Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Ode (Perfide je me sens heureux)

ODE.

Perfide, je me sens heureux
De ma nouvelle servitude ;
Vous n’avez point d’ingratitude
Qui rebute un cœur amoureux.
Il est bien vray que je me fasche
Du fard où vostre teint se cache ;
Nature a mis tout son crédit
A vous faire entièrement belle ;
L’art qui pense mieux faire qu’elle
Me deplaist et vous enlaidit.
L’esclat, la force et la peinture
De tant et de si belles fleurs.
Que l’aurore avecques ses pleurs
Tire du sein de la nature.
Sans fard et sans déguisement
Nous donne bien plus aisément

Le plaisir dune odeur naïfve ;
Leur object nous contente mieux
Et se monstre devant nos yeux
Avec une couleur plus vive.
Les oyseaux, qui sont si bien teints,
Ne couvrent point d’une autre image
Le lustre d’un si beau plumage
Dont la nature les a peints,
Et leur céleste mélodie,
Plus aimable qu’en Arcadie
N’estoient les flageolets des Dieux,
Prend elle-mesme ses mesures,
Choisit les tons, fait les césures.
Mieux que l’art le plus curieux.
L’eau de sa naturelle source
Treuve assez de canaux ouverts
Pour traîner par les plis divers
La facilité de sa course ;
Ses rivages sont verdissans,
Où des arbrisseaux fleurissans
Ont tousjours la racine fresche ;
L’herbe y croist jusqu’à leur gravier.
Mais une herbe que le bouvier
N’apporta jamais à sa cresche.
Ces petits cailloux bigarez
En des diversitez si belles.
Où trouveroient-ils des modelles.
Qui les fissent mieux figurez ?
La nature est inimitable.
Et dans sa beauté véritable
Elle éclatte si vivement
Que l’art gaste tous ses ouvrages
Et luy fait plustost mille outrages
Qu’il ne luy donne un ornement.
L’art, ennemy de la franchise,

Ne veut point estre recogneu ;
Mais l’Amour, qui ne va que nu,
Ne souffre point qu’on se déguise.
Les Nymphes, au sortir des eaux,
D’un peu de jonc et de roseaux
Se font la coiffure et la robbe,
Et les yeux du Satyre ont droict
De regretter encor l’endroict
Que le vestement leur desrobbe.
Si vous sçaviez que peut l’effort
De vostre beauté naturelle
Et combien de vainqueurs pour elle
Implorent l’aide de la mort,
Vous casseriez ces pots de terre.
De bois, de coquille, de verre.
Où vous renfermez vos onguens ;
La nuict vous quitteriez le masque,
Et perdriez ceste humeur fantasque
De dormir avecques vos gans.
Lorsque vous serez hors d’usage
Et que l’injure de vos ans
Appellera les courtisans
A l’amour d’un plus beau visage,
Quand vos appas seront ostez,
Que les rides de tous costez
Auront coupé ce front d’albastre,
Taschez lors d’excroquer l’amour,
Et, si vous pouvez, chasque jour
Faites-vous de cire ou de plastre.
Si le ciel me faict vivre assez
Pour voir la fin de vostre gloire
Et me punir de la mémoire
De nos contentemens passez.
Je croy que je seray bien aise,
Ne trouvant plus rien qui me plaise,

Au visage que vous aurez,
De revoir l’Amour et les Grâces
Et d’en aller baiser les traces
Sur le fard dont vous userez.
Mais aujourd’huy, belle Perside,
"Vos jeunes yeux seront tesmoins
Qu’il faut un siècle pour le moins
Pour vous amener une ride.
L’Aurore, qui dedans mes vers
Voit apprendre à tout l’univers
Que vostre beauté la surmonte.
Arrachant de ses beaux habits
Et les perles et les rubis,
Elle pleure et rougit de honte.
Elle n’est point rouge au matin.
D’autant que Titon l’a baisée.
Et ne verse point sa rosée
Pour la marjolaine et le tin.
La rougeur qui paroist en elle.
C’est de voir Perside trop belle.
Et l’humidité de ses pleurs,
Quoy que chante la poésie,
Ce sont des pleurs de jalousie
Et des marques de ses douleurs.