que la plante a fleuri, la fécule disparaît.

On sait que l’Épine-vinette (Berberis vidgaris) en fleur répand une odeur particulière, et qu’une haie composée de ces arbustes suffit pour rendre stériles les champs de froment qu’elle entoure (34). Cette plante, ainsi que semble l’indiquer l’irritabilité des anthères, possède peut-être des propriétés très énergiques. Quand elle ne se réduit pas assez en poussière pendant sa floraison, des points pulvérulents se développent sur ses feuilles, revêtent la forme de calices et de corolles, et produisent une plante cryptogamique des plus parfaites[1]. Ce phénomène se présente ordinairement sur les feuilles des branches de l’année précédente qui avaient le droit de produire des fleurs et des fruits. Les feuilles et les pousses de l’année offrent rarement ces productions anormales.

En automne, on remarque sur la face inférieure des feuilles de la rose double une poussière[2] qui se détache facilement, tandis que la face supérieure est maculée de taches d’une couleur pâle qui prouvent évidemment que la face inférieure a été détruite en partie. Si l’on ne découvre pas le même phénomène sur les rosiers à fleurs simples, il faut en conclure que cela provient de ce que l’émission de substance pulvérulente s’est faite complètement chez eux, et on ne sera pas étonné de l’observer sur des rosiers doubles où les organes de la pulvérisation manquent, et se métamorphosent plus ou moins complètement en pétales.

La carie (Brand) du blé[3] semble une réduction en poussière définitive et sans but. Par quelle anomalie de la végétation, une plante, au lieu de se développer et de se reproduire dans une nombreuse postérité, peut-elle rester ainsi sur un échelon inférieur et se pulvériser en définitive sans but et sans avantage ?

Lorsque le maïs est affecté de cette maladie[4] il présente des phénomènes très remarquables. Les grains se gonflent et forment une masse énorme ; ils contiennent une quantité prodigieuse de poussière noire ; cette quantité dénote la puissance des forces nutritives accumulées dans ce grain qui se résolvent ainsi en unités.

On voit par là que le pollen auquel on ne peut refuser un certain degré d’organisation, a la plus grande analogie avec les sporules des champignons. Une résolution en poussière anormale est déjà admise généralement, pourquoi n’accorderait-on pas droit de cité à une pulvification normale et régulière ?

Il est hors de doute que cet acte s’accomplit en vertu de certaines lois et dans un certain ordre. Qu’on place un champignon, avant qu’il se soit ouvert et après avoir coupé son pédicule, sur une feuille de papier blanc ; il ne tardera pas à se développer, et couvrira la feuille blanche d’une poussière qui reproduira exactement par sa disposition celle des plis extérieurs et intérieurs de la plante. Il en résulte que l’émission de poussière ne se fait pas irrégulièrement çà et là, mais que chaque lame prend part à cette émission dans un ordre déterminé.

Chez les insectes, on observe aussi une résolution en poussière qui amène la mort de l’animal. En automne, les mouches s’attachent aux vitres dans les appartements ; elles deviennent bientôt roides, immobiles, et laissent échapper une poussière blanche qui semble provenir des points de jonction entre le second et le troisième segment du corps. La résolution en poussière est successive, et continue quelque temps après la mort de l’insecte. La force avec laquelle cette matière est expulsée doit être grande, car, des deux côtés, elle est lancée à la distance d’un demi-pouce, et forme ainsi une surface dont le grand axe a plus d’un pouce de longueur. Quoique cette expulsion se fasse principalement par les côtés, cependant j’ai observé qu’elle venait quelquefois des parties antérieures, de façon que la mouche était entourée presqu’en entier d’une surface couverte de poussière (35).

Des observations répétées sur la pulvification des mouches me firent soupçonner que c’était spécialement la partie postérieure qui lançait la poussière ; et cela avec une force toujours croissante. Le phénomène commence environ un jour après la mort de l’insecte. La mouche reste attachée à la vitre, et, pendant quatre à cinq jours, la fine poussière s’étend sur une surface de plus en plus grande, jusqu’à ce que le cercle ait environ un pouce de diamètre. L’insecte ne se détache du carreau que par suite d’un ébranlement ou d’une action extérieure.


Phénomène analogue à la résolution en poussière.

Dans l’automne de 1821, je trouvai dans un endroit sombre une chenille de papillon qui était sur le point de filer son cocon sur une branche de rosier sauvage ; je la mis dans un verre avec un peu de bourre de soie, elle s’en servit uniquement pour fixer quelques fils au verre. Je m’attendais à voir sortir un papillon, je fus trompé dans mon espoir, car, au bout de quelques mois, on constata le phénomène suivant : la chrysalide était crevée à sa partie inférieure et avait répandu ses œufs au-dehors ; mais, ce qui est fort bizarre, c’est qu’ils avaient été lancés à la paroi opposée du verre distante de trois pouces. C’était donc un acte analogue à celui de la résolution en poussière. Les œufs étaient ronds, pleins, et renfermaient une chenille à peine formée. Au commencement d’avril, ils étaient affaissés et desséchés.

Les entomologistes ont dû observer plus d’un cas analogue.

En histoire naturelle, on peut se faire diverses opinions sans crainte de tomber dans l’incertitude ; car quelle que soit notre façon d’envisager les faits, ceux-ci sont toujours là, invariablement les mêmes, pour notre instruction et celle de nos successeurs.

La nouvelle théorie de la pulvification serait très commode et très convenable pour enseigner la botanique à des dames ou à des jeunes personnes, car jusqu’ici le professeur était dans une grande perplexité. Lorsque ces âmes candides se trouvaient en face d’un traité élémentaire de botanique, elles se sentaient blessées dans leurs sentiments de pudeur. Ces noces continuelles dans lesquelles la monogamie, base de nos mœurs, de notre religion et de nos lois, est remplacée par une polyandrie licencieuse, sont insupportables à quiconque est doué de sentiments délicats.

On a souvent reproché aux érudits d’insister, plus que la raison et la convenance ne l’exigent, sur les passages licencieux ou équivoques des auteurs anciens, afin de se dédommager, pour ainsi dire, de la sécheresse inhérente à leurs dissertations. Des naturalistes, ayant surpris la nature dans quelques uns de ses moments de faiblesse, ont trouvé une triste satisfaction à les signaler. Je me rappelle avoir vu des arabesques où les rapports sexuels, dont le mystère se passe dans l’intérieur du calice des fleurs, étaient traités à la manière antique de façon à ne pas laisser l’ombre d’un doute sur les intentions de l’artiste.

Les botanistes n’avaient du reste aucune arrière-pensée mauvaise à propos du dogme de la sexualité ; ils y croyaient comme à un article de foi, et l’admettaient sans examiner soigneusement ses bases ni son origine : avec des mots on éludait la signification réelle des choses. Le système nouveau n’amènerait aucun changement dans la terminologie, les anthères et le pistil resteraient ce qu’ils étaient, seulement on ne leur accorderait pas un rapport analogue à celui des sexes dans les animaux.

Passons maintenant à la résolution aqueuse, nous trouverons qu’elle est tantôt normale tantôt anormale. Les nectaires proprement dits et les sucs qu’ils sécrètent sont dignes de toute notre attention, et trahissent leur affinité avec les organes de la pulvification. Ils remplissent même, dans certains cas, des fonctions analogues.

Un naturaliste a fait les observations suivantes sur les excrétions mielleuses ou miellat (Honigthau) furent si abondantes sur les végétaux en 1820.

Dans les derniers jours de juin, on les observa sur un grand nombre de plantes. La température était fraîche et même froide ; des pluies fréquentes, mais passagères étaient tombées pendant plusieurs semaines. Un temps clair et un soleil très ardent succédèrent à ce temps variable.

Bientôt après on aperçut du miellat sur plusieurs plantes herbacées et arborescentes. Quoique ce phénomène me fût connu déjà depuis quelques jours, cependant je fus frappé des circonstances suivantes :

En suivant une allée de vieux tilleuls en fleurs qui bordaient un fossé ; je vis que le sol, qui avait été pavé avec des schistes argilo-siliceux, présentait çà et là des places humides qui semblaient le résultat d’une pluie accompagnée de vent. Je revins au bout d’une heure, et quoique le soleil fût ardent, les taches n’avaient pas disparu : je constatai ensuite qu’elles étaient comme visqueuses. Quelques dalles paraissaient entièrement enduites de ce suc, celles de schiste siliceux, en particulier, semblaient avoir été vernies.

Je remarquai bientôt que ces taches étaient disposées dans les limites d’un cercle, dont la cime de l’arbre avait exactement déterminé le contour ; il était indubitable que cette viscosité venait de l’arbre, et en effet toutes les feuilles étaient luisantes.

Dans un jardin, j’observai un prunier de reine-claude sur lequel cette exsudation était si abondante, qu’à l’extrémité de chaque feuille, on voyait pendre une gouttelette ayant la consistance du miel, et qui ne pouvait se détacher ; dans quelques cas une gouttelette était tombée de la feuille supérieure sur celle placée au-dessous. Ces gouttes étaient jaunes, transparentes ; celles au contraire qui pendaient à l’extrémité des feuilles étaient mêlées d’une couleur noirâtre. Des milliers de pucerons[5] se trouvaient sur la face inférieure des feuilles, un grand nombre étaient collés à la face supérieure, les uns vivants, les autres morts. Qu’ils aient subi leurs métamorphoses à cette place ou qu’ils y aient péri, toujours est-il certain que ces insectes ne sécrètent pas le suc dont il est ici question. J’ai vu des tilleuls dont les feuilles semblaient vernies, et où on ne voyait pas un seul insecte.

Ce suc est sécrété par la plante elle-même. Près du tilleul dont nous parlons, il y en avait un autre qui n’en offrait aucune trace ; de même on n’en observait pas ou très peu sur les tilleuls en fleurs.

Le 5 juin, après une pluie légère et de peu de durée, des abeilles bourdonnaient en nombre immense autour des tilleuls non fleuris, et recueillirent le suc mielleux répandu sur les feuilles. La pluie avait probablement dissous les parties dont elles n’auraient pu faire usage, et elles s’emparaient du résidu. Cette hypothèse est très probable, car jamais je n’ai vu des abeilles se poser sur les tilleuls qui présentaient des excrétions sucrées. Les groseillers blancs étaient couverts de miellat, tandis que les groseillers rouges qui se trouvaient à côté en étaient complètement exempts.

Après toutes ces remarques, j’ose hasarder une explication. Pendant le mois de mai, les branches et les feuilles s’étaient singulièrement développées ; le mois de juin fut pluvieux et froid ; de là, un arrêt dans la végétation ; tous les sucs qui circulaient dans les racines, la tige et les branches s’accumulèrent dans les rameaux et dans les feuilles ; mais l’air froid et chargé de vapeur d’eau s’opposait à l’évaporation, et finit par déterminer une véritable congestion (36). Tout-à-coup l’air devint sec, et le thermomètre s’éleva à 26 degrés.

Alors les herbes et les arbres qui tiennent en réserve une grande quantité de sucs destinés au développement des fleurs et des fruits, furent soumis à une exhalation très active : mais comme ils étaient gorgés de liquides, ces sucs, que l’on serait en droit d’assimiler à ceux qu’exsudent les nectaires, quoique la chimie ne les ait pas encore analysés, furent exhalés en même temps que l’eau à laquelle ils étaient mêlés. Leur présence attira ensuite des insectes qui ne sont pas la cause de cette exsudation.

Il serait plus difficile d’expliquer comment il se fait que ce miel en tombant à terre couvre certaines places comme un enduit, tandis que d’autres fois il se répand en gouttelettes. Je serais tenté de croire qu’à sa sortie des pores situés près des nervures ou dans les cavités des feuilles, la gouttelette renferme une bulle d’air, surtout si le limbe est placé verticalement. L’air se dilate, la bulle crève et lance au loin le liquide qui lui servait d’enveloppe.

Ce qui semble confirmer nos idées, c’est qu’il n’y avait pas de miel sur les tilleuls en fleur ; là les sucs préparés qui se perdent en excrétions inutiles ont trouvé leur emploi, et servent à l’accomplissement de fonctions plus relevées, au lieu de suinter ainsi d’une manière anormale et pathologique.

Des arbres plus tardifs n’absorbent peut-être pas autant de liquide, l’élaborent d’une manière plus complète, et l’éguttation n’a pas lieu.

Le prunier de reine-claude au contraire est un de ces arbres où l’abord des sucs vers le fruit est évident ; si celui-ci se développe imparfaitement, tandis que le tronc, les branches et les rameaux sont gorgés de liquide, il est naturel qu’il y ait une sécrétion de liquide qui ne se fait pas dans le prunier ordinaire.

Je profitai de cette occasion pour rassembler une certaine quantité de ce liquide visqueux. Après avoir réuni en petits faisceaux quatre cents feuilles environ, je les trempai dans une certaine quantité d’eau en les laissant séjourner dix minutes environ. La dissolution se fit aussi facilement que lorsqu’on plonge un morceau de sucre dans l’eau. Cette solution était d’un jaune verdâtre sale ; M. Doebereiner voulut bien se charger de l’analyser, il y trouva les principes suivants :

Sucre non cristallisable,
Mucus animal,
Traces d’albumine,
Traces d’un acide particulier.

La fermentation à laquelle une partie de cette substance est soumise prouvera si elle contient de la mannite, ce principe n’étant pas fermentescible.

On remarque une éguttation analogue sur les plantes connues sous le nom de plantes grasses, elle a lieu sur les organes les plus récents. Les jeunes branches et les feuilles de la Cacalia articulata émettent des gouttes très grosses, la tige se renfle à chaque articulation. Entre autres particularités, le Bryophyllum calycinum présente celle-ci : si l’on arrose fortement cette plante, et que l’action de l’air et du soleil ne soit pas assez puissante pour déterminer une évaporation proportionnelle, alors on voit suinter, du bord des feuilles caulinaires, de petites gouttes d’eau transparentes, et cela, non pas des cavités d’où le bourgeon doit surgir, mais des parties saillantes qui l’entourent. Dans les jeunes plantes, les gouttes disparaissent aux premiers rayons du soleil ; dans celles qui sont plus âgées elles se réduisent en un mucilage gommeux (37).

Pour dire quelques mots de l’évaporation, nous ferons remarquer que le pollen auquel on a attribué la fonction de la fécondation peut se montrer sous forme de vapeur ; car, dans les chaleurs de l’été, les granules polliniques de quelques Conifères s’élèvent en l’air comme de petits ballons, et en telle quantité, qu’en retombant avec des pluies d’orages, ils ressemblent à une pluie de soufre (38).

Les sporules des Lycopodes qui s’enflamment facilement forment une vapeur lumineuse.

D’autres vapeurs se condensent sur les feuilles, les rameaux, les tiges et les troncs, sous forme de matière sucrée, d’huile, de gomme ou de résine. La fraxinelle (Dictamnus albus) s’enflamme lorsqu’on saisit habilement le moment favorable, et une lueur vive s’élève le long de la tige et des branches.

Des mouches, des pucerons, et autres insectes de toute sorte trouvent leur nourriture sur des feuilles dont les exhalaisons subtiles nous auraient échappé sans cela.

Sur quelques feuilles des gouttes d’eau restent rondes et sphériques sans s’étendre. Nous ne saurions expliquer ce phénomène qu’en supposant l’existence d’une vapeur qui, en séjournant sur ces feuilles, entoure et maintient ces gouttes d’eau.

L’atmosphère subtile qui environne une prune mûre est trouble et d’une nature gommeuse ; elle nous paraît bleue à cause du fond noir sur lequel elle se détache.

Il est reconnu que les plantes exercent l’une sur l’autre une influence relative qui peut être salutaire ou nuisible ; qui sait si, dans les serres chaudes ou tempérées, quelques unes d’entre elles ne meurent pas précisément parce qu’on leur donne pour voisins des végétaux ennemis ; qui sait si certains individus ne s’emparent pas à leur profit des éléments atmosphériques destinés à entretenir la vie de tous ?

Des amateurs de fleurs prétendent qu’il faut planter les giroflées simples au milieu des giroflées doubles si l’on veut les rendre parfaites, comme si l’odeur suave exhalée par celles-ci rendait la fécondation plus complète.

Des actions analogues s’exercent même dans le sein de la terre. De mauvaises espèces de pommes de terre, placées au milieu de bonnes sortes, finissent par en détériorer la qualité. Et combien d’exemples ne pourrait-on pas accumuler pour engager et même forcer l’observateur attentif et passionné de la belle nature à donner une valeur et une signification à tous les phénomènes !

L’évaporation joue un grand rôle dans le développement des insectes. Le papillon n’est pas encore un être accompli, au moment où il dépose sa dernière enveloppe : la toile très fine qui l’enveloppe laisse deviner sa forme et conserve autour de lui un suc précieux. L’organisme, en le cohobant, s’en approprie les parties les plus essentielles, tandis que tout ce qui est superflu s’évapore plus ou moins vite suivant l’état de la température. L’observation attentive de ces phénomènes nous a mis à même de noter des différences de poids bien sensibles. Voilà pourquoi la métamorphose des chrysalides, conservées dans des endroits frais, se fait attendre des années entières, tandis que placées dans un lieu sec et chaud, elles se développent bientôt Ces dernières toutefois sont plus petites et moins parfaites que celles qui ont eu tout le temps de mûrir.

Tout cela, je le sais, n’est ni nouveau ni bien important, j’ai voulu faire voir seulement que dans la nature tout s’influence réciproquement, et que les premiers rudiments aussi bien que les plus grands phénomènes d’un organisme quelconque sont tous différents et semblables entre eux.


  1. Æcidium Berberidis.
  2. Puccinia Rosæ DC. Phragmidium mucronatum, souvent mélangés avec l’Uredo Rosæ, Pers. Linck. Voy. Pl. V, fig. 1, a, et fig. 2.
  3. Uredo caries. DC.
  4. Uredo Maydis. DC.
  5. Aphis.