Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/À Monsieur du Fargis

A MONSIEUR DU FARGIS[1].


Je ne m’y puis résoudre, excuse-moy, de grâce :
Escrivant pour autruy je me sens tout de glace.
Je t’ay promis chez toy des vers pour un amant
Qui se veut faire ayder à plaindre son tourment ;
Mais, pour luy satisfaire et bien paindre sa flame,
Je voudrois par avant avoir cogneu son ame.
Tu sçais bien que chacun à des gousts tous divers,
Qu’il faut à chaque esprit une sorte de vers,
Et que, pour bien ranger le discours et l’estude,
En matière d’amour je suis un peu trop rude.
Il faudroit, comme Ovide, avoir esté picqué ;
On escrit aisément ce qu’on a pratiqué,
Et je te jure icy, sans faire le farouche,
Que de ce feu d’amour aucun traict ne me touche.
Je n’entends point les loix ni les façons d’aymer,
Ny comme Cupidon se mesle de charmer.
Geste divinité, des Dieux mesme adorée,
Ces traicts d’or et de plomb, ceste trousse dorée,
Ces aisles, ces brandons, ces carquois, ces apas,
Sont vrayment un mystère où je ne pense pas.
La sotte antiquité nous a laissé des fables
Qu’un homme de bon sens ne croit point recevables,
Et jamais mon esprit ne trouvera bien sain
Celuy-là qui se paist d’un fantosme si vain,
Qui se laisse emporter à des honteux mensonges
Et vient, mesme en veillant, s’embarrasser de songes.
Le vulgaire, qui n’est qu’erreur, qu’illusion,
Trouve du sens caché dans la confusion ;
Mesme des plus sçavans, mais non pas des plus sages,

Expliquent aujourd’huy ces fabuleux ombrages.
Autresfois les mortels parloient avec les Dieux,
L’on en voyoit pleuvoir à toute heure des deux ;
Quelquesfois on a veu prophétiser des bestes ;
Les arbres de Dodonne estoient aussi prophètes.
Ces comptes sont fascheux à des esprits hardis,
Qui sentent autrement qu’on ne faisoit jadis.
Sur ce propos un jour j’espère de t’escrire
Et prendre un doux loisir pour nous donner à rire.
Cependant je te prie encore m’excuser
Et me laisser ainsi libre à te refuser,
Me permettre tousjours de te fermer l’oreille
Quand tu me prieras d’une faveur pareille.
Penses-tu, quand j’aurois employé tout un jour
A bien imaginer des passions d’amour
Que mes conceptions seroient bien exprimées
En paroles de choix, bien mises, bien rimées ?
L’autre n’y trouveroit possible rien pour luy,
Tant il est mal aisé d’escrire pour autruy.
Après qu’à son plaisir j’aurois donné ma peine,
Je sçais bien que possible il loueroit ma veine :
« Vrayment ces vers sont beaux, ils sont doux et coulants,
« Mais pour ma passion ils sont un peu trop lents.
« J’eusse bien désiré que vous eussiez encore
« Mieux loué sa beauté, car vrayment je l’honore.
« Vous n’avez point parlé du front, ny des cheveux,
« Ny de son bel esprit, seul object de mes vœux.
« Tant seulement six vers encor, je vous supplie.
« Mon Dieu, que de travail vous donne ma folie î »
Il voudroit que son front fust aux astres pareil,
Que je la fisse ensemble et l’aube et le soleil,
Que j’escrive comment ses regards sont des armes,
Comme il verse pour elle un océan de larmes.
Ces termes esgarez offencent mon humeur,

Et ne viennent qu’au sens d’un novice rimeur
Qui réclame Phebus ; quant à moy, je l’abjure
Et ne recognois rien pour tout que ma nature.


  1. M. du Fargis d’Angennes, neveu du marquis de Rambouillet. Il fut ambassadeur en Espagne. (Sa femme fut célèbre, sous le ministère de Richelieu, par ses intrigues et son exil.)