Œuvres complètes de Tertullien/Genoud, 1852/De la Pénitence

De la Pénitence
Traduction par Antoine-Eugène Genoud.
Œuvres complètes de TertullienLouis VivèsTome 2 (p. 197-216).

TERTULLIEN DE LA PÉNITENCE.

I. Les hommes, privés de la lumière du Seigneur, comme nous l’étions nous-mêmes autrefois, connaissent, d’après les seules lumières de la nature, la pénitence, qu’ils définissent un certain mouvement de l’ame que suscite le regret d’une action précédente. Mais d’ailleurs ils sont aussi loin de la raison de la pénitence, qu’ils sont loin de l’auteur lui-même de la raison. La raison est l’attribut essentiel de Dieu. Dieu, en effet, créateur de toutes choses, n’a rien prévu, disposé, ordonné sans raison ; il a voulu que rien ne fût compris ni expliqué que d’accord avec la raison. Conséquemment ceux qui ignorent Dieu doivent ignorer nécessairement son œuvre ; aucun trésor n’est ouvert aux étrangers. Aussi qu’arrive-t-il ? Traversant tout le détroit de la vie sans le gouvernail de la raison, ils ne savent pas éviter la tempête qui gronde sur le siècle. Pour montrer combien est déraisonnable l’idée qu’ils se forment de la pénitence, il suffira d’un seul trait : ils la font entrer jusque dans leurs bonnes actions ; ils se repentent d’avoir montré de la bonne foi, de la charité, de la simplicité, de la patience, de la miséricorde. Quelque chose a-t-il mal réussi, ils ne se pardonnent pas d’avoir fait le bien ; ils immolent au fond de leur cœur cette espèce de pénitence qui s’applique aux bonnes œuvres, s’étudiant surtout à en éviter l’occasion ; au contraire, le regret du mal qu’ils ont commis est le moindre de leurs soucis. Que dire enfin ? leur repentir est plus souvent un péché qu’une bonne action.

II. Que s’ils agissaient sous l’influence de Dieu, et par là même de la raison, ils commenceraient par mieux apprécier le mérite de la pénitence ; ils l’emploieraient à autre chose qu’à une réformation criminelle ; enfin ils sauraient régler la mesure du repentir, parce qu’avec la crainte du Seigneur ils mettraient un terme au péché. Mais là où il n’y a aucune crainte, il n’y a conséquemment aucune réforme ; là où il n’y a aucune réforme, la pénitence est nécessairement stérile, puisqu’elle ne porte pas le fruit que Dieu l’a destinée à produire, je veux dire le salut de l’homme. Irrité, en effet, contre cette foule de crimes dont le chef de la race humaine avait donné le fatal exemple, après avoir condamné l’homme, et, dans sa personne, l’univers ; après l’avoir chassé du paradis et l’avoir soumis à la mort, Dieu, n’écoutant ensuite que sa miséricorde, consacra la pénitence dans sa propre personne, en révoquant l’arrêt de ses colères précédentes, et résolu de pardonner à son œuvre et à son image. Il se choisit donc un peuple, il le combla des largesses de sa libéralité ; il ne trouva en lui qu’ingratitude, mais il ne laissa pas de l’exhorter toujours à la pénitence, et il ouvrit par la prédiction toutes les bouches des prophètes. Bientôt, promettant la grâce dont il devait allumer le flambeau sur tout l’univers par son Esprit saint et vers le déclin des temps, il ordonna que la pénitence précédât le baptême, afin de marquer auparavant du sceau de la pénitence ceux qu’il appelait par la grâce à la promesse destinée à la postérité d’Abraham. Jean ne le cache pas, quand il dit : « Faites pénitence : voilà en effet que s’approche le salut des nations, c’est-à-dire le Seigneur, qui s’avance suivant la promesse de Dieu. » Son Précurseur recommandait la pénitence, qui a pour but de purifier les esprits, afin que la pénitence transformant, effaçant et bannissant dans le cœur de l’homme toutes les souillures de la vieille erreur, toutes les taches de l’antique ignorance, préparât à l’Esprit saint qui allait descendre le sanctuaire d’un cœur pur où il pût entrer volontiers avec tous ses dons célestes. Tous ces dons célestes se résument en un seul, le salut de l’homme par l’anéantissement des crimes passés. Voilà le motif de la pénitence ; en voilà l’effet : elle prend en main les intérêts de la divine miséricorde ; en profitant à l’homme, elle tourne à la gloire de Dieu.

Au reste, la règle de la pénitence, que nous connaissons en même temps que le Seigneur, est assujettie à des formules certaines, afin que nous ne jetions pas une main violente, pour ainsi dire, sur nos bonnes actions ou nos bonnes pensées. Dieu, en effet, ne sanctionne pas la réprobation du bien, puisque le bien est à lui. Puisqu’il en est l’auteur et le défenseur, il faut nécessairement qu’il l’agrée, et, s’il l’agrée, qu’il le récompense. Que nous importe l’ingratitude des hommes, si elle force de se repentir du bien que l’on a fait ? Que nous importe encore la reconnaissance, si elle est un encouragement et un motif dans le bien que l’on fait ? Toutes deux sont terrestres, périssables. Gagne-t-on beaucoup à obliger celui qui est reconnaissant ? perd-on beaucoup à obliger un ingrat ? La bonne action a Dieu pour débiteur, de même que la mauvaise, parce que le juge est le rémunérateur souverain. Or, puisque Dieu est le juge qui prononce dans les intérêts de la justice qui lui est chère, qu’il doit défendre et protéger ; puisque ses jugements sont la sanction dernière de toute sa loi, faut-il douter que Dieu n’exerce sa justice sur le principe de notre pénitence, de même que sur l’universalité de nos actes ? Notre pénitence ne sera donc méritoire qu’autant qu’elle s’appliquera à nos péchés réels. Or le péché, c’est le mal. Personne ne pèche en faisant le bien. S’il n’a pas péché, pourquoi envahir la pénitence, qui est le propre de ceux qui ont péché ? pourquoi imposer à sa bonté le caractère de la malice ? Qu’arrive-t-il de là ? quand on se repent là où il n’est pas besoin, on néglige de se repentir là où il le faut.

III. Dans quelles circonstances la pénitence est-elle juste et légitime, c’est-à-dire dans les actions réputées criminelles ? le lieu demande cette explication, mais elle peut sembler oiseuse. En effet, une fois que l’on connaît le Seigneur, l’esprit, éclairé par son auteur, arrive de lui-même à la connaissance de la vérité, et admis aux préceptes du Seigneur, apprend de ces mêmes préceptes à regarder comme péché tout ce que Dieu défend. Dieu, en effet, étant le bien infini, il est clair qu’un être bon ne peut haïr que le mal, puisque d’amitié entre les contraires, il n’en existe pas. Toutefois il ne sera point hors de propos de dire, en passant, qu’il y a des péchés charnels et des péchés spirituels. L’homme est formé par la réunion de deux substances : il devra donc pécher suivant sa double nature. Mais ils ne diffèrent pas entre eux, par la raison qu’il y a deux êtres distincts, l’esprit et le corps. Loin de là, ils sont plutôt semblables, par la raison que deux êtres distincts concourent à un seul et même péché. Ainsi, que personne ne s’autorise de la diversité des substances pour établir qu’un péché est plus léger ou plus grave qu’un autre. La chair et l’esprit appartiennent au même Dieu ; l’une fut pétrie par sa main, l’autre créé par son souffle. Puisqu’ils appartiennent également au Seigneur, quelle que soit la substance qui pèche, elle offense également le Seigneur. Pourquoi distinguer les actes de la chair et de l’esprit, puisque dans la vie, dans la mort, dans la résurrection, la chair et l’esprit sont tellement unis et inséparables, qu’ils ressuscitent également pour la vie et pour le jugement, parce que c’est ensemble qu’ils ont vécu dans le péché ou dans l’innocence ?

Nous avons établi ces principes afin de faire bien comprendre que, s’il y a eu péché, la nécessité de la pénitence n’est pas moindre pour une substance que pour l’autre : leur crime est commun, leur juge est le même, c’est-à-dire Dieu ; il faut donc aussi que le remède de la pénitence soit le même.

On nomme les péchés, les uns corporels, les autres spirituels, parce que tout péché se commet par action ou par pensée. Pour qu’il soit corporel, il faut qu’il y ait eu action, parce que le fait peut être vu et touché à la manière d’un corps. Le péché spirituel, c’est celui qui réside dans l’esprit, parce qu’un esprit ne peut ni être vu, ni être saisi. Il est démontré par là qu’il faut éviter et purifier par la pénitence, non-seulement les actions criminelles, mais encore les prévarications de la volonté. Si, en effet, la faiblesse de l’homme ne juge que le fait extérieur, parce qu’elle ne peut descendre dans les ténèbres de la volonté, nous ne devons pas en conclure que nous pouvons, sous l’œil de Dieu, nous endormir sur les crimes de la volonté. Dieu suffit à tout ; rien de ce qui peut l’offenser n’est éloigné de sa présence. Puisqu’il connaît tout, il en tient nécessairement compte pour prononcer son jugement ; il ne peut ni dissimuler ni mentir à sa propre science. Quoi donc ? la volonté n’est-elle pas l’origine de l’acte ? Que quelques-uns puissent être imputés au hasard, à la nécessité ou à l’ignorance, qu’importe ? Après ces exceptions, les autres naissent de la volonté. Puisque la volonté est la source du mal, la faculté, qui a eu la part principale dans la faute, ne sera-t-elle pas punie d’autant plus justement qu’elle n’est pas même mise hors de cause quand un obstacle entrave son exécution ? car elle est responsable d’elle-même vis-à-vis d’elle-même. Cette impuissance d’exécution ne pourra lui servir d’excuse : elle a fait tout ce qui était en elle.

D’ailleurs, comment le Seigneur nous prouve-t-il qu’il ajoute à la loi ancienne, sinon en interdisant les prévarications de la volonté ? Il appelle adultère non pas seulement celui qui a violé la sainteté du mariage, mais celui qui l’a profanée par la convoitise du regard. Tant il est vrai que l’esprit, pour n’avoir pas vaincu l’obstacle qui l’ empêche d’agir, n’en est pas moins coupable, et qu’il a réalisé l’acte au fond de sa volonté. Puisque telle est la puissance de la volonté, pourquoi, dès-lors qu’elle a joui intérieurement d’elle-même, ne serait-elle pas regardée comme une action ? Elle sera donc punie comme une action. C’est une folie que de dire : J’ai voulu, mais je n’ai pas exécuté. Que dis-je ? Tu dois consommer l’acte, puisque tu le veux ; ou ne pas le vouloir, puisque tu ne le consommes pas. Mais voilà plus : tu te condamnes toi-même par l’aveu de la conscience. Car, si tu désirais le bien, tu t’efforcerais de l’accomplir ; or, tu n’accomplis pas le mal, donc tu ne devais pas le désirer. De quelque côté que tu te tournes, tu es coupable ou d’avoir voulu le mal, ou de n’avoir pas accompli le bien.

IV. Ainsi le Dieu qui a promis le jugement et le supplice à tous les péchés, qu’ils fussent commis par la chair ou par l’esprit, par action ou par volonté, a garanti aussi le pardon par la pénitence, quand il dit au peuple : « Fais pénitence, et je te sauverai. » Et ailleurs : « Je suis le Dieu vivant ; j’aime mieux la pénitence que la mort. » La pénitence est donc la vie, puisqu’elle est mise en opposition avec la mort. Pécheur semblable à moi, ou plutôt inférieur à moi, car je confesse ma supériorité dans le péché, saisis, embrasse la pénitence, comme un naufragé s’empare de la planche qui doit le sauver. Elle t’aidera à sortir des flots de la prévarication qui t’engloutissent, et te conduira dans le port de la divine miséricorde. Saisis l’occasion d’un bonheur inattendu, afin que celui qui tout à l’heure n’était devant Dieu « qu’une goutte d’eau, qu’un grain de sable, qu’un vase d’argile, devienne cet arbre qui est planté le long des eaux, qui se couvre de feuilles, qui porte des fruits dans son temps, et qui ne verra un jour ni le feu ni la hache. Repens-toi de tes erreurs, puisque tu as trouvé la vérité ! Repens-toi d’avoir aimé ce que Dieu n’aime pas, puisque nous-mêmes nous ne permettons pas aux plus humbles de nos serviteurs d’aimer ce qui nous déplaît. La ressemblance des inclinations est en effet la garantie de l’obéissance.

S’il fallait énumérer les avantages de la pénitence, ils fourniraient la matière d’un long discours. Pour nous, notre faiblesse nous enferme dans ce point unique : ce que Dieu ordonne ne peut être que bon et très-bon. Il y aurait une insolente témérité à mettre en question si ce que Dieu commande est bon. Car c’est moins par l’utilité de la chose que nous devons nous y soumettre, que parce que l’ordre vient de Dieu. La majesté de la puissance divine, voilà ma première raison pour obéir. L’autorité du maître passe avant l’utilité du serviteur. La pénitence est-elle bonne ou non ? Pourquoi délibères-tu ? Dieu l’ordonne, que dis-je, il l’ordonne ? il nous y engage ; il nous y invite par la promesse de la récompense et du salut ; quand il jure par ces termes : « Moi, le Dieu vivant, » il veut que nous croyions à sa parole. Bienheureux, certes, que Dieu jure pour l’amour de nous ! Mais bien malheureux aussi, si nous n’ajoutons pas foi à Dieu, même lorsqu’il jure. Il suit de là que nous devons embrasser et conserver avec fermeté d’ame ce que Dieu recommande avec tant d’instance et ce qu’il atteste avec serment, à la manière des hommes, afin que demeurant inviolablement dans les promesses de la grâce divine, nous puissions demeurer aussi dans ses fruits et ses avantages.

V. En effet, je déclare qu’une fois connue et embrassée par nous, cette pénitence qui, nous ayant été montrée et ordonnée par la miséricorde de Dieu, nous rétablit dans son amitié, ne peut plus désormais être brisée par la réitération du péché. Dès-lors tu ne peux plus prétexter l’ignorance quand, après avoir une fois connu le Seigneur et embrassé ses préceptes, après avoir expié tes fautes par la pénitence, tu retournes au péché. Ainsi, plus tu échappes à l’ignorance, plus tu restes enlacé dans l’accusation de révolte. Car si tu avais commencé de te repentir parce que tu avais commencé de craindre le Seigneur, pourquoi interrompre ce que tu as entrepris par le motif de la crainte, sinon parce que tu as cessé de craindre ? Or, rien ne détruit mieux la crainte que la révolte. Et si l’ignorance même du Seigneur n’est pas un abri contre le châtiment, parce qu’il n’est pas permis d’ignorer Dieu qui est visible à tous, et qui s’atteste lui-même par la manifestation de ses œuvres, qu’il est dangereux de le mépriser après l’avoir connu ! Or il le méprise, celui qui ayant obtenu de lui le discernement du bien et du mal, foule aux pieds son discernement, c’est-à-dire le don de Dieu, en revenant à ce qu’il sait qu’il faut fuir, à ce qu’il a déjà fui lui-même. Il repousse le donateur quand il dédaigne le don ; il répudie le bienfait lorsqu’il cesse d’honorer le bienfaiteur. Comment Dieu peut-il lui plaire, puisque les dons de Dieu lui déplaisent ? De là vient qu’il est non-seulement coupable de révolte contre Dieu, mais d’ingratitude.

D’ailleurs, après avoir terrassé par la pénitence l’ennemi de Dieu, et à ce titre l’avoir soumis au Seigneur, est-ce faire une médiocre insulte à celui-ci, que de relever par sa chute son rival, et de lui préparer un trophée dans sa personne, afin que l’esprit mauvais, reconquérant sa proie sur le Seigneur, triomphe une seconde fois ? N’est-ce pas là, chose périlleuse à dire, mais qu’il faut proclamer néanmoins pour l’édification ! n’est-ce pas là sacrifier le Seigneur au démon ? Il semble en effet que le transfuge ait établi une comparaison, puisqu’il connaissait l’un et l’autre, et qu’il ait décidé, après mûr examen, que celui-là est le meilleur auquel il a préféré appartenir une seconde fois. Ainsi, celui qui avait commencé de satisfaire à Dieu par la pénitence de ses péchés, satisfera au démon par une pénitence contraire, et deviendra par conséquent aussi odieux au Seigneur qu’agréable à son ennemi.

Mais, disent quelques-uns, Dieu se contente de l’hommage du cœur et de l’esprit, sans avoir besoin de l’acte extérieur. Nous péchons donc sans perdre ni la crainte ni la foi. Qu’est-ce à dire ? Vous profanez le mariage en gardant la chasteté ; vous administrez le poison à votre père, en gardant la piété filiale. Eh bien ! puisque vous péchez sans cesser de craindre, vous serez précipités dans l’enfer sans perdre le pardon. Quel renversement d’idées ! Ils pèchent parce qu’ils craignent ; ils ne pécheraient pas, j’imagine, s’ils ne craignaient pas. Ainsi, quiconque ne voudra point offenser Dieu se dispensera de le vénérer, puisque la crainte est une autorité pour l’offenser. Mais de tels esprits germent ordinairement de la semence des hypocrites qu’une amitié inviolable unit au démon, et dont la pénitence n’est jamais sincère.

VI. Tout ce que notre faiblesse s’est efforcée de suggérer sur la nécessité d’embrasser la pénitence et de persévérer dans cette voie, concerne tous les serviteurs de Dieu, sans doute, puisqu’ils aspirent au salut en se rendant Dieu favorable, mais s’adresse principalement à ces néophytes, dont les oreilles commencent à peine à s’abreuver des discours divins, et qui, pareils à des animaux qui ne font que de naître, rampent d’un pas incertain avant que leurs yeux soient bien ouverts, affirment qu’ils renoncent à leur vie passée, et adoptent la pénitence, mais négligent de la pratiquer. En effet, le repentir lui-même les porte à regretter quelque chose de leurs anciennes voies, à peu près comme ces fruits qui, lorsqu’ils commencent à se corrompre et à devenir amers, gardent encore une partie de leur éclat. Toutes ces lenteurs, toutes ces tergiversations criminelles à l’égard de la pénitence proviennent d’un préjugé sur la vertu du baptême. Dans la certitude où sont les catéchumènes que leurs fautes leur sont remises, ils dérobent à leur profit le temps qui leur reste jusqu’à ce jour, profitant de ce délai pour pécher, au lieu d’apprendre à s’abstenir. Quel calcul, aussi insensé qu’injuste, de ne pas accomplir la pénitence et d’espérer le pardon de ses fautes, c’est-à-dire, de ne pas payer le prix, et de tendre la main pour recevoir la marchandise ! Le Seigneur, en effet, a mis le pardon à ce prix : il nous offre l’acquisition de l’impunité en échange de la pénitence. Si le vendeur commence par examiner l’argent qui lui est compté, afin de reconnaître s’il n’est pas rogné, sans empreinte ou altéré, nous devons croire que le Seigneur éprouve aussi la pénitence avant de nous accorder une récompense qui n’est rien moins que la vie éternelle.

Mais ajournons pour quelques moments la sincérité de la pénitence. Sommes-nous purifiés par la raison que nous sommes absous ? non, assurément. Nous le sommes lorsqu’à l’approche du pardon la dette de la peine est acquittée ; lorsque nous ne méritons plus d’être délivrés pour pouvoir le mériter ; lorsqu’enfin Dieu menace, et non lorsqu’il pardonne. Quel est, en effet, l’esclave qui, une fois affranchi, se reproche ses larcins et ses fuites ? Quel est le soldat qui, une fois libéré de la milice, prend souci de ses flétrissures ? Le pécheur doit donc pleurer ses fautes avant le jour du pardon, parce que le temps de la pénitence est un temps de péril et de crainte. Je suis loin de contester à ceux qui vont descendre dans l’eau l’efficacité du bienfait divin, en d’autres termes, le pardon de leurs péchés ; mais, pour avoir le bonheur d’y parvenir, il faut des efforts. En effet, ô homme d’un repentir si peu sincère, quelle main oserait te prêter une seule goutte de l’eau quelle qu’elle soit ! Sans doute il l’est facile d’approcher furtivement et de tromper par tes serments celui qui est préposé à ce ministère ; mais Dieu lui-même veille sur son trésor, et ne permet pas que des sujets indignes se glissent jusqu’à lui. — D’ailleurs, pourquoi dit-il : « Il n’y a rien de si secret qui ne soit révélé ? » De quelques ténèbres que tu recouvres tes actions, « Dieu est lumière. »

D’autres raisonnent ainsi : Dieu a promis, il est donc obligé d’accorder, même à ceux qui ne le méritent pas. Ils font de la générosité de Dieu une servitude. Si c’est par nécessité qu’il brise pour nous le contrat de la mort, c’est donc malgré lui qu’il le fait ; car qui laisse subsister une chose qu’il accorda malgré lui ?

— Mais, dira-t-on, bien des hommes ne retombent-ils pas après le baptême ? N’en est-il pas un grand nombre qui sont dépouillés de ce bienfait ? — Sans doute : ce sont ceux qui se glissent furtivement ; ceux qui, se confiant dans leur prétendue pénitence, « ont bâti sur le sable une maison qui devait crouler. » Ainsi, parce qu’un homme est admis au noviciat des Auditeurs, qu’il n’aille pas se flatter de l’espoir qu’il lui est encore permis de pécher ! Dès que tu connais Dieu, il faut le craindre ; dès que tu le contemples, il faut le révérer. D’ailleurs, à quoi te servirait de le connaître, si tu marches dans les mêmes voies qu’aux jours de ton ignorance ? Quelle différence y a-t-il entre toi et un parfait serviteur de Dieu ? Y a-t-il un Christ pour ceux qui sont baptisés, et un Christ pour les Auditeurs ? Y a-t-il deux craintes, deux espérances, deux craintes du jugement, deux nécessités de la pénitence ? Le bain régénérateur est le sceau de la foi ; cette foi commence et se recommande par la sincérité de la pénitence. Nous ne sommes pas lavés pour que nous cessions de pécher, mais parce que nous avons cessé, et que nous sommes déjà lavés au fond du cœur. Voilà le premier baptême, de l’Auditeur : une crainte entière ; puis, du moment qu’on s’approche du Seigneur, une foi pure et une conscience qui a embrassé une bonne fois la pénitence. D’ailleurs, si nous ne cessons de pécher qu’au sortir de l’eau baptismale, c’est par nécessité et non par choix que nous revêtons l’innocence. Or, lequel des deux a quelque mérite à être vertueux, de celui qui ne peut pas être criminel, ou de celui qui ne le veut pas ? de celui auquel il est enjoint de s’abstenir, ou de celui qui s’abstient volontairement ? Eh bien ! ne détournons nos mains du larcin, qu’autant que la solidité des barrières s’y refuse ; n’interdisons à nos yeux les regards de la concupiscence, qu’autant que nous serons arrêtés dans l’adultère par des gardiens vigilants, s’il est vrai que nul de ceux qui se donnent à Dieu ne doive renoncer au péché que lié par les engagements du baptême. Quiconque a ces sentiments, une fois baptisé, doit plus s’attrister, si je ne me trompe, d’avoir répudié le péché, que se réjouir d’y avoir échappé.

Les Auditeurs doivent donc désirer le baptême, mais non le précipiter. Qui le désire l’honore ; qui le précipite n’est qu’un orgueilleux. Dans le premier, c’est respect, dans le second, irrévérence ; celui-ci s’impose des efforts, celui-là se livre à la négligence ; celui-ci aspire à mériter, celui-là réclame l’acquittement d’une dette ; celui-ci reçoit, celui-là envahit. Lequel, à ton avis, est le plus digne de cette grâce, sinon le mieux corrigé ? le mieux corrigé, sinon le plus réservé ? par conséquent, celui qui a fait une pénitence véritable. En effet, il a craint de pécher par la crainte de ne pas recevoir. Au contraire, cet autre orgueilleux, qui se promettait le bienfait comme l’acquittement d’une dette, n’a pas pu craindre dans sa folle sécurité ; par conséquent il n’a pas rempli les conditions de la pénitence, puisqu’il n’a pas eu la crainte, qui est l’instrument de la pénitence. La présomption est une partie de l’impudeur ; elle enfle celui qui demande, elle méprise celui qui donne ; souvent même elle le trompe. En effet, elle sollicite comme un droit, avant d’avoir mérité, moyen infaillible d’offenser le maître du bienfait.

VII. O Jésus-Christ, mon Seigneur, accorde à tes serviteurs la faveur de connaître ou d’apprendre de ma bouche la règle de la pénitence, en ce sens qu’il est défendu aux catéchumènes eux-mêmes de pécher ! Autrement ils ne comprendront jamais rien de la pénitence, jamais ils ne la désireront. Il me répugne de mentionner ici la seconde, ou, pour mieux dire, la dernière espérance, de peur qu’en traitant de la ressource du repentir, je ne semble ouvrir une carrière au péché. A Dieu ne plaise que l’on interprète assez mal ma pensée pour s’imaginer que la faculté de se repentir soit la faculté de pécher encore, et que la surabondance de la miséricorde céleste soit une ouverture à l’insolence de la témérité humaine ! Ainsi, que personne ne soit plus criminel, parce que Dieu est plus clément ; autant de fois pécheur qu’il est de fois pardonné. Apparemment qu’il pourra toujours échapper à Dieu, celui qui ne pourra pas même toujours pécher ! Nous avons échappé une fois : jetons-nous de gaîté de cœur dans le péril, sous le prétexte que nous y échapperons encore une fois. Vois la plupart de ceux qu’a épargnés le naufrage ; ils font divorce avec la mer et le navire, et honorent le bienfait de Dieu, je veux dire leur salut, par la mémoire du péril. Je loue leur crainte, j’aime leur défiance ; ils ne veulent pas importuner la miséricorde divine par de nouvelles demandes, ils tremblent de hasarder ce qu’ils ont déjà obtenu, ils évitent de courir une seconde fois les risques d’un événement qu’ils ont déjà appris à redouter. L’homme qui craint le Seigneur l’honore. Mais notre opiniâtre ennemi ne s’endort jamais dans sa malice. Que dis-je ? il redouble surtout de fureur quand il voit l’homme échappé à ses liens ; plus nos passions s’éteignent, plus sa haine s’enflamme. Il faut bien qu’il s’afflige et qu’il se désespère en voyant que, par le pardon accordé aux péchés, tant d’œuvres de mort sont détruites dans l’homme, et tant de titres de condamnation annulés. Il s’afflige à la pensée que ce pécheur, devenu le serviteur de Jésus-Christ, le jugera, lui et ses anges. En conséquence, il l’épie, il l’attaque, il l’obsède ; il essaie par tous les moyens possibles, tantôt de frapper ses regards par la concupiscence de la chair, tantôt d’envelopper son ame dans les liens des affections mondaines, tantôt d’ébranler sa foi par la crainte de la puissance terrestre, tantôt de le détourner du droit chemin par des doctrines perverses : scandales, tentations, rien ne lui manque. Dieu donc, prévoyant tous ces stratagèmes, après avoir fermé, il est vrai, la porte du pardon, en fermant la porte du baptême, a ouvert au pécheur un dernier refuge ; il a placé à l’entrée du vestibule la seconde pénitence, afin qu’elle s’ouvre à ceux qui frappent, mais pour une fois seulement, parce que c’est déjà la seconde ; mais davantage, jamais, parce que la précédente a été vaine. Peux-tu dire, en effet, qu’une fois ne suffise pas ? Tu recueilles ce que tu méritais, puisque tu as perdu ce que tu avais reçu. Si l’indulgence de Dieu te rend ce que tu avais perdu, sois au moins reconnaissant d’un bienfait répété, ou, pour mieux dire, d’un bienfait plus grand, car rendre c’est plus que donner ; parce qu’il est plus malheureux pour l’homme d’avoir perdu que de n’avoir jamais rien obtenu. Toutefois, ne va point te laisser abattre par le désespoir, parce que tu te trouves le débiteur de la seconde pénitence. Rougis d’avoir péché une seconde fois, mais ne rougis pas de te repentir ; rougis d’avoir succombé une seconde fois, mais non de te relever de nouveau. Point de fausse honte : à de nouvelles blessures il faut de nouveaux remèdes. Le moyen de témoigner ta reconnaissance au Seigneur, c’est de ne pas rejeter le don qu’il t’offre. Tu l’as offensé, oui, sans doute ; mais tu peux te réconcilier avec lui. Tu sais à qui il faut satisfaire, et qui est prêt à recevoir ta satisfaction.

VIII. Si tu en doutes, parcours ce que l’Esprit saint mande aux Églises. Il reproche à celle d’Ephèse « d’avoir abandonné la charité ; » à celle de Thyatire, « ses dissolutions et son penchant à l’idolâtrie ; » à celle de Sardes, « de n’avoir que des œuvres imparfaites ; » à celle de Pergame, « . de corrompre la doctrine ; » à celle de Laodicée, « d’avoir trop de confiance dans ses richesses. » Et cependant il les exhorte toutes à la pénitence, et même avec menaces. Or, il ne menacerait pas l’impénitent, si, d’autre part, il ne pardonnait au pénitent. On pourrait le révoquer en doute si lui-même n’avait marqué ailleurs la sainte profusion de sa miséricorde. Ne dit-il pas ? « Celui qui est tombé ressuscitera ; celui qui se détourne de moi reviendra à moi. » C’est lui, oui, c’est lui qui préfère la « miséricorde au sacrifice. — Le ciel et les anges qui l’habitent se réjouissent du repentir du pécheur. » Prends courage, ame pénitente, tu vois en quel lieu l’on se réjouit de ton retour. Et que nous veulent les paraboles du Seigneur ? que signifie cette femme « qui perd sa dragme, la cherche, la retrouve, et invite ses amis à se réjouir avec elle ? » n’est-elle pas un symbole du pécheur rendu à la grâce ? « Une brebis vient à s’égarer ; toutefois le troupeau tout entier n’est plus cher au pasteur ; c’est après elle seule qu’il court, c’est elle seule qui lui fait oublier toutes les autres ; et quand enfin il la trouve, il la rapporte sur ses épaules, » car elle s’est beaucoup travaillée en errant çà et là. Passerai-je sous silence ce père miséricordieux « qui rappelle l’enfant prodigue, l’accueille avec tant de joie lorsque l’indigence l’a conduit au repentir, immole le veau gras, et célèbre son bonheur par un banquet de réjouissance ? » Et pourquoi non ? il a recouvré le fils qu’il avait perdu ; le fils qu’il a gagné de la sorte lui est devenu plus cher encore. De quel père s’agit-il sous cet emblème ? De Dieu. Personne n’est aussi père que lui, personne n’est aussi miséricordieux. Tu es son fils : tu as beau avoir dissipé ce que tu as reçu de lui, tu as beau revenir pauvre et nu, il te recevra, par là même que tu es revenu à lui. Que dis-je ? ton retour lui donnera plus de joie que toute la fidélité des autres ; mais à quelle condition ? Si tu te repens du fond de l’ame ; si tu compares ta faim avec l’abondance des serviteurs de ton père ; si tu abandonnes les pourceaux, troupe immonde ; si tu retournes vers ton père, quelque courroucé qu’il soit ; si tu lui dis : « Mon père, j’ai péché ; je ne mérite plus d’être appelé votre fils ! » On se soulage du poids de ses péchés en les confessant, autant qu’on les aggrave en les dissimulant. La confession est un commencement de satisfaction ; la dissimulation un acte de révolte.

IX. Plus cette seconde et dernière pénitence est nécessaire, plus la preuve en doit être laborieuse, de sorte qu’elle ne réside pas seulement au fond de la conscience, mais qu’il lui faut encore quelque manifestation extérieure. Cet acte, que nous nommons le plus ordinairement par un mot grec, c’est l’exomologèse, en vertu de laquelle nous confessons au Seigneur notre péché, non pas qu’il l’ignore, mais parce que la confession dispose à la satisfaction, que la pénitence naît de la confession, et que la pénitence apaise la colère de Dieu. L’exomologèse est donc un exercice qui a pour but d’humilier l’homme et de l’anéantir, en lui imposant une conduite qui attire la miséricorde, en réglant son extérieur et sa table, en le courbant sous le sac et la cendre, en lui apprenant à couvrir son corps de poussière et à plonger son ame dans la douleur, et convertissant en moyens de pénitence tout ce qui fut l’instrument du péché. D’ailleurs elle ne connaît du boire et du manger que ce qu’il faut pour soutenir la vie et non pour flatter le ventre ; elle nourrit la prière par le jeûne ; elle gémit, elle pleure, elle crie et le jour et la nuit au Seigneur son Dieu ; elle se roule aux pieds des prêtres, elle s’agenouille devant ceux qui sont chers à Dieu ; elle sollicite les prières de tous les frères, afin qu’ils soient ses mandataires auprès de Dieu. Voilà ce que fait l’exomologèse pour donner plus de prix à la pénitence, pour honorer le Seigneur par la crainte du péril, pour que, prononçant elle-même contre le pécheur, elle se substitue à l’indignation divine, enfin pour éviter, que dis-je ? pour acquitter la dette des supplices éternels par les afflictions qu’elle s’impose dans le temps. Ainsi, en abattant l’homme, elle le relève ; en le souillant de poussière, elle le purifie ; en l’accusant, elle le justifie ; en le condamnant, elle l’absout. Crois-moi, moins tu te pardonneras à toi-même, plus Dieu te pardonnera.

X. La plupart, cependant, reculent devant la pénitence, comme devant une déclaration qui les affiche eu public, ou bien la remettent de jour en jour, plus dociles, si je ne me trompe, à la voix de la honte qu’à celle du salut, à peu près comme ces malades qui, rougissant de découvrir à l’œil du médecin leurs plaies secrètes, meurent dans leur fausse honte. Quoi ! il sera intolérable à la honte de satisfaire à un Dieu que l’on a offensé, et d’être rendu au salut que l’on a dissipé ! Belle excuse que ta honte, en vérité ; tu marchais dans le crime tête levée, tu n’oses courber ta tête pour conjurer l’orage ! Pour moi, je n’écoule point la honte quand il m’est plus avantageux de la fouler aux pieds, lorsque l’Esprit lui-même adresse en quelque sorte à l’homme cette exhortation : « Ne prétends pas m’honorer en disant : Il vaut mieux que je périsse par toi. » Assurément tu aurais quelques périls à redouter si on se prévalait de ta déclaration pour t’insulter par la moquerie, comme on le fait dans le monde, où l’affliction de l’un est le triomphe de l’autre, et où l’on s’élève sur les ruines d’autrui. Mais, d’ailleurs, au milieu de tes frères qui servent comme toi le même maître, qui n’ont avec toi qu’une même espérance, une même crainte, une même joie, une même douleur, une même souffrance, parce que l’Esprit est commun à tous ceux qui ont le même Seigneur et le même Père, pourquoi les crois-tu d’une autre nature que toi ? Pourquoi fuis-tu ceux qui tombent comme toi, comme s’ils devaient applaudir à ta chute ? Le corps ne peut se réjouir des douleurs d’un de ses membres : loin de là, il faut qu’il souffre tout entier, et que tout entier il concoure à la guérison. L’Église est dans deux ou trois fidèles ; mais l’Église c’est Jésus-Christ. Ainsi, quand tu fléchis les genoux devant tes frères, c’est le Christ que tu touches, le Christ que tu implores. De même, quand ils répandent des larmes sur toi, c’est encore le Christ qui souffre, le Christ qui invoque son Père. Ce qu’un fils demande il l’obtient facilement. Vraiment la dissimulation qui cache son péché se promet de grands avantages de cette mauvaise honte ! En effet, nous parviendrons à cacher à Dieu ce que nous dérobons à la connaissance de l’homme ! Est-il bien vrai que nous mettons en parallèle le jugement de l’homme et la conscience de Dieu ? Vaut-il mieux se damner en secret que d’être absous en public ? Il est douloureux d’arriver par cette voie à l’exomologèse. En effet, on arrive à la douleur par le mal ; mais puisqu’on ne peut guérir qu’au prix de la pénitence, l’affliction disparaît parce qu’elle est salutaire. Il est douloureux de subir une amputation, d’être brûlé par un cautère, et d’être torturé par l’aiguillon mordant de quelque poudre ; mais on pardonne volontiers aux remèdes qui guérissent par la douleur ce qu’ils ont de pénible, et le bienfait à venir étouffe le mal présent.

XI. Mais que dire si la mauvaise honte leur paraît encore préférable à la mortification corporelle ? Quoi donc, s’écrient-ils, renoncer au bain, porter des vêtements souillés ; s’interdire toute joie ; vivre dans la rudesse du sac, sur le dégoût de la cendre, dans les flétrissures d’un visage amaigri par le jeune ! Est-ce donc sous la pourpre de Tyr qu’il convient de pleurer nos péchés ? Eh bien ! tenez, voilà une aiguille pour séparer vos cheveux ; voilà une poussière pour relever l’éclat de vos dents ; voilà des ciseaux de fer ou d’airain pour façonner vos ongles ; répandez sur vos lèvres ou sur vos joues cette blancheur menteuse, cette rougeur hypocrite ; allez chercher des bains plus délicieux dans la retraite de quelque villa ou sur les côtes de la mer ; ajoutez à vos dépenses ; chargez votre table d’aliments plus recherchés ; savourez la vieillesse des vins ; et lorsqu’on vous demandera pourquoi cette abondance, répondez : « J’ai péché contre Dieu ; je suis en danger de périr éternellement : voilà pourquoi je m’épuise en recherches, en mortifications et en douleurs pour me rendre propice le Dieu que j’ai offensé par mes prévarications. » Mais quoi ! ceux qui intriguent pour obtenir des magistratures, n’éprouvent ni honte, ni répugnance à braver les fatigues de l’ame et du corps. Que parlé-je de fatigues ? Ils s’endurcissent aux affronts pour arriver au succès de leurs vœux. A quels vêtements grossiers ne descendent-ils pas ? Combien de portes ne fatiguent-ils pas soir et matin par leurs salutations intéressées ? Pas un personnage considérable devant lequel ils ne rampent et ne disparaissent ; pour eux plus de banquets ; plus de réunions de plaisirs. Ils s’interdisent toute liberté, toute joie. Pourquoi tant de privations ? Pour acheter une satisfaction qui s’envolera avec l’année ! Et nous, ce qu’endure la brigue qui sollicite quelques haches ou quelques faisceaux, nous balancerions à le supporter quand notre éternité est en péril ! Nous hésiterions à réprimer le faste de notre table et de nos vêtements, quand nous avons offensé le Seigneur, tandis que les païens s’imposent ces sacrifices sans avoir offensé personne ? Les voilà bien ceux dont l’Ecriture a dit : « Malheur à ceux qui lient leurs péchés avec une longue corde ! »

XII. L’exomologèse te fait peur ; pense aux flammes de l’enfer que l’exomologèse éteindra pour toi ; réfléchis d’abord à la grandeur du châtiment, pour ne plus hésiter à l’adoption de ce remède. Quelle idée devons-nous nous faire de la profondeur de ce feu éternel, lorsque quelques-uns de ses soupiraux lancent de tels tourbillons de flamme qu’ils engloutissent les villes voisines, ou menacent prochainement celles qui sont encore debout ? Les plus hautes montagnes sont déchirées par l’enfantement de ce feu intérieur ; et ce qui nous prouve l’éternité du jugement, c’est que ces montagnes, toutes déchirées, toutes dévorées qu’elles sont par les flammes, n’en subsistent pas moins. Qui ne verrait dans le supplice de ces montagnes l’image du jugement qui nous menace ? Qui ne regarderait ces étincelles comme les traits et les projectiles préparatoires de quelque vaste et incommensurable foyer ? Or, puisque le Seigneur, ainsi que tu le sais, t’a donné après la première grâce du baptême, une seconde ressource dans l’exomologèse, pourquoi renoncer à ton salut ? Pourquoi cesses-tu d’embrasser le remède qui te guérira infailliblement ? Les animaux eux-mêmes, quoique dépourvus de la parole et de la raison, reconnaissent dans leur temps les remèdes qui leur sont assignés par Dieu. Le cerf, percé par la flèche, afin de chasser de sa plaie le fer qui s’y est enfoncé avec ses dards si difficiles à arracher, se guérit lui-même en broutant le dictame. L’hirondelle a-t-elle aveuglé ses petits ? elle sait leur rendre la vue par l’application de la chélidoine, qu’elle a découverte. Le pécheur, qui sait que l’exomologèse est établie de Dieu pour le rendre au salut, négligera-t-il celle qui replaça sur le trône le roi de Babylone ? Ce roi, en effet, travaillant à l’exomologèse par une humiliation de sept ans, laissant croître ses ongles à la manière de l’aigle, et semblable au lion par la forêt inculte de sa chevelure, offrit long-temps au Seigneur le sacrifice de sa pénitence. Merveilleuse récompense de cet extérieur sauvage ! Celui qui était pour les hommes un spectacle d’horreur trouvait grâce devant Dieu ! Au contraire, le monarque égyptien, qui refusa si long-temps à son maître le peuple de Dieu qu’il accablait de tribulations, et qui après l’avoir congédié, vola sur ses pas pour le combattre, après tant de plaies qui auraient dû l’avertir, périt englouti dans les flots d’une mer qui ne s’ouvrait qu’au peuple élu, et laissa ensuite retomber ses vagues. Pourquoi ce châtiment ? L’impie avait répudié la pénitence, et l’exomologèse qui en est comme le ministre. Mais pourquoi parler plus long-temps de ces deux planches du salut de l’homme, paraissant viser plus à l’ambition du style qu’obéir à l’impulsion de ma conscience ? Pécheur moi-même, chargé de toute espèce de flétrissures, et né seulement pour la pénitence, comment me tairais-je sur elle, puisqu’Adam, le premier auteur de la vie humaine et de la révolte contre le Seigneur, restitué par la pénitence au, paradis qui lui avait été destiné, ne cesse de la publier ?