Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/Carlsbad

Traduction par Charles Martins.
A. Cherbuliez et Cie (p. 343-369).

CARLSBAD.

(1807.)

Bien des années se sont écoulées depuis celle où je passai tout un été près de ces eaux salutaires dans la société d’un homme toujours zélé pour les sciences et les arts, et dont l’amitié contribua puissamment à agrandir le cercle de mes études. C’était M. de Racknitz ; il possédait des connaissances minéralogiques fort étendues qu’il avait reçues de la première main. L’école de Freyberg exerçait alors une grande influence en Saxe et en Allemagne, notre jeune prince y avait envoyé Charles-Guillaume Voigt pour qu’il se formât à la théorie et à la pratique de l’art métallurgique.

Je profitai de cette occasion pour m’occuper du règne inorganique, dont les différentes branches devenaient assez intelligibles pour qu’on pût en embrasser l’ensemble avec quelque espoir de le comprendre.

Je sentis alors bien vivement combien des entretiens familiers avec des amis éclairés ou avec de simples connaissances, étaient propres à faire naître le désir d’étudier une science. Pendant nos promenades en plein air dans les vallons tranquilles, ou sur des rochers abrupts, nous trouvions partout l’occasion de faire des observations, d’émettre nos opinions et de les vérifier sur la nature. Les sujets de nos études étaient là immobiles devant nous, tandis que la manière de les envisager variait sans cesse.

Le mauvais temps nous forçait-il à rester à la maison, alors nous avions amassé de nombreux échantillons de roches qui nous rappelaient les masses dont ils faisaient partie, et nous donnaient le moyen d’exercer notre sagacité par l’examen des plus petits détails. Le collecteur Joseph Müller nous était alors du plus grand secours. Le premier, il avait recueilli, détaillé, poli et fait connaître ces tufs calcaires (Sprudelsteine) de Carlsbad qui se distinguent de toutes les concrétions stalactiformes (Kalksintern) du monde. Il avait aussi dirigé son attention sur d’autres produits géologiques importants ; il nous procurait ces mâcles (Zwillingskrystalle) si singuliers qui se détachent du granit décomposé, et d’autres échantillons d’une contrée si féconde en produits variés.

Les lettres que Racknitz, observateur exact, laborieux et pénétrant, avait adressées à M. de Veltheim qui, au génie observateur, joignait le talent de généraliser, d’expliquer, d’éclaircir et de soulever des questions qu’il résolvait ensuite, furent pour moi un des guides les plus sûrs dans ce bassin primitif, et je ne quittais jamais ces lieux chéris sans avoir augmenté et perfectionné mes connaissances.

J’y retournai après un laps de temps considérable ; le pays était toujours le même, ainsi que le brave Müller, qui, plus vieux pour les années, conservait toute l’activité d’un jeune homme. Il avait étendu ses recherches à toute la contrée, et sa collection embrassait toutes les formations à partir du terrain primitif dans toutes ses modifications, jusqu’aux produits pseudo-volcaniques. Il me communiqua une note dont il désirait vivement la rédaction. Nous arrêtâmes le plan que j’ai suivi dans le mémoire suivant, et les idées de ce brave homme, combinées avec les miennes, ont donné naissance à cet écrit, qui fut à l’instant rédigé et imprimé par les soins du docteur Riemer, qui depuis maintes années m’a fidèlement aidé dans mes travaux scientifiques et littéraires.

Cette notice abrégée a depuis servi de guide aux visiteurs de cette contrée ; elle leur indique comment il faut la parcourir pour se faire une idée de sa structure géologique. Puisse ce spécimen de mes travaux dans ce genre n’être pas complétement inutile aux voyageurs qui me suivront dans la même voie !

Collection de roches par Joseph Müller.


Les montagnes et les rochers qui environnent Carlsbad sont pour la plupart du granit qui tantôt est à grains fins (nos 1 et 2), tantôt à gros grains (3, 4)[1], alternant ensemble de diverses manières. Quelquefois le sommet seul de ces montagnes est granitique.

Dans le granit à gros grains, on remarque des morceaux considérables de feldspath rhomboïdal. Leur structure intérieure et leur forme indiquent une cristallisation qui tend à devenir de plus en plus parfaite, et il existe, en effet, des masses considérables du granit de Carlsbad où on les trouve en fort beaux cristaux affectant les formes les plus compliquées (5) : ce sont des doubles cristaux qui semblent composés de deux cristaux enchâssés l’un dans l’autre de manière que l’on ne saurait les supposer isolés. Leur forme se refuse à toute description, mais on peut se les figurer comme deux tables rhomboïdales enchâssées l’une dans l’autre (6, 7, 8). Les plus gros ont trois pouces de long sur un pouce et demi de large, les plus petits un pouce de longueur et une largeur proportionnelle ; dans les petits comme dans les gros, la longueur égale souvent la largeur. Ils sont intimement unis au granit ; celui-ci ; quand il n’est pas décomposé, sert à faire des dalles pour paver le devant des maisons ; le feldspath qu’elles contiennent leur donne l’aspect d’un porphyre, surtout lorsqu’elles viennent d’être lavées par la pluie. Si on veut les observer dans les blocs de granit, il faut monter derrière la forge par le chemin qui mène au village ou à la forêt.

On ne se ferait point une idée nette de la forme singulière de ces cristaux, si le granit qui les contient ne se désagrégeait souvent au point de se réduire en sable (Gruss) ; les cristaux restent alors isolés sans subir d’altération. Il faut toutefois se hâter de les recueillir, car le temps et les éléments atmosphériques finissent aussi par les attaquer, et ils deviennent très cassants.

Au lieu de former simplement des cristaux doubles, ils offrent souvent des combinaisons plus variées ; quelquefois ils sont placés l’un sur l’autre, ou groupés sans ordre ; on les trouve aussi disposés en croix. Il est rare de les voir transformés en kaolin ; les plus petits débris conservent toujours l’aspect et les propriétés du feldspath.

Nous réunissons à dessein, pour faire voir la variété de leur aspect, des échantillons de masses granitiques éloignées les unes des autres, celles de Fischern (9), de Dallwitz (10), et une autre variété fort remarquable (11).

Vient ensuite un granit à grains fins qui se trouve dans plusieurs localités. Il a une couleur rougeâtre qui rappelle la lépidolite (Lepidolith) et sur la cassure on observe de petites taches d’un rouge brun (12). Si on les examine de plus près et sur plusieurs échantillons, on voit que ce sont aussi des cristaux. Quand la roche est décomposée jusqu’à un certain point, on trouve en la cassant des cristaux parfaits dont une moitié seulement fait saillie, tandis que l’autre est intimement confondue avec la roche (13) ; jamais nous n’avons trouvé un cristal complètement détaché. Leur forme est la même que celle des doubles cristaux de feldspath ; ils ont rarement plus d’un pouce de long, et la plupart ont la moitié de cette longueur.

Leur couleur est d’abord le rouge-brun, passant à la surface au bleu violacé, souvent ils se changent en kaolin (14). Si l’on casse un fragment de cette pierre immédiatement après avoir entamé le rocher, alors la cassure du cristal est tout-à-fait rouge. Par l’action des agents atmosphériques, le changement de couleur commence au dehors là où le cristal tient à la gangue, et elle gagne peu à peu l’intérieur. La couleur rouge disparaît pour faire place au blanc qui pénètre tout le cristal ; mais celui-ci perd en même temps de sa consistance, et ne présente plus une forme déterminée quand il se brise.

En étudiant les variétés du granit autour de Carlsbad, on trouve que dans plusieurs localités il semble passer à l’état talqueux. La couleur verte pénètre la roche, et par le clivage on obtient des surfaces si solides et si brillantes, que l’on serait tenté de prendre la roche pour une néphrite (Nephritisch).

Une autre espèce de granit se trouve intercalée dans le précédent, et présente souvent un feldspath rouge parsemé de grains quarzeux ; mais on y trouve à peine quelques traces de mica et des cristaux analogues aux précédents qui n’atteignent jamais la longueur d’un pouce ; ils ont une couleur jaune-verdâtre qui les fait ressembler à la stéatite (Speckstein) (15). La couleur verte qui revêt toute la roche paraît aussi être particulière aux cristaux, car ils la conservent toujours, et ne laissent pas voir, comme ceux qui sont rouges, des transitions à une teinte différente. Qu’ils soient entiers et durs, ou décomposés et réduits en morceaux, toujours ils conserveront leur couleur verte et leur aspect de stéatiteux ; jamais ils n’ont un pouce de long, et cependant on reconnaît même sur ceux qui n’ont que trois lignes de longueur, les cristaux doubles dont nous avons parlé (16).

Quittons ces cristaux pour nous occuper du feldspath, qu’on trouve en masse dans le granit ou bien en contact avec lui. Le plus beau est en filons dans les prés de Dorothée ; ses surfaces sont brillantes ; par places, il passe du rouge pâle au verdâtre, et l’on pourrait le comparer à l’adulaire (17). Il se montre moins parfait, mais encore pur et en masses considérables, à côté et au-dessous du granit près de Dalwitz (18). Placé dans un four à porcelaine, il se métamorphose en une roche blanche semblable au quarz gras (Fettquarz) qu’on emploie à la fabrication des vases de grès (19).

On a signalé plus d’une anomalie dans le granit d’E
ngelhaus. On remarque surtout certaines places où des parcelles sont irrégulièrement disséminées dans le feldspath, et où tous les deux forment un véritable granit graphique (Schriftgranit) (20).

On trouve aussi dans cette localité un granit sur lequel le mica a agi de façon qu’on y voit des dendrites. Les rameaux sont tantôt plus, tantôt moins larges, selon que le mica est plus ou moins visible ; néanmoins çà et là il se montre sous forme de petites paillettes (21, 22).

Près de Carlsbad, sur les deux côtés de l’Eger, on observe dans un granit à grains fins des amas de mica qui se sont séparés des autres principes constituants ; aussi les parties environnantes paraissent-elles plus blanches que le reste (23). Dans ces amas, où le mica est de moins en moins caractérisé, on commence à apercevoir la tourmaline (Schoerl), qui se trouve tantôt : en amas séparés, tantôt unie au granit (24).

Nous nous sommes occupés jusqu’ici des roches primitives, et nous avons trouvé plus d’une modification qui indique la transition à une autre époque. Nous arrivons à une espèce de roches qui, par son affinité avec la précédente, donnera lieu à de nouvelles considérations.

C’est un granit à grains fins semblable à celui qui renferme les amas de mica, mais dans lequel on trouve des filons de silex corné (Hornstein) (25). Ils se montrent sous la forme de veines ayant d’une ligne à deux pouces de large, et traversent le granit en se croisant et en s’entrelaçant ensemble (26).

La roche qui semblé servir de passage à ce silex corné est une argiloïde dure et blanche qui fait feu avec le briquet et se rapproche en tous points du jaspe (27). On la trouve également unie au granit, et on peut en exhiber des échantillons qui forment le passage au silex corné. Pour peu qu’ils soient considérables, les filons de cette pierre contiennent de petits amas de granit, qui présentent ceci de remarquable, que leurs angles sont tranchants et nullement émoussés (28).

Les masses de silex corné contenant des parties granitiques plus ou moins volumineuses (29), deviennent plus considérables ; mais ces roches sont tellement mêlées et confondues, qu’on est forcé de les considérer comme contemporaines ; ces échantillons ont un aspect qui rappelle tout-à-fait celui du porphyre.

C’est dans cette formation que l’on voit aussi paraître la roche calcaire, qui remplit d’abord des filons étroits, et les petits intervalles qui séparent le granit du silex corné (30). Elle est à l’état de spath calcaire blanc et à grains fins. En même temps le silex corné est pénétré et recouvert par un oxide de fer (Eisenocker) ; sa cassure est mate, terreuse, et il finit par perdre complètement son caractère spécifique.

Le calcaire devient ensuite prédominant ; il se montre d’abord sous forme de couches, en partie compactes, en partie cristallisées (31). Il existe aussi un calcaire granulé et d’un jaune-isabelle qui, dans les blocs plus considérables, est partie constituante du tout (32), jusqu’à ce que le spath calcaire, pénétré d’oxide de fer et coloré en brun-noirâtre, forme une couche épaisse de deux pouces qui s’appuie contre cette formation (33) à laquelle il est originairement uni. Le point de jonction est difficile à reconnaître sur de petits fragments, parce que les couches se séparent lorsqu’on morcelle les échantillons.

On trouve aussi dans cette roche du fer sulfuré (Schwefelkies) englobé dans la roche cornéenne ; il est pénétré de quarz, et affecte souvent des formes irrégulières qui néanmoins se rapprochent plus ou moins de celle du cube (34).

On comprend que cette roche doit être criblée de trous, dégradée et pénétrée de fer à sa surface ; nous passons sous silence d’autres altérations intéressantes qui ne sauraient rester inaperçues aux yeux d’un observateur attentif.

Les roches comprises entre les numéros 25 et 34 peuvent être difficilement observées en place, parce qu’elles sont dégradées dans les localités où elles sont exposées de temps immémorial aux intempéries atmosphériques. Au massif de Saint-Bernard, par exemple, la roche qui s’adossait à lui a disparu en se décomposant ; dernièrement on l’a mise à nu pour faire des constructions et des jardins ; c’est à cette occasion que nous avons recueilli nos échantillons ; les places où était la roche sont maintenant comblées ou murées. Cependant, avec du soin et de la persévérance, on peut très bien se convaincre que cette roche était adossée au pied de la montagne du Hirschsprung, où elle formait un promontoire appelé le Schlossberg. Sa plus grande élévation est de cinquante pieds au-dessus du niveau de la rivière qu’elle a forcée à décrire un grand circuit. C’est de cette roche et dans son voisinage qu’on voit jaillir les eaux thermales. Elle s’étend depuis le pont de Saint-Jean jusqu’au nouvel hôpital, sur une longueur de six cents pas.

Toutes les sources chaudes se trouvent dans ces limites, la plupart sur la rive gauche de la rivière, la plus forte et la plus chaude sur la rive droite. On peut s’expliquer de différentes manières leurs communications souterraines ; il suffit de savoir que dans tout le district dont nous venons de parler, il peut jaillir de l’eau chaude à chaque place ; mais il est difficile de s’en assurer, maintenant que tout est couvert de constructions et de pavé (40).

Cependant, sur plusieurs points du lit de la rivière, nous pouvons vérifier ces rapports. En descendant le courant depuis les sources, on voit le gaz se dégager en abondance dans plus d’un endroit, on aperçoit même les bulles depuis la promenade de la nouvelle fontaine. Le dégagement a lieu entre ces deux points, là où le lit de la rivière n’est pas couvert d’un barrage ou obstrué par les blocs de rochers et les terres qu’elle a charriés. Qu’on se rappelle qu’il existait aussi autre fois une source abondante dans le voisinage de la maison de ville, et qu’au-dessus on voit encore jaillir aujourd’hui la source du château. Dans les caves des maisons qui bordent le marché on voit sourdre fréquemment de l’eau chaude, et sur la place elle-même, avant que le pavé fût élevé, on voyait autrefois à la suite des pluies les gaz monter sous forme de bulles à la surface de la terre. Ajoutez à cela qu’à partir de la source du moulin jusqu’au Rocher-Bernard, l’eau minérale qui sort par les mille fentes du rocher est à une température plus ou moins élevée.

On peut se figurer aisément, en considérant l’écoulement du Sprudel et de la nouvelle source, comment cette eau a déposé les parties terreuses qu’elle tenait en suspension, et principalement la chaux et le fer dont nous avons signalé l’existence plus haut. On comprend comment elle a pu se construire elle-même des voûtes, des canaux, des fentes, élever des buttes et des collines, faire et refaire des édifices, et se creuser un réservoir, surtout si on accorde à cette eau une action continuée pendant des milliers d’années.

Nous avons plusieurs échantillons de ce tuf qui s’est déposé et se dépose encore aujourd’hui ; c’est une chaux carbonatée incrustante (Kalksinter) qui se distingue de toutes les concrétions de cette nature ; ses couches et ses couleurs variées, le beau poli qu’elle est susceptible de prendre, ont attiré d’abord l’attention sur les roches de ce pays. On peut classer ces concrétions d’après leur couleur ou leur dureté. Pour ce qui est de la couleur, celles qui se sont formées à l’air libre sont brunes ou d’un brun rougeâtre, à cause de la nature ferrugineuse de l’eau, qui a déposé l’oxide dont elle est chargée dans les plus petites parcelles de la roche. Les concrétions qui se déposent dans le trajet des eaux du Sprudel, sur des réservoirs, des conduites, des gouttières et du bois, ont plus ou moins cette couleur (35). Tous les corps que l’on fait incruster en laissant jaillir sur eux l’eau de cette source, tels que des fleurs, des fruits, des écrevisses, des petits vases, que les baigneurs emportent comme des souvenirs de Carlsbad, sont dans le même cas.

Mais les dépôts qui se formèrent à l’abri de l’air dans une conduite fermée par laquelle on dirigeait l’eau chaude de la source du château à la fontaine du marché pour empêcher qu’elle ne gelât, restèrent tout-à-fait blancs. Les branchages de sapins, la paille avec laquelle on bouchait autrefois les ouvertures accidentelles par lesquelles le Sprudel tendait à s’échapper, et que le hasard fit découvrir plus tard, étaient couverts de concrétions blanches.

Ce dépôt se fait nécessairement par couches ; l’on conçoit et l’on peut vérifier tous les jours que des végétaux, des Ulves, par exemple, peuvent être englobés dans la masse (37).

On ne saurait hasarder que des suppositions sur la formation des autres échantillons de tuf. Ses différentes espèces et variétés se sont probablement déposées dans les canaux eux-mêmes, dès les temps les plus reculés, par évaporation ou arrosement. La plupart ont été découverts pendant qu’on creusait les fondements de l’église. C’est de cette époque que datent les échantillons de la collection ; leurs couleurs sont variées et leur dureté différente.

Ceux qui sont moins durs ont une couleur qui dénote la présence du fer. On peut ranger dans cette catégorie une pierre formée de couches en zig zag (38, 39, 40), et d’autres où l’on voit des couches rougeâtres d’une teinte alternativement pâle et foncée (41, 42).

Les plus durs sont les plus beaux en ce qu’ils simulent la calcédoine et l’onix (43, 44, 45). Ces morceaux sont à coup sûr un produit très ancien, et il est probable qu’ils se déposent encore aujourd’hui dans les profondeurs de ces cavités brûlantes, car la nature procède toujours d’une manière simple et uniforme.

Les dépôts dont nous avons parlé jusqu’ici se sont formés sur des points fixes, sur des parois et des voûtes. Voici une espèce non moins curieuse où le dépôt calcaire s’est fait autour d’un point mobile et flottant. Il en est résulté des corps pisiformes plus ou moins volumineux, qui se sont réunis en masse et ont produit des conglomérats qui portent le même nom. En creusant les fondements de l’église, on en a trouvé des échantillons admirables, rivalisant de beauté avec les roches les plus curieuses ; ils se trouvent disséminés dans les collections (46, 47, 48).

Nous venons de faire connaître la roche de laquelle jaillit la source thermale, et les dépôts auxquels elle donne lieu. Nous abandonnerons aux méditations du lecteur la recherche des causes qui élèvent la température de l’eau et développent le gaz élastique qui les fait bouillonner, pour revenir à la roche qui compose le Schlossberg.

Comme il est situé sur la rive gauche de la Tepel, tandis que la source principale est sur la droite, on devait s’attendre à y retrouver cette roche ; mais cela n’est pas facile, parce que dans le voisinage du Sprudel tout est pavé et muré ; cependant on l’observe à mi-côte de la montagne des Trois-Croix, avec cette différence que le silex corné a passé entièrement à l’état de quarz, et qu’on y trouve non seulement des parcelles de granit, mais encore les principes constituants du granit, tels que le mica, le quarz et le feldspath isolés, ce qui donne à la roche l’aspect d’un porphyre (49).

Il est remarquable que dans le voisinage, là où le Galgenberg forme une espèce de promontoire semblable à celui du Schlossberg, cette roche se change en une pierre tantôt verte (50), tantôt blanche (51), simulant un porphyre ou une brèche, et qu’elle passe ensuite à l’état de conglomérat (52) ; quelques échantillons rares démontrent ces transitions.

Les roches et les formations dont nous venons de parler n’occupent qu’un petit espace ; les suivantes, au contraire, s’étendent sur toute la profondeur de la vallée, et alternent entre elles sans présenter néanmoins une si grande diversité.

On a tort de donner le nom de grès (Sandstein) à cette roche. Ces masses énormes sont formées d’un granit dense, à cassure écailleuse (53), dans lequel on observe de petites lames nacrées de mica.

Ce quarz présente plusieurs variétés ; le fond, d’une couleur plus ou moins foncée (5455) encadre des parcelles plus claires. Celles-ci ont des arêtes tranchantes, et deviennent tellement prédominantes dans la masse, qu’elles se touchent, laissent des cavités entre elles, et finissent par se détacher complètement de leur gangue (56) tout en conservant leurs arêtes, qui indiquent un commencement de cristallisation, et sont réunies entre elles par un ciment analogue à l’oxide de fer (57) ; d’autres fois elles sont soudées sans aucun intermédiaire, comme on le voit par la cassure, qui prouve qu’elles se confondent souvent ensemble.

Cette roche se rattache aux formations les plus anciennes ; elle est le résultat d’une action chimique et nullement mécanique, ainsi qu’on peut s’en convaincre par l’inspection de plusieurs échantillons. Elle est très étendue ; on l’observe dans les ravins qui sont au-dessus de Carlsbad, et viennent converger vers la Tepel ; à l’ouest, on la suit jusqu’au Schlossberg. Elle constitue le pied et une partie de la hauteur du Galgenberg, mais principalement les collines que la Tepel contourne pour aller se jeter dans l’Eger, et s’étend fort loin au-delà de cette rivière ! Toute la formation qui recouvre le plateau jusqu’à Zwoda est de la même origine.

Sur ce chemin, et principalement le long de la nouvelle route, où plus d’un point a été mis à nu, on peut s’assurer que cette roche contient çà et là beaucoup d’argile ; dans plusieurs parties, celle-ci devient prédominante, car on découvre des masses et des bancs considérables qui se décomposent en argile blanchâtre, quoiqu’ils aient exactement la même origine que la roche principale.

Considérons maintenant cette formation entre l’embouchure de la Tepel et le pont de l’Eger, où elle contient une grande quantité de végétaux fossiles (58), (59). On les trouve dans la roche quarzeuse la plus compacte aussi bien que dans celle qui simule un conglomérat. Ces végétaux paraissent être des saules et des Typha. On voit aussi des morceaux de bois entièrement minéralisés par la silice (60). La teinte noire qui revêt cette roche, tandis que des grains quarzeux tout-à-fait blancs sont englobés dans la masse, paraît tenir à la présence des végétaux fossiles ; on s’en convaincra aisément lorsque nous passerons à l’examen des fossiles extraits des carrières de houille de Dalwitz. On y trouve une masse argilo-quarzeuse (61) colorée par la houille, dont les débris portent souvent des cristaux d’améthyste ; quelquefois un morceau est accompagné de quarz fibreux (fasrig) qui est aussi coloré par la houille. Souvent de beaux cristaux de quarz hyalin (Bergkrystalle) (63) sont nichés en grande quantité dans la houille. Cette houille n’est pas aussi bonne pour l’usage que la suivante (64).

Si nous nous élevons du fond de ces mines à la surface, nous retrouverons d’abord cette brèche quarzeuse, ce conglomérat dont nous avons parlé, mais formé de très gros grains (65) ; ensuite on rencontre un grès grossier et cassant (66) contenant un peu d’argile, et un autre (67) dans lequel la houille prédomine. On trouve dans le même endroit de grandes couches d’argiles de toutes espèces, depuis celle à faire des capsules (Capselthon), jusqu’à celle à porcelaine. Elles renferment des traces de quarz et de mica (6869).

Nous mentionnerons ici, parce qu’ils se trouvent dans le voisinage, les bois pétrifiés de Lessau, qui se distinguent de tous les autres par leur couleur bleuâtre ou d’un gris blanchâtre, par la présence des cristaux d’améthyste, et leurs cavités qui sont souvent remplies de calcédoine (7071) ; on a trouvé dans le même pays des morceaux de calcédoine altérée qui prouvent clairement qu’elle s’est formée jadis dans les fentes de quelque roche (72).

Jusqu’ici nous avons examiné ces roches argileuses ou siliceuses dans leur état naturel. Maintenant nous allons les voir modifiées par une combustion souterraine qui a vraisemblablement eu lieu à une époque très reculée entre les coteaux de Hohdorf, et s’est probablement étendue encore plus loin. Elle a modifié la roche quarzeuse, le conglomérat dont nous avons parlé, l’argile schisteuse, l’argile pure, et peut-être même les fragments roulés de granit (Granitgeschiebe).

On trouve dans ce district de l’argile schisteuse tellement durcie par le feu, qu’elle fait feu au briquet ; sa couleur a passé au rougeâtre foncé (73) ; la même se trouve encore plus modifiée et parsemée de parcelles quarzeuses (74). Ces parcelles deviennent tellement prédominantes, qu’on croit avoir sous les yeux, tantôt les quarz nos 54 et 55, tantôt des morceaux de granit altéré par le feu (7576). Souvent elle est encore schisteuse (77), quelquefois elle ressemble à une scorie (Erdschlacke) (78). Enfin c’est une scorie bulleuse parfaite qui ne permet pas de reconnaître la roche qui lui a donné naissance (79). Sur des échantillons plus durs et plus lourds, on observe les passages à l’état de porcellanite (Porcellanjaspis) (8081), et en dernier lieu c’est une porcellanite de couleur verte ou lilas (8283) la plus dure de toutes les roches ignées. Quelquefois on trouve aussi du bois modifié et pétrifié par le feu (84), bois que nous avons appris à connaître sous sa forme originaire.

Les scories terreuses très pesantes (8586) que l’on trouve assez loin de là près du moulin de Jacob, semblent se rattacher à ces formations pseudo-volcaniques. L’oxide de fer (Eisenstein) est plus rare, et par cela même plus intéressant. Les pseudo-aetites (Pseudo-Aetiten) (88) et un fer limoneux (Raseneisenstein) (89) portant une foule d’empreintes des feuilles qui semblent le composer en entier. Celui-ci est souvent presque aussi dur et aussi lourd que la scorie terreuse dont il a été question ci-dessus. L’affinité qui existe entre les Pseudo-Aetites, n. 88, avec la scorie pesante, n. 85 et 86, est on ne peut plus remarquable ; tous les deux se trouvent dans le voisinage du moulin de Jacob. Les premiers sont de nature basaltique, car lorsque le basalte poliédrique se décompose, les angles deviennent de plus en plus obtus, jusqu’à ce que la section transversale soit circulaire, et qu’on voie apparaître ces corps sphériques et ovoïdes.

Ce basalte fondu par une combustion souterraine a donné naissance à ces lourdes scories terreuses qui sont uniques dans leur genre, comme on peut s’en assurer sur les lieux, en ramassant des échantillons qui offrent les deux extrêmes et tous les passages intermédiaires.

Revenons de nouveau aux produits neptuniens. Sur la rive gauche de l’Eger, vers Fischern, on trouve le basalte en contact immédiat avec le granit. Nous avons sous les yeux la moitié d’une boule basaltique (90) ; du basalte amygdaloïde (basaltischer Mandelstein) du même endroit (91), et en outre du basalte mêlé à du calcaire jaunâtre (92).

Les roches que nous allons énumérer maintenant sont sans connexion entre elles ; ce sont : un basalte amygdaloïde (93), du spath calcaire tiré des prismes basaltiques de la Hard (94), la phonolithe (Klingsteln) d’Engelhaus (95), le petrosilex résinite (Pechstein) du même endroit (96), un grès blanc (weissliegendes) entre Tepel et Theising, qui sert à faire des pierres meulières (97) ; le basalte du Schlossberg derrière la forge (98) ; des cristaux de pyroxène dans une masse verdâtre et rougeâtre, simulant un basalte amygdaloïde. Plus tard, on pourra peut-être rapprocher ces roches de celles avec lesquelles elles ont de l’affinité.

Je dois encore faire mention en terminant des transitions très remarquables du granit à l’état de feldspath ramifié, que j’observai lorsqu’on eut l’imprudence d’enlever une partie du rocher d’où jaillit la source nouvelle, pour faciliter ses abords et obtenir plus d’espace pour les baigneurs.

Catalogue des roches de Carlsbad et de ses environs.


1.Granit à grains fins de Carlsbad.

2.Le même, du même endroit.

3.Granit à gros grains du même lieu.

4.Le même.

5.Granit de Carlsbad avec des cristaux de feldspath.

6, 7, 8.Ces cristaux isolés.

9.Granit de Fischern.

10.Granit de Dallwilz.

11.Autre variété.

12.Granit avec des taches d’un brun rougeâtre.

13.Granit dans lequel ces taches se montrent sous la forme de cristaux rougeâtres.

14.Granit dans lequel ces cristaux passent à l’état de kaolin.

15.Granit avec des cristaux semblables dont l’aspect est analogue à celui de la stéatite (Speckstein).

16.Ces cristaux isolés.

17.Feldspath des champs de Dorothée.

18.Feldspath de Dallwitz.

19.Le même modifié par le feu.

20.Granit graphique (Schriftgranit) d’Engelhaus.

21.Feldspath avec dendrites du même lieu.

22.Le même.

23.Nids de mica dans le granit.

24.Nids de tourmaline (Schoerlnester) dans le granit.

25.Granit avec des veines de silex corné (Hornstein).

26.Le même avec des veines plus fortes qui se croisent.

27.Roche argiloïde simulant le jaspe.

28.Filons de silex corné contenant du granit.

29.Masse de silex corné contenant du granit.

30.La même roche avec du spath calcaire.

31.Le spath calcaire en couches.

32.Calcaire jaune à grains fins.

33.Spath calcaire d’un brun noirâtre.

34.Silex corné avec du fer sulfuré (Schefelkies).

35.Dépôt de calcaire concrétionné du point d’écoulement de la source du Sprudel.

36.Concrétions calcaires blanches de l’intérieur.

37.Les mêmes concrétions avec une Ulva pétrifiée.

38, 39, 40.Couches superficielles de concrétions brunes et ruiniformes.

41, 42.Les mêmes avec des couches d’un rouge alternativement clair et foncé.

43, 44, 45.Les mêmes très dures.

46, 47, 48.Roches pisiformes.

49.Roche porphyroïde.

50.La même bréchiforme et verte.

51.La même d’un jaune clair.

52.Conglomérat voisin des roches précédentes.

53.Quarz à cassure écailleuse.

54.Quarz dense, gris avec des points moins foncés.

55.Le même noir avec des points blancs.

56.Le même avec des grains guarzeux réunis par un ciment ocracé (ockerartig).

57.Ce conglomérat isolé.

58, 59.Roche quarzeuse avec des fossiles végétaux.

60.La même.

61.Masse quarzeuse de Dallwitz colorée en noir par la houille.

63.Fragment (Trumm) avec des cristaux de quarz hyalin (Bergkrystalle) parfaits.

64.Houille pure des environs.

65.Conglomérat de Hohdorf.

66.Grès grossier et qui se pulvérise facilement, du même endroit.

67.Grès avec argile.

68, 69.Argiles des environs.

70, 71.Bois pétrifié de Lessau.

72.Filons de calcédoine décomposée, du même endroit.

73.Argile schisteuse modifiée par le feu.

74.La même un peu plus altérée, renfermant des grains quarzeux.

75, 76.Les mêmes encore plus modifiés.

77.Les mêmes à texture schisteuse, mais très modifiés.

78.Pierre analogue aux scories terreuses.

79.Scorie terreuse tout-à-fait huileuse.

80, 81.Passage à l’état de porcellanite jaspoïde (Porcelanjaspis).

82, 83.Porcellanite (Porcelanjaspis).

84.Bois pétrifié modifié par le feu.

85, 86.Scories terreuses très dures du moulin de Jacob.

87.Fer hydroxidé bacillaire (stœnglicher Eisenstein).

88.Pseudo-aetites (pseudo-Aetiten).

89.Fer limoneux (Raseneisenstein) composé de feuilles.

90.La moitié d’une boule basaltique de la rive gauche de l’Eger.

91.Basalte amygdaloïde du même endroit.

94.Spath calcaire du basalte du Hard.

95.Phonolite (Klingstein) d’Engelhaus.

96.Résinite (Pechstein) du même lieu.

97.Grès blanc (weissliegendes).

98.Basalte du Schlossberg au-dessus de la Forge.

99, 100.Roche basaltique avec des cristaux de pyroxène.


Lettre à M. de Léonhard.

Weimar, le 25 novembre 1807.

Vous avez eu la bonté d’insérer dans votre Manuel mon mémoire sur la collection géologique des environs de Carlsbad ; en vous envoyant le complément de ce travail, je vais tâcher de m’acquitter envers vous.

Grâce à vos soins, le plus petit écrit tombe sous les yeux d’un autre public, le public savant ; tandis qu’auparavant son résultat se bornait à exciter un intérêt passager, et à fixer l’attention des savants et des ignorants sur certains objets, classés plus méthodiquement qu’on ne l’avait fait jusqu’alors. Peut-être serait-on en droit de me demander quels sont mes titres pour oser m’adresser à un public d’élite. Des observations continuées pendant long-temps et avec ardeur me donnent peut-être le droit d’entrer dans une sphère où chacun est le bien-venu dès qu’il se présente avec une offrande, quelque modeste qu’elle soit.

Pour éviter tout malentendu, je dois commencer par déclarer que ma manière de considérer et de traiter des sujets d’histoire naturelle consiste à procéder du tout à la partie, de l’impression générale à l’observation des détails ; sachant très bien du reste que cette méthode hardie est, comme le système contraire, sujette à certains inconvénients qui lui sont propres, et entachée de certaines idées préconçues, dont elle ne saurait s’affranchir.

J’avouerai sans détour que souvent je n’apercevais que des effets simultanés là où d’autres reconnaissaient des actions successives. Dans plus d’une espèce de roche, où les géologues voient un conglomérat, une agrégation de débris rapprochés et unis par le feu, je ne vois qu’une masse hétérogène analogue au porphyre, composée d’éléments divers et séparés, qui sont restés réunis au moment de la consolidation. De là résulte que mes explications sont plutôt chimiques que mécaniques.

On disputerait, j’en suis convaincu, beaucoup moins sur les déductions et les interprétations des faits scientifiques, si chacun se connaissait d’abord lui-même, s’il savait à quel parti il appartient, et quelle est la méthode la mieux appropriée à la tournure de son esprit. Nous déclarerions alors sans détour quels sont les principes qui nous dirigent, nous ferions connaître nos observations et les conséquences que nous en avons tirées, sans jamais nous engager dans une dispute scientifique ; car la discussion n’a toujours qu’un résultat, c’est que les deux idées opposées et incompatibles se formulent clairement, et que chacun persiste obstinément dans la sienne. Que si l’on ne pouvait tomber d’accord avec moi sur mes théories géologiques, je prierais de prendre en considération mon point de départ, auquel je reviens sans cesse ; c’est dans cette intention que je veux ajouter quelques observations au mémoire précédent.

On peut étudier plusieurs variétés de granit sur un espace très circonscrit des environs de Carlsbad. Dans beaucoup d’endroits où les mains de la nature et celles de l’homme l’ont mis à nu, on peut voir qu’il est tantôt à gros grains, tantôt à grains fins, et que la proportion et le mode d’union de ses parties constituantes sont fort variables. Mais quand on songe que tout cela se tient, que ces variétés possèdent chacune un caractère commun, alors on est tenté de déclarer contemporaines toutes ces masses, qui s’appuient les unes sur les autres sans former des couches et des bancs, et se mêlent ou s’entrelacent en se prolongeant sous la forme de filons. Savoir si tel granit est ancien ou récent, s’il existe un granit de nouvelle formation, toutes ces questions m’ont toujours paru peu logiques ; car, en y regardant de près, ces doutes ne proviennent que de ce qu’on a donné une définition trop restreinte du granit, et qu’on n’a pas osé l’étendre à mesure que des observations plus multipliées en faisaient sentir la nécessité. On a mieux aimé au contraire s’en tenir à des caractères extérieurs et tout-à-fait accessoires.

Il existe des échantillons des numéros 67 et 8 qui sont tout-à-fait anormaux. Il est difficile de se former à leur égard une opinion arrêtée. Voici cependant ce qu’on y observe. Le feldspath se montre dans la masse granitique avec ses caractères ordinaires ; très souvent, le plus souvent même, les cristaux se réunissent et présentent leur forme primitive ; mais quelquefois, au moment de la cristallisation, ils entraînent avec eux le granit, de façon que celui-ci traverse un cristal sous forme de veine, ou devient l’intermédiaire entre deux cristaux qu’il réunit ensemble. Quoi qu’il en soit, et de quelque manière qu’on décrive ces fragments, toujours est-il qu’ils nous présentent, ainsi que toutes les productions anomales de la nature, la réalisation d’une forme idéale qui nous échappe dans ses productions régulières, et que nous voyons ici, non pas avec les yeux, mais avec le secours de l’intelligence et de l’imagination.

À propos des nos 12, 13 et 14, on peut émettre trois opinions différentes sur la nature des cristaux rouges entourés d’une couche blanche superficielle, mais quelquefois assez épaisse. On peut admettre que le cristal est originairement blanc, et que son noyau devient rouge consécutivement ; que cette couleur rouge s’étend de dedans en dehors, et qu’elle fait disparaître enfin totalement la teinte blanche. On peut se figurer, au contraire, que le cristal est originairement rouge et que la blancheur de sa surface indique une décomposition qui marcherait de dehors en dedans. Enfin il est permis de penser que, dans le principe, ces cristaux étaient moitié rouges et moitié blancs. Nous ne disputerons avec personne là-dessus, mais la première explication nous paraît inadmissible. La troisième a quelque vraisemblance ; mais, pour notre part, nous adoptons la seconde.

Les grains de quarz disséminés dans la roche du no 15 sont des pyramides doubles à six faces, comme on peut s’en assurer par un examen attentif.

Les roches nos 21 et 22 méritent de fixer notre attention ; elles se composent d’un feldspath sur lequel le mica a exercé une action telle, qu’il en est résulté une espèce de dendrite. Quand on voit certains morceaux isolés, on est tenté de les regarder comme un gneiss modifié. Je rappellerai à ce propos l’observation d’un habile géologue qui a écrit sur ce sujet, c’est le docteur Reuss. On trouve dans ses Éléments de Géognosie, T. II, p. 590, le passage suivant : « L’existence des couches de gneiss dans le schiste porphyrique (Porphyrschiefer) de la pierre de Billin, qui repose immédiatement sur le gneiss, est on ne peut plus remarquable, en ce qu’elle a lieu précisément au point de contact des deux roches. »

Je possède un échantillon de ce schiste porphyrique, et en même temps un morceau séparé du prétendu gneiss qu’il contient ; mais ce n’est pas du gneiss, c’est la roche citée nos 21 et 22, que je serais tenté d’appeler une transformation finale (Auslaufen) du granit. Une circonstance nous paraît digne d’être notée, c’est que cette roche se trouve dans le voisinage d’Engelhaus où existe une grosse masse de schiste porphyrique ou phonolite (Klingstein) : c’est donc le même cas que près de Billin, avec cette différence, que près d’Engelhaus on n’a pas encore découvert le point de contact des deux roches. Il serait d’autant plus important de découvrir sur plusieurs points cette connexion de la phonolithe avec la roche primitive, que, même à Billin, on trouve peu d’échantillons qui la présentent d’une manière évidente, et que dans le mien ces prétendues couches enclavées ne sont pas assez évidentes pour entraîner la conviction.

Les roches nos 25, 26, 27, 28 et 29 sont très intéressantes, et quoique M. de Racknitz en ait déjà parlé dans ses lettres, elles n’ont cependant pas encore suffisamment excité l’attention des géologues. La collection de Müller renferme des échantillons d’autant plus précieux, qu’il est difficile d’examiner ces roches sur place ; cependant elles restent toujours problématiques en ce qu’elles semblent impliquer contradiction. Si on les étudie dans l’ordre des numéros du catalogue ; si l’on commence par celles où des veines étroites de silex corné traversent un granit à grains fins, puis s’étendent, se séparent, se réunissent et contiennent des masses isolées du granit qu’elles coupent en tous sens ; si on pousse l’observation plus loin, on voit que dans les autres échantillons la proportion du silex corné va sans cesse en augmentant, jusqu’à ce que le granit, de contenant (continens) qu’il était, devienne le contenu (contentum). Ici nous sommes portés à admettre une formation simultanée, d’autant plus que ceux qui seraient tentés de la regarder comme successive sont forcés de supposer, à cause des arêtes des différentes parties granitiques, non seulement un morcellement du granit, mais encore une intervention immédiate de la masse siliceuse. En un mot, ceci est un point où les deux explications se rencontrent, car là où l’un dit simultané (gleichzeitig), l’autre dira immédiatement successif (nachzeitig). Du reste, on pourrait appeler cette roche une transformation (Auslaufen) du granit, et l’on désignerait par ce mot la fin d’une époque, tandis que c’est plutôt une transition lorsqu’une autre formation lui succède immédiatement (41).

On sera probablement encore moins d’accord pour expliquer la présence de la chaux dans cette roche primitive. Si l’on considère le spath calcaire des nos 30, 31 et 33, on dira qu’il s’est déposé dans les intervalles de cette roche irrégulière ; mais il sera toujours difficile de déterminer d’où provient cette chaux qui a pénétré si profondément dans les interstices de la pierre. Cependant si l’on considère le calcaire jaune à grains fins marqué no 39, qui n’est point un dépôt, mais une partie intégrante, dure et compacte de la roche, alors on est forcé d’admettre qu’une partie de la chaux a dû se former simultanément avec la roche elle-même. Quoi qu’il en soit, cette roche est intimement liée à l’existence des sources thermales qui toutes sortent de son sein. Ses parties constituantes, parmi lesquelles il faut compter la chaux et le fer sulfuré (Schwefelkies), ne suffisent peut-être pas pour expliquer la composition physique et chimique de ces sources ; mais on ne saurait nier une action simultanée qui a déjà été reconnue autrefois quoique d’une manière moins positive.

Il serait bien à désirer que les géologues voulussent bien faire savoir s’ils ont trouvé dans d’autres localités des roches semblables à celles qui se trouvent entre les no 24 et no 25.

Je réserve pour une autre fois les détails que j’aurais encore à donner sur cette collection, et je me bornerai à faire connaître quelques particularités géologiques intéressantes qui sont venues à ma connaissance cette année.

C’est d’abord un gneiss dont la texture très compacte (flasrige) est produite par des cristaux de feldspath rosé. Ils sont semblables aux doubles cristaux numérotés 67 et 8. Seulement il est remarquable de voir que les couches de mica s’accommodent à eux, tandis que réciproquement la cristallisation du feldspath s’est en quelque sorte ressentie de l’influence du mica. En effet, on ne saurait les séparer, et ils lui sont intimement unis ainsi qu’au reste de la roche. C’est à peine s’ils ont un pouce de long, et ils tiennent le milieu entre un prisme à six pans et un rhomboïde aplati ; leur couleur et leur distribution régulière donnent à cette roche un aspect très remarquable. Elle se trouve entre Tepel et Theising. Je dois sa connaissance à la bonté du conseiller Sulzer à Ronneburg. Dans la collection géologique de la Société minéralogique d’Iéna, il existe un gneiss des environs d’Aschaffenburg qui offre quelque analogie avec le précédent sans être toutefois d’un aussi bel aspect.

La seconde merveille géologique se trouve entre Hof et Schleitz. À peu de distance de ce dernier endroit sur la gauche de la route, ou voit un basalte (Urgruenstein) très noir et très dur qui est tantôt en masses irrégulières, tantôt en colonnes bien cristallisées. Il offre un grand nombre de cavités qui vont jusqu’au centre ; toutes, même les plus petites, sont remplies d’asbeste. Celui-ci passe aussi à travers le schiste argileux, remplit les plus petits interstices du point de contact, et s’unit intimement à la pierre. La décomposition des roches m’empêcha de pousser plus loin cette étude que je recommande à l’attention des géologues.

Je réserve plusieurs observations pour votre cahier de l’année prochaine, et je termine en émettant le vœu que les géologues de profession veuillent bien entreprendre la description scientifique de ces roches. C’est pour les faire connaître que j’ai déposé les échantillons les plus remarquables dans la galerie minéralogique d’Iéna.

Je me recommande à votre bon souvenir et à celui de tous les amis de la nature.

Goethe.

  1. Ces numéros se rapportent au catalogue qui se trouve à la suite de ce mémoire.