Œuvres critiques/La Vérité en marche/Lettre à M. Brisson

Charpentier (Œuvres critiques, t. 2p. 687-692).

LETTRE À M. BRISSON

PRÉSIDENT DU CONSEIL DES MINISTRES

Ces pages ont paru dans l’Aurore, le 16 juillet 1898.

Beaucoup d’événements s’étaient accomplis, que je résumerai rapidement. Le 2 avril, la Cour de cassation, auprès de laquelle je m’étais pourvu, cassa l’arrêt de la Cour d’assises, en déclarant que c’était le conseil de guerre, et non le ministre de la guerre, qui devait m’assigner. Ce conseil de guerre, réuni le 8, décida qu’il me poursuivrait, et émit en outre le vœu que je fusse rayé des cadres de la Légion d’honneur. La nouvelle assignation, lancée en son nom, le 11, ne relevait plus que trois lignes de ma lettre. Le 23 mai, le procès revint donc devant la Cour d’assises de Versailles. Mais mon défenseur, Me Labori, ayant soulevé l’exception de compétence, et la Cour s’étant déclarée compétente, nous nous pourvûmes en cassation, ce qui arrêta les débats. Enfin, la Cour de cassation ayant rejeté notre pourvoi, le 16 juin, nous devions revenir devant la Cour d’assises de Versailles, le 18 juillet. — D’autre part, le ministère Méline était tombé le 15 juin, et le ministère Brisson venait de lui succéder, le 28. — Le 9 juillet, les trois experts, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, avaient obtenu contre moi une condamnation à deux mois de prison, avec sursis, à deux mille francs d’amende et à cinq mille francs de dommages-intérêts pour chaque expert.

Monsieur Brisson,

Vous incarniez la vertu républicaine, vous étiez le haut symbole de l’honnêteté civique. Et, brusquement, vous tombez dans la monstrueuse affaire. Vous voilà dépossédé de votre souveraineté morale, vous n’êtes plus qu’un homme faillible et compromis.

Quelle effroyable crise et quelle tristesse affreuse, pour les penseurs solitaires et silencieux comme moi, qui se contentent de regarder et d’écouter ! Depuis que j’appartiens à la justice de mon pays, je me suis fait une loi de me tenir à l’écart de toute polémique ; et, si je cède aujourd’hui à l’impérieux besoin de vous écrire cette lettre, c’est qu’il est des heures où les âmes crient d’elles-mêmes leur angoisse. Mais, dans mon silence, depuis six mois, dans le silence de tant d’autres consciences, que je sens frémir, quelle détresse patriotique, quelle agonie, en voyant les meilleurs de notre malheureuse France, tant de gens intelligents et honnêtes en somme, glisser à toutes les compromissions, abandonner leur bonheur de citoyens au vent de folie qui souffle ! Et c’est à pleurer, à se demander quelle hécatombe de victimes considérables il faudra encore au mensonge, avant que la vérité se lève sur le pays décimé, jonché de ceux que nous pensions être sa probité et sa force.

Chaque matin, depuis six mois, je sens grandir ma surprise et ma douleur. Je ne veux nommer personne, mais je les évoque, tous ceux que j’aimais, que j’admirais, en qui j’avais mis mon espoir pour la grandeur de la France. Il en est dans votre ministère, monsieur Brisson, il en est dans les Chambres, il en est dans les lettres et dans les arts, dans toutes les conditions sociales. Et c’est mon cri continuel : comment celui-ci, comment celui-là, comment cet autre ne sont-ils pas avec nous, pour l’humanité, pour la vérité, pour la justice ? Ils semblaient d’intelligence saine pourtant, je les croyais de cœur droit. C’est à confondre la raison. D’autant plus que, lorsqu’on veut m’expliquer leur conduite par la nécessité de certaines habiletés politiques, je comprends moins encore. Car il est bien certain, pour tout homme de bon sens et de froide réflexion, que ces habiles courent de gaieté de cœur à leur perte prochaine, inévitable, irréparable.

Je vous croyais trop avisé, monsieur Brisson pour ne pas être convaincu, comme moi, que pas un ministère ne pourra vivre, tant que l’affaire Dreyfus ne sera pas légalement liquidée. Il y a quelque chose de pourri en France, la vie normale ne reprendra que lorsqu’on aura fait œuvre de santé. Et j’ajoute que le ministère qui fera la revision sera le grand ministère, le ministère sauveur, celui qui s’imposera et qui vivra.

Vous vous êtes donc suicidé, dès le premier jour, en croyant peut-être fonder solidement et pour longtemps votre pouvoir. Et le pis est que, prochainement, lorsque vous tomberez, vous aurez perdu dans l’aventure votre honneur politique ; car je ne songe qu’à vous, je ne m’occupe pas de vos sous-ordres, le ministre de la guerre et le ministre de la justice, dont vous êtes le chef responsable.

Spectacle lamentable, la fin d’une vertu, cette faillite d’un homme en qui la République avait mis son illusion, convaincue que celui-là ne trahirait jamais la cause de la justice, et qui, dès qu’il est le maître, laisse assassiner la justice sous ses yeux ! Vous venez de tuer l’idéal. C’est un crime. Et tout se paye, vous serez puni.

Voyons, monsieur Brisson, quelle ridicule comédie d’enquête venez-vous de permettre ? Nous avions pu croire que le fameux dossier allait être apporté en conseil des ministres, et que là vous vous mettriez tous à l’examiner, additionnant vos intelligences, vous éclairant les uns les autres, discutant les pièces comme elles doivent l’être, scientifiquement. Et pas du tout, il apparaît nettement par le résultat qu’aucun contrôle n’a eu lieu, qu’aucune discussion sérieuse n’a dû s’établir, que tout s’est borné à chercher fiévreusement dans le dossier, non pas la vérité, mais les seules pièces qui pouvaient le mieux combattre la vérité, en faisant impression sur les simples d’esprit. Elle est connue, cette façon d’étudier un dossier pour en extraire ce qui peut tant bien que mal servir une conviction obstinément arrêtée à l’avance. Ce n’est pas là une certitude discutée et prouvée, ce n’est que l’entêtement d’un homme, placé dans de telles conditions d’état d’esprit personnel, de milieu et d’entourage, que sa déposition, historiquement, n’a aucune valeur.

Et voyez aussi quel piteux résultat ! Comment ! vous n’avez trouvé que ça ? Et, si vous n’apportez que ça, dans le furieux désir que vous avez de nous vaincre, c’est donc bien qu’il n’y a que ça, que vous sortez le fond de votre sac ? Mais nous les connaissions, vos trois pièces ; nous la connaissions surtout, celle qu’on a si violemment produite en cour d’assises, et c’est bien le faux le plus impudent, le plus grossier, auquel des naïfs puissent se prendre. Quand je songe qu’un général est venu lire sérieusement cette monumentale mystification à des jurés, qu’il s’est trouvé un ministre de la guerre pour la relire à des députés et des députés pour la faire afficher dans toutes les communes de France, je demeure stupide. Je ne crois pas que quelque chose de plus sot laisse jamais sa trace dans l’histoire. Et vraiment je me demande à quel état d’aberration mentale la passion peut réduire certains hommes, pas plus bêtes que d’autres sans doute, pour qu’ils accordent la moindre créance à une pièce qui semble être la gageure d’un faussaire, en train de se moquer du monde.

Vous pensez bien que je ne vais pas discuter les deux autres pièces produites. On est las de le faire, de démontrer qu’elles ne sauraient s’appliquer à Dreyfus. Et, d’ailleurs, la nécessité de la revision reste absolue, du moment qu’elles n’ont été communiquées ni à l’accusé ni à la défense. L’illégalité est quand même formelle, la Cour de cassation doit annuler l’arrêt du conseil de guerre. Mais vous savez ces choses aussi bien que moi, monsieur Brisson, et c’est bien là ma stupeur. Les sachant, comment avez-vous pu écouter sans frémir les affirmations passionnées de votre ministre de la guerre ? Quel drame, à cette minute, s’est passé dans votre conscience ? En êtes-vous à croire que la politique prime tout, qu’il vous est permis de mentir, pour assurer au pays le salut que votre ministère, selon vous, lui apporte ? Vous croire assez peu intelligent pour garder une ombre de doute sur l’innocence de Dreyfus, cela m’est pénible ; mais, d’autre part, admettre un instant que vous sacrifiez la vérité, dans l’idée que le mensonge est nécessaire au salut de la France, me paraît plus insultant encore. Ah ! que je voudrais lire en vous, et que ce qui se passe là doit être intéressant pour un psychologue !

Ce que je puis vous affirmer, c’est que vous rendez votre gouvernement profondément ridicule. On m’a conté que, jeudi, la tribune diplomatique était restée vide. Je crois bien. Pas un diplomate n’aurait pu tenir son sérieux, à la lecture des trois fameuses pièces. Et ne vous imaginez pas que notre ennemie l’Allemagne est la seule à s’amuser. Notre grande alliée la Russie, très au courant de l’affaire, très renseignée et absolument convaincue de l’innocence de Dreyfus, devrait bien nous rendre le service de vous dire ce que pense de nous l’Europe. Peut-être l’écouteriez-vous, elle, l’amie souveraine. Causez donc de cela avec votre ministre des affaires étrangères !

Qu’il vous dise aussi de quelle gloire nouvelle les extraordinaires poursuites contre le lieutenant-colonel Picquart vont faire reluire le bon renom de la France à l’étranger. Un homme juste vous demande respectueusement à faire la lumière, et vous lui répondez en lui intentant un procès sur une vieille accusation dont les débats récents de la cour d’assises ont démontré l’ineptie. Tu me gênes, te je supprime. Cela devient d’un comique effroyable, et je crois qu’il n’y a pas dans l’histoire un exemple plus insolent d’iniquité hypocrite.

Mais, si les trois pièces ne prêtent qu’à rire, que dites-vous, monsieur Brisson, des prétendus aveux de Dreyfus apportés à la tribune française, donnés par un de vos ministres comme la base inébranlable de sa conviction ? Est-ce qu’ici votre honnêteté ne proteste pas en un cri de furieuse révolte ? est-ce que vous n’avez pas senti l’abomination du procédé qui va soulever la conscience universelle ?

Les aveux de Dreyfus, grand Dieu ! Vous ignorez donc toute cette tragique histoire ? Vous ne connaissez donc pas le récit vrai de sa détention, de sa dégradation ? Et ses lettres, vous ne les avez donc pas lues ? Elles sont admirables. Je ne connais pas de pages plus hautes, plus éloquentes. C’est le sublime dans la douleur, et plus tard elles resteront comme un monument impérissable, lorsque nos œuvres, à nous écrivains, auront peut-être sombré dans l’oubli ; car elles sont le sanglot même, toute la souffrance humaine. L’homme qui a écrit ces lettres ne peut être un coupable. Lisez-les, monsieur Brisson, lisez-les un soir avec les vôtres, au foyer domestique. Vous serez baigné de larmes.

Et l’on vient sérieusement nous parler des aveux de Dreyfus, de ce malheureux qui n’a jamais cessé de hurler son innocence ! On fouille les souvenirs chancelants d’hommes qui se sont contredits vingt fois, on apporte des pages de carnet sans authenticité aucune, des lettres que d’autres lettres démentent ! Des témoignages contradictoires s’offrent de toutes parts, qu’on ne veut pas entendre. Et rien de légal là encore, pas de procès-verbal signé par le coupable, à peine des commérages en l’air, de sorte que ces prétendus aveux sont le néant même, quelque chose d’inexistant, que pas un tribunal ne retiendrait.

Alors, s’il est bien évident que, ces prétendus aveux, on ne saurait les faire accepter par les gens raisonnables, de quelque culture, pourquoi donc les produire au plein jour, pourquoi donc les étaler ainsi à grand fracas ? Ah ! c’est ici l’habileté affreuse, l’effroyable calcul, de jeter cette conviction aisée au petit peuple, aux simples d’esprit. Quand ils auront lu vos affiches, n’est-ce pas ? vous espérez que tous les humbles des campagnes et des villes seront avec vous. Ils diront des affamés de vérité et de justice : « Qu’est-ce qu’ils nous embêtent, ceux-là, avec leur Dreyfus, puisque le traître a tout avoué ! » Et, selon vous, tout sera fini, la monstrueuse iniquité sera consommée.

Savez-vous bien, monsieur Brisson, qu’une telle manœuvre est odieuse. Je défie qu’un honnête homme n’en soit pas bouleversé, les mains tremblantes de colère et d’indignation. Il y a là-bas, dans la pire torture, une torture d’exception, illégale comme le jugement qui l’a infligée, il y a un misérable qui a toujours crié son innocence. Et, tranquillement, on lui fait avouer le crime qu’il n’a pas commis, on se sert de ces prétendus aveux pour le murer plus étroitement dans son cachot. Mais il vit, il peut encore vous répondre, heureusement pour vous, car le jour où il sera mort, votre crime deviendra irréparable ; et, s’il vit, vous pouvez l’interroger, obtenir une fois de plus le cri de son innocence. Non ! il est si simple de dire qu’il a tout avoué, de persuader cela au peuple, pendant que le malheureux jette au vent de la mer sa perpétuelle plainte, sa clameur infinie de vérité et de justice. Je ne sais rien de plus bas ni de plus lâche.

Et vous voilà avec la presse immonde. Ainsi qu’elle, à sa suite, vous empoisonnez la nation de mensonges. Vous placardez sur les murs des faux et des contes imbéciles, comme pour aggraver à plaisir la désastreuse crise morale que nous traversons. Ah ! pauvre petit peuple de France, quelle belle éducation civique on te donne là, à toi qui aurais tant besoin aujourd’hui, pour ton salut de demain, d’une âpre leçon de vérité !

Enfin, monsieur Brisson, puisque nous sommes là, à causer tranquillement, je crois devoir vous prévenir que j’attends, avec une vive curiosité, la façon dont vous allez entendre la liberté individuelle et le respect de la justice, lundi prochain, au procès de Versailles.

Vous ne pouvez ignorer les faits qui se sont passés à Paris, avant et après chacune des quinze audiences du premier procès, et à Versailles encore, lors de l’unique audience du second. Ces jours-là, la France, notre grande et généreuse France, a donné au monde civilisé l’exécrable spectacle d’une poignée de bandits injuriant et menaçant de mort un homme, un accusé qui se rendait librement devant la justice de son pays. Que pense de cela votre honnêteté, monsieur Brisson, votre vertu républicaine, votre culte des droits de l’homme et du citoyen ? Ne dites-vous pas avec moi que des cannibales seuls ont des mœurs pareilles et que nous voilà tombés dans le mépris et dans le dégoût de l’univers ?

Encore, s’il s’agissait de la nation égarée, d’une foule de bonne foi s’affolant et se ruant, l’excuse de la passion, même criminelle, suffirait. Mais, puisque vous êtes aujourd’hui ministre de l’intérieur, causez donc de ces choses avec votre préfet de police, M. Charles Blanc, qui est un homme d’une vive intelligence et d’une urbanité parfaite. Il est naturellement très renseigné. Il vous expliquera où et comment les bandes se recrutaient, quel prix on payait ses hommes, quel appoint désintéressé et passionné apportaient les cercles cléricaux, combien étaient les bandits et combien les sectaires, enfin combien de badauds auraient pu finir par suivre les provocateurs et rendre le jeu fort dangereux. Alors, je l’espère, vous n’aurez plus de doute sur l’organisation du désordre, vous serez convaincu qu’il s’agissait, pour les organisateurs, de tromper la France, de tromper le monde, de leur faire croire que Paris entier se soulevait contre moi, et d’empoisonner ainsi l’opinion publique, et d’opérer sur la justice la plus infâme des pressions.

Mais ce n’est pas tout ce que M. Charles Blanc pourra vous apprendre, à vous qui êtes son chef. Il vous expliquera comment la police avait à nous sauver chaque soir, lorsque quelques arrestations, quelques poursuites, dès le premier jour, auraient tout fait rentrer dans l’ordre. Certes, je ne me plains pas de la police, qui a été très empressée et très dévouée autour de ma personne. Seulement, au-dessus du préfet lui-même, il semblait y avoir un désir supérieur que les choses se passassent d’une certaine façon. Toutes les injures, toutes les menaces étaient permises, et les plus basses, et les plus immondes : on n’arrêtait personne. Même on tolérait que les manifestants pussent se rapprocher assez pour qu’il y eût un certain danger. Et la police n’intervenait, ne me sauvait, qu’à cette minute exacte où les choses menaçaient de se gâter. C’était fait avec beaucoup d’art, l’effet désiré en haut lieu était évidemment de donner à croire au monde qu’il fallait, chaque soir, une bataille pour me soustraire à la juste indignation du peuple de Paris.

Eh bien ! monsieur Brisson, je me demande avec curiosité quel plan de campagne vous allez arrêter avec M. Charles Blanc. Là, vous êtes le maître absolu, aucun de vos ministres en sous-ordre ne pourra intervenir, car en dehors de votre autorité de président du conseil, vous êtes bien ministre de l’intérieur, vous répondez de la tranquillité des rues. Nous allons donc savoir dans quelles conditions vous estimez qu’un accusé doit se rendre devant la justice, et s’il est permis de l’injurier et de le menacer, et si un spectacle d’une telle barbarie n’est pas un déshonneur suprême pour la France. Je crois bien que jamais, mes amis et moi, nous ne nous sommes trouvés dans un danger sérieux. Mais, n’importe ! comme il faut tout prévoir, je déclare à l’avance, monsieur Brisson, que, si l’on nous assassine lundi, c’est vous qui serez l’assassin.

Et, pour finir, laissez-moi m’étonner encore que vous soyez tous de petits hommes.

Je comprends à la rigueur qu’il n’y ait pas, parmi vous, un amoureux hautain et passionné de l’idée, donnant sa fortune et sa vie à la seule joie d’être juste, et prêt à rentrer dans le rang, quand la vérité aura Vaincu. Mais des ambitieux, il y en a pourtant, vous n’êtes même tous que des ambitieux. Alors, comment se fait-il que, de votre cohue, ne se lève pas au moins un ambitieux de vive intelligence, et d’audace, et de force, un de ces ambitieux de vaste envergure, au coup d’œil clair, à la main prompte, capable de voir où est la vraie partie à jouer, et de la jouer vaillamment ?

Voyons, combien y en a-t-il parmi vous qui ambitionnent la présidence de la République ? Tous, n’est-ce pas ? Vous vous regardez tous avec des coups d’œil obliques, vous croyez tous mener vos affaires d’une façon supérieure, celui-ci par la prudence, celui-là par la popularité, cet autre par l’austérité. Et vous me faites rire, car pas un de vous n’a l’air de se douter que, dans trois ans, l’homme politique qui entrera à l’Élysée sera celui qui aura restauré chez nous le culte de la vérité et de la justice, en procédant à la revision du procès Dreyfus.

Croyez-moi, les poètes sont un peu des voyants. Dans trois ans, la France ne sera plus la France, la France sera morte, ou nous aurons à la présidence le chef politique, le ministre juste et sage qui aura pacifié la nation. Et, châtiment mérité des calculs mesquins et lâches, des passions aveugles et inintelligentes, tous ceux qui auront pris parti contre le droit opprimé et l’humanité outragée seront par terre, avec leur rêve en morceaux, sous l’exécration publique.

Chaque fois, donc, que je vois un de vous céder au vent de folie, se salir dans l’affaire Dreyfus, avec la sotte pensée peut-être qu’il travaille à son avènement, je me dis : « Encore un qui ne sera pas président de la République ! »

Veuillez agréer, monsieur Brisson, l’assurance de ma haute considération.