Œuvres complètes de Tertullien/Genoud, 1852/Contre Marcion/Livre III

Contre Marcion
Traduction par Antoine-Eugène Genoud.
Œuvres complètes de TertullienLouis VivèsTome 1 (p. 101-149).
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CONTRE MARCION.

LIVRE III.

I. Fidèle aux traces du premier ouvrage que nous continuons de reproduire après l’avoir perdu, notre plan nous conduit à l’examen du Christ, quoique cette discussion, en arrivant après la démonstration de l’imité de Dieu, paraisse à peu près superflue. En effet, que le Christ n’appartienne à nul autre dieu qu’au Dieu créateur, telle est la présomption qui a du s’établir lorsque nous avons prouvé victorieusement qu’il n’y avait point d’autre dieu que le Dieu créateur, prêché par le Christ lui-même, et que les apôtres ont proclamé. Ainsi, d’un second Dieu, et par conséquent d’un second Christ, pas un mot avant le scandale de Marcion. Cette assertion est facile à vérifier pour qui remonte au berceau des Églises fondées par les apôtres, et à celui des églises dissidentes. Il faut le reconnaître : quand il y a déviation à la règle, la déviation se trouve où se trouve la postériorité. C’est un principe que nous avons posé précédemment. Toutefois, cette discussion, consacrée exclusivement au Christ, ne sera pas destituée de tout avantage. Démontrer que le Christ est l’envoyé du Créateur, c’est encore exclure le dieu de Marcion. Il convient à la vérité d’user de toutes ses forces, non pas comme un soldat qui succombe. Du reste, elle triomphe par l’arme des prescriptions. Il lui appartient d’aller avec la certitude du triomphe à la rencontre d’un adversaire assez furieux pour présumer plus facilement venue d’un Christ jamais annoncé, que la venue d’un Christ toujours prédit.

II. Ma première attaque, la voici : L’apparition de ton messie a-t-elle dû être si soudaine ? D’abord, il était fils de Dieu ; il était donc dans l’ordre que le père annonçât le fils avant que le fils annonçât le père ; que le père rendît témoignage au fils avant que le fils rendit témoignage au père. En second lieu, à sa divine filiation, il joignait le litre d’ambassadeur. Ici encore l’autorité qui envoyait devait couvrir de son patronage celui qu’elle déléguait pour lui rendre hommage ici-bas, parce que nul représentant d’une autorité étrangère ne s’accrédite par ses déclarations personnelles. Loin de là ! L’ambassadeur attend que son maître le devance et le protège par sa déclaration même. D’ailleurs, quel moyen de reconnaître pour fils celui que son père n’a jamais avoué, ou de se fier à un mandataire dont l’auteur du mandat n’a jamais prononcé le nom ? Le père se fût-il abstenu de le nommer, ou l’auteur du mandat de le désigner, s’il eut existé réellement ? Tout ce qui s’affranchit, des règles communes éveille le soupçon. L’ordre et l’enchaînement des idées ne me permettent pas de reconnaître le père après le fils, l’auteur du mandat après le mandataire, le Dieu après le Christ. Rien, dans la reconnaissance, ne doit précéder l’origine, parce que rien ne la précède dans les dispositions. Fils improvisé ! ambassadeur improvisé ! christ improvisé ! Mais la Providence ne procède pas avec cette brusque précipitation. Elle prépare les éléments de longue main. Si ton christ a été préordonné d’avance, pourquoi n’a-t-il pas été annoncé, afin qu’il pût être prouvé par la prédication qu’il avait été préordonné, et par la préordination, qu’il était divin ? Assurément, une œuvre si merveilleuse, élaborée dans les conseils éternels, n’aurait pas dû surgir à l’improviste, puisqu’elle était destinée à sauver le monde par la foi. Plus elle devait s’enraciner dans la créance humaine, pour devenir profitable, plus elle exigeait, pour atteindre ce but, une suite de préparatifs appuyés sur les fondements de l’économie divine et de la prophétie. Dans cette progression tout s’explique. La foi se forme ; Dieu a droit de l’imposer à l’homme ; l’homme en doit l’hommage à Dieu. Nous croyons, par l’accomplissement des faits, ce que nous avons appris à croire par la voix de la prophétie.

III. — « Ces précautions n’étaient point nécessaires. A peine descendu dans le monde, notre Christ avait la voix des miracles pour attester sa qualité de fils, d’ambassadeur et de messie divin. »

— Preuve décréditée par lui-même dans la suite des temps, te répondrai-je aussitôt, et insuffisante pour attester sa mission. En effet, nous avertir « qu’il s’élèvera une foule de faux christs qui opéreront des prodiges » capables d’ébranler les élus eux-mêmes, mais qu’il faut nous garder de leurs piéges, n’était-ce pas nous déclarer que la preuve des miracles est équivoque, parce que les merveilles et les prodiges sont faciles aux imposteurs ? Après cet avertissement, quelle inconséquence de sa part à invoquer pour lui-même l’unique preuve des miracles, et à fonder sa notion ainsi que sa reconnaissance sur des bases qu’il récusait pour des novateurs qui devaient, eux aussi, apparaître brusquement et sans avoir été annoncés par aucun prophète ?

Allégueras-tu que, venu le premier, et ayant confirmé sa mission par des miracles qui avaient la priorité, il a surpris la crédulité des hommes à peu près comme ou s’empare de la première place aux bains publics, et que, par cet heureux hasard, il a décrédité tous ceux qui viendraient après lui ? Prends-y garde cependant. Ton christ va être aussi relégué parmi ceux qui viennent les seconds. N’est-il pas postérieur à mon Créateur, qui était déjà en possession du monde, qui déjà avait opéré des merveilles, et avait déclaré, lui aussi, que d’autre Dieu, excepté lui, il n’en existait pas ? Est-il venu le premier ? At-il exclu du rang suprême tons ceux qui viendraient après lui ? Dès-lors, les bornes de la foi sont fixées. Dès-lors, ô Marcion, ton dieu est condamné d’avance par le seul fait de sa postériorité. Au Créateur seul il appartiendra d’effacer d’un mot tous ses compétiteurs présents et à venir, parce que lui seul n’a pu arriver après personne. Sur le point de prouver que, ces mêmes prodiges dont tu réclames l’unique appui pour servir d’introduction à ton christ, ou le Créateur les a opérés dans les siècles précédents par ses serviteurs, ou en a prédit d’avance l’accomplissement par son Christ, je suis autorisé à établir que ton prétendu messie devait d’autant moins se contenter du témoignage des miracles, que ces mêmes miracles, en vertu de leur conformité avec les merveilles du Créateur, opérées par ses mandataires, ou promises dans son Christ, ne pouvaient l’expliquer autrement que comme le fils du Créateur. Apporte-nous, si tu veux, des certificats étrangers à l’appui de ton christ imaginaire. Fussent-ils nouveaux, qu’importe ? Nous nous prêterons plus facilement à une nouveauté appuyée sur l’antiquité, que nous n’ajouterons foi à un dieu chez lequel tout est nouveau, et qui n’a pas pour lui l’expérience ou l’antiquité d’une foi victorieuse.

Il a donc dû entrer dans le monde, fort d’une double autorité, celle des prophéties et celle des miracles. L’obligation lui en était d’autant plus rigoureusement imposée, qu’ayant pour concurrent le Christ du Créateur, prêt à apparaître avec son cortège particulier de miracles et de prédictions, il lui fallait bien témoigner de sa rivalité par des différences de toute nature. Mais, ô illusion ! comment son christ serait-il promulgué par un dieu qui tic l’a jamais été ? Aussi ton dieu et ton christ ne trouveront-ils jamais que des incrédules, parce que Dieu n’a pu demeurer inconnu, et que le Christ a dû être manifesté par Dieu.

IV. —M’y voici ! il a dédaigné de procéder à la manière d’un Dieu qu’il désapprouve, et dont il venait réformer les œuvres. Dieu nouveau, il a trouvé bon d’apparaître d’une façon nouvelle ; fils, il a devancé la déclaration du père ; ambassadeur, l’autorité qui l’envoyait, afin d’étaler dans tout son jour cette foi la plus absurde qui croit à l’avènement du Christ avant de connaître son existence.

Ici arrive encore naturellement cette question : Pourquoi n’est-il pas venu après le Christ ? Lorsque je contemple son maître se résignant avec une patience qui tient du prodige et pendant des milliers d’années, aux barbaries du Créateur qui durant cet intervalle promettait son Christ à l’univers, quels que soient les motifs auxquels il a cédé en ajournant sa reconnaissance, ou son intervention, les mêmes motifs le condamnaient encore à la même réserve. Il fallait attendre que le Créateur eût accompli ses desseins dans son Christ, afin que, survenant après la maturité et la consommation des œuvres d’un Dieu rival et d’un Christ rival, à chacune de ces dispositions il ajoutât ses dispositions personnelles. D’ailleurs qu’a-t-il produit en abjurant sa longue résignation ? Rien que d’intervertir les plans de son compétiteur. Vainement le laisse-t-il proclamer son Christ, s’il lui enlève le loisir de le manifester pleinement ! Point de milieu. Ou il a interrompu étourdiment les révolutions d’un temps qui lui était étranger, ou bien il n’avait pas de motif pour en ajourner jusque-là l’interruption. Explique-moi ses langueurs, ou son réveil ! Mais que dis-je ? il a failli doublement, contre le Créateur par une tardive révélation, contre le Christ par une révélation anticipée. Il y a des milliers de siècles qu’il devait avoir triomphé de l’un ; l’heure n’était pas encore venue de triompher de l’autre. Convenait-il d’opposer aux violences du père un calme si prolongé, ou d’inquiéter le sommeil du fils par tant de précipitation ? Des deux côtés, je le surprends dérogeant à la bonté souveraine dont on le gratifie, capricieux et versatile, le fait le prouve ; s’agit-il du Créateur ? froid et apathique ; s’agit-il du Christ ? bouillant et emporté ; vain et stérile des deux parts, fin effet, il n’a pas plus réprimé la marche du Créateur qu’il n’a entravé l’avènement du Christ. Le Créateur ! il demeure absolument ce qu’il est ; le Christ ! il viendra tel qu’il est écrit. A quoi bon conséquemment venir après le Créateur qu’il n’a pu changer ? A quoi bon se manifester avant le Christ dont il n’a pu arrêter la marche ?

Ou bien s’il a réformé le Créateur, il s’est révélé après lui pour que les réformes à accomplir précédassent son apparition ; donc il. aurait dû attendre aussi la naissance du Christ, afin de corriger ses œuvres en venant après elles comme il avait procédé pour le Créateur.

Aimes-tu mieux qu’il descende une seconde fois après le dernier avènement du Christ ? Descendu d’abord pour détruire son antagoniste, la loi et les prophètes, veux-tu qu’il vienne une seconde fois après la consommation des jours pour combattre le Christ et renverser son empire ? Absurdité plus révoltante encore ! Alors le Christ fermera le cercle de sa mission : alors, ou jamais, il faudra avoir cru en lui ; alors son œuvre sera entièrement achevée. Ton Dieu descendrait donc inutilement dans un monde où il ne resterait plus rien à faire.

V. Toutefois, ce ne sont là que les préludes du combat, des traits lancés de loin en quelque façon. Avant de serrer l’ennemi corps à corps dans une lutte véritable, il me semble à propos de l’enfermer d’avance dans quelques lignes où il faudra combattre. Ces lignes sont les Ecritures qui viennent du Créateur. Gomme elles vont m’aider à prouver que le Christ est l’envoyé du Très-Haut, attendu qu’il a accompli tout ce qu’elles portent, il est nécessaire de fixer les idées sur la forme, j’allais dire, sur la nature de ces livres. Faute de cette précaution, comme ils pourraient être mis en cause eux-mêmes au moment où nous invoquerions leur autorité, la double apologie des livres et des principes fatiguerait l’attention du lecteur. Que nos adversaires le sachent bien ! Le langage prophétique a deux caractères qui lui sont particuliers. Par le premier, les événements de l’avenir sont racontés comme s’ils avaient eu déjà leur consommation. Méthode pleine de sagesse ! La divinité tient pour accomplis les décrets qu’elle a rendus, parce qu’elle ne connaît point la succession des âges et que son éternité règle uniformément le cours des temps. La divination prophétique, à son exemple, confond l’avenir avec le passé. Ce qu’elle découvre dans ces lointaines et mystérieuses ténèbres, elle le raconte ainsi qu’un fait déjà loin d’elle, afin de démontrer complètement l’avenir. Ecoutons Isaïe ! « J’ai abandonné mon corps aux bourreaux qui le déchirent, mes joues aux mains qui les meurtrissent ; je n’ai point détourné mon visage de l’ignominie des crachats. » Que le Christ parlât ainsi de lui-même en nous appliquant ces paroles, ou bien que le prophète se plaignît en son propre nom des violences de ses frères, toujours est-il qu’un fait encore à venir est donné pour accompli.

Le second caractère des livres saints tient à des énigmes, allégories, on paraboles qui cachent sous le sens naturel un sens figuré. » Les montagnes distilleront la douceur. » Vous attendez-vous à recueillir sur les pierres des vins parfumés, ou les fruits de nos tables sur des rochers arides ? « . Le lait et le miel couleront en abondance sur la terre. » La glèbe va-t-elle se convertir en mets succulents et en gâteaux de Samos ? « Je ferai couler des fleuves dans la plaine altérée ; je planterai dans la solitude le cèdre et le buis. » Verrai-je dans Dieu un laboureur réel conduisant les eaux sur le champ qu’il cultive ? Ainsi, quand il annonce la conversion des Gentils : « Les bêtes sauvages, les sirènes et les enfants des passereaux me béniront, » applique-t-il ces heureux présages aux petits des hirondelles, aux jeunes renards, ou à ces monstres fabuleux renommés pour leurs chants ? Mais pourquoi insister davantage ? N’avons-nous pas pour nous les aveux de l’apôtre qu’a usurpés l’hérésie ? Cette recommandation bienveillante : « Tu délieras la Louche du bœuf dans l’aire où il foule tes moissons, » nous concernait nous-mêmes, dit Paul. Selon lui, la pierre mystérieuse qui accompagnait les Juifs, pour étancher leur soif, était la personne de Jésus-Christ. Les deux fils d’Abraham, écrit-il aux Galates, sont une allégorie destinée à notre instruction ; enfin, il apprend aux Ephesiens à reconnaître la mystique alliance de Jésus-Christ et de l’Église dans ces paroles adressées au premier homme : « Et il abandonnera son père et sa mère ; ils seront deux dans une même chair. »

VI. Si la double propriété des livres hébreux paraît au lecteur suffisamment établie, qu’il la tienne donc pour bien démontrée, afin qu’au moment où il nous faudra recourir à leur témoignage, il ne soit plus question de la forme, mais de la valeur de ces textes.

Lorsque l’hérésie en démence prétendait que le Christ était venu sans avoir été annoncé, il s’ensuivait qu’un Christ, annoncé de siècles en siècles, n’était point encore venu. Par là elle est contrainte de donner la main à l’incrédulité des Juifs et de raisonner comme si ce peuple avait répudié le Messie à titre d’étranger, que dis-je ? l’avait immolé à titre d’ennemi, dans sa conviction qu’il n’était pas le Messie attendu, bien décidé, du reste, à le reconnaître et à l’environner d’hommages s’il eût été son Christ. Mais, à défaut de la sagesse de Rhodes[1], je ne sais quelle loi barbare, née dans le Pont, aura probablement suggéré à notre grossier pilote l’idée que les Juifs ne pouvaient se méprendre sur leur propre Christ. Supposons que la prophétie ait toujours été muette sur leur aveuglement ; du moins, n’étaient-ils pas hommes, et par là, sujets à toutes les infirmités de la nature ? Fallait-il adopter sans examen et à la hâte une décision rendue par des juges si faillibles ? Les Juifs ne reconnaîtraient point le Christ ; ils le mettraient à mort ; la prophétie l’avait signalé avant l’événement. Donc il a été méconnu ; donc il a été immolé par les impies dont Je double crime était signalé d’avance. Te faut-il des preuves ? Je ne déroulerai point à tes yeux la suite des oracles qui, en prophétisant l’immolation du Christ, déclaraient aussi qu’il serait méconnu. S’il ne l’avait méconnu, le Juif l’aurait—il livré à tant d’outrages ? Nous ajournons le développement de ces prophéties au moment où nous traiterons de sa passion. Qu’il nous suffise aujourd’hui de produire brièvement celles qui attestent la possibilité d’une méprise chez les Juifs, en nous montrant que le Créateur avait éteint parmi eux les lumières de l’entendement. « Je détruirai la sagesse des sages, dit-il ; j obscurcirai l’intelligence de ceux qui se croient habiles. Votre oreille écoutera, et vous ne comprendrez point ; votre œil s’ouvrira, et vous ne verrez point. Le cœur de ce peuple s’est aveuglé ; ses oreilles se sont appesanties ; ses yeux se sont fermés. Il a craint de voir la lumière, d’entendre la vérité, d’avoir l’intelligence du cœur, de se convertir, et de trouver le remède de ses maux. » D’où provenait l’affaiblissement dos sens par lesquels le salut devait entrer dans ces âmes ? Ils l’avaient mérité « en aimant Dieu du bout des lèvres, tandis que leur cœur était loin de lui. » Par conséquent, si le Christ était annoncé par ce même Créateur « qui forme le tonnerre, enchaîne l’esprit des tempêtes, et proclame à la terre son Messie, » selon le langage d’Amos ; si l’espérance des Juifs, pour ne pas dire de l’univers, reposait tout entière sur la révélation du Christ, on ne peut en disconvenir, la prophétie démontre formellement que, privés des moyens de le découvrir, aveuglés dans leur entendement, sans lumières, sans intelligence, ils ne reconnaîtraient, ni ne comprendraient le Christ annoncé ; que leurs sages les plus renommés, les scribes ; que leurs hommes de savoir, les pharisiens, se méprendraient sur sa personne ; qu’enfin, cette nation de sourds et d’aveugles ouvrirait vainement les oreilles pour recueillir les enseignements du Christ, ouvrirait vainement les yeux pour apercevoir les miracles du Christ. Endurcissement fatal que confirme encore ce texte : « Qui est aveugle, si mon peuple ne l’est pas ? Qui est sourd, sinon le maître qui le gouverne ? » Même signification dans ces reproches d’Isaïe : « J’ai nourri des enfants ; je les ai élevés ; mais ils se sont révoltés contre moi. Le taureau connaît son maître ; l’âne connaît son étable ; mais Israël m’a méconnu. Israël est sans intelligence à mon sujet. » Pour nous, assurés que le Christ a toujours parlé par la bouche des prophètes, qu’est-ce à dire ? que l’esprit du Créateur, ou, pour emprunter les expressions de Jérémie, « que l’Esprit, vivante image de l’Eternel, le Christ, notre Seigneur, » auguste représentant de son Père, agit, parla, et se montra, dès l’origine, au nom de Dieu, nous avons la clef des oracles précédents. Ils reprochaient d’avance à Israël les crimes qu’il commettrait un jour : « Vous avez abandonné le Seigneur ; vous avez allumé la colère du Dieu fort. »

— Veux-tu que cette ignorance du peuple Juif, tant de fois confondue, au lieu de porter sur le Christ, retombât sur Dieu lui-même, mais que le Verbe, l’Esprit, c’est-à-dire le Christ du Créateur, n’ait jamais été ni méconnu, ni répudié par les Hébreux ?

— Tes propres aveux te condamnent. En accordant que le Christ est le Fils, l’Esprit, la substance même du Créateur, tu es réduit à confesser, que les aveugles, impuissants à connaître le Père, n’ont pu reconnaître le Fils, grâce à la communauté de leur substance. La plénitude leur échappe, à plus forte raison une portion, qui les ferait participer à la plénitude. Le flambeau des Ecritures à la main, on découvre pourquoi les Juifs ont dédaigné et mis à mort le Rédempteur. Etait-ce un Christ étranger qu’ils voyaient en lui ? Nullement. Ils ne le reconnaissaient point pour leur Christ. Voilà tout le mystère. Le moyen, je te prie, qu’ils reconnussent pour christ étranger un dieu sur lequel l’antiquité était muette, lorsqu’ils n’ont pu comprendre celui qui leur avait été annoncé. On peut comprendre ou ne pas comprendre ce qui ayant pour soi la prophétie, fournit matière à la reconnaissance ou à la méprise. Mais une vaine chimère admet-elle la prédiction ? Ce n’était donc pas l’envoyé d’un autre dieu qu’ils maudirent et crucifièrent. Ils l’estimèrent un simple mortel, un imposteur qui se jouait de la crédulité publique par ses prestiges, et cherchait à introduire une religion nouvelle. Cet homme, cet imposteur, était de leur nation, un juif, par conséquent, mais un juif rebelle et destructeur du Judaïsme. A ce titre, ils le traînèrent devant leurs tribunaux et lui appliquèrent la rigueur de leurs lois. Etranger, ils no l’eussent jamais condamné. En deux mots, ils sont si loin de l’avoir pris pour un autre christ, qu’ils n’osèrent frapper un de ses disciples que parce qu’il était membre de leur nation.

VII. Enlevons maintenant toute excuse à l’hérésie et apprenons-lui en même temps qu’au juif, d’où proviennent les erreurs de celui qu’elle a choisi pour guide, justifiant ainsi à la lettre l’anathème de la loi nouvelle. « Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous les deux dans la même fosse. »

Les prophètes ont signalé sous de doubles images le double avènement de Jésus-Christ. Le premier devait se manifester au milieu des abaissements de toute nature. « Ii sera conduit à la mort comme un agneau ; il sera muet comme la brebis devant celui qui la tond. Son aspect est méprisable. Il se lèvera en la présence de Dieu comme un arbrisseau, comme un rejeton qui sort d’une terre aride. Il n’a ni éclat, ni beauté : Nous l’avons vu ; il était méconnaissable, méprisé, le dernier des hommes, homme de douleurs, familiarisé avec la misère ; son visage était, obscurci par les opprobres et par les ignominies. Son père l’a établi comme une pierre de chute et de scandale. Il l’a placé pour un peu de temps au-dessous des anges. Pour moi, je suis un ver de terre, et non pas un homme. Je suis le rebut des mortels et le jouet de la populace. » Ces marques d’ignominie appartiennent à son premier avènement, tandis que la grandeur et la majesté appartiennent à son second avènement. Alors il ne sera plus la pierre de chute et de scandale ; il deviendra la principale pierre de l’édifice, « la pierre angulaire réprouvée autrefois, mais servant de couronnement au temple » de l’Église : et cette pierre est celle qui détachée de la montagne dans le prophète Daniel, frappera et brisera la grandeur passagère des empires du monde. Ecoutons encore le même prophète ! « Et voici comme le Fils de l’homme qui venait sur les nuées du ciel. Et il s’avança jusqu’à l’Ancien des jours, et il fut en sa présence, et ceux qui le servaient, l’avaient conduit devant son trône. Et il lui donna la puissance, et l’honneur, et le royaume. Toutes les nations, toutes les langues, toutes les tribus lui seront soumises ; et sa puissance est une puissance éternelle qui ne sera pas transférée, et son règne n’aura pas de déclin. » Alors son visage resplendira. Sa beauté impérissable ne connaîtra point de rivale parmi les enfants des hommes. Car il est dit : « Vous surpasserez en éclat les plus beaux des enfants des hommes. La grâce est répandue sur vos lèvres, parce que le Seigneur vous a béni pour l’éternité. Levez-vous donc ! armez-vous de votre glaive, ô le plus Taillant des rois. Revêtez-vous de voire beauté et de voire splendeur ! Voilà que votre Père, après vous avoir placé un moment au-dessous des anges, vous couronne d’honneur et de majesté. Il vous donne l’empire sur les œuvres de ses mains. » Alors « ils connaîtront celui qu’ils ont percé, et les tribus pleureront amèrement sur lui, en se frappant la poitrine. » Pourquoi ces plaintes ? pourquoi ces lamentations ? Parce qu’ils n’ont pas su le reconnaître dans les humiliations de sa vie humaine. « C’est un homme, s’écrie Jérémie ; qui le connaîtra ? C’est un Dieu, répond Isaïe ; qui racontera son éternelle génération ? » Ainsi encore, Zacharie nous retrace dans les deux transformations du grand-prêtre Jésus, et jusque dans le mystère de ce nom auguste, le double avènement de l’homme-Dieu, véritable et suprême pontife du Père. En premier lieu, il est revêtu de haillons, qu’est-ce à dire ? d’une chair passible et mortelle, lorsqu’il lutte avec le démon qui le tente après son baptême et souffle la trahison au cœur de Judas. En second lieu, il se dépouille de ses premières humiliations, les vêtements immondes, pour revêtir la robe éclatante et la tiare pure, c’est-à-dire la gloire et la majesté du second avènement.

Parlerai-je des deux boucs offerts par la loi mosaïque dans le jeûne public ? Ne représentent-ils pas le double aspect du Christ ? Oui, je trouve sous l’un et l’autre symbole ce même Seigneur qui doit redescendre avec la forme qu’il avait ici-bas, afin de se faire reconnaître de ceux qui l’ont outragé, L’un de ces boucs, environné d’écarlate, chargé de malédictions, couvert d’ignominies, insulté, frappé, maltraité par tout le peuple, était chassé hors de la ville et envoyé à la mort, portant des caractères manifestes de la Passion du Seigneur ! L’autre, sacrifié pour les péchés, et servant de nourriture aux prêtres du temple, me retrace le dernier des jours où, purifiés de toute souillure, les pontifes du temple spirituel, c’est-à-dire de l’Église, jouiront des grâces les plus intimes, tandis que les autres jeûneront loin des sources du salut. Plus de doute ! Le premier avènement devait s’accomplir au milieu des abaissements et des outrages ; les figures qui l’annonçaient étaient obscures. Le second, au contraire, est lumineux et digne de Dieu, Aussi les Juifs n’curent-ils qu’à lever les yeux pour reconnaître cette seconde apparition, à l’éclat et à la dignité don ! . elle brille : tandis que les voiles et les infirmités de la première, indignes de la divinité assurément, durent tromper leurs regards. Aussi, de nos jours encore, affirment-ils que leur christ n’est pas descendu, parce qu’il ne s’est pas montré dans sa majesté, eux qui ne savent pas qu’il devait venir d’abord dans l’humiliation.

VIII. Tout à l’heure l’hérésie recevait les poisons du judaïsme, à peu près comme l’aspic emprunte le poison de la vipère. Livrée à son propre venin, qu’elle vomisse maintenant le poison de ses propres blasphèmes en soutenant que Jésus-Christ n’était qu’un fantôme. Cette opinion monstrueuse remonte à ces méprisables sectaires, Marcionites avortés que l’apôtre appelait « antechrists, parce qu’ils niaient que le Christ lut venu dans une chair véritable. » Non pas cependant qu’ils essayassent d’introduire un autre dieu ; l’Evangile n’eût pas manqué de nous révéler cette circonstance ; niais un Dieu fait chair révoltait leur raison. L’antechrist Marcion s’appropria un héritage auquel il était d’autant mieux préparé que son dieu à lui ne créait, ni ne ressuscitait la chair, dieu merveilleusement bon, il faut l’avouer, et sur ce point bien différent des mensonges et des impostures du Créateur. Voilà pourquoi son christ, afin d’échapper à tout reproche d’imposture et de mensonge, craignant d’ailleurs d’être regardé comme le Christ du Créateur, n’était pas ce qu’il paraissait, et cachait frauduleusement ce qu’il était, chair sans être chair, homme sans être homme, dieu le christ sans être dieu. Mais pourquoi n’aurait-il pas aussi bien revêtu le fantôme d’un Dieu ? Le croirai-je sur le témoignage de sa substance intérieure, quand il me trompe par son extérieur ? Passera-t-il pour véridique dans ce qui m’est voilé, quand les apparences me trompent ? Enfin par quel secret a-t-il associé en lui la réalité de l’esprit à l’illusion de la chair, quand l’apôtre m’apprend que « de communauté possible entre la lumière et les ténèbres, entre la vérité et le mensonge, il n’en est point ? » L’incarnation du Christ une chimère ! Mais il suit de là que les conséquences de son incarnation, sa présence parmi les hommes, ses enseignements, sa parole, ses vertus elles-mêmes, sont autant de mensonges. En effet, qu’il guérisse un malade en le touchant, ou en se laissant toucher par lui, cet acte corporel n’a pu avoir de réalité qu’avec la réalité de la chair. Demanderez-vous au néant la consistance, la vie à une illusion ? Extérieur imaginaire, geste imaginaire ; acteur imaginaire, acte imaginaire ! Plus de foi aux souffrances de l’homme-Dieu ! on n’a rien souffert quand on n’a pas souffert en réalité : or, un fantôme est-il capable de souffrir ? Ainsi tout l’ouvrage de la Divinité s’écroule. Toute la dignité, tout le fruit du Christianisme, et la mort du Christ, mort cependant sur laquelle l’apôtre insiste avec tant d’énergie, mort qu’il nous donne pour si véritable qu’il en fait le fondement et de l’Evangile, et de notre salut, et de sa prédication, sont anéantis ! « Je vous ai principalement enseigné, dit-il, ce que j’avais moi-même reçu, savoir que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, qu’il a été mis dans le tombeau, et qu’il est ressuscité le troisième jour. » Vous niez sa chair ! mais comment sa mort subsistera-t-elle, puisque la mort n’est que la dissolution d’une chair qui retourne, à la voix de son auteur, « vers la terre dont elle a été tirée. » Vous niez sa chair et avec elle sa mort ! Mais alors sa résurrection n’est plus qu’une fable. Il n’a pu mourir ; donc il n’a pu ressusciter, puisque la chair lui manquait, Mort illusoire, résurrection illusoire ! Ce n’est pas tout ; ruiner la résurrection de Jésus-Christ, c’est ruiner la nôtre. Comment subsistera une résurrection, objet de la venue du Rédempteur, si le Rédempteur n’est pas ressuscité ? L’apôtre réfutait autrefois les adversaires de la résurrection par celle du Christ ; de même si la résurrection du Christ tombe aujourd’hui, la nôtre tombe avec elle. Qu’est-ce à dire ? « Vaine est notre foi ! vaine est la prédication des apôtres ! Il y a mieux. Ils sont convaincus d’être de faux témoins de Dieu, puisqu’ils ont rendu témoignage contre Dieu lui-même, en affirmant qu’il a ressuscité Jésus-Christ qu’il n’a point ressuscité. Conséquemment nous sommes encore dans les liens du péché, et ceux qui se sont endormis en Jésus-Christ sont morts sans espérance » pour ressusciter, mais en fantômes probablement, comme leur Christ.

IX. On nous oppose que les anges députés par le Créateur auprès d’Abraham et de Loth, se sont présentés à eux sous les apparences d’une chair fantastique, et, malgré cette illusion, n’ont pas laissé de parler, de manger, et d’exécuter les ordres qu’ils avaient reçus, comme s’ils eussent été des hommes réels.

A cela, que répondre ? D’abord nous défendons à Marcion de citer pour la défense de son dieu les exemples d’un Dieu qu’il diffame. Plus il exalte la bonté et la perfection de son idole, moins il lui conviendra de ressembler au Créateur, sur lequel elle ne peut avoir l’avantage de la perfection et de la bonté, sans se montrer complètement différente. Qu’il le sache bien ensuite. Nous sommes loin de lui accorder que les anges aient eu une chaire illusoire ; leur substance était aussi entière et aussi réelle que la nôtre. En effet, s’il ne fut pas plus difficile au Christ d’adapter à une chair illusoire des sens et des actes réels, il lui en coûta bien moins encore de donner à des affections et. à des actes véritables, une substance et des organes qui le fussent aussi, d’autant plus qu’il en était le véritable auteur. Que ton Dieu, inhabile à produire la réalité, s’en dédommage par des fantômes, je le comprends. Il n’a jamais produit de chair. Mais mon Dieu qui pétrit la boue, et la convertit eu cette substance sans l’union conjugale, boue devenue chair vivante, a pu bâtir pour ses anges une maison de chair, n’importe la matière dont il la façonna. N’est-ce pas lui qui créa de rien et d’un seul mot, ce monde, avec ses milliers de corps si merveilleux et si divers ?

D’ailleurs, si ton Dieu promet aux hommes de les revêtir un jour de la véritable substance angélique : « Et ils seront comme les anges dans le ciel ; » pourquoi le mien n’aura-t-il pas la faculté de communiquer à des anges la réalité de la substance humaine ? Où l’a-t-il prise ? La question n’est pas là. M’expliqueras-tu d’où vient dans ton système la substance angélique ? Il me suffit donc d’établir ici la réalité d’une substance qu’il a soumise à la déposition de trois témoins, la vue, l’ouïe, le toucher. Il est plus difficile à Dieu de nous tromper que d’organiser une chair véritable par tel ou tel moyen, même en dehors des voies ordinaires de la naissance.

— « Pour que la substance des anges fût véritablement humaine, ajoutent d’autres hérétiques, elle aurait dû provenir de la chair. »

Ici, nous distinguons à bon droit. Véritablement humaine, oui ! Transmise pas la naissance ! non. Véritablement humaine ! Ainsi le veut la vérité d’un Dieu inaccessible à la supercherie et au mensonge. En second lieu, les anges pouvaient-ils être traités en hommes, par des hommes, à moins d’avoir la substance humaine ? Non transmise par la naissance ! Au Christ seul il appartenait de s’incarner par la chair, afin de réformer notre naissance par la sienne, de briser notre mort par sa mort, en ressuscitant dans une chair où il avait voulu naître, afin de pouvoir mourir. Aussi apparut-il alors avec les anges chez Abraham, dans la réalité de sa chair, il est vrai, mais d’une chair qui n’était point encore née, parce qu’elle n’avait point encore à mourir, mais qui faisait l’essai de la vie humaine. Voilà pourquoi, n’étant pas destinés à mourir pour nous, les anges n’avaient pas besoin de demander à la naissance l’usage passager d’une chair qu’ils ne devaient pas déposer par la mort. Mais quelle que fût la manière dont ils revêtaient ou dépouillaient, cette substance, elle ne fut chez eux ni une illusion, ni un mensonge. « Si les messagers du Créateur sont des esprits, et ses ministres une flamme ardente, » esprits réels, flamme réelle, le même Créateur ne pourra-t-il pas leur façonner à son gré une chair véritable, afin que nous confondions en ce moment l’hérésie, en lui rappelant que la puissance qui promet aux hommes de les transformer un jour en anges, est la même qui revêtit autrefois les anges de la substance humaine ?

X. Impuissant à invoquer les exemples du Créateur, qui n’ont rien de commun avec les tiens et qui d’ailleurs avaient leurs motifs, apprends-nous en vertu de quel dessein ton dieu manifesta son christ sous des apparences illusoires ! A-t-il dédaigné la chair, parce qu’elle est de terrestre origine, ou pour parler ton langage, un immonde fumier ? Mais, dans ce cas, pourquoi n’en pas répudier également le simulacre ? Une matière ne peut être infâme sans que l’image en soit infâme. L’image a le sort de la réalité. — « Mais comment converser avec les hommes, s’il n’avait eu la ressemblance de l’humanité ? » —- Pourquoi n’en eût-il pas adopté de préférence la réalité, demanderai-je à mon tour, afin de converser vraiment avec nous si notre salut l’exigeait ? La vérité n’avait-elle pas plus de dignité que l’imposture ? Dieu profondément plus misérable que le tien ! Quoi ! il n’a pu manifester son christ, que dans le simulacre d’une substance aussi dégradée ? encore ne lui appartenait-elle pas. On peut user d’une chose peu convenable si elle est à nous, tandis qu’on ne peut pas s’approprier une chose plus digne, mais qui appartient à un autre. Pourquoi ton dieu ne s’est-il pas montré sous une substance de plus noble origine et surtout qui fût à lui, afin de ne pas sembler avoir eu besoin d’une aumône étrangère et avilissante ? Que mon Créateur s’entretienne avec l’homme dans le buisson et la flamme d’abord, dans le nuage et le tourbillon de fumée ensuite ; qu’il rende sensible sa présence par le moyen des éléments, émanés de lui, ces attestations de la puissance divine annoncent suffisamment que mon Dieu n’avait pas besoin de mendier à autrui l’appareil d’une chair simulée ou véritable. Toutefois, à parler dignement de la divinité, il n’est point de substance assez noble pour lui servir de vêtement. Mais les formes qu’elle revêt, elle les anoblit, pourvu qu’elles ne soient pas un mensonge cependant. Quelle absurdité donc à ton dieu de se croire abaissé par la réalité de la chair plus que par ses apparences ! Disons mieux ! Il l’honore en la simulant. O excellence, ô dignité d’une chair dont le Dieu supérieur lui-même jugea nécessaire d’emprunter le fantôme !

XI. Tous ces vains prestiges d’une substance impalpable, pourquoi Marcion les rassemble-t-il autour du Christ ? Pourquoi ? Afin d’enlever à la certitude de sa naissance le témoignage de sa vie. Afin qu’à travers ces ombres mensongères il ne puisse être reconnu pour l’envoyé du Créateur qui nous était annoncé comme destiné à naître et conséquemment à prendre un corps de chair. Nouvelle extravagance de l’habitant du Pont ! Un Dieu sous une chair véritable, quoique n’ayant pas pris naissance, n’est-il pas plus facile à admettre qu’un Dieu homme sous une chair illusoire, surtout quand les anges du Créateur, conversant jadis avec les mortels sous une chair véritable, mais formée hors des voies communes, préludaient à ce mystère ? Philumène le sentit bien ! Elle sut persuader à Apelle et aux autres transfuges de Marcion, que le Christ s’était montré, selon la foi commune, dans la réalité de la chair, mais que ce corps, étranger à toute naissance, avait été emprunté aux éléments. Tu craignais, Marcion, que de la réalité de la chair, on ne conclût la réalité de la naissance ; on supposait donc né celui qu’on croyait un homme ? « Heureux le sein qui vous a porté, s’écria une femme de la foule ; bienheureuses les mamelles qui vous ont allaité ! » Et ailleurs : « Voilà votre mère et vos frères hors de la porte, qui vous cherchent. » Ces témoignages reviendront en leur lien. Assurément quand il se proclamait fils de l’homme, il déclarait bien qu’il était vraiment né. Quoique notre dessein soit de renvoyer ces détails à l’examen de l’Evangile, j’ajouterai cependant que, si, comme je viens de l’établir, de son apparence humaine on devait invinciblement arguer sa naissance, c’est vainement qu’il a cru réaliser son incarnation par la supercherie d’une chair, pleine d’impostures. Quel avantage trouvait-il à l’illusion d’une naissance et d’un corps qui passaient pour réels ?

— « Eh ! qu’importe l’opinion humaine, réponds-tu ? »

— Mais alors tu fais honneur à ton dieu de la fourberie, s’il se connaissait bien différent de l’idée que les hommes avaient de lui. Pour échapper à cet embarras, que ne lui as-tu aussi forgé une naissance imaginaire ? N’avais-tu pas l’autorité de quelques femmes maladives, qui travaillées par le sang ou ayant quelque tumeur, s’imaginent qu’elles sont enceintes ? Ton Dieu aurait dû nous promener sur ce théâtre de fantôme en fantôme, et adapter tant bien que mal à qui avait joué le rôle d’une chair illusoire une naissance de même genre ! Tu as reculé devant le mensonge de sa naissance : donc tu lui as donné une chair véritable.

— Mais une naissance réelle dégrade la majesté divine.

— Courage ! Elève-toi contre les saintes et vénérables opérations de la nature ! Immole à tes invectives tout ce que tu es ! Entraîne dans la fange l’origine de l’aine et du corps ! Appelle cloaque les flancs maternels, où s’élabore l’homme, cet animal sublime ; attaque l’enfantement et ses supplices impurs et cruels, et cette enveloppe immonde de sang, et ce combat douloureux de l’entrée de l’homme dans le monde. Quand tu auras décrié toutes ces circonstances pour me prouver qu’elles sont indignes d’un Dieu, tu n’auras rien fait. Sa naissance ne sera pas plus honteuse que sa mort, son enfance que sa croix, son châtiment que sa nature, et sa condamnation que sa chair. Ton christ a-t-il enduré véritablement ces outrages ? Crois-moi ; il y avait moins d’avilissement à naître. N’a-t-il souffert qu’en apparence ? Fantôme sur le Calvaire, il a pu n’être qu’un fantôme à son berceau.

Nous avons renversé, il nous semble, les grands arguments à l’aide desquels Marcion introduit un autre christ. Son échafaudage croule de toutes parts devant la simple démonstration que la vérité était bien plus honorable pour la divinité que ces apparences mensongères sous lesquelles il a fait apparaître son christ. S’il y a eu vérité, il y a eu chair véritable. S’il y a eu chair véritable, il y a eu naissance réelle. En effet les principes que l’hérésie cherche à ébranler se consolident par la destruction de ses moyens d’attaque. Conséquemment, si le Christ a un corps véritable par cela même qu’il est né, s’il est né par cela même qu’il a un corps véritable, il cesse d’être un fantôme. Saluons donc le Messie dont les prophètes annonçaient l’incarnation et la naissance, c’est-à-dire le Christ du Créateur !

XII. Fidèle à tes habitudes, tu attaques encore la comparaison d’Isaïe sous le prétexte qu’elle ne convient nullement au Chris ! . « D’abord, suivant toi, le Christ du prophète devait s’appeler Emmanuel. En second lieu, il avait mission d’abattre la puissance de Damas, et d’emporter les dépouilles de Samarie en face du roi des Assyriens. Double assertion que dément le Messie qui est venu. Il n’a point porté ce titre ; il n’a livré aucune bataille. »

— Et moi, je te rappellerai les circonstances qui accompagnent ces deux oracles. L’Evangéliste attacha immédiatement au mot Emmanuel, sa traduction littérale, afin que l’univers considérât non moins le titre que le sens renfermé dans ce titre. « Emmanuel, » mot hébreu particulier à sa nation. « Dieu avec nous, » signification commune à tous. Examinons donc si cette appellation : « Dieu avec nous, » représentation exacte du mot Emmanuel, ne se vérifie point dans le Christ depuis que ce soleil de justice a brillé sur le monde. Tu ne saurais le nier, j’imagine. Ne l’appelles-tu pas comme les Chrétiens : « Dieu avec nous ? » Ou bien, parce qu’au lieu d’Emmanuel, tu es accoutumé à le nommer dans un autre idiome, Dieu avec nous, serais-tu assez frivole pour soutenir que le véritable Emmanuel désigné par le prophète n’est point encore descendu, comme si ces mots n’avaient pas la même valeur ? Sache-le donc ! les Juifs chrétiens elles Marcionites eux-mêmes en disant, « Dieu avec nous, » prononcent : « Emmanuel » en hébreu. La terre en fait autant, quelle que soit la langue dans laquelle elle répète « Dieu avec nous. » Le son est renfermé dans le sens. Que si Emmanuel est véritablement Dieu avec nous, et le Christ le Dieu avec nous, que dis-je ? le Dieu résidant au fond de nous-mêmes « (car vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ vous êtes revêtus de Jésus-Christ), » Emmanuel ou Dieu avec nous, peu importe, est donc le même Christ. L’Emmanuel des oracles est donc descendu, puisque « le Dieu avec nous, » ce qui n’est que la signification d’Emmanuel, a conversé parmi les hommes.

XIII. Venons « à la puissance de Damas, aux dépouilles de Samarie et au roi Assur. » Ici encore tu te laisses tromper par les mots, en t’opiniâtrant à y voir le présage d’un Christ conquérant, sans faire attention aux déclarations qui précèdent. « Avant que l’enfant sache nommer son père et sa mère, il détruira la puissance de Damas, et portera en triomphe les dépouilles de Samarie en face du roi des Assyriens. » L’énonciation de l’âge n’est point indifférente dans cette conjoncture. Si la faiblesse de cet enfant ne comporte point encore un rôle d’homme, à plus forte raison ne comporte-t-elle pas le rôle d’un général. En vérité, c’est par les vagissements de son berceau que le nouveau-né appellera ses peuples aux armes. Il donnera le signal du combat non avec la trompette mais avec son hochet. Que lui parlez-vous de char, de cheval ou de rempart pour découvrir l’ennemi ? C’est du sein de l’esclave qui le porte, c’est des bras ou des épaules de sa nourrice qu’il l’observe, et au lieu de mamelles, c’est Damas et Samarie qu’il s’assujettira. Que les nouveau-nés des hordes barbares qui habitent le Pont s’élancent au combat, athlètes, séchant d’abord au soleil leurs membres frottés d’huile, puis armés de langes, et payés avec du beurre, je n’ai plus rien à dire. Ils savent lancer le javelot avant de tourmenter le sein qui les allaite. Parlons sérieusement : si, d’après les lois de la nature, l’apprentissage de la vie précède partout celui de la milice, s’il est indispensable de connaître le nom de son père et de sa mère avant d’abattre l’orgueil de Damas, il faudra conclure de ces expressions, qu’elles sont figurées.

— « L’enfantement d’une vierge ne contredit pas moins la nature, et cependant vous croyez le prophète. » —Oui, et avec justice. Il a préparé ma foi à une chose incroyable en me donnant pour motif qu’elle servirait de signe. « C’est pourquoi le Seigneur vous le donnera comme un signe. Voilà qu’une vierge concevra et enfantera un fils. » Si ce n’eût pas été quelque nouveauté prodigieuse, le signe eût semblé peu digne de Dieu. En effet, les Juifs ont beau alléguer, pour renverser notre foi, que les livres saints n’ont point entendu parler ici d’une vierge, mais d’une jeune fille. Mensonge absurde qui se réfute par lui-même ! Un événement aussi commun que la conception et la maternité chez une jeune fille pouvait-il être signalé comme un prodige ? Mais une vierge mère ! voilà un signe auquel j’ai raison de croire. Il n’en va pas de même d’un conquérant nouveau-né. J’y chercherais vainement la raison du signe.

Après cette naissance, toute miraculeuse, arrive un ordre moins élevé. « . L’enfant mangera le miel et le beurre. » Qu’est-ce à dire ? il fermera son cœur à la malice. Là, point de prodige. Car l’innocence et la simplicité sont l’apanage de l’enfance ; mais « la puissance de Damas qu’il doit renverser, les dépouilles de Samarie qui l’attendent en face du roi Assur, » cachent un sens plus mystérieux. Ne perdons pas de vue l’âge du nouveau-né, et cherchons l’interprétation de la prophétie. Fais mieux ! Restitue à l’Evangile de la vérité son intégrité altérée entre les mains de qui est venu le second. Alors s’évanouissent les obscurités de la prédiction aussi bien que l’ incertitude de son accomplissement. Alors apparaissent du fond de l’Orient, les mages déposant aux pieds de l’Enfant-Dieu, l’hommage de l’or, de l’encens ; et le Christ, à son berceau, sans armes, sans combats, enlève les dépouilles de Samarie. Outre que la richesse principale de l’Orient réside dans son or et ses parfums, comme personne ne l’ignore, c’est le Créateur qui affermit la force et la puissance de chaque nation, suivant Zacharie : « Juda s’unira à Jérusalem pour les vaincre, et ils amasseront les richesses des nations, l’or, l’argent et les étoffes précieuses en grand nombre. » David entrevoyait déjà l’honneur rendu à son Dieu, quand il s’écriait : « L’or de l’Arabie lui sera donné ; » et ailleurs : « Les rois d’Arabie et de Saba mettront à ses pieds leurs offrandes. » L’Orient, en effet, fut presque toujours gouverné par des mages, et Damas était autrefois comptée comme une dépendance de l’Arabie, avant que la distinction des deux Syries l’incorporât à la Syrophénicie, Le Christ, en recevant l’hommage de son or et de ses parfums, opulence de Damas, conquit donc spirituellement sa puissance.

Par les dépouilles de Samarie, il faut entendre lus mages eux-mêmes qui, après avoir connu le Christ ; après être venus le chercher sur la foi de son étoile, leur témoin et leur guide ; après l’avoir adoré humblement comme leur monarque et leur Dieu, représentaient par leur foi nouvelle dans le Christ les dépouilles de Samarie, c’est-à-dire de l’idolâtrie vaincue. En effet, au lieu de l’idolâtrie, le prophète a nommé allégoriquement Samarie, diffamée par ses superstitions et sa révolte contre Dieu sous Jéroboam. Est-ce la première fois que le Créateur emploie une transposition de termes pour désigner des crimes semblables ? Ainsi il appelle les magistrats qui gouvernent sou peuple des magistrats de Sodome ; sa nation elle-même n’est plus pour lui que la nation de Gomorrhe. « Votre père était Amorrhéen, et votre mère Céthéenne, » dit-il à ces mêmes enfants qu’il avait « autrefois engendrés et nourris, » parce qu’ils avaient imité les dérèglements de ces populations. Ainsi encore l’Égypte signifie souvent dans son langage la flétrissure attachée au monde de l’idolâtrie et de la malédiction. Ainsi encore Babylone, sous la plume de notre évangéliste, représente la grande cité romaine, immense, orgueilleuse de sa domination, et se baignant dans le sang des martyrs. Tel est aussi le sens du nom de Samaritains donné aux mages ; dépouillés, ajoute-t-il, parce qu’ils avaient participé aux superstitions idolâtriques de Samarie.

— Mais le roi d’Assyrie ?

C’est Hérode que les Mages trompèrent en ne venant pas lui annoncer ce qui regardait l’enfant miraculeux qu’il cherchait à surprendre.

XIV. Mais voici que venant en aide à notre interprétation, la confrontation des autres textes sacrés réfute les rêves d’un Christ conquérant que tu l’es formé à cause de quelques armes symboliques, ou de quelques expressions de même nature. « Ceignez votre glaive, ô le plus vaillant des rois, s’écrie David. » Il est vrai, mais que lis-tu précédemment sur le Christ ? « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes. La grâce est répandue sur ses lèvres. » En vérité, je ris d’entendre le prophète complimenter sur l’éclat de sa beauté et la grâce de ses lèvres, un conquérant qu’il ceignait, de son glaive pour les combats ! « Grandis, prospère, triomphe, ajoute-t-il. Triomphe, pour la vérité, la douceur, la justice. » Je le demande, sont-ce là les œuvres du glaive ? Ou plutôt, ne produit-il pas les vices les plus opposés à la douceur et à la justice, la ruse, la cruauté, la barbarie, fruits inévitables des combats ?

Examinons donc si ce glaive dont les opérations sont si différentes, ne serait pas différent. L’évangéliste nous décrit dans son Apocalypse un glaive à deux tranchants, bien aiguisé, et qui sort de la bouche de Dieu. Il doit s’ entendre de la parole divine, à deux tranchants, à cause de la loi ancienne et de la loi nouvelle, aiguisée par la sagesse, terrible au démon, « destinée à nous armer contre les pièges de la malice et de la concupiscence, » et tranchant pour le nom de Dieu les liens les plus chers. Si tu récuses le témoignage de Jean, Paul est ton maître comme le nôtre. « Que la vérité soit la ceinture de nos reins, dit-il ; que la justice soit notre cuirasse ; ayons la chaussure aux pieds pour être prêts à l’Évangile de la paix. » De la paix, entends-tu ? et non de la guerre. « Servez-vous surtout, continue-t-il, du bouclier de la loi, afin de pouvoir éteindre tous les traits enflammés de l’esprit malin. Prenez le casque du salut, et l’épée spirituelle, qui est la parole de Dieu. Tel est le glaive, au lieu de paix, que le Seigneur lui-même est venu apporter sur la terre. »

Ce Christ est à toi, dis-tu. Il est donc conquérant ; s’il ne l’est pas, s’il ne porte à la main qu’un glaive allégorique, pourquoi ne serait-il pas permis également au Christ du Créateur, dont le prophète exaltait tout à l’heure la grâce et la beauté, de s’armer mystiquement, loin du tumulte des camps et des combats, du glaive de la parole divine qu’il ceignait dès lors sur sa cuisse, ainsi que le raconte David, pour l’apporter un jour sur la terre ? Ces paroles : « Grandis, prospère, triomphe, » n’ont pas d’autre sens. Grandis, c’est-à-dire sème jusqu’aux deux extrémités de la terre cette parole féconde pour la vocation des Gentils. Prospère, par l’accroissement de la foi qui sera ta conquête. Triomphe ; ainsi fait-il depuis qu’il a vaincu la mort par sa résurrection. « Et ta droite se signalera par des merveilles. » Allusion à la vertu de la grâce spirituelle qui conduit à la connaissance du Christ ! « Tes flèches sont brûlantes. » Oui, brûlantes par ses commandements qui volent d’un bout du monde à l’autre, menaces, châtiments, contritions du cœur qui percent et pénètrent la conscience de chacun. « Les peuples tomberont à ses pieds, » pour l’adorer humblement. Voilà les combats et les guerres du Christ du Créateur. Voilà le conquérant de la loi nouvelle. Voilà comment il a emporté sur ses épaules les dépouilles, non pas seulement de Samarie, mais de toutes les nations ! Reconnais donc aussi des dépouilles allégoriques dans des mains qui portent des armes allégoriques ! Quand le Seigneur parle en figures et que l’apôtre l’imite, nous pouvons sans témérité adopter des interprétations admises par nos adversaires eux-mêmes. Ainsi le Christ, descendu parmi nous, sera d’autant plus réellement Je Christ d’Isaïe, qu’il a été moins belliqueux, parce que le prophète ne l’annonçait pas comme un conquérant de la terre.

XV. Jusqu’ici nous avons parlé de la réalité de son incarnation, de la réalité de sa naissance, de la réalité du nom d’Emmanuel ! Aux autres titres que porte le Sauveur, et. particulièrement à celui de Christ, que répondent nos ennemis ? Si cette appellation de Christ est commune chez vous comme celle de Dieu ; si, honorant du titre de Seigneur l’un et l’autre père, vous revendiquez pour votre Messie ainsi que pour le nôtre ce nom vénérable, la raison répugne à un pareil système. Ce nom de Dieu, naturel à la divinité, peut s’étendre à tous les êtres auxquels on attribue l’essence divine. L’apôtre n’en excepte pas même les idoles. « Quoiqu’il y en ait qui soient appelés dieux, soit

dans le ciel, soit sur la terre, » dit-il. Il n’en va pas de même du nom de Christ. Comme il ne provient pas de la nature, mais de la volonté qui l’a conçu, il demeure la propriété inaliénable de cette volonté ordonnatrice. De communauté avec un autre dieu, encore moins avec un autre dieu ennemi, qui a ses combinaisons particulières auxquelles il devra des noms particuliers, il n’en admet aucune. Il y aurait une grossière contradiction à désigner sous des noms semblables des dispositions qui se combattent, après avoir forgé deux divinités chacune avec des plans opposés, et cela, quand la preuve la plus authentique de l’existence de deux divinités rivales, serait de rencontrer dans l’économie de leurs desseins des noms contraires. Aux choses qui diffèrent des appellations différentes. Le mot propre manque-t-il dans l’idiome humain ? Alors la catachrèse des Grecs, en abusant d’un terme étranger, supplée à celle indigence. Mais un dieu, j’imagine, n’a pas besoin d’aumône. L’exécution de ses plans n’attend pas la coopération étrangère. Singulier dieu vraiment, réduit à emprunter du Créateur jusqu’aux noms de son fils ; s’ils n’étaient qu’étrangers, passe encore, mais des noms surannés, vulgaires par leur publicité, et dans tout état de cause, malséants pour un dieu nouveau et inconnu. De quel front me dira-t-il un jour : « Personne n’attache le lambeau d’un vêtement neuf à un vêtement vieux, ni n’enferme

le vin nouveau dans un vieux vase, » après s’être affublé lui-même de noms qui ont vieilli ? Comment sépare-t-il la loi nouvelle de la loi antique, lui qui a revêtu la loi tout entière en se parant du nom de Christ ? Qui l’empêchait d’adopter un autre titre ? Ne prêchait-il pas un autre Evangile ? Ne descendait-il pas au nom d’un autre dieu ? Ne répudiait-il pas surtout la réalité de la chair, de peur de passer pour le Messie du Créateur ? Vainement a-t-il cherché à paraître différent du Christ dont il a usurpé le nom. En supposant qu’il eût pris ici-bas un corps réel, dès qu’il se manifestait sous un nom différent, il évitait toute méprise. Mais, ô étrange inconséquence ! il répudie une substance dont il garde le nom ; et ce nom va prouver la réalité de la substance. En effet, si Christ signifie l’oint du Seigneur, l’onction est-elle possible autrement que sur une chair vivante et réelle ? Point de corps, point d’onction. Point d’onction, point de Christ. Ce nom est-il aussi un fantôme ? Je me tais.

— Mais il n’aurait pas réussi à se glisser dans la foi des Juifs sans le secours d’un nom familier à leurs oreilles et plein de retentissement.

—Tu nous fais là un dieu versatile et rusé. Qui arrive au succès par la supercherie, se défie de la honte de sa cause, ou porte un cœur méchant. Ils s’enveloppèrent de moindres détours et montrèrent plus de liberté, les faux prophètes qui s’opposèrent au Créateur au nom de leur dieu. Il leur fut plus facile d’adopter le Christ pour leur Dieu, ou pour je ne sais quel imposteur, que de le travestir en Messie d’un dieu étranger. L’Evangile le prouvera. Mais les Marcionites, qu’ont-ils gagné à cette communauté de noms ? En vérité, je m’y perds.

XVI. Si ton dieu a pris le nom de Christ comme un petit voleur qui enlève une corbeille ; fermons les yeux sur ce larcin. Pourquoi lui a-t-il volé aussi le nom de Jésus, moins solennel chez les Juifs ? En effet, que nous Chrétiens, initiés par la grâce de Dieu à l’intelligence de ses mystères, nous sachions que ce litre était destiné au Christ, est-ce une raison pour que le Juif, dont l’entendement était obscurci, le connût ainsi que nous ? Jusqu’à ce jour encore c’est le Christ qu’il attend, et non pas Jésus ; s’il voit l’image de son Messie, c’est plutôt dans Hélie que dans Jésus. Qui est venu portant un nom sous lequel le Christ n’était pas attendu, n’a pu venir que sous le nom qui seul était attendu, Mais ton christ, en associant deux noms, l’un attendu, l’autre qui ne l’était nullement, a éventé maladroitement le stratagème. A-t-il usurpé le nom de Christ pour s’introduire furtivement sous le masque du Christ envoyé par le Créateur ? Mais la désignation de Jésus le trahit : on n’attendait pas le Christ du Créateur sous ce litre. S’est-il fait appeler Jésus afin de passer pour le messie d’un autre dieu ? Mais le mot de christ le lui défend. Point d’autre christ que le Christ du Créateur. Lequel des deux noms est le véritable ? Je l’ignore. Je ne sais qu’une chose, c’est qu’ils conviennent parfaitement à mon Rédempteur, Christ et Jésus tout à la fois.

— Comment cela ?

— Ecoute, loi et les Juifs complices de ton erreur. Quand il s’agit de donner pour successeur à Moïse le fils de Nun, quel nom fut substitué à Osée, son premier nom ? Celui de Jésus ou de Josué.

— L’histoire l’atteste.

— Eh bien ! sous ce symbole était caché l’avenir. Comme Jésus-Christ devait introduire dans la terre promise où coulent des ruisseaux de miel et de lait, disons mieux, comme il devait introduire dans les royaumes de la vie éternelle et ses incomparables béatitudes, le second peuple, c’est-à-dire nous-mêmes qui sommes nés dans les déserts du siècle ; comme ce n’était pas à Moïse par l’ancienne loi, mais à Jésus-Christ par la grâce de l’Evangile, qu’il était donné d’accomplir celle heureuse révolution, et de circoncire avec la pierre mystérieuse qui est le Christ, la nation nouvelle, le chef du peuple hébreu fut destiné à nous représenter cette merveille, et consacré sous ce nom auguste. Le Christ revendiqua lui-même ce titre quand il s’entretint avec Moïse. Car qui parlait alors sinon le Christ, Esprit du Créateur ? « Voilà que j’envoie mon ange devant vous, dit-il

formellement au peuple, afin qu’il, vous précède, vous garde en votre voie, et vous introduise au lieu que je vous ai préparé. Respectez-le et écoutez ses ordres, et ne le méprisez point ; car il ne vous pardonnera point quand vous aurez péché, parce que mon nom est en lui. » Pourquoi son ange ? A cause des merveilles qu’il devait opérer, et de son ministère de prophète, promulguant la volonté divine. Pourquoi Jésus ou Josué ? À cause du mystère renfermé dans ce nom rédempteur qu’il devait porter un jour. Il confirma plus d’une fois le nom qu’il lui avait imposé lui-même. Dès-lors l’homme de Dieu ne fut plus ni son ange, ni Osée : il fut toujours Jésus. Si ces deux appellations conviennent au Christ du Créateur, elles ne conviennent pas à qui n’est point le Christ du Créateur, non plus que les autres symboles de l’antique alliance. Il faut donc établir entre nous un principe inviolable et bien arrêté, aussi nécessaire à une partie qu’à l’autre, c’est que le christ du Dieu étranger ne doit avoir rien de commun avec le Messie du Créateur ; vos intérêts vous font une loi d’appuyer cette différence autant que les nôtres nous commandent de la maintenir. Chez vous, impossibilité de démontrer que le christ étranger est descendu sur la terre, sans affirmer qu’il n’a aucun point de ressemblance avec le nôtre ; chez nous impossibilité de revendiquer le Christ comme l’envoyé du Créateur, sans le représenter tel que le Créateur l’a établi. La question des noms est résolue. Voilà le Christ que je réclame. C’est là le Jésus qu’il me faut.

XVII. Confrontons le reste de sa vie avec les Ecritures qui l’annoncent. Si vile que te semble cette chair pleine d’infirmités, par cela même qu’il a habité ce domicile, et ; s’est manifesté sous ces misérables apparences, dès qu’il se montre sans gloire, sans honneur, c’est là mon Christ à moi. Tel est son extérieur : tel est l’aspect sous lequel la prophétie me le signale. Isaïe vient de nouveau à mon aide. « Notre bouche l’a annoncé, s’écrie-t-il. Il se lèvera en la présence de Dieu comme un arbrisseau, comme un rejeton qui sort d’une terre aride. Il n’a ni éclat, ni beauté. Nous l’avons vu, et il était méconnaissable. Son visage était obscurci, par les ignominies. Il était abaissé au-dessous de l’homme. » Plus haut, le Père s’adressait en ces termes à son Fils : « Ainsi que plusieurs sont restés muets à la vue de tes désolations, ô Jérusalem ! son visage sera sans éclat, et sa figure méprisée parmi les enfants des hommes. » Il est bien vrai que David lui. donne une beauté qui surpasse toute beauté, beauté allégorique et de l’ordre spirituel, toutefois. Le serviteur entrevoyait son maître ceignant le glaive de la parole divine, sa gloire véritable, sa splendeur, sa majesté. Mais le même prophète le contemple-t-il dans sa chair dégradée et méconnaissable, écoutons-le. « Pour moi, je suis un ver de terre et non pas un homme ; je suis l’opprobre des mortels et le rebut de la populace. »

S’agit-il d’exprimer sa divinité cachée sous ses voiles, quelle différence de langage ! « Un rejeton naîtra de la tige de Jessé ; une fleur s’élèvera de ses racines. » La fleur de cette tige, c’est mon Christ, dans lequel s’est reposé, selon le langage d’Isaïe, « l’esprit du Seigneur, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, esprit de la crainte du Seigneur, » A Jésus-Christ seul convenait la diversité de ces dons spirituels. Mais pourquoi le comparer à une fleur ? à cause de la grâce de l’esprit. Que fait ici la tige de Jessé ? il en sortait par Marie sa mère, Décide donc et prononce. Si ton christ de concert avec le nôtre possède l’humilité, ta patience, la douceur, le voilà devenu le Christ d’Isaïe, « homme de douleurs, familiarisé avec la misère, conduit à la mort comme un agneau, muet comme la brebis devant celui qui la tond. Il ne crie point, il ne fait acception de personne ; sa voix n’éclate point au dehors ; il ne foule pas aux pieds le roseau brisé, » c’est-à-dire la foi chancelante des Juifs ; « et n’éteint pas le lin qui fume encore, » c’est-à-dire les lueurs passagères des nations ; loin de là, il les ravive aux rayons de son avènement. Il ne peut différer du Christ des prophéties. Chacun de ses actes se reconnaîtra invinciblement aux Ecritures qui le signalent, appuyé sur une double autorité, la prédiction et le miracle. Ils seront l’un et l’autre l’objet d’une discussion. Mais comme il sera utile de réfuter l’évangile de Marcion, nous renvoyons à ce moment plus favorable l’examen des doctrines et des prodiges. Ici, terminons la série de nos raisonnements en prouvant sans plus de détails, avec Isaïe, que le Christ était annoncé comme le prédicateur et le médecin des âmes. « Qui d’entre vous craint le Seigneur, et entend la voix de son Fils ? Il a vraiment porté en personne le fardeau de nos iniquités ; il s’est chargé de nos douleurs. »

XVIII. — Vous essayez d’établir la diversité des deux christs par la diversité de leur mort, en niant que la souffrance de la Croix ait été prédite pour le Christ du Créateur. Est-il à croire, ajoutez-vous, qu’il oit livré son fils à un genre de mort qu’il avait maudit en ces mots : « Maudit celui qui est suspendu au bois ! » J’ajourne le sens de cette malédiction, c’est-à-dire de la Croix, qui méritait une prédiction à part, prédiction dont il s’agit surtout maintenant, parce que le fait doit précéder la raison du fait. Un mot d’abord sur les figures.

Si une chose au monde était nécessaire, c’était avant tout, que le mystère de la Rédemption fût figuré d’avance par les prédictions. Plus il contrariait la raison humaine, plus il devait exciter de scandale, annoncé sans voiles. Plus il était magnifique, plus il fallait le cacher sons de saintes ténèbres, afin que la difficulté de comprendre fît recourir à la grâce de Dieu. Voilà pourquoi dès le début, Isaac sacrifié par son père et portant lui-même le bois de l’immolation, figure la mort de Jésus-Christ, victime abandonnée par son Père et portant le bois de sa passion. Joseph est encore un symbole du Christ. Et ce n’est pas seulement, car je ne veux pas retarder ma course, ce n’est pas seulement dans Joseph persécuté par ses frères et vendu en Égypte pour la cause de Dieu, que nous retrouvons le Sauveur trahi et vendu par les Juifs, ses frères, dans la personne de Judas ; la ressemblance éclate jusque dans les bénédictions. « Sa beauté est celle du taureau premier-né ; ses cornes sont celles de l’oryx : avec elles il frappera les peuples et les chassera jusqu’aux extrémités de la terre. » Je le demande, est-ce quelque animal puissant, ou quelque monstre fabuleux, que présage cet emblème ? Non, sans doute. Ce taureau mystérieux, c’est Jésus-Christ, juge terrible pour les uns, rédempteur plein de mansuétude pour les autres. Ces cornes, ce sont les extrémités de la croix, car dans l’entenne d’un navire, qui figure une partie du bois sacré, on donne le nom de cornes à ses extrémités. Enfin l’oryx, à la corne unique, désigne le tronc de l’arbre sur lequel il s’étendra. Cornes symboliques, c’est avec leur vertu que mon Christ enlève tous les jours les nations par la foi, les transportant de la ferre au ciel, et qu’au dernier jour il les précipitera, par le jugement, du ciel sur la terre ! Ce même taureau reparaîtra encore dans les Ecritures, lorsque Jacob étendant sa bénédiction sur Siméon et Lévi, c’est-à-dire sur les scribes et les pharisiens (car cette race est fille de Siméon et de Lévi), le patriarche s’écrie allégoriquement : « Siméon et Lévi, tous deux frères : la fraude les a convertis en instruments de violences ; » ces violences par lesquelles ils ont persécuté le Christ ! « Mon ame n’est point entrée dans leur complot, mon cœur ne s’est point uni à leurs assemblées, quand leur fureur a égorgé des hommes, » quels hommes ? sinon les prophètes, « et quand ils ont percé les membres du taureau, » c’est-à-dire, du Christ qu’ils ont immolé comme les prophètes, et sur lequel ils ont assouvi leur haine en le clouant à un gibet. Au reste leur reprocher, après le massacre des prophètes, d’avoir mis à mort quelque animal, serait par trop ridicule, si c’était là un taureau vulgaire.

Que dire de Moïse, priant assis et les mains étendues pendant que Josué combattait Amalec ? Pourquoi celle attitude, lorsque tout autre, au milieu de la consternation publique et pour rendre sa prière plus favorable, eût fléchi les deux genoux en terre, eût meurtri sa poitrine, eût roulé son visage dans la poussière ? Pourquoi ? sinon parce que là où combattait le nom de Jésus qui devait terrasser un jour le démon, il fallait arborer l’étendard de la Croix par laquelle le nouveau Josué remporterait la victoire ? Que signifie encore le même Moïse, après la défense de se tailler aucune image, dressant un serpent d’airain au haut d’un bois, et livrant aux regards d’Israël le spectacle salutaire d’un crucifié, au jour où des milliers d’Hébreux périrent par des serpents ? C’est que là encore était représentée la puissance miraculeuse de la Croix, dont la vertu triomphait de l’antique dragon ; c’est que tout homme mordu par les serpents spirituels n’avait qu’à regarder et croire, pour être guéri de la blessure de ses péchés, cet emblème qui lui annonçait le salut.

XIX. Poursuivons. Si tu as lu dans le Psalmiste : « Le Seigneur a régné du haut du bois ; » j’attends l’explication de ce texte. Répondras-tu qu’il s’agit probablement, de quelque roi des Juifs terminant ses jours sur un gibet, et non pas du Christ qui a régné en triomphant de la mort par la passion de la Croix ? Quoique a la mort ait régné depuis Adam jusqu’à Jésus-Christ ; » pourquoi, ne dirait-on pas que le Christ a régné par le bois, depuis qu’en mourant sur le bois de la Croix, il a fermé les portes de la mort ? « . Un enfant nous est né ; un fils nous a été donné, » s’écrie encore dans le même sens le prophète, Mais qu’y a-t-il là de nouveau, s’il ne désigne pas le Fils de Dieu qui porte « . sur ses épaules le signe de sa domination ? » Parle ! où est le monarque qui. porte sur ses épaules le signe de la domination, au lieu d’un diadème sur sa tête, ou d’un sceptre à sa main, ou de quelque marque distinctive dans ses habits ? Mais le roi nouveau des âges nouveaux a seul porté sur ses épaules la puissance d’une nouvelle gloire et la preuve de sa grandeur. c’est-à-dire la croix, afin que, conformément à la prophétie précédente, « il régnât par le bois. »

Jérémie nous indique encore ce bois lorsqu’il l’ait parler ainsi les Juifs : « Venez, rassemblons-nous ! Jetons le bois sur son pain ! » c’est-à-dire sur son corps ; car telle est l’interprétation que Dieu a donnée lui-même à ce passage, jusque dans votre Evangile, où « il nomme son corps du nom de pain, » afin de vous apprendre qu’il a figuré son corps par ce même pain que le prophète avait jadis figurément nommé son corps, mystère que le Seigneur lui-même s’apprêtait à éclaircir dans la suite ! Te faut-il d’autres preuves ? ouvre le Psaume vingt et unième, contenant toute la Passion du Christ, chantant d’avance sa gloire : « Ils ont percé mes pieds et mes mains. » Voilà bien le supplice de la Croix ! Il n’est pas moins clair quand il invoque le secours de son Père : « Sauvez-moi de la gueule du lion ; » de la mort, veut-il dire ; « , détournez de moi les cornes de l’oryx, » en qui signifie les extrémités de la Croix, ainsi que nous l’avons démontré plus haut. Est-ce David qui fut attaché au gibet ? Est-ce de quelque roi d’Israël, ou de quelque prophète, que l’on perça les pieds et les mains ? Non. Point d’autre crucifié que celui qui fut crucifié par tout un peuple avec tant d’appareil !

Maintenant si l’endurcissement de l’hérésie rejette ces explications et s’en moque, accordons-lui que le Créateur n’avait point annoncé le crucifiement de son fils. Jamais, armée de cet aveu, elle ne prouvera qu’un autre est mort sur ce bois, à moins de démontrer que cette fin son Dieu l’avait prédite, seul moyen qu’elle ait de maintenir la diversité des souffrances et conséquemment des personnes par la diversité des prophéties. Que dis-je ? son Christ à elle n’ayant jamais été annoncé, et sa croix encore moins, la prophétie de sa mort suffit pour attester que c’est là mon Christ. De ce que le genre de mort n’est pas prédit pour le tien, sa mort à pu se consommer par la croix, d’accord. Mais pour l’attribuer à un autre, je veux la savoir prédite pour un autre.

Soutiendras-tu que les oracles ont été muets sur la mort dé mon Christ ? Rougis plutôt d’annoncer la mort de ton christ, quand tu nies sa naissance, et de refuser au mien la possibilité de mourir, après avoir admis qu’il devait naître. Mais la mort, la sépulture, la résurrection de mon Dieu, tout est renfermé dans un mot d’Isaïe : « Sa sépulture a été enlevée du milieu des hommes. » Point de sépulture sans mort ; point de sépulture dérobée à la terre sans résurrection. Puis il ajoute : « Voilà pourquoi je lui donnerai eu partage un peuple nombreux ; il distribuera lui-même les dépouilles des forts. » Quel autre sinon le Dieu fait homme, ainsi qu’on l’a vu plus haut ? « Parce qu’il a livré sa vie à la mort. » Déclarer que cette grâce était le dédommagement de ses outrages et de sa mort, c’était déclarer pareillement qu’il arriverait à cette gloire par sa mort, c’est-à-dire, après sa mort par sa résurrection.

XX. Il nous suffit d’avoir parcouru jusqu’ici l’ordre des prophéties touchant le Christ, pour montrer que, prouvé tel qu’il était annoncé, il ne pouvait pas y en avoir un autre que celui qui était annoncé, afin que d’après la concordance des faits de sa vie avec les Ecritures du Créateur, leur autorité soit établie par une présomption favorable de la plus grande partie, qui se trouve maintenant ou révoquée en doute, ou niée dans les divers sens qu’on leur donne. D’après les Ecritures du même Créateur, nous allons établir les mêmes rapports entre les prophéties et les faits qui ont suivi la mort du Christ. En effet, le plan du Créateur ne se serait pas réalisé s’il n’était pas venu celui après lequel tout devait arriver. Vois toutes les nations sortant de l’abîme de l’erreur pour reconnaître la vérité d’un Dieu créateur et d’un Jésus-Christ Dieu ! puis, nie, si tu l’oses, qu’un si merveilleux événement ait été prédit. Je t’arrête aussitôt par ces paroles du Psalmiste : « Tu es mon Fils ; je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et la terre pour empire. » Tu ne seras pas mieux fondé à l’appeler fils de David que Christ, ni à prétendre que l’empire de la terre a été promis à David qui ne régna que sur la nation juive, plutôt qu’à Jésus-Christ qui règne sur tout l’univers par la foi à son Evangile. Ecoute encore Isaïe : « Moi, le Seigneur, je t’ai appelé dans les secrets de ma justice ; tu ouvriras les yeux des aveugles, » des infortunés plongés dans l’erreur ; « tu briseras les fers des captifs, » des captifs du péché, « tu arracheras à la prison » » à la prison de la mort, « tous ceux qui étaient assis dans les ombres » de l’ignorance. Si toutes ces merveilles arrivent par Jésus-Christ, les prédictions n’en ont été faites que pour Jésus-Christ par qui elles arrivent. « Je l’ai donné pour témoin aux peuples, pour guide et pour maître aux nations, » dit ailleurs le même prophète. « Les nations qui t’ignorent, t’invoqueront, et les peuples se réfugieront à tes pieds. » Cet oracle concernera-t-il David, parce qu’il avait été dit au verset précédent : « J’établirai avec vous l’éternelle alliance de fidélité et de religion, promise à mon serviteur David ? » Loin de là ! Il ne désigne que mieux le Christ, destiné à naître dans sa naissance charnelle du sang de David par Marie sa mère. Le Seigneur a dans un Psaume fait cette promesse à David : « Je placerai sur ton trône un fils qui naîtra de ton sein ? » Le sein de qui ? de David ? Non sans doute. David ne pouvait enfanter un Fils. De sou épouse ? pas davantage. Car le Seigneur au lieu de dire : « Qui naîtra de ton sein, » n’eût pas manqué de dire : « Du sein de ton épouse. » Il ne faut chercher à ce sein d’autre sens que celui-ci : Un descendant de David donnera naissance à cette chair divine qui a germé au sein de Marie. Aussi a-t-il dit seulement le fruit du sein, du sein proprement dit, du sein seul et non de l’homme ; el ce sein lui-même, il l’a rapporté à David, chef de la race, au père de la famille ; et comme il était, impossible que ce sein, virginal s’entendît d’un homme, il l’a appliqué au père. Ainsi le testament nouveau qui s’accomplit aujourd’hui dans le Christ sera le testament que promettait alors le Créateur, lorsqu’il appelait « alliance de religion et de fidélité » ce qui concernait le Christ, parce que le Christ descendait de David ; ou plutôt « cette alliance éternelle de fidélité et de religion, » jurée à David, c’est sa chair sainte par la religion, et montrée fidèle par sa résurrection. Nathan, au second livre des Rois, l’ait cette déclaration à David : « Je susciterai une race qui sortira de ton sein. » Appliquer simplement cette prophétie à Salomon, c’est te couvrir de ridicule. Car voilà David enfantant Salomon. Et n’aperçois-tu pas que cette semence de David n’est autre chose que le Christ, qui devait sortir de David, c’est-à-dire de Marie ? Secondement, à ce temple de Dieu, que le Christ devait édifier, c’est-à-dire à l’homme saint par excellence, sanctuaire auguste dans lequel devait habiter l’esprit du Créateur, il est plus facile de reconnaître le fils de Dieu, que Salomon fils de David. Enfin, « ce trône éternel convient bien plus au Christ qu’à Salomon qui n’a régné qu’un moment. » De plus, la grâce et la miséricorde ne se sont jamais retirées de Jésus-Christ. Salomon, au contraire, provoqua la colère du Seigneur par ses désordres et son idolâtrie. Le démon arma contre lui un ennemi de l’Idumée.

Aucun de ces textes ne pouvant s’appliquer à Salomon, tandis qu’ils conviennent tous à Jésus-Christ, nos explications, justifiées par des événements qui ont été prédits pour le Christ, demeurent inébranlables. « Cette alliance éternelle jurée à David, » c’est le Christ. C’est le Christ que Dieu a donné pour témoin aux nations, et non pas David ; le Christ pour chef et dominateur des peuples, et non pas David, qui n’a régné que sur Israël. Enfin, c’est le Christ qu’invoquent aujourd’hui les nations qui ne le connaissaient pas ; c’est aux pieds de ce Christ ignoré tout à l’heure, que les peuples se réfugient aujourd’hui. On ne peut pus appeler avenir ce qui s’accomplit sous nos yeux.

XXI. Diras-tu, pour maintenir la diversité des deux messies, que le Christ, Juif de nation, était destiné par le Créateur à recueillir les débris épars du « peuple Juif, mais que le vôtre a été délégué par le dieu exclusivement bon pour sauver le genre humain ? » Tu ne le peux ! Les Chrétiens du Créateur ont devancé les chrétiens de Marcion. Tous les peuples ont été admis à son royaume depuis que « Dieu a régné du haut du bois, » avant qu’il fût encore bruit de Cerdon, à plus forte raison de Marcion.

Battu sur la vocation des Gentils, tu retombes sur les prosélytes. Où sont, parmi, les nations, demandes-tu, les infidèles qui passent à la foi du Créateur, oubliant que le prophète nomme séparément les étrangers de condition diverse et distinctive ? « Voilà, dit Isaïe, que les prosélytes s’approchent de toi par mon intermédiaire ; » preuve manifeste que les prosélytes eux-mêmes arriveraient à Dieu par le Christ. Pour les nations, c’est-à-dire nous, autrefois Gentils, elles avaient leur désignation particulière fondée sur leur espérance dans le Christ. « Et les nations, est-il dit, espéreront en son nom. » Or, les prosélytes, que tu substitues dans la prophétie des nations, n’ont pas coutume d’espérer dans le nom du Christ, mais dans les préceptes de Moïse, de qui vient leur institution. D’ailleurs, la vocation des Gentils commença vers la fin des temps. Isaïe emploie les mêmes termes : « Voici ce qui arrivera dans les derniers jours, « dit-il : « La montagne où habite le Seigneur, c’est-à-dire la puissance de Dieu, se rendra visible, et le sanctuaire de Dieu sera élevé au-dessus des plus hautes montagnes, » c’est-à-dire le Christ, temple catholique de Dieu, dans lequel Dieu est adoré, élevé au-dessus des vertus et des puissances les plus sublimes. « Et les peuples iront à lui, et lui diront : « Venez, et montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob. Et il nous enseignera ses voies, et nous marcherons dans ses sentiers. Car la loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur retentira sur Jérusalem. » Quelle est cette voie ? L’Evangile de la loi nouvelle, de la parole nouvelle dans le Christ désormais et non plus dans Moïse. « Et il jugera les nations ; » leur iniquité sans doute : « et il accusera un grand peuple, » le peuple des Juifs et des prosélytes. « Alors, ils changeront leurs épées en instruments de labour, et leurs lances en faucilles. « C’est-à-dire : A ces cœurs dépravés, à ces langues aiguisées pour le blasphème et la calomnie, ils substitueront l’amour de la modération et de la paix. « Les nations ne lèveront plus contre les nations le fer » de « la discorde. Elles ne s’exerceront plus aux combats ; » c’est-à-dire plus de haines et d’inimitiés : nouvelles preuves que la prophétie ne nous annonçait le Christ que comme un conquérant spirituel et pacifique. Ose donc nier, ou la prophétie, quand l’événement est sous les yeux de fous, ou l’événement, quand la prophétie est consignée dans les livres. Ou, si tu confesses l’un et l’autre, les prophéties ont donc trouvé leur accomplissement, dans le Messie qu’elles annonçaient. Il y a plus : suis à son origine et dans sa marche la vocation des Gentils. Ils n’arrivent au Créateur que vers le déclin des âges, tandis que l’admission des prosélytes commence à des temps plus reculés. Les apôtres n’ont pris introduit d’autre foi.

XXII. L’apostolat des ouvriers évangéliques est également prédit. « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds de ceux qui annoncent la paix et le bonheur ! » La paix, et non là guerre et ses calamités. Le psalmiste répond de son côté : « Leur prédication s’est répandue dans tout l’univers ; leur voix a retenti jusqu’aux extrémités de la ferre. » La voix de qui ? « De ceux qui portaient au loin la loi partie de Sion, la parole qui avait retenti sur Jérusalem, » afin d’accomplir ce qui est écrit : « Tous ceux qui étaient loin de ma justice se sont approchés de la justice et de la vérité. » Près de mettre la main à cette œuvre, les apôtres rompirent avec les magistrats, les anciens et les pontifes des Juifs.

— N’est-ce pas l’irrécusable preuve qu’ils prêchaient un autre Dieu ? — Illusion grossière ! Ils prêchaient le Dieu dont ils accomplissaient en ce moment les oracles. « Relirez-vous, retirez-vous, s’écrie Isaïe ! Ne touchez à rien d’impur, » c’est-à-dire aux blasphémateurs du Christ ! « Sortez du milieu de mon peuple ; » conséquemment de la synagogue ! « Séparez-vous, vous qui portez les vases du Seigneur. » Déjà, en effet, comme on l’a vu plus haut, Dieu avait révélé son Christ à la face des nations (par la force de son bras), afin « que toutes les nations, jusqu’aux extrémités de la terre, contemplassent le salut qui venait de Dieu. » Ainsi, en renonçant au judaïsme, et en substituant aux fardeaux et à la gêne de la loi, la sainte liberté de l’Evangile, ils accomplissaient les paroles du Psalmiste : « . Brisons leurs liens ! Rejetons leur joug loin de nous ! » Depuis assurément « que les nations ont frémi et que les peuples ont médité de vains complots, les rois de la terre se sont levés ; les princes se sont ligués contre le Seigneur et son Christ. » Et les apôtres, à quels outrages n’ont-ils pas été exposés ?

— Sans doute, répliques-tu, aux persécutions les plus violentes. Mais « qui les torturait ? Les hommes du Créateur, parce que le Créateur était l’ennemi du Dieu qu’ils prêchaient. »

— Mais pourquoi le Créateur, s’il était l’antagoniste du Christ, à la prédiction de ces outrages, joint-il des reproches pour les persécuteurs ? Eût-il annoncé la mission d’un Dieu qu’il ignorait, dans votre système ? Eût-il incriminé des tortures auxquelles il eût applaudi ? « Regardez ! le juste périt, et nul n’y pense dans son cœur. Le Seigneur rappelle à lui l’homme de sa miséricorde, et pas un homme qui le regrette. Le juste sera enlevé de la présence des méchants. » Quel est-il, sinon le Christ ? « Accourez, est-il dit encore : débarrassons-nous du juste, parce qu’il nous est inutile, et qu’il contrarie nos œuvres. » Dans ses déclarations préliminaires et dans ses avertissements postérieurs que les justes souffriront comme le Christ a souffert, il a gravé au iront de ses apôtres et de tous les fidèles à venir, cette lettre mystérieuse dont parle Ezéchiel : « Le Seigneur m’a dit : Passe à travers la ville, au milieu de Jérusalem, et marque d’un Tau le front des hommes. » Ce caractère est le Tau des Grecs, le T des Romains, espèce de croix, qu’il nous montrait d’avance sur nos fronts, dans la véritable et universelle Jérusalem, où le Psaume vingt-unième chante dans la personne du Christ, qui s’entretient avec son Père, les frères de Jésus-Christ lui-même, c’est-à-dire les enfants de Dieu rendant hommage à Dieu le Père. « Je raconterai votre nom à mes frères : je publierai vos louanges au milieu de l’assemblée. » En effet, la merveille qui devait s’accomplir de nos jours en son nom et par son esprit, il avait droit de l’annoncer d’avance comme son œuvre.

Et un peu plus bas : « O Dieu ! vous êtes ma louange au milieu de votre vaste Église. » Et dans le Psaume 67 : « Bénissez le Seigneur dans vos assemblées, » afin que la prédiction de Malachie eût aussi sa vérité : « Mon amour n’est point en vous, dit le Seigneur des armées, et je ne recevrai point de présent de votre main. Car depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, mon nom est grand parmi les nations, l’on me sacrifie en tout lieu, et une oblation pure est offerte à mon nom, » c’est-à-dire hommage, gloire, bénédiction, hymnes de toute espèce. Tout cela se trouvant aussi chez toi, Marcion, et le signe de croix imprimé sur les fronts, et les sacrements des églises catholiques, et les sacrifices sans tache, réveille-toi de ta stupeur, pour confesser que le temps du Créateur est une longue prophétie de ton Christ.

XXIII. Maintenant puisque tu nies avec les Juifs que leur Christ soit encore venu, reconnais la catastrophe qui leur est prédite après le Christ pour venger l’impiété avec laquelle il l’ont méprisé et mis à mort. A dater du jour où, selon le langage d’Isaïe, « L’homme brisa ces vains simulacres d’or et d’argent qu’il s’était taillés pour adorer des ombres et chimères ; » c’est-à-dire depuis que l’univers, illuminé par le flambeau du Christ, abattit ses idoles, vois si les prophéties suivantes se sont réalisées : « Le Seigneur, le Dieu des armées a enlevé à Jérusalem, parmi ses autres appuis, le prophète et le prudent architecte ; » qu’est-ce à dire ? l’Esprit saint qui édifie l’Église, temple, maison, cité de Dieu. Dès lors tarissent pour eux les grâces divines. « Il a été dit aux nuages : Ne versez plus vos pluies sur la vigne de Sorech. » Pourquoi suspendre ainsi la rosée des bienfaits célestes ? C’est que la maison d’Israël « avait produit des épines » pour en couronner le Seigneur, et non la justice, mais la clameur qui l’attacha à la croix. Toutes les rosées et les grâces ayant été ainsi ravies aux Juifs, la loi et les prophètes vont jusqu’à Jean. Mais comme ils persévèrent dans leur aveugle obstination ; comme ils sont cause, ainsi que le prophète le leur reproche, que le nom du Seigneur est blasphémé parmi les nations, infamie qui commença par eux ; enfin, comme ils ne comprirent pas que l’intervalle de Tibère à Vespasien leur était accordé pour la pénitence, « leur terre est devenue déserte, leurs villes ont été la proie des flammes ; des étrangers dévorent, leur pairie jusque sous leurs yeux. La tille de Sion a été abandonnée comme la hutte après la saison des vendanges, comme une cabane dans un champ de concombres. Depuis quand ? Depuis qu’Israël n’a point connu le Seigneur ; depuis qu’il a été sans intelligence, qu’il a abandonné son maître, et irrité la colère du Dieu fort. » Que prouve encore cette menace conditionnelle ? « Si, indocile et rebelle, tu refuses de m’écouter, le glaive le dévorera. » Le glaive a dévoré ; donc le Christ est venu ; donc ils ont péri en refusant de l’écouter. Au Psaume 58, c’est lui qui demande à son Père l’extermination du peuple rebelle : « Détruisez-les dans votre fureur ; détruisez-les ; qu’ils ne soient plus ! » lui encore qui appelle l’incendie contre eux, dans les pages d’Isaïe : « . Il vous a été fait ainsi à cause de moi : vous dormirez dans les douleurs. » Châtiments vains et absurdes, si les Juifs ont souffert ces calamités à cause du Christ d’un autre Dieu, et non à cause de celui qui avait annoncé que les Juifs souffriraient à cause de lui !

— Mais ce sont les vertus et les puissances du Créateur, qui, jalouses d’un dieu étranger, ont suspendu son Christ à la croix.

—Voilà que le Créateur lui-même le défend et le venge ? « Les impies lui furent donnés pour prix de sa sépulture ; » les impies qui avaient affirme qu’on l’avait enlevé furtivement ; « et les riches en expiation de sa mort ; » les riches qui avaient payé à Judas sa trahison, et aux soldats le faux témoignage que ses apôtres avaient enlevé secrètement le cadavre. Point de milieu ! ou les Juifs n’ont pas subi ces châtiments à cause de lui ; mais alors tu donnes un solennel démenti aux Ecritures qui s’accordent avec les événements et l’ordre des temps : ou si ces calamités sont le prix du déicide, quel autre que son propre Christ le Créateur aurait-il vengé de la sorte, lui qui aurait dû récompenser Judas si les Juifs avaient tué l’ennemi de leur maître ? Toutefois si le Christ du Créateur, à cause duquel ils doivent, d’après les prophètes, éprouver ces traitements, n’est pas encore venu, ils les éprouveront donc lorsqu’il sera venu. Mais alors où sera « cette fille de Sion condamnée au délaissement, » puisqu’il n’est plus de fille de Sion ? « Où seront les cités qui doivent être brûlées, » quand les cités sont déjà en cendres ? Où est la nation à disperser ? La voilà déjà disséminée. Rends donc aux Juifs leur ancien état, pour que le Christ du Créateur retrouve un peuple Juif ; puis, soutiens après que c’est un autre Christ qui est descendu. Nouvelle inconséquence ! Me persuaderas-tu jamais qu’il ait admis dans ses demeures célestes celui qu’il devait immoler sur la terre, après avoir violé la région la plus glorieuse de son empire, et foulé aux pieds la majesté de son palais, le siége de sa puissance ?

— Il l’attira méchamment dans ses pièges !

— Eh bien oui ; mon Dieu « est un Dieu jaloux ; » toutefois il a vaincu le tien. Rougis donc de croire à un dieu vaincu. Qu’espères-tu d’un dieu impuissant à se protéger ? En effet, c’est par faiblesse qu’il s’est laissé vaincre par les vertus et les hommes du Créateur, ou par malice, afin qu’en permettant ces outrages, il chargeât ces meurtriers d’un grand crime.

XXIV. — Loin de là, dis-tu, j’attends de lui comme témoignage qui constate leur différence, l’éternelle et céleste possession du royaume de Dieu. D’ailleurs, votre Christ promet aux Juifs le rétablissement de leur empire terrestre, et après la consommation de la vie, le rafraîchissement au sein d’Abraham dans les lieux inférieurs. Dieu véritablement bon ! Il rend après les transports de la colère, ce qu’il avait enlevé dans sa fureur. Dieu qui, comme le nôtre, frappe et guérit, « crée la guerre et fait la paix ! » Dieu miséricordieux jusque dans les entrailles de la terre !

Qu’est-ce que le sein d’Abraham ? Nous l’expliquerons en son lieu.

Quant au rétablissement de la Judée que les Juifs attendent encore telle qu’elle est décrite, trompés par les noms des lieux et des contrées, il serait trop long d’exposer ici comment cette allégorie mystique s’adapte au Christ et à son Église, à son incarnation et aux fruits de sa mort. Nous l’avons déjà développé dans un ouvrage intitulé : Espérance des Fidèles, Question oiseuse d’ailleurs pour le moment ; car il ne s’agit pas ici d’une promesse terrestre » mais céleste.

Qu’un empire nous soit, destiné ici-bas, nous le confessons, empire toutefois avant-coureur du Ciel, mais dans un autre état, n’arrivant qu’après la résurrection, et se prolongeant pendant mille années dans la Jérusalem, descendue du Ciel, cité auguste bâtie par des mains divines, « noire mère » au témoignage de l’apôtre, « et où, nos droits de citoyens sont assurés, » Ezéchiel avait connu cette ville merveilleuse ; Jean l’entrevit un moment ; cl celui que reconnaît notre foi, le Verbe de la nouvelle prophétie, annonce qu’elle apparaîtra visiblement sur la terre, avant la réalité de la Jérusalem éternelle dont elle est l’image.

Tout récemment encore, la promesse eut un commencement d’exécution dans l’expédition d’Orient, Des témoins oculaires et des païens eux-mêmes affirment que pendant quarante jours et à chaque crépuscule on vit une cité descendre du Ciel, et demeurer suspendue dans les airs au-dessus de la Judée. Enceinte et remparts disparaissaient à mesure que le jour s’avançait ; de près, on ne trouvait que vide ! Dieu, selon nous, la destine à recevoir les saints après leur résurrection, et à les dédommager par l’abondance des délices spirituelles, de tous les biens que nous avons dédaignés ou perdus ici-bas. N’est-il pas digne de lui et conforme à sa justice que ses serviteurs triomphent aux lieux mêmes où ils ont été poursuivis pour son nom ? Après un espace de mille ans, révolution nécessaire pour achever la résurrection des saints, plus lente ou plus prompte en raison des mérites, lorsque le monde aura, croulé et les éléments disparu dans l’embrasement universel du jugement, alors, changés en un clin d’œil en substance angélique, c’est-à-dire revêtant pour toujours un manteau d’incorruptibilité, nous serons transportés dans le royaume céleste, qui n’a pas é ! é prédit par le Créateur, dit-on ; et prouve que le Christ est l’envoyé de l’autre Dieu, le premier et le seul qui en ait parlé. Sache-le donc, il a été annoncé par le Créateur. Il y a mieux ; ne l’eût-il pas prédit il faudrait encore le lui attribuer. Que te semble de la postérité d’Abraham, lorsqu’après la première promesse où l’Eternel lui jure une descendance aussi nombreuse que le sable de la mer, il l’égale ensuite aux étoiles elles-mêmes ? Ces présages ne signalent-ils pas une disposition terrestre et céleste à la fois ? Isaac bénit, en ces mots Jacob son fils : « Dieu te donne la rosée du ciel et la graisse de la terre. » Ici encore, bonté de l’un et de l’autre ordre. La manière dont la bénédiction elle-même est conçue n’est pas indifférente. Le patriarche s’adresse-t-il à Jacob, symbole du second peuple qui a mérité les prédilections, c’est-à-dire du peuple chrétien ? La rosée du ciel vient en premier lieu ; celle de la terre n’a que la seconde place. C’est que nous sommes d’abord conviés aux biens célestes, lorsque nous arrachant au siècle, nous obtenons ensuite en échange de nos sacrifices les biens de la terre. Votre Evangile lui-même n’a pas d’autre langage : « Cherchez avant tout le royaume de Dieu, et le reste vous arrivera par surcroît. »

S’agit-il d’Esaù, au contraire ? A lui la bénédiction de la terre d’abord ; et il ajoute ensuite celle du ciel. « Ta bénédiction à toi sera la graisse de la terre et la rosée du. ciel. » C’est que le testament des Juifs, fils aînés, il est vrai, mais au second rang dans l’affection paternelle, et figurés ici par Esaù, n’était avec tous les biens terrestres dont l’avait comblé la loi ancienne, que l’introduction aux biens célestes par la loi à l’Evangile.

Quand Jacob « voit en songe une échelle posée sur la terre et dont l’extrémité touche au ciel ; sur cette échelle des anges qui montent et qui descendent, et le Seigneur appuyé sur le sommet, » y a-t-il témérité de notre part à avancer que ces échelons figuraient l’avenue du ciel, où, d’après les jugements établis du Seigneur, les uns parviennent et d’où les autres tombent ? Pourquoi le patriarche, à peine arraché à son sommeil, cherche-t-il, saisi d’une sainte horreur pour ce lieu, le sens de cette vision ? Il ne s’est pas plus tôt écrié : « Que ce lieu est terrible ! » il ajoute : « Il n’est rien moins que la maison de Dieu et la porte du ciel. » Qu’avait-il donc vu ? Le Christ, Seigneur, temple de Dieu, porte par laquelle on entre au ciel. Eût-il nommé la porte du ciel, si le ciel du Créateur était une chimère ? Mais non ; il y a une porte qui reçoit et introduit au ciel. Elle a été déjà frayée par le Christ, qui, selon Amos, « élève vers les cieux son ascension, » non pas pour lui seul, mais pour les serviteurs qui raccompagneront, « Ils seront pour toi, ajoute le prophète, le vêtement dont se pare la nouvelle épouse, » ceux qui par cette ascension tendent vers le royaume céleste, lorsqu’il s’écrie avec admiration : « Ils s’élancent comme des oiseaux de proie, » dit-il. El ailleurs : « Qui sont ceux qui volent comme des nues et comme les petits des colombes ? » qu’est-ce à dire ? avec la simplicité de la colombe, « , En effet nous serons emportés dans les airs pour aller au-devant de Jésus-Christ, » selon le même apôtre ; oui, au-devant de ce Fils de l’Homme que Daniel nous montre assis sur les nuages, « et ainsi nous serons » éternellement avec le Seigneur, » et sur la terre et dans le ciel ; puisque pour convaincre ceux qui ont été ingrats envers cette double promesse, il invoque les éléments eux-mêmes : « Cieux, écoutez ! Terre, prête l’oreille ! »

Pour moi, quand l’Ecriture ne m’en donnerait pas mille fois l’espérance, il me suffirait de cette simple présomption. Déjà en possession des faveurs de la terre, je dois attendre aussi quelque chose du ciel, de la part d’un Dieu à qui appartient le ciel aussi bien que la terre. « Ce Christ, me dirais-je, qui promet des récompenses sublimes, est l’envoyé de celui, qui avait déjà promis d’humbles salaires, fondant ainsi sur l’expérience des petites choses le pressentiment des grandes. Eût-il même réservé à son Christ la promulgation de cet empire inconnu jusque là, peu m’importe : il avait voulu que des mortels fussent les hérauts de sa gloire terrestre ; mais il fallait un Dieu pour annoncer l’empire du Ciel. »

Mais toi, de ce qu’il annonce un règne nouveau, tu en fais un nouveau Christ. Produis-moi auparavant quelque exemple de bonté, si tu ne veux pas que je me défie à bon droit des merveilleuses espérances que tu étales à mes yeux. Je ne dis pas assez. Prouve-moi avant tout que ce Dieu qui annonce un royaume céleste dispose d’un ciel à lui. Me convoquer à un banquet, et pas une maison pour me recevoir ! Me vanter un empire, et ne pas me montrer un. palais ! Ton Christ promettrait-il le royaume céleste, sans avoir un ciel véritable, comme il a feint d’être un homme sans avoir une chair véritable ? O fantôme misérable ! ô illusion d’une grande promesse.


  1. La législation nautique de Rhodes passait pour très-habile et très-savante.