Œuvres complètes de Tacite/Introduction

Traduction par Jean-Louis Burnouf.
Œuvres complètesHachette et Cie (p. --xx).
INTRODUCTION.

Tacite ne nous est guère connu que par ses ouvrages. Son prénom même a donné lieu à quelques doutes ; et ce n’est que depuis Juste-Lipse que, sur la foi de plusieurs manuscrits et d’après un passage de Sidonius Apollinaris, l’usage a prévalu de l’appeler Caïus. Le manuscrit qui contient les premiers livres des Annales le nomme Publius, et cette autorité a été suivie par les plus anciens éditeurs. Pline le Jeune, dans les lettres qu’il lui adresse, l’appelle seulement Cornelius Tacitus.

Terni, autrefois Intéramne, dans l’Ombrie, se vante de lui avoir donné le jour. Cette ville lui éleva une statue en 1514 ; et on montra longtemps, près du chemin qui conduit à Spolète, un tombeau qui, disait-on, renfermait les cendres de ce grand écrivain. Le tombeau fut détruit et les cendres dispersées sous le pontificat de Pie V, parce que Tacite avait mal parlé du christianisme[1]. Les habitants n’en tiennent pas moins à une tradition à laquelle ils attachent l’honneur de leur cité, mais qui n’est appuyée d’aucun témoignage historique.

C. Cornelius Tacitus appartenait-il à l’ancienne et illustre maison Cornelia, qui produisit les Scipion, les Sylla, les Lentulus, et tant d’autres personnages célèbres ? C’est encore un point dont il est permis de douter. Cette maison était divisée en deux branches, l’une patricienne, l’autre plébéienne, qui elles-mêmes s’étaient subdivisées en beaucoup de rameaux. De plus, tout esclave affranchi prenait le nom de son maitre, et Sylla en affranchit dix mille en un seul jour. Le nom de Cornelius devint donc commun à un très-grand nombre de familles.

Au reste, que Tacite ait eu pour auteur de sa race un patricien ou un esclave, son génie a fondé sa noblesse ; et, cent soixante ans après lui, un empereur croyait relever la sienne en le comptant parmi ses ancêtres. Ce prince, qui, pour le malheur du monde, ne régna que six mois, M. Claudius Tacitus, avait ordonné qu’on plaçât dans toutes les bibliothèques un Tacite complet, et qu’on en fît chaque année dix copies authentiques aux frais de l’Etat[2] : décret non moins glorieux pour l’empereur que pour l’historien, mais qui ne pouvait rien contre dix siècles de révolutions et de barbarie.

Une hypothèse que rien ne réfute, mais que rien ne confirme, fait naître Tacite du Chevalier romain Cornelius Tacitus, procurateur du prince en Belgique, mentionné par Pline le Naturaliste comme ayant eu un fils qui grandit de trois coudées en trois ans, et mourut subitement d’une contraction de nerfs. Si la conjecture est vraie, cet enfant monstrueux était le frère de notre historien. D’autres supposent que c’est Tacite lui-même qui fut Intendant de César, et que l’enfant dont parle Pline était son fils. C’est une erreur que Bayle a combattue par des arguments sans réplique, et que M. Daunou condamne également dans le savant article sur Tacite dont il a enrichi la Biographie universelle.

L’époque précise où naquit Tacite ne nous est pas mieux connue. Un peu plus âgé que Pline le Jeune, son ami, il avait acquis déjà une brillante réputation au barreau, quand celui-ci était encore dans l’adolescence. Cependant Pline, dans la même lettre qui nous apprend ce fait, dit qu’ils étaient presque du même âge[3], ætate propemodum æquales. Ces expressions ne permettent pas de supposer entre eux plus de six ou sept ans d’intervalle. Or, Pline était dans sa dix-huitième année quand son oncle périt sous les feux du Vésuve, l’an 79 de notre ère ; et par conséquent il était né en 62 ou à la fin de 61, ce qui conduit à placer la naissance de Tacite vers l’an 54 ou l’an 55.

Ses premières années se passèrent sous Néron : il vit, fort jeune encore, les règnes éphémères de Galba, d’Othon et de Vitellius. Rien n’empêche de croire qu’il fut disciple de Quintilien, dont les leçons entretinrent pendant vingt ans le goût des études solides, et retardèrent la décadence de l’art oratoire, commencée des le temps d’Auguste. Mais ce fait n’est ni exprimé ni indiqué dans aucun passage des anciens. Si Tacite est vraiment l’auteur du Dialogue dont nous parlerons plus bas, on en doit conclure qu’il suivait dans sa jeunesse les plaidoiries de M. Aper et de Julius Sécundus, orateurs alors en grand renom[4]. Sa correspondance avec Pline le Jeune nous apprend qu’il cultiva aussi la poésie[5] ; et il est facile de s’en apercevoir à la pompe de son style, et à quelques fragments de vers qui lui échappent, surtout dans ses premiers ouvrages.

Tacite épousa en 77 ou en 78 la fille d’Agricola[6], et cette alliance prouve qu’il tenait un rang dislingué parmi les jeunes Romains : Agricola venait d’être consul, et il partait pour le gouvernement de Bretagne, un des plus importants de l’Empire, et le seul où l’occasion s’offrît en ce temps-là de s’illustrer par les armes. Il n’est dit nulle part si Tacite eut des enfants de ce mariage : toutefois il est probable qu’il ne mourut pas sans postérité, puisque l’empereur Tacitus se glorifiait de tirer de lui son origine, et qu’au ve siècle l’historien est cité dans une lettre de Sidonius Apollinaris comme un des ancêtres de Polémius, alors préfet des Gaules. Au reste, l’une et l’autre descendance pourraient être collatérales ; il serait même possible qu’elles fussent imaginaires ; et, si nous en parlons, c’est que, dans le manque absolu de renseignements positifs, aucune indication ne doit être négligée.

Nous savons de Tacite lui-même qu’il entra sous Vespasien dans la carrière des honneurs[7], dont le premier degré était le vigintivirat, magistrature subalterne par laquelle, depuis Auguste, il fallait passer pour arriver à la questure[8] Vespasien mourut en 79 : si Tacite fut questeur sous son règne, sa naissance ne peut être placée plus bas que l’an 55 ; car on ne pouvait être questeur qu’à vingt-quatre ans accomplis. Ses honneurs furent accrus par Titus, qui lui conféra sans doute l’édilité ou le tribunat ; ce qui est certain, c’est qu’en l’an 88, à l’époque des jeux séculaires célébrés par Domitien, Tacite était préteur et quindécemvir[9]. Il passa loin de Rome la moitié au moins des huit années qui s’écoulèrent depuis sa préture jusqu’à la mort de Domitien ; car en 93, quand son beau-père cessa de vivre, il était absent depuis quatre ans. Il n’était pas exilé, comme l’ont prétendu quelques-uns, puisqu’il félicite Agricola de n’avoir vu ni ses amis ni sa famille frappés d’aucun revers. Juste-Lipse pense qu’il s’etait éloigné pour fuir l’esclavage et chercher le repos : mais l’illustre critique oublie qu’il fallait aux sénateurs une permission du prince pour sortir de l’Italie[10] ; et, si l’on en juge par les termes dans lesquels Tacite se plaint de son absence, il ne paraît pas qu’elle fût volontaire[11]. La supposition la plus vraisemblable, c’est qu’il exerçait dans quelque province les fonctions de propréteur. Pourquoi Domitien, qui lui avait donné à Rome la préture, lui aurait-il refusé cette charge, à laquelle il avait des droits ? Pline le Jeune était préteur l’année même de la mort d’Agricola ; d’où il suit évidemment que les deux amis n’étaient pas persécutés.

Quoi qu’il en soit de ces conjectures, Tacite était de retour à Rome pendant les dernières années de Domitien, comme le prouve assez la manière dont il parle de cette époque dans la Vie de son beau-père ; et sa qualité de sénateur le rendit le témoin et le complice forcé des cruautés qu’il déplore avec tant d’éloquence[12].

Enfin le tyran fut accablé par une conspiration de ses proches ; et le monde, fatigué de quinze ans d’oppression, vit s’ouvrir, par l’ avénement de Nerva, une ère plus heureuse[13]. C’est alors que Tacite fut élevé au consulat qui était encore regardé comme la dignité suprême et le terme de l’ambition des citoyens. Étant consul, il prononça, du haut de la tribune aux harangues, l’oraison funèbre de Virginius Rufus, auquel il venait d’être subrogé. La fortune, toujours fidèle à Virginius, dit Pline le Jeune[14], gardait pour dernière grâce un tel orateur à de telles vertus. En effet, le peuple romain entendit quelque chose de plus grand que le panégyrique d’un empereur, celui d’un citoyen qui n’avait pas voulu l’être. Virginius, proclamé malgré lui par les légions de Germanie avant et après la mort de Néron, s’était montré inébranlable dans son refus, et avait, dit La Bletterie, « bravé plus de périls pour éviter la puissance souveraine, que l’ambition n’en affronte pour l’obtenir. » Quel sujet pour Tacite ; parlant sous un prince qui, lui-même, n’avait accepté l’empire qu’à regret !

Le grand âge de Nerva ne lui permettait pas d’exercer longtemps l’autorité suprême ; mais il étendit ses bienfaits au delà des bornes de sa vie en adoptant Trajan, et en le faisant nommer par le sénat son collègue et son successeur. Ce fut, à ce que l’on croit, pendant les quatre mois qui séparent cette adoption de la mort de Nerva, que la Vie d’Agricola fut composée. « Le style de cet ouvrage, dit La Harpe, a des teintes plus douces et un charme plus attendrissant » que celui des Annales et des Histoires. C’est l’effet des deux sentiments qui l’inspirèrent, la piété filiale et l’admiration pour un grand caractère et de glorieux exploits. Cependant on retrouve dans la peinture de cet espionnage, « qui aurait ôté aux Romains la mémoire même avec la parole, s’il était aussi possible d’oublier que de se taire[15], » dans le tableau de ce Domitien, « spectateur des crimes qu’il ordonne, et observant tranquillement la pâleur des malheureux qu’il a faits[16] », une vigueur de pinceau et une énergie de blâme que nulle part l’auteur n’a surpassées. « Il écrivit cet ouvrage, dit encore La Harpe, « dans un temps de calme et de bonheur, où l’on voit qu’il commence à pardonner ; » ce qui suppose qu’il aurait écrit les autres sous la tyrannie de Domitien, pendant laquelle, selon le même critique, « obligé de se replier sur lui-même, il jeta sur le papier tout cet amas de plaintes et ce poids d’indignation dont il ne pouvait autrement se soulager. » Ce jugement est ingénieux : mais il manque d’une condition indispensable, la vérité. puisque la première composition historique de Tacite est la Vie d’Agricola.

Je ne demanderai pas si l’ensemble de cet ouvrage est à l’abri de toute critique, si c’est une histoire, ou un discours, ou un mélange de plusieurs genres divers. Il suffit qu’il attache par la nouveauté des descriptions, par l’intérêt des récits, par la vérité des sentiments, que le style en soit noble et la morale élevée, qu’enfin il fasse aimer à la fois le panégyriste et le héros ; or personne ne contestera ces mérites à la Vie d’Agricola. Je n’accorderai cependant pas à La Harpe qu’elle soit le chef-d’œuvre de Tacite. Elle offre certainement, dans un espace égal, plus d’obscurités qu’aucun autre des écrits de l’auteur ; et ces obscurités ne tiennent pas toutes à l’altération du texte. Quelques constructions recherchées, quelques ellipses trop fortes, annoncent un écrivain dont le génie indépendant n’a pas encore posé à sa hardiesse des limites certaines. On pourrait considérer comme un défaut plus grave encore l’absence de ces détails sans lesquels il est difficile de suivre la marche d’Agricola. Toutefois, hâtons-nous de le dire, l’expédition de ce général dans des contrées neuves et inexplorées donne occasion à l’historien d’appliquer à la connaissance des peuples et des lieux cet esprit de curieuse investigation qu’il porte ailleurs dans la politique des princes et dans les secrets d’État. Ce n’est pas seulement la gloire de son beau-père que Tacite a transmise à la mémoire des hommes ; ce sont encore les antiquités d’une des nations les plus puissantes de l’Europe ; et la Vie d’Agricola reste, après tant de siècles, l’introduction nécessaire de toute histoire de la Grande-Bretagne.

Vers le même temps, sous le deuxième consulat de Trajan, Tacite publia son livre sur la Germanie, contrée aussi peu connue des Romains que la Bretagne, mais qui les intéressait au plus haut degré, puisque les Germains étaient le seul peuple d’Occident qui eût encore les moyens et la volonté de leur faire la guerre. En lisant la description de ces régions à peine découvertes, le peuple-roi était sans doute loin de penser qu’un jour il céderait son sceptre à ses sauvages habitants ; mais il est douteux que Tacite partageât la sécurité générale, et qu’il eût une foi sans réserve à l’éternité de l’empire. Les terribles invasions des Cimbres, et, depuis leur catastrophe, deux cents ans d’une lutte acharnée contre des nations que l’on pouvait battre, mais que l’on ne parvenait jamais à vaincre, lui semblaient être pour sa patrie de sérieux avertissements. C’est sous l’impression de cette idée tristement prophétique qu’il a écrit la Germanie. Il a voulu que ses concitoyens connussent l’ennemi dont ils avaient tant de périls à redouter. C’était aussi une manière de les rappeler aux anciennes vertus, que d’opposer à la corruption de Rome les mœurs grossières mais pures et innocentes des barbares. Toutefois Tacite n’a pas eu l’intention de faire la satire de son pays : la leçon naît du contraste, et les allusions se présentent d’elles-mêmes. Tacite ne les a pas évitées ; mais le ton grave et modéré dont il ne s’écarte jamais prouve aussi qu’il ne les cherchait pas.

Cet ouvrage a pour nous un autre genre d’intérêt ; il peint les mœurs de nos ancêtres. Les usages que Tacite trouve établis dans ces contrées alors si peu civilisées régiront longtemps l’Europe sous les noms de lois saliques et ripuaires, de lois des Visigoths, des Bourguignons, des Lombards ; et aujourd’hui même il n’est pas une seule nation qui n’en conserve quelque trace. Tacite, en écrivant ce livre sous le règne de Trajan, ne savait pas quel précieux monument il léguait à la rité de ces mêmes Germains auxquels Trajan faisait la guerre. « Il est court cet ouvrage, dit Montesquieu[17], mais c’est l’ouvrage de Tacite, qui abrégeait tout, parce qu’il voyait tout. » Nous pouvons ajouter que c’est, sous le rapport littéraire, un des morceaux les plus achevés de ce grand écrivain. Le lecteur nous permettra cependant de hasarder quelques critiques. Si l’on ne trouve dans la Germanie aucune de ces difficultés de construction que nous avons signalées dans l'Agricola, on y rencontre plus qu’ailleurs de ces phrases presque métriques que Tacite avait rapportées du commerce des poëtes. Un vers très-harmonieux, et qui ne paraît pas être une citation (ce serait la seule dans tout Tacite), est même tombé de sa plume[18]. Il est aussi tel passage où l’auteur ne s’est pas assez garanti de cette enflure que les rhéteurs du temps prenaient pour du sublime.

Je ne lui ferai pas un reproche d’avoir transporté chez les Germains quelques-unes des divinités de l’Olympe grec, Mercure, Mars, Hercule. Les Romains, peu curieux d’approfondir les croyances étrangères, identifiaient sur les moindres ressemblances les êtres les plus différents ; et leur vanité aimait à retrouver partout ce qu’ils adoraient eux-mêmes. Tacite ne nous en donne pas moins les notions les plus exactes et les plus instructives sur les idées religieuses des Germains, sur leur culte et leurs superstitions, sur le pouvoir de leurs prêtres ; et la foi à ce qu’il en rapporte ne doit pas être affaiblie par les erreurs qu’il débite ailleurs sur les Juifs. Son esprit, en étudiant la religion germanique, n’était prévenu d’aucun préjugé : là tout était nouveau, tout sollicitait sa curiosité : tandis qu’une foule d’idées toutes faites étaient répandues sur le culte hébraïque. Tacite aurait dû les examiner sans doute, au lieu de se borner à les reproduire : le mépris qu’il avait, avec toute sa nation, pour le peuple juif, lui en ôta la pensée. Un autre motif encore contribuait à le rendre injuste ; c’est l’esprit exclusif de la religion juive : les Romains repoussaient une croyance qui repoussait toutes les autres. Ils confondaient dans la même haine le judaïsme et ce culte nouveau qui, sorti de la Judée, avait pénétré dans la capitale du monde. C’est en présence du christianisme, triomphant au milieu des persécutions, que Tacite médisait des Juifs. Sa disposition d’esprit était plus impartiale quand il parlait des Germains : le dieu Tuiston ne menaçait pas de détrôner Jupiter.

Les travaux historiques n’avaient pas enlevé Tacite tout entier à l’art oratoire : à peine avait-il achevé la Germanie que son éloquence eut un beau triomphe dans une occasion éclatante. Le proconsul Marius Priscus était accusé par la province d’Afrique d’avoir vendu la condamnation et la vie de plusieurs innocents. D’habiles défenseurs essayèrent vainement de réduire l’affaire à un procès de concussion, et de l’amener devant les juges ordinaires : le sénat la retint, et désigna Pline le Jeune et Tacite pour avocats de la province. La cause fut plaidée au commencement de janvier, époque où les assemblées du sénat étaient le plus nombreuses, et en présence de l’empereur, qui présidait en qualité de consul. Pline parla près de cinq heures pour l’accusation, et Tacite répondit au plaidoyer du défenseur « avec une rare éloquence et avec cette gravité majestueuse qui était le caractère distinctif de son langage[19]. » L’accusé fut condamné à des peines qui, dans nos mœurs, paraissent légères pour l’énormité de ses crimes ; mais il fut ajouté au sénatus-consulte que Pline et Tacite s’étaient dignement acquittés de leur tâche.

Apres la Vie d’Agricola et les Mœurs des Germains, Tacite écrivit l’histoire romaine, depuis la mort de Néron, en 68, jusqu’à celle de Domitien, en 96 ; espace de vingt-huit ans, pendant lequel l’empire, déchiré par Galba, Othon, Vitellius, se reposa douze ans sous Vespasien et Titus, pour retomber pendant quinze longues années sous la tyrannie sanglante de Domitien. Le temps n’a épargné que les quatre premiers livres de ce grand ouvrage et le commencement du cinquième. On ignore combien il en contenait ; mais on peut mesurer l’étendue de la perte en songeant que ce qui subsiste n’embrasse qu’un an et quelques mois.

Les Annales, dans l’ordre de la composition, suivirent les Histoires, quoiqu’elles les précèdent par la date des faits. Elles renferment, en seize livres, l’espace de cinquante-quatre ans. compris entre la mort d’Auguste et celle de Néron. Les six premiers livres sont consacrés au règne de Tibère. Une lacune, qui s’étend sur plus de deux années, nous prive de la partie du cinquième où étaient racontées la conjuration et la mort de Séjan. Les quatre ans de Caligula manquent entièrement, et la narration recommence au onzième livre, à la septième année de Claude. Elle continue ensuite, sans interruption, jusqu’à la mort de Thraséas, qui précéda de deux ans la fin de Néron.

Plusieurs passages de ces livres prouvent que c’est Tacite qui le premier leur donna le titre d’Annales. Il y rapporte les événements selon l’ordre des années, comme il le dit lui-même ; et, s’il joint quelquefois dans un même récit des faits accomplis sous plusieurs consulats, il a soin d’en avertir, et il revient bientôt à la date qu’il avait dépassée.

Le titre des Histoires n’est pas non plus d’invention moderne, puisque Tertullien, réfutant la fable de la tête d’âne adorée par les Juifs, dit qu’elle se trouve dans le cinquième livre des Histoires de Cornélius Tacitus ; ce qui montre de plus que les deux ouvrages étaient bien distincts, et que quelques éditeurs ont eu tort de les réunir en un seul[20].

Il nous reste une trop petite partie des Histoires pour qu’on puisse dire avec certitude si l’auteur y suivait le même ordre chronologique que dans les Annales. On serait fondé à le croire, puisque, la seule fois qu’il passe d’une année à une autre, il annonce l’ouverture du nouveau consulat, et commence ses récits aux kalendes de janvier. L’année à laquelle les consuls Galba et Vinius donnent leur nom occupe trois livres et presque la moitié du quatrième, tandis que chaque livre des Annales embrasse plusieurs consulats. Les faits sont donc racontés dans les Histoires avec beaucoup plus de détails, et cependant il n’est pas probable que toutes les parties de cette vaste composition fussent également développées. L’auteur n’a pas eu partout à retracer l’élévation et la chute de trois princes, l’avénement d’un quatrième, la guerre civile à l’Orient et à l’Occident, des batailles sanglantes en Italie, des combats jusque dans Rome, et. pendant ce temps, la Germanie en armes, les Gaules soulevées, et l’empire en danger de passer aux nations transalpines. Un critique[21] a comparé cette partie des Histoires à un poëme épique : et, en effet, elle en a la marche imposante, le majestueux ensemble, les épisodes variés ; et tous les faits y sont tellement enchaînés, qu’ils concourent à un but unique, la pacification du monde sous Vespasien, accomplie par la soumission de Civilis et la chute de Jérusalem. Le véritable poëte de cette grande épopée est sans doute la Providence, qui en a fourni les éléments et les a ramassés dans l’espace de moins de deux années ; mais avec quel génie l’historien a su les mettre en œuvre !

L’image des temps se déroule, dans la longue série des Annales, avec plus de simplicité, sans autre lien que l’ordre de leur succession. Voilà quelle est la différence la plus sensible entre ces deux ouvrages, et c’est probablement dans cette différence qu’il faut chercher la raison des titres qu’ils ont reçus[22]. Aulu-Gelle[23] en indique plusieurs autres ; par exemple, que l’histoire est le récit des événements contemporains, ce qui s’accorde assez bien avec l’étymologie grecque de ce mot[24], et convient aux temps que Tacite a décrits, puisqu’il sortait au moins de l’enfance à la mort de Néron.

Que les Annales aient été composées après les Histoires, ainsi que nous l’avons dit, c’est ce dont il est impossible de douter, puisque l’auteur renvoie au récit des jeux séculaires de Domitien en parlant de ceux qui furent célébrés par Claude[25]. Il paraît même que les Annales ne furent pas publiées avant l’an 115 ; car on y trouve une allusion évidente aux conquêtes qui ajoutèrent à l’empire la Mésopotamie et l’Assyrie[26], et ces conquêtes ne furent achevées qu’à cette époque. Tacite pouvait alors être âgé de soixante ans, et le passage dont nous parlons est au second livre d’un ouvrage qui en contient seize.

En commençant ses Histoires, l’auteur réservait pour sa vieillesse les règnes de Nerva et de Trajan ; et, pendant qu’il écrivait les Annales, il forma le projet de raconter également, s’il lui restait assez de vie, les événements du siècle d’Auguste[27]. Il est probable que l’un et l’autre dessein furent rompus par sa mort : il n’existe nulle part ni trace ni mention de ces deux ouvrages.

Si l’on en croit le grammairien Fulgentius Planciadès, le grave historien se délassait dans le commerce de muses moins sévères ; et il existait de lui au ve siècle un recueil de Facéties, qui, s’il était venu jusqu’à nous, nous montrerait sous un nouvel aspect ce génie aussi varié que sublime. Mais nous possédons un monument d’un bien plus grand intérêt, et dont les plus habiles critiques s’accordent aujourd’hui à le croire l’auteur : c’est le Dialogue sur les Orateurs, ou sur les causes de la corruption de l’éloquence. Le narrateur de cette conversation, réelle ou supposée, entre les hommes les plus diserts de l’époque, annonce qu’elle eut lieu dans un temps où lui-même était fort jeune ; or il en place la date à la sixième année de Vespasien, la soixante-quinzième de notre ère, et Tacite avait alors à peu près vingt ans. De plus, tous les manuscrits mettent le Dialogue sous le nom de Tacite, et Pomponius Sabinus, grammairien du moyen âge, cite comme de lui une expression remarquable qui ne se trouve que dans cet ouvrage. Plusieurs alliances de mots, qui ne sont pas moins frappantes et qu’on n’oserait guère, dit M. Dureau de Lamalle, emprunter qu’à soi-même, se rencontrent à la fois dans le Dialogue et dans les autres écrits de l’historien. On y remarque aussi très-fréquemment une forme de style qui n’est pas étrangère à Tacite, surtout dans ses premières compositions, et qui consiste à joindre ensemble des mots presque synonymes, soit pour insister davantage sur la pensée, soit pour donner à la phrase un tour plus nombreux. J’imagine que Tacite avait contracté au barreau l’habitude de ces redoublements d’expression, qui remplissent agréablement l’oreille des auditeurs, mais dont l’utilité est moins sensible dans un ouvrage fait pour être lu.

Cette observation peut expliquer encore le ton oratoire qui règne dans tout le Dialogue : c’est un orateur qui écrit sur l’éloquence, et les personnages qu’il fait parler sont eux-mêmes des orateurs ou des poètes. Ce n’est pas que la concision dont on a fait si souvent à Tacite un mérite ou un reproche exclue la pompe et la magnificence ; et M. D. de Lamalle, qui ne doute pas que le Dialogue ne soit de notre auteur, prouve très-bien qu’il y a dans les Histoires et dans la Vie d’Agricola un grand nombre de ces périodes harmonieuses et cadencées qu’on ne serait pas étonné de lire dans Cicéron. Je ne m’arrêterai donc pas à combattre les arguments qu’on tire du style de ce morceau pour le refuser à Tacite. Je ne dirai même pas, avec quelques-uns, que c’est une œuvre de sa jeunesse : s’il n’avait que vingt ans, peut- être moins, quand l’entretien eut lieu, il était plus âgé quand il le rédigea, puisque c’est à sa mémoire qu’il s’adresse pour en retrouver les détails[28]. Ceux qui l’attribuent à Quintilien se fondent sur ce que ce rhéteur à traité le même sujet, comme il l’atteste positivement dans plusieurs endroits Il appelle même l’ouvrage qu’il avait composé et que nous n’avons pas, Liber de Causis corruplæ eloquentiæ ; et c’est aussi, dans quelques éditions, le titre de noire Dialogue ; mais ce titre est dû à Juste-Lipse, qui l’a pris dans Quintilien même, et il ne se trouve sur aucun manuscrit. Quintilien d’ailleurs avait trente-trois ans, la sixième année du règne de Vespasien, et par conséquent il ne pouvait pas se dire admodum juvenis.

Je ne prolongerai pas davantage cette discussion, que je suis loin d’avoir épuisée : je crois fermement, sans oser pourtant l’affirmer, que le Dialogue est de Tacite, et que c’est son premier ouvrage. Il est digne à tous égards de ce grand écrivain. L’éloquence y est envisagée d’une manière neuve, et la théorie de l’art oratoire s’y rattache par- tout à l’histoire des mœurs et des institutions politiques. « Cette littérature forte et profonde, dit M. Daunou, est celle qui convient à l’historien des empereurs. » C’est une des pièces les plus intéressantes de l’éternel procès des anciens et des modernes, procès qui dut se plaider chez les Grecs entre les partisans de Déméirius de Phalère et ceux d’une éloquence plus saine et plus virile ; procès qui, du temps de Cicéron, s’était transformé en une querelle entre les vrais et les faux attiques ; procès qui donna lieu chez nous à une controverse si animée vers la fin du xviie siècle, qui s’est renouvelé de nos jours avec d’autres éléments et sous d’autres noms, et qui recommencera toutes les fois que l’esprit humain croira faire un progrès, dût ce progrès le mener à la décadence. Il est remarquable en effet que ces questions ne s’agitent que quand une littérature a produit ses chefs- d’œuvre les plus parfaits, époque où les esprits, après avoir épuisé toutes les jouissances intellectuelles, ne sont plus frappés, pour ainsi dire, que de la monotonie du beau, et veulent à tout prix de la nouveauté. L’une et l’autre cause a, dans notre Dialogue, de zélés défenseurs ; et, quoique la préférence de l’auteur pour les anciens ne soit pas équivoque, il ne dissimule pas que le temps amène nécessairement en éloquence des formes nouvelles et des genres différents. L’idée seule de cette discussion prouve d’ailleurs combien sont indépendantes les doctrines littéraires de l’écrivain ; et, si cet écrivain est Tacite, ses ouvrages historiques en sont une preuve non moins éclatante.

Nous avons passé en revue tout ce qui compose la collection des œuvres de Tacite. Il est très-vraisemblable qu’une lettre insérée parmi celles de Pline le Jeune[29], et à laquelle nous avons déjà fait allusion, doit encore lui être attribuée. Nous avons parlé de l’amitié qui l’unissait à Pline. Elle était si connue, qu’on ne pouvait nommer l’un des deux sans que le nom de l’autre se présentât aussitôt. On ne pouvait même parler des belles-lettres sans penser aux deux illustres amis qui s’en partageaient l’empire. Un jour Tacite, assistant aux jeux du cirque, lia conversation avec un chevalier romain assis près de lui. Après quelques moments d’un entretien savant et varié, celui-ci lui demanda s’il était d’Italie ou de province. « Je ne vous suis pas tout à fait inconnu, répondit Tacite, et c’est aux lettres que je dois cet avantage. — Vous êtes donc Tacite ou Pline, » reprit vivement le chevalier, qui donnait ainsi à l’un et à l’autre un éloge d’autant plus flatteur qu’il était fortuit et désintéressé[30].

Nous ne connaissons aucun autre détail sur la personne et la vie de Tacite ; l’époque de sa mort est également ignorée, et c’est une assertion purement gratuite de dire qu’il vécut quatre-vingts ans. IL est néanmoins fort probable qu’il vit l’empire d’Adrien, puisque c’est vers la fin de Trajan qu’il écrivait ses Annales.

Du reste sa vie, quelle qu’en ait été la durée, fut remplie par de nobles travaux, et nous venons de voir qu’il eut le bonheur assez rare d’être apprécié de ses contemporains et de jouir de sa gloire. La postérité lui a rendu la même justice que son siècle : et, quoique mutilés, ses écrits sont encore une des plus belles parties de l’héritage que l’antiquité savante a légué aux âges modernes.

Ce n’est pas que, depuis la renaissance des lettres, son mérite n’ait été le sujet de vives controverses. Des puristes de latinité critiquent sa diction, et relèguent parmi les auteurs du second ordre celui que Bossuet appelle le plus grave des historiens et Racine le plus grand peintre de l’antiquité. Sa latinité sans doute n’est pas celle de Cicéron : en un siècle et demi la langue avait subi des changements ; de nouvelles expressions avaient été introduites, d’anciennes renouvelées : des hellénismes qui, au temps d’Horace et de Virgile, n’étaient admis que dans les vers, s’étaient peu à peu naturalisés et avaient cours même dans la prose. Ces détails, en quelque sorte matériels, peuvent être un objet d’étude pour le philologue qui s’occupe de l’histoire du langage. Mais ce que tout lecteur doit admirer dans Tacite, c’est ce style tantôt vif et rapide, tantôt calme et majestueux, souvent sublime, toujours simple dans sa grandeur, et toujours original et vrai, parce qu’il part d’une âme fortement convaincue et d’un esprit qui pense d’après lui-même ; c’est cette précision, qui consiste à dire ce qu’il faut, rien de plus, rien de moins, et qui n’exclut ni la pompe des expressions, ni l’éclat des images, ni l’harmonie des périodes. La concision même, qu’on reproche quelquefois à Tacite, et qui, avare de paroles, enferme dans ses coupes heurtées et ses oppositions inattendues plus de sens que de mots, n’est ordinairement qu’une heureuse hardiesse, un secret du génie, qui conçoit fortement sa pensée et la dessine à grands traits. Voilà ce qui caractérise la diction de Tacite : voilà pourquoi on ne peut la comparer avec celle d’aucun autre écrivain, pas même de Salluste, qui, avec autant de nerf et de justesse, a peut-être moins d’âme et de véritable chaleur. Tacite, comme Bossuet, a fait sa langue : avec de tels génies ; la critique ordinaire est en défaut, et l’on doit chercher dans un ordre plus élevé la règle de ses jugements.

Est-ce à dire qu’on ne trouve point dans Tacite quelques constructions hasardées, quelques recherches d’élocution, quelques phrases, bien rares cependant, où l’antithèse est dans les mots plutôt que dans la pensée, quelques formules qui lui sont particulières et qui reviennent de temps à autre, enfin de longues périodes qui manquent d’unité, parce que les membres qui les composent ne concourent point au développement d’une idée principale ? Nous ne prétendons pas dis- simuler ces légers défauts, pas plus que nous n’avons passé sous silence les taches que nous avons cru remarquer dans l’Agricola et dans la Germanie. Mais nous ne pouvons nous empêcher de relever un mérite que l’on n’a peut-être pas assez loué dans Tacite : c’est cette variété de ton et de couleur, toujours appropriée à la nature des objets. Ainsi, quand il peint ou le champ de bataille de Varus, ou la flotte de Germanicus battue par les tempêtes de l’Océan. ou Cécina dégageant ses légions des marais de la Frise avec des travaux inouïs, l’horizon brumeux et le ciel écrasé de la Germanie communiquent au style de l’historien leurs teintes sombres et mélancoliques :  ; tandis que le soleil de l’Orient semble réfléchir sa lumière sur les pages où l’auteur ra- conte les merveilles de l’Égypte et les fables de la Grèce. L’écrivain qui pénétra le plus avant dans les replis du cœur humain est peut-être encore celui qui a trouvé, pour peindre le monde physique, les cou- leurs les plus riches et les plus habilement nuancées.

On accuse Tacite de finesse et de subtilité. Pour lui, dit-on, les motifs les plus vrais ne sont que des prétextes ; il rapporte les moindres actions à des vues profondes, et il donne à des effets tout naturels des causes mystérieuses. C’est principalement sur l’histoire de Tibère que tombe cette critique. Mais, si l’on pense aux ménagements auxquels Tibère se croyait obligé envers le sénat, si l’on considère que ce despote soupçonneux ne crut jamais son pouvoir assez affermi, on jugera que la politique cauteleuse que lui prête Tacite était une nécessité ou de sa position ou de son caractère, Tibère d’ailleurs n’eut pas toujours le premier rôle dans l’emploi de la ruse : quelquefois il ne fit que se tirer avec adresse de pièges habilement tendus ; si cet ennemi de l’indépendance témoignait en même temps son dégoût pour l’adulation, gardons-nous de croire que ce fût hypocrisie : l’abjecte servilité d’un sénat prêt à toutes les bassesses le flattait peu, et n’en compromettait pas moins sa popularité. Le mérite de Tacite est d’avoir deviné cet esprit à la fois perplexe et délié, prudent à l’excès et fertile en ressources, et de lavoir suivi dans ses voies tortueuses et multiples.

Si du prince nous descendons aux instruments de sa tyrannie, ici encore la vérité des portraits ne saisit pas moins vivement que la vue pénétrante de l’historien qui les a tracés. Balzac a quelque part appelé Tacite « l’ancien original des finesses modernes[31]. » Il serait difficile en effet d’innover après les maîtres d’astuce et Ce perfidie qu’il a voués à la malédiction des siècles. Mais ces odieux modèles, il ne les a pas créés ; et, lorsqu’il offre à nos regards, ici l’accusateur sans honte comme sans pitié, qui met publiquement la main sur la victime[32], là le délateur clandestin qui s’adresse tout bas à la cruauté du prince[33], ailleurs le vil agent qui provoque les complots afin de les dénoncer[34], on sent que ces personnages sont réels, que ces figures sont celles d’hommes qui ont vécu, et que l’artiste a pris la nature sur le fait. Non, Tacite ne calomnie pas l’humanité ; il peint sans ménage. ment, mais sans colère, une société corrompue et des âmes dégradées. Il ne dénigre pas ; il fait justice : il obéit à la loi de son sujet plutôt qu’au penchant de son esprit. Lui-même envie le sort des historiens de Rome libre et triomphante, et se plaint de n’avoir sans cesse à rap- porter que des ordres tyranniques, des accusations intéressées, des amitiés indignement trahies, d’injustes supplices[35], déplorable uniformité de crimes et de malheurs qui le fatigue et lui pèse. L’historien qui nous fait chérir les vertus autant qu’admirer les talents d’Agricola, qui nous montre dans Germanicus la réunion de toutes les, qualités aimables sans mélange d’aucun défaut, dans la fille de Soranus la piété filiale portée jusqu’à l’héroïsme[36], dans Thraséas un sage qui égala Caton par l’indépendance de sa vie et Socrate par la gloire de sa mort, cet historien n’est pas un misanthrope qui interprète maligne- ment les actions des hommes et ne voit dans toutes les conduites que le côté blâmable.

Je ne fais pas au reste un plaidoyer pour Tacite, qui n’en a pas besoin. Chaque lecteur, suivant son goût et les habitudes de son esprit, estimera plus ou moins la pénétration de l’écrivain et les conjectures qu’elle lui suggère : libre même à qui voudra de le trouver trop enclin à tout expliquer. Mais son impartialité dans le récit des faits ne sert

XIV INTRODUCTION.

pas revoquee en üoute. Rorae entiere accusait Domitien de la mort d’Agricola , et le gendre de ce grand homme declare qu’il ignore si ce bruit est fonde’. Ailleurs il consacre un chapitre entier ä justifier Tibere d’un parricide que la posterite ajoiiterait peut-etre aux crimes de ce prince. si rhistorien iveüt pris soin d’en decharger sa memoire’. La mort meme de Germanicus, sonheros de predilection , est pourlui un Probleme ä jamais iiisoluble . et il est bien pres detenirPison pour innocent, non sans doute de vosuxmeurtriers et de menees coupables , mais au moins de poison^.

II est encore un reproche que Ton a quelquefois adresse k Tacite, celui d’obscurite. Si Ton veut parier de la diction, nous avons fait, i Toccasion de la Vie d’Agricola. les seules concessions possibles. S’il s’agit des pensees . nous dirons que . pour etre fines et profondes . elles ne sont pas obscures. et que, s’il faut quelque attention pour les saisir, l’intelligence satisfaite ne regrette jamais la peine qu’elle s’est donnee. Elle trouve ordinairement plus qu’elle n’attendait : un mot jete au milieu du recit contient souvent une iraportante maxime ; une seule expression reveille une foule d’idees accessoires et s’adresse en meme temps a la raison, au coeur , ä Timagination. Lesterraes ne sont point vagues : ils sont ricbes de sens, et l’auteur cboisit toujours ceux qui embrassent le mieux toute l’etendue de sa pensee. Mais, comme le langage est borne et la pensee infinie, il arrive que celle-ci n’apparait quelquefois que dans une sorte de demi-jour, et laisse au lecteur des decouvertes ä faire.

C’est pour cela que de savants hommes* ont applique au style de Tacite ce que lui-meme a dit de Poppee . femme de Neron ’ : « Elle ne se montrait jamais qu’a demi voilee, seit pour ne pas rassasier les regards, Goit qu’elle eüt ainsi plus de charmes. » Celle pretendue obscurite de Tacite est en effet une des principales sources du plaisir que Ton prend a sa lecture , et qui devieut plus vif, plus il ^st repete. Du feste, eile ne s’etend point ä rexposition des faits : rien de plus clair que chacune des narrations de ce grand ecrivain , rien de mieux ordonne que l’ensemble de ses recits. Toutefois j’ai deja remarque qu’il en est quelques-uns oü Ton desirerait des details plus circonstancies ; j’ajouterai que l’habitude de presenter ses idees sous la forme la plus generale entraine quelquefois le narrateur dans une apparence d’eiageration. Ainsi, en racontant que Tibere fit mettre 4 mort tous ceux qui etaient detenus comme coraplicesde Söjan , il peint la terre jonchee de cadavres , et les corps de nobles et d’inconnus, d’enfants et de femmes, gisant ^pars ou amonceles*. Notre eiaclilude moderne aimerail 4 connattre le nombre des victimes’ ; i. Jgriccla, cliap. xi.m. — 2 Annalfs , liv. IV, chap. xr. — 3. IbiJ.^ liv. Hl. ch.ip. XIV, XIX. — 4. Gordon, L.i nicltorie, cl M. Ancillon, Melanies de litterature et de phil>.sophie. — 5. AnnaUs, liv. XIII, chap. xi.v. (J. //’/./., liv. VI, chap. XIX. — 7. Sii^lonc en complc vingl dans un jour ; niai& il n<> ’lil pas conibicn de .iours Uur6rcnl les execuUons. mais les anciens etaient artistes dans l’histoire comme dans toules leurs Oeuvres. Le beau dans les formes, dont ils avaient un sentiment si vif, et qui se concilie si bien avec le beau moral , etait la preraiere loi de leurs compositions. Nous y avons gagne des chefs-d’oeuvre, et nous y perdons peu en inslruction veritable. II n’importe guere, apres tout, de savoir au juste combien Tibere sacrifia de malheureux ; mais il imporie, pour la moralite de l’histoire, que la cruaute soit flelrie et que la memoire du tyran soit trainee devaut la posterite , couverle du sang qu’il versa.

II me reste k parier de deux accusations coritradictoires, et qui ne sont pas les moins graves. On p^retend que Tacite est tantot superstitieux ä l’exces , tantot sceptique jusqu’ä Timpiete. Qu’il soit superstitieux en effet , qu’il croie aux prodiges . ä la divmation . aux predictions des aruspices, je ne lui en ferai point un crime. Ces croyances etaient une partie de la vieille religion des Romains , et un ecrivain dont toutes les pensees sont graves et morales devait respecter la religion de son pays ; il devait meme s’y attacher d’autant plus fortement, que les progresde l’incredulite et l’invasion des cultes nouveaux l’avaient plus ebranlee. C’est ä l’epoque oü l’on avait pu dire : « Les dieux s’en vont , » que la republique avait cesse d’etre. Les Souvenirs de la liberte se liaient ä ceux des ceremonies antiques ; doit-on s’etonner que Tacite les confondit dans les memes regrets ? Le dogme de la fatalite, dont il declare que la plupart des hommes sont imbus , avait d’ailleurs pour consequence necessaire la foi aux presages. Cependant Tacite n’accordait pas tant au destin qu’il ne fit sa part ä la liberte de l’homme ; et iln’admettait pas si aveuglement les prodiges, qu’il ne se permitquelquefois une expression de doute’. Au reste. que les prodigea soient, aux yeux de lecrivain , des signes de l’avenir , ou de simples phenoraenes de la nature, ou des inventions de la peur et de Tignorance, ils n’en sont pas moins du domaine de l’histoire. Faux ou reels , ils ont les memes eflets s’ils s’emparent des esprits de la multitude. Ce que le monde a cru , l’historien doit le rapporter , quand ce serait une erreur : les erreurs ont souvent influe plus puissamment que la verite sur le sort des Etats.

Si ce que nous avons dit de l’esprit religieux de Tacite est fonde , le reproche d’impiete n’a plus besoin de refutation. II ne s’appuie en effet que sur deux phrases , oü l’on pretend que Tacite nie ou insulte la Providence, tandis que dans ces phrases memes il lui rend un eclatant hommage. Au commencement des Histoires . apres avoir trace rapidement l’effrayant tableau d’une epoque feconde en forfaits et en catastrophes, il s’ecrie : a Non. jamais plus horribles calamites du peuple romain ni plus justes arrets de la puissance divine ne prouverent au monde que , si les dieux ne veillent pas ä notre securite , ils prennent . Auaales, liv. VI, chap. xxn. — ?.. Und., liv. IV, clinp. xx. 3. Ibid., liv. I, chap. xxvm ; Histoires, liv, I, cliup. x, lxxxvi ; liv. IV, cbap, XXVI, etc. soin de notre vengeance[37] ; » et on lui fait dire « que les dieux ne veillent sur les hommes que pour les punir[38]. » A la fin des Annales[39], il désigne au mépris des gens de bien un certain Égnatius qui, cachant sous l’ex- térieur d’un stoïcien l’âme d’un monstre, faisait trafic du sang de san ami ; et il rapproche de cette trahison le dévouement généreux du Bi- thynien Asclépiodote, qui se laisse exiler et dépouiller de ses richesses plutôt que d’abandonner la disgrâce de Soranus, dont il avait honoré la fortune. « Ainsi, ajoute l’auteur, la justice des dieux opposait un bon exemple à un mauvais. » L’étrange préoccupation de quelques esprits a vu dans ces paroles que « les dieux étaient indifférents au vice et à la vertu. »

Ce serait ici le lieu de rechercher quelles furent les opinions philosophiques de Tacite, si la lecture de ses ouvrages n’était pas le meilleur moyen de s’en faire une idée. Au temps où il vécut, la raison humaine était partagée entre la doctrine de Zénon et celle d’Épicure. La première s’était propagée au milieu de la dépravation et de l’avilissement des âmes, comme pour protester en faveur de la dignité de l’homme : elle élevait l’opprimé au-dessus du tyran, en lui faisant mépriser la douleur et la mort ; elle consolait même des malheurs publics en don- nant la force de souffrir ce qu’on ne peut empêcher. La philosophie d’Épicure, plus conforme à la pente générale des mœurs, pouvait néanmoins être aussi un refuge contre la tyrannie : elle ne bravait point le péril, mais elle en écartait l’idée ; elle ne créait point à l’homme une liberté qu’il pût conserver jusque dans les fers, mais elle couvrait ses chaînes de fleurs ; en amollissant les âmes. elle leur rendait la résignation moins pénible. Si Tacite eût fait un choix, certes il se fût décidé pour l’école qui a produit Caton et Thraséas ; mais rien n’autorise à croire qu’il ait subordonné sa raison aux dogmes d’aucune secte. Sa philosophie, aussi forte, aussi élevée que celle des stoïciens, mais plus douce et plus indulgente, ne connaissait pas ce rigorisme qui, en outrant les principes, les pousse jusqu’au paradoxe.

Cette mesure dans la sagesse est aussi la règle de ses jugements poli- tiques. L’amour de la liberté respire partout dans ses écrits ; partout on y sent le regret des temps qui ne sont plus : son âme est républicaine sous la monarchie des Césars, mais il se soumet de bonne foi au gouvernement établi. Il ne cache pas qu’il doit son élévation à trois princes, dont le dernier était Domitien. Il loue Agricola d’avoir opposé à la haine de ce tyran une conduite prudente et modérée ; il pense qu’il peut y avoir de grands hommes sous de mauvais princesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., et « qu’il est possible de trouver, entre la résistance qui se perd et la servilité qui se déshonore, une route exempte à la fois de bassesse et de pé-

4.

2.

3. — 4. Agricola, chap. xrat. rils[40]. » Et ces maximes, il ne les professe pas seulement en son nom personnel ; il les place encore dans la bouche de Thraséas, détournant le tribun Rusticus d’une opposition qui compromettrait son avenir[41]. Un despote seul pourrait craindre qu’on ne cherchât dans Tacite des aliments à l’esprit de révolte et des conseils de sédition. Si les Tibère et les Néron sont punis par cela même que Tacite les a peints, tous les bons princes nous semblent récompensés par les éloges qu’il leur donne dans la personne d’un Nerva, « qui sait allier deux choses jadis incompatibles, le pouvoir suprême et la liberté[42] ; » dans celle d’un Trajan, « sous l’empire duquel on est libre de penser ce qu’on veut et de dire ce qu’on pense[43]. »

La traduction que j’offre au public est de moi tout entière. On y trouvera peu de ressemblances avec celles qui l’ont précédée. Ce n’est pas que j’aie mis de l’amour-propre à refaire autrement ce qui était bien fait : mais, dût ce jugement paraître sévère, j’ai eu trop rarement à me défendre de cette tentation. D’ailleurs tout homme qui écrit a son style propre, qui dépend surtout de la forme sous laquelle il conçoit sa pensée et du tour qu’il y donne. Or, il y a plus d’une manière de voir ses propres idées et, à plus forte raison, celles d’autrui ; et voilà pourquoi tant de traducteurs, en voulant reproduire le même modèle, font des copies si dissemblables entre elles. J’en conclus qu’une même phrase peut être suffisamment bonne et convenable dans une traduction. et cesser de l’être si on la transporte dans une autre, parce qu’elle n’aura point ou la tournure, ou le mouvement, ou la couleur, demandés par ce qui suit et par ce qui précède. Aussi je n’ai jamais pensé qu’on pût faire une bonne traduction en corrigeant celles des autres. Du moins n’obtiendra-t-on jamais par ce moyen cette unité de ton et cette harmonie d’ensemble nécessaires dans toute œuvre de l’esprit.

De plus, une traduction, pour être lue, doit être de son siècle. Et je ne plaide pas ici la cause du néologisme : la nouveauté des mots ne fait pas celle du style, et la langue française possède depuis longtemps des expressions pour toutes les idées. Mais il est un progrès universel auquel ce genre d’ouvrages doit participer comme le reste. Les mêmes choses sont envisagées, d’un siècle à l’autre, d’une manière différente ; on découvre chaque jour dans des objets déjà et souvent observés des rapports inaperçus ; et, pour appliquer à un exemple particulier cette remarque générale, on entend mieux les anciens depuis que les grandes scènes de leur histoire se sont en quelque sorte renouvelées sous nos yeux. Cette lumière qui naît des événements et du jeu des passions nous montre dans leurs écrits ce qu’auparavant on n’y distinguait pas assez. Si donc il est vrai de dire que ce serait manquer à la vérité historique et faire un perpétuel anachronisme que de ne regarder l’antiquité qu’à travers les intérêts contemporains et la politique du jour, il est vrai aussi que le traducteur est entraîné par le mouvement public de son temps, qu’il en reçoit l’impression, et que son travail en réfléchit une image plus ou moins fidèle. C’est par cette raison qu’aux plus brillantes époques de notre littérature les traducteurs les plus habiles donnaient sans scrupule

L’air et l’esprit français à l’antique Italie.

C’était la faute du siècle autant que de l’écrivain. Une pareille erreur serait aujourd’hui condamnée de tout le monde, et quiconque a senti l’influence du temps où nous vivons est averti de ne pas y tomber. Le goût des recherches historiques a éveillé la critique, et, à mesure qu’on a plus étudié les sociétés anciennes, on les a vues sous un jour plus vrai. Ce sont des réalités qu’on demande à l’histoire, et on les accepte telles qu’elle les donne. Les choses les plus opposées à nos mœurs ne paraissent plus ni bizarres ni choquantes ; on les tolère au moins comme des faits. Par une conséquence nécessaire, on s’est familiarisé avec les mots qui les expriment : et les noms de dignités civiles ou militaires n’ont plus besoin de se produire sous un déguisement moderne.

La réforme s’est étendue même jusqu’au style. Le bon goût public a fait justice de cette distinction arbitraire qu’une école vieillie établissait entre une belle traduction et une traduction fidèle : on pense aujourd’hui que la fidélité et la beauté peuvent aller de compagnie. Peut-être fallait-il qu’après des copies platement littérales parussent des imitations qui visaient à l’élégance plus qu’à l’exactitude. et qui s’offraient comme leçon et modèle de beau langage français. Mais les choses n’en pouvaient rester là : on ne traduit plus pour enseigner le style à ses contemporains, mais pour reproduire, si l’on peut, dans sa langue, les pensées d’un auteur ancien avec leur forme originale et leur couleur native. Or, en même temps qu’on a senti le besoin de se rapprocher de l’antique, on s’est aperçu que la langue française fournissait pour cela des ressources à qui saurait les trouver. Mais si les devoirs, les droits et les moyens du traducteur sont mieux connus, sa tâche en est devenue aussi plus pénible. On lui permet d’être ancien avec les anciens ; on lui en fait même une loi : mais on veut qu’il le soit avec grâce, et que chargé d’entraves il marche en liberté.

Je borne ici ces réflexions. dont le but n’est pas de montrer ce que j’ai fait, mais ce que j’ai voulu faire. Après ce peu de mots sur l’esprit qui a dirigé mon travail, je dois entrer dans quelques détails pour ainsi dire matériels, dont le lecteur excusera la sécheresse en faveur de leur nécessité.

Quoique le texte de Tacite ait été travaillé, corrigé, épuré par beaucoup d’habiles commentateurs, on peut dire cependant qu’il y reste toujours quelque chose d’indécis, puisque les meilleures éditions différent dans certains passages. J’aurais pu en adopter une et m’y tenir ; mais il en coûte de renoncer à son libre arbitre ; et j’ai cru d’ailleurs que le travail long et approfondi de la traduction me donnait, dans une juste mesure, le droit de juger les leçons diverses et de faire mon choix. J’ai comparé beaucoup d’éditions ; je ne parlerai que des trois principales : celle de Lallemand, Paris, 1760, d’où proviennent la plupart des réimpressions qui ont cours en France ; celle de Brotier, in-12, Paris, 1716 ; enfin celle d’Oberlin, imprimée à Leipsic en 1801, et répétée dans la belle collection de M. Lemaire. Le texte d’Oberlin est aujourd’hui le plus accrédité ; cependant j’y trouve de loin en loin quelques innovations qui me semblent ou inutiles ou inadmissibles. D’un autre côté, je ne pouvais suivre aveuglément aucun des deux autres, non plus que celui de Deux-Ponts. Quand beaucoup de raisons ne m’en auraient pas empêché, il suffisait qu’un savant comme Oberlin eût cru nécessaire une nouvelle révision, pour exclure de la préférence tout travail antérieur au sien. Quand ces diverses éditions ne s’accordent pas entre elles, j’ai choisi la leçon qui m’a paru la meilleure et la plus autorisée.

Pour les noms propres d’hommes, j’ai suivi le système judicieux recommandé par Tillemont, qui est de ne pas joindre une terminaison française avec une terminaison latine ; ainsi j’ai dit Fontéius Capito et Sophonius Tigellinus. Mais, quand les surnoms paraissent seuls, je n’ai pas craint de dire, suivant l’analogie de notre langue, Capiton et Tigellin. Il ne peut en résulter aucune obscurité, et souvent l’oreille est plus satisfaite. Racine dit également Claudius et Claude, et tout le monde appelle Caïus Cracchus le second des Gracques. Du reste, l’usage a été en ce point mon principal guide. Il en est de même pour les noms de villes. Quand ils n’ont subi que l’altération qu’un mot éprouve en passant d’un idiome dans un autre, et que d’ailleurs ces villes sont très-connues, j’emploie le nom généralement usité. Ainsi, pour Brundusium, je dis Brindes, au même titre que les Grecs disaient Boevriotov ; pour Placentia, je dis Plaisance, par la même raison que pour Roma, Gallia, Hispania, on dit Rome, la Gaule, l’Espagne ; je dis même Lyon, qui n’est qu’une abréviation de Lugdunum. Mais quand les noms sont tout à fait changés ou moins connus, je conserve l’ancien : je dis donc Ticinum, et non Pavie ; Brixellum, et non Bersello ; Dyrrachium, et non Durazzo ou Duras.

Deux expressions d’un autre genre, qui se rencontrent quelquefois dans ma traduction, méritent une observation particulière : ce sont les mots règne et trône. On trouvera peut-être qu’ils réveillent chez nous des idées étrangères aux Romains, chez qui les empereurs n’étaient pas des rois. Mais qu’il suffise d’avertir ici que nous ne les employons pas dans leur acception propre et, pour ainsi dire, officielle, mais dans un sens figuré et symbolique. Bossuet et Montesquieu connaissaient bien la nature du gouvernement romain, et cependant nous lisons dans le premier : « Auguste acheva son règne avec beaucoup de gloire ; » et dans le second : « Lorsque Tibère commença à régner, quel parti ne tira-t-il pas du sénat ? » Tacite lui-même se sert souvent de regnum, pour désigner le pouvoir réel qu’exerçaient les princes. Si l’on rejetait certains mots qui tiennent au fond de la langue et dont la signification est toujours relative au sujet dont on parle, il faudrait bannir aussi le mot empereur ; car imperator en diffère à beaucoup d’égards. Je ne parle pas des mots souverain, diadème, couronne ; il serait aussi ridicule de s’en servir ici que d’appeler Allemands ou Hollandais les Germains ou les Bataves.

Toutes ces remarques sont minutieuses, et j’avais hâte d’en trouver la fin. Il ne me reste qu’à confier ce volume à la justice du public. Avant d’être soumis a ce tribunal suprême. il a éprouvé déjà une censure bienveillante, mais sérieuse. M. Villemain a bien voulu entendre la lecture du manuscrit, et je dois beaucoup ä ses critiques franches et rapides, ä ses inspirations soudaines, enfin, et c’est ce qui me touche encore plus que le reste, à sa complaisance inépuisable. Qu’il en accepte mes remerciements, et qu’il permette que mon livre paraisse sous le patronage d’un nom si cher à plus d’un titre à tous les nobles esprits[44] !

  1. Fr. Angeloni, Hist. di Terni, p. 42 et suiv
  2. Vopicus, Tacit., x.
  3. Pline, Ép., VII, xx.
  4. Dialogue sur les Orateurs chap. ii.
  5. Pline, Ép. IX, x.
  6. Agricola, chap. ix.
  7. Histoires, liv. I, chap i
  8. Annales, liv. III, chap xxix
  9. Ibid., liv. XI, chap. xi ; ces jeux eurent lieu sous le consulat de Domitian et de L. Minucius, l’an de Rome 841, de notre ère 88.
  10. Ibid., liv. XII, chap. xxiii
  11. Agricola, chap. xliv : tam longæ absentiæ conditione.
  12. Ibid., chap. xlv
  13. An de Rome 819 ; de J.C 96
  14. Pline, Ép. II, i
  15. Agricola, chap. ii
  16. Ibid., chap. xiv
  17. Esprit des lois, liv. XXX, chap. ii.
  18. Germanie, chap. xxxix
  19. Pline, Ép. II, x : « Respondit Cornelius Tacitus eloquentissime, et, quod eximium orationi ejus inest, σεμνώς. »
  20. Saint Jérôme, Comment. in cap. xiv Zachariæ, dit que Tacite a écrit les Vies des Césars en trente livres, depuis la mort d’Auguste jusqu’à celle de Domitien, Vitas Cæsarum triginta voluminibus exaravit ; et par conséquent il ne distingue pas les Annales des Histoires, Mais en accordant à ce passage toute l’autorité qu’il peut avoir, il n’en restera pas moins certain que Tacite a composé en des temps différents et en deux parties séparées ce que saint Jérôme appelle les Vies des Cesars. Seulement on pourrait conclure du témoignage de ce Père que les Histoires contenaient quatorze livres, puisque les Annales en renferment certainement seize. Mais quatorze livres ont-ils pu suffire à vingt-huit ans, lorsque quatre livres et plus n’embrassent pas un an et demi ? Je suis porté à croire avec M. Daunou que la numération des livres de Tacite n’était pas très-bien connue, ou que, dans les citations de ce genre, on ne se piquait pas d’une rigoureuse exactitude.
  21. Walther, préface, p. xiij.
  22. Voy. de Oratore, liv. II, ch. xii, un passage où Cicéron fait connaitre fort clairement quelle idée il attache aux mots Histoires et Annales.
  23. Nuits Attiques, V, xviii.
  24. “lsrop, témoin ; éaropix, récil des faits dont on a été le témoin.
  25. Annales, liv. XI, chap. xi.
  26. Ibid., liv. II, chap. lxi.
  27. Ibid., liv. III, chap. xxiv.
  28. Dialogue, chap. i.
  29. Pline, Ép, IX, x.
  30. Ibid. xxiii.
  31. Voy. Bayle, art. Tacite, note F.
  32. Annales, liv. I, chap. lxxiii ; liv. XVI, chap. xxii, xxiii et passim.
  33. Ibid., liv. I, chap. lxxiv.
  34. Ibid., Liv. II, chap. xxvii ; liv. IV, chap. lxviii.
  35. Ibid., liv. IV, chap. xxxii, xxxiii.
  36. Ibid., liv. XVI, chap. xxx-xxxii.
  37. Histoires, liv. I, chap. iii.
  38. Cette phrase est de d’Alembert : je la choisis comme exprimant plus nettement qu’aucune autre le contre-sens que tant d’interprètes, de traducteurs et de critiques. s’accordent à faire sur ce passage.
  39. Annales, liv. XVI, chap. xxxiii.
  40. Annales, liv. IV, chap. xx.
  41. Ibid., liv. XVI, chap. xxvi.
  42. Agricola, chap. iii.
  43. Histoires, liv. I, chap. i.
  44. La traduction de M. Burnouf parut d’abord en six volumes. Il s’agit ici de celui qui contenait les deux premiers livres des Histoires. (Ed.)