Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Mon ame est triste et ma face abattue

ELEGIE.


Mon ame est triste et ma face abbattue ;
Je n’en puis plus, ta disgrâce me tue.
Croy que je t’ayme, et que, pour te fascher,
J’ay ton plaisir et mon repos trop cher.
Que si je viens jamais à te desplaire
Je ne veux point que le soleil m’esclaire,
Et si les Dieux ont si peu de pitié
Que de m’oster un jour ton amitié,
Il ne faut point d’autre coup de tonnerre
Pour me bannir du ciel et de la terre.
Hier, pressé bien fort de ma douleur,
En souspirant mon innocent malheur,
Je suppliois Lisandre de te dire
Que ton courroux au desespoir me tire,
Et si bien tost il ne s’en va cesser,
Tu n’auras plus à qui te courroucer :
Car mon esprit, consommé de ta haine.
Ne peut souffrir davantage de peine.
Sans plus de mal, je cognois bien pourquoy
Ton doux regard s’est destourné de moy,
Et que ma faute est assez pardonnable,

Ou tu rendras ton amitié coulpable.
Voy donc, de grâce, avant que te venger,
Que ton amour, ou mon crime, est léger ;
Que j’ay du droict assez pour me deffendre
Si tu ne prens plaisir de me reprendre :
Car en tel cas je me veux accuser
Et mon pardon moy-mesme refuser ;
Je diray tout pour flatter ta colère :
J’ay, si tu veux, assassiné mon père,
Mesdit des dieux, empoisonné l’autel ;
J’ay plus failly que ne peut un mortel.
Mais si jamais tu me donnois licence
De te presser à bien voir mon offence,
Tu jugerois que je suis trop puny
Pour un moment de ta grâce banny.
Lorsque le ciel de tes faveurs me prive,
Comment crois-tu, mon ange, que je vive ?
Ce qui me plaist de tous costez me fuit,
En toutes parts tout me choque et me nuit ;
Je ne vois rien que des objects funèbres ;
Comme mes yeux, mon ame est en ténèbres ;
Mon ame porte un vestement de dueil ;
Tous mes eprits sont comme en un cercueil.
Lors ma mémoire est toute ensevelie,
Mon jugement suit ma melancholie.
Tantost je prens le soir pour le matin,
Tantost je prens le grec pour le latin ;
Soit vers, soit prose, à quoyque je travaille,
Je ne puis rien imaginer qui vaille.
Prends en pitié ; redonne la clarté
A mon esprit, rends-luy la liberté.
Que me veux-tu ? je confesse mon crime ;
J’ay mérité que la foudre m’abysme.
Puisqu’il te plaist, je t’ay manqué de foy ;
Je me repens, et je ne sçay pourquoy.

Il est bien vray qu’aux yeux du populaire
Ce que j’ay faict paroistra téméraire,
Et, me traictant comme un esprit abject,
Ce long courroux semble avoir du subject.
Mais si tu veux considérer encore
Ce que je suis, à quel point je t’honore,
A quel degré mon amitié s’estent,
Ce souvenir ne t’ennuyra pas tant.
Je ne veux point m’ayder de mon mérite
Pour excuser ma faute qui t’irrite,
Ny, mandiant un estranger appuy.
Devoir ma paix à la faveur d’autruy.
Il ne faut point qu’autre que moy me trace
Honteusement un retour à ta grâce.
Si c’est Lisandre à qui je dois ce bien,
Mon repentir ne m’a servy de rien ;
Si c’est luy seul pour qui tu me pardonnes,
C’est désormais à luy que tu me donnes,
Et que tu veux laisser à sa mercy
De me sauver et de me perdre aussi.
Mais s’il te reste encore quelque flame
Des beaux désirs que je t’ay veu dans l’ame.
Si tu n’as point perdu ceste bonté,
Si tu n’as point changé de volonté,
Je suis certain que tu seras bien aise
Qu’autre que toy ton cœur ne me rapaise.
Et je serois marry qu’autre que nous
Eust jamais sceu ma faute et ton courroux.
Tu me diras que ta haine estoit feinte,
Qu’en ce despit ton ame estoit contraincte,
Que tu voulois esprouver seulement
Si ton courroux me pressoit mollement,
Si le refus de ta douce caresse
M’obligeroit à changer de maistresse.
Lors, par le ciel, par l’honneur de ton nom,

Par tes beaux yeux, je jureray que non ;
Que l’amitié de tous les roys du monde,
Tous les presens de la terre et de l’onde,
L’amour du ciel, la crainte des enfers,
Ne me sçauroient faire quitter mes fers,
Ne me sçauroient arracher du courage
Ce bel esprit et ce divin visage.
Comme les cœurs se plaisent à l’amour,
Comme les yeux sont aises d’un beau jour.
Comme un printemps tout l’univers recrée,
Ainsi l’esclat de ta beauté m’agrée.
L’eau de la Seine arrestera son flux,
Le temps mourra, le ciel ne sera plus,
Et l’univers aura changé de face,
Auparavant que cette humeur me passe.