Œuvres complètes de Shakespeare/Guizot, 1862-1864/Avertissement des éditeurs

AVERTISSEMENT

DES ÉDITEURS.

Lorsque M. Guizot, en 1821, publia chez M. Ladvocat les œuvres complètes de Shakspeare traduites en français, M. Ladvocat expliqua dans une courte préface que la modestie seule du traducteur avait fait maintenir en tête de cette publication le nom de Letourneur, qui le premier avait tenté de faire connaître en France le théâtre de Shakspeare.

C’était bien une traduction nouvelle que M. Guizot publiait, en 1821, avec la collaboration de M. Amédée Pichot. Une grande Étude biographique et littéraire sur Shakspeare la précédait ; trente-sept notices et de nombreuses notes accompagnaient les diverses pièces ; une tragédie entière et deux poëmes, dont Letourneur n’avait rien donné, étaient ajoutés ; tous les passages que Letourneur avait supprimés dans le corps des pièces étaient rétablis, et cela seul rendait à Shakspeare au moins deux volumes de ses œuvres ; mais surtout la traduction avait été entièrement revue et corrigée d’après le texte, et si le nom de Letourneur était maintenu sur le titre, son système d’interprétation était détruit presque à chaque ligne. Ses infidélités déclamatoires ou timides avaient disparu, pour faire place à une exactitude, à une simplicité, à une hardiesse qui changeaient du tout au tout la physionomie du style. Un grand pas était fait. Peut-être n’était-ce pas encore une traduction définitive, mais c’était déjà une traduction décisive, qui devançait les progrès de la critique et du goût, et qui devait mettre les lecteurs français en demeure de se prononcer sur Shakspeare tel qu’il est.

Cette traduction vient de subir une nouvelle révision, complète, minutieuse, et qui ôte au nom de Letourneur tout droit et même tout prétexte de figurer sur le titre. — Nous y ajoutons la collection complète des sonnets qui manquait à l’édition antérieure.

Maintenant que l’intelligence des littératures étrangères s’est répandue en France, maintenant que Shakspeare est familier à tous les esprits cultivés, un traducteur peut oser davantage et serrer le texte de plus près. Rien n’empêche aujourd’hui les traductions d’être aussi exactes qu’elles pourront jamais l’être ; la tentation et le péril sont plutôt d’exagérer que d’atténuer les textes en les interprétant, et de faire des traductions pareilles à la photographie, qui grossit les traits saillants des visages qu’elle reproduit. On s’est efforcé d’éviter cette infidélité d’une nouvelle sorte, et de ne point faire un Shakspeare français plus anglais et plus shakspearien que le Shakspeare anglais lui-même.

Didier et Ce