Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/Luisenburg

Traduction par Charles Martins.
A. Cherbuliez et Cie (p. 407-409).

LUISENBURG

PRÈS D’ALEXANDERSBAD.

(1820.)

Parmi les nombreuses ramifications de la chaîne du Fichtelgebirg on remarque surtout une croupe élevée et fort étendue, connue dès les temps les plus reculés sous le nom de Luxburg, et que les voyageurs viennent souvent visiter pour y voir un nombre immense de rochers entassés les uns sur les autres d’une manière si bizarre et si variée, que l’imagination la plus riche, et les descriptions les plus pittoresques ne sauraient en donner une idée. Ils forment un labyrinthe que j’avais parcouru péniblement il y a quarante ans, mais qui, converti maintenant en promenade, facilite beaucoup l’exploration d’une partie de ces roches. Ce lieu porte le nom de Luisenburg, depuis qu’une reine chérie de la nation y a passé quelques jours heureux qui furent suivis de grandes infortunes.

La masse énorme de ces blocs de granit qui semblent avoir été jetés confusément les uns sur les autres sans qu’on puisse démêler une direction ou une loi d’arrangement quelconque, forme un tableau dont je n’ai trouvé le pendant dans aucun de mes voyages. Pour expliquer ce désordre véritablement chaotique, qui remplit l’âme d’étonnement, de crainte et de terreur, les observateurs ont appelé à leur secours les tempêtes, les tremblements de terre, les volcans et tous les agents violents qui peuvent bouleverser la surface du globe. L’on ne saurait s’en étonner ; mais un examen plus approfondi et la connaissance de ce que peut l’action lente mais continue de la nature, nous conduisirent à une solution du problème que nous allons soumettre au lecteur.

Ces roches granitiques présentaient, dans l’origine, ceci de particulier, qu’elles se composaient de masses énormes, en partie très dures, en partie facilement attaquables par les agents atmosphériques ; car on voit souvent, en géologie, que la solidification d’une partie enlève pour ainsi dire à l’autre la possibilité de se durcir et de résister long-temps aux influences extérieures. On observe encore, en place, des roches qui présentent la disposition qu’affecte le granit, savoir : des blocs, des couches, ou des bancs empilés les uns sur les autres. Mais comme ces roches ne présentent rien d’extraordinaire, il est rare qu’elles frappent la vue autant que les autres. Outre la différence de densité, on peut donner encore, comme cause de l’éboulement de ces rocs, leur inclinaison propre et l’inclinaison générale du terrain vers la plaine.

Étudions d’abord les blocs de la première figure de la Planche vi. Ils forment, par leur superposition, une masse perpendiculaire un peu inclinée à l’horizon ; supposons que le second bloc horizontal, à compter d’en haut, soit détruit, alors le bloc supérieur glissera en bas et se placera dans la position de celui qui se trouve le plus à gauche, et au-devant duquel on observe une branche desséchée. Admettons maintenant que, dans la suite, la partie droite des deux blocs inférieurs vienne à se dégrader à son tour, alors le second, devenu supérieur depuis la chute du premier, tombera suivant les lois de la pesanteur, et se plantera verticalement dans le sol à la droite du massif, dont il ne restera plus que la moitié gauche des deux blocs inférieurs.

Les trois autres figures nous montrent, à gauche une masse granitique semblable à celle dont nous venons de parler ; les parties ombrées sont celles qui se détruisent en se décomposant, et dans chaque case correspondante, on peut voir l’effet de cette destruction partielle et se rendre compte des formes singulières et des rapports bizarres de ces rochers entre eux, sans recourir à d’autres explications.